c. Liens idéels :
le rêve et la pensée
Au cours des entretiens sont toujours apparues des
évocations du Laos. Images, anecdotes, récits de
cérémonies, traditions s'entremêlent toujours avec le
discours sur l' « ici », comme s'ils habitaient un
territoire vital bipolaire et entretenaient avec le lieu originaire des
rapports imaginaires et nécessairement nostalgiques. Trente ans
après l'exil, la mémoire est encore vivante et conservée
grâce à une modeste et précieuse photo punaisée
(photo n°6) sur le lieu de travail : « J'avais 17 ans,
et là c'est mes neveux ». Elle est olfactive et
gustative, entretenue par les préparations culinaires et l'utilisation
des plantes qui poussent dans les jardins. Les rêves participent aussi
à la conservation des souvenirs.
Je rêve encore au village... moins qu'avant mais la
nuit, ça m'arrive encore... Je suis à la maison...
(Teng CHIENG)
Ce ne sont pas les « résidus
diurnes », ainsi nommés par S. FREUD pour désigner
les souvenirs de la journée, mais ceux enfouis dans une mémoire
profonde consolidée par le traumatisme de l'exil. Mais lorsqu'on n'a
jamais mis les pieds au Laos, comme c'est le cas de la majorité de ceux
que nous avons rencontrés, la pensée se substitue au
rêve :
Le plus dur pour moi, c'est quand je pense que ma famille
est au Laos et qu' elle crève là-bas. Mes tantes, elles vivent
dans la forêt, tous les jours elles se font flinguer... Moi je me sens
bien en France, mais notre peuple là-bas il va crever...
(Phong-Yu, 19 ans)
Comme le remarque Ida SIMON-BAROUH à propos des
Cambodgiens réfugiés en France, « cette
mémoire dont l'intense intimité ne se partage pas, alimente un
imaginaire fabuleux et nostalgique dont s'imprègnent les plus jeunes,
ceux qui [...] en échafaudent progressivement les contours
sociaux » (SIMON-BAROUH, 2005 : 397). Si la mémoire
conserve dans ses replis des images d'un passé douloureux et
émotionnellement chargé, elle permet de transmettre aussi un
ensemble de traditions qui trouvent toute leur expression à l'occasion
de cérémonies et des fêtes organisées dans les
familles ou par la communauté toute entière.
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