v Contacts indirects médiatisés
... Quand je suis quitté au Laos, je suis
quitté avec mes trois femmes et les enfants, et mes parents, ils sont
encore là, ils sont au Laos et quand je suis arrivé en
Thaïlande, j'ai écrit une lettre pour donner à quelqu'un
pour signaler à mes parents que j'ai quitté au Laos mais
j'attends à la Thaïlande... (Teng CHIENG)
Nous sommes en mai 1975, Teng CHIENG vient de franchir la
frontière thaïlandaise avec ses 3 épouses et 5 enfants en
bas âge. Ses parents sont encore au Laos. Il confie une lettre à
un homme de confiance pour les tenir au courant de sa situation et les
décider à le rejoindre. Le courrier va être le premier mode
de communication utilisé au moment de la dispersion, parfois
rédigé par un autre quand on ne sait pas écrire
soi-même et réciproquement quand on ne sait pas lire, compte tenu
du fait que la langue hmong est avant tout une langue orale qui connut
tardivement l'arrivée de l'écriture.
Le téléphone a rapidement supplanté
l'écrit et sert régulièrement aux hommes pour entretenir
des liens avec les autres membres du clan. On retrouve en effet dans l'usage du
téléphone la division sexuée de l'espace : le contact
avec l'extérieur est avant tout masculin. Les appels à
l'étranger sont plus rares, réservés aux
événements importants. Pour les plus jeunes commence à se
poser le problème de la langue :
Mes parents ont des contacts avec ma famille au Laos...
Moi quand je leur parle ils comprennent pas grand chose, j'ai l'accent
français... Cet accent est ancré... (T., 21 ans)
L'ancrage est non seulement spatial, il est aussi
linguistique ! Contrairement à ce qui s'est mis en place dans
certaines grandes agglomérations, par le biais des associations ou plus
officiellement à l'université comme c'est le cas aux Etats-Unis,
le contexte de très petite ville n'a pas favorisé
l'institutionnalisation de cours de hmong. Trop peu de candidats ?
Plutôt manque de motivation chez les plus jeunes qui se contentent d'un
minimum lexical, tout en regrettant par ailleurs de ne pas comprendre
l'intégralité des textes et des chants qui accompagnent les
cérémonies religieuses. Pour eux, « c'est du vieux
hmong... ». Ils connaissent l'existence des sites Internet,
toujours plus nombreux, consacrés aux Hmong, ils les consultent, ils
envient les jeunes Américains, mais cela ne déclenche pas chez
eux un véritable sursaut identitaire. Faut-il craindre réellement
« l'effritement culturel » (CHA, 1999 : 75)
dénoncé à la fin des années 1990 ?
Le lien avec le « là-bas »
est également entretenu par les cassettes vidéo
enregistrées lors des voyages en Thaïlande, comme celles de
Ka-Gé TCHA participant au Nouvel An. Il montre inlassablement à
tous ces images, tout en les commentant avec le sourire. Plus qu'un film
touristique, ces cassettes sont, au sein du domicile familial, un mode de
transmission du patrimoine culturel, et « la
référence au territoire d'origine traduite par un ensemble de
liens matériels et symboliques est un élément
fédérateur garant de la continuité
communautaire » (CHIVALLON, 2004b : 19). Les CD trouvent
aussi leur place dans l'entretien de la mémoire identitaire. Monsieur
TCHA, assis toute la journée devant sa machine à coudre,
écoute en permanence des enregistrements de musique de
variété interprétés par des groupes hmong. Le
Laos, « parfois magnifié par le souvenir, demeure
pour lui un point d'ancrage » (RAPHAEL, 1996 : 89).
Intimement associés aux liens matériels, des liens idéels
existent par ailleurs, ils sont plus subtils mais se révèlent au
détour des mots. Quels sont-ils et quelles formes prennent-ils ?
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