v L'évolution progressive des configurations
matrimoniales :
Il faut d'abord rappeler le principe de base sur lequel repose
la structure sociale de ces populations. Elle est fondée sur le clan
à filiation patrilinéaire. L'exogamie clanique est rigoureuse :
les gens portant le même nom se considèrent comme parents proches
et ne peuvent pas se marier entre eux. Or, à Montreuil-Bellay, la
plupart des familles appartiennent au même clan CHIENG/TCHA/CHA, ce qui
va compliquer le choix des époux ou des épouses.
Graphique n°3 : 3
exemples de configurations matrimoniales
L'observation des 3 graphiques permet de constater qu'en 2007,
près de la moitié des enfants des 3 familles sont mariés
(46%). Nous savons que ces familles sont arrivées parmi les
premières à Montreuil-Bellay avec des enfants très jeunes,
nés soit au Laos soit dans les camps de réfugiés
thaïlandais. 25 ans plus tard, devenus adultes, ils vivent en couple et
ont eux-mêmes des enfants. Si l'on observe maintenant la
répartition des mariages par catégorie sur l'ensemble des 3
familles, on voit que les « mariages hmong » (14 sur 26)
dominent légèrement (53%).
Cependant, l'étude par famille conduit à une
autre conclusion : en effet, dans la famille CHIENG, sur les 9 mariages, 6
sont hmong (66%), dans la famille Tsiong-Yia TCHA, 7 sur 11 (64%), par contre
chez Ka-Gé TCHA 1 sur 6 (17%). En l'absence de véritable
explication de la part des intéressés - parents ou enfants -,
nous proposons de justifier cette différence par 2 arguments. Le premier
est lié à l'âge des pères. Ka-Gé TCHA est
plus jeune de 10 ans. Aurait-il souhaité inconsciemment faciliter
l'intégration de ses enfants dans la société
française en acceptant ces unions mixtes ? Ses aînés,
au contraire, en perpétuant un système matrimonial traditionnel,
ont-ils voulu maintenir une cohérence familiale ? Le second
argument s'appuie sur le lien de parenté qui existe entre CHIENG Teng et
TCHA Tsiong-Yia : en dépit de leur patronyme différent, ils
sont frères et ont été accompagnés par leurs deux
parents dans leur migration. Ces derniers ont-ils alors joué un
rôle, direct ou indirect, dans le choix des conjoints de leurs
petit-enfants ? J. Pierre HASSOUN constatait en 1997 qu'
« une quinzaine d'années après l'arrivée des
premiers Hmong en France, les mariages à l'extérieur des clans
hmong restent exceptionnels bien qu'il n'existe aucun interdit formalisé
dans le fait de se marier ` à l'extérieur' ».
Il justifie cette affirmation par « les réflexes
`communautaires' que la faiblesse démographique de la population
[hmong] en France peut provoquer ». Les jeunes, devant la
difficulté d'insertion dans la société globale,
opèrent alors « un retour à la tradition sous la
forme d'une endogamie accentuée » (HASSOUN, 1997 :
79). On retrouve une fois de plus le renforcement des besoins de
solidarité interne. Pour P. BOURDIEU, analysant ce qu'il appelle
« le marché matrimonial », les femmes ont
pour « fonction de contribuer à la perpétuation ou
à l'augmentation du capital symbolique détenu par les
hommes » (BOURDIEU, 2002 : 65). En choisissant une
épouse hmong, les jeunes hommes, à l'instar de leur père
polygame, affirmeraient ainsi, face à la communauté, leur
« capital symbolique ».
Quoi qu'il en soit, sur les 14 mariages
« hmong », 10 sont contractés par des jeunes filles,
contre 4 pour les garçons. Sont-elles plus respectueuses de la tradition
ou ont-elles subi davantage de pression que leurs frères de la part de
leurs parents ? Sans entrer dans le secret des transactions qui ont
peut-être existé, ces mariages ont parfois des
« histoires » liés à la mobilité des
intéressés aux-mêmes. En effet, les 3 filles
aînées de la première épouse de Teng CHIENG
allaient, chez des « cousins » maraîchers à
Nîmes, pour la cueillette des courgettes. Elles y ont fait la
connaissance de jeunes Hmong qui sont devenus leurs époux. Une fille de
Tsiong-Yia TCHA a épousé un Hmong venu des Etats-Unis passer des
vacances à Montreuil-Bellay. Le fils aîné de Teng CHIENG,
encore plus respectueux de la tradition, a fait spécialement le voyage
en Thaïlande pour épouser une jeune fille hmong.
Les mariages « mixtes » sont
essentiellement le fait des garçons. Toutefois, la tradition est
maintenue par tout le cérémonial qui entoure le mariage et en
particulier le port par les époux et leurs témoins des costumes
traditionnels (photo n°14)
Photo n°14 :
Mariage « mixte » à Montreuil-Bellay
Enfin, il faut encore une fois tenir compte de la très
petite taille de la communauté hmong de Montreuil-Bellay pour expliquer
le nombre de mariages mixtes. A l'inverse, des communautés
numériquement fortes, comme celles de Rennes ou Nîmes, peuvent
maintenir effectivement l'intermariage (STREIFF-FENART, 2000).
Qu'ils soient endogamiques ou mixtes, quelle va être
l'influence des mariages sur la configuration des bassins de vie
familiaux ? Pour cela, nous nous appuierons à nouveau sur les 3
familles précédemment étudiées en observant la
localisation des lieux de résidence des enfants qui ont
décohabité, soit pour des raisons professionnelles soit parce
qu'ils sont mariés et ont quitté le domicile parental.
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