3. L'élargissement du bassin de vie familial par les
mariages
Si le domicile, prolongé par le jardin, et le quartier
sont vécus comme « un ancrage identitaire »
(RAMADIER, 2002 : 121), ils constituent en quelque sorte pour les membres
de la communauté un territoire approprié, un bassin de vie
construit progressivement et dans lequel les lieux sont habités en
pratiquant avant tout une « mobilité de
proximité ». Pourtant ces « bassins de
vie » que chaque famille a construits se sont peu à peu
élargis : les enfants, pour leurs études, pour
accéder à un emploi ou parce qu'ils se marient, se
déplacent et changent de domicile. Quelle est la part de choix et de
contrainte dans ces formes de mobilité ? La centralité
identitaire du quartier est-elle alors remise en question ?
v La scolarité et la recherche d'emploi contraignent
à un éloignement temporaire
Tous les enfants des familles arrivées dans les
années 1980 dans le quartier de la Herse ont fréquenté
l'école et le collège voisins (carte n°5), ce qui avait pu
faire écrire au Maire de l'époque, s'adressant à son
homologue de Saumur dans un courrier en date du 15 juillet 1981 (annexe 1a),
que « les enfants de ces ressortissants représentent 20%
de l'effectif du groupe scolaire du quartier ».
Si les proportions ont diminué depuis cette date, il
n'en demeure pas moins que les plus jeunes continuent d'être
scolarisés au collège Calypso (9) et à l'école (3).
La ville dispose d'un autre établissement d'enseignement secondaire, en
l'occurrence le lycée professionnel agricole spécialisé
dans la viticulture et l'horticulture. Pour les adolescents des familles hmong,
les poursuites d'études se font obligatoirement en dehors de
Montreuil-Bellay, généralement dans trois lycées
proches : le lycée Jean Moulin à Thouars, les lycées
Duplessis-Mornais et Sadi Carnot à Saumur. Cette proximité oblige
ces jeunes à « navetter » quotidiennement entre
Montreuil-Bellay et l'établissement scolaire. Ils demeurent en contact
permanent avec leur quartier mais découvrent parfois un nouveau mode de
vie en particulier dans le domaine alimentaire.
... Nous, on mange jamais français... on mange
beaucoup de choses à la vapeur... on pose tout sur la table et on se
sert... on n'a pas de couteau, seulement une fourchette... Chez nous la viande
est déjà coupée... Je mange français à la
cantine. Au début je demandais à Pierre [un camarade] de
me montrer...
(Phong-Yu, 19 ans)
Demi-pensionnaires pour la première fois de leur vie,
ils doivent faire l'apprentissage de nouveaux modes comportementaux et l'Autre
devient le référent qui permet d'encoder de nouvelles
règles. Nous avons pu effectivement constater, à l'occasion de
repas pris dans des familles, l'absence de couteau à table et leur
inutilité compte tenu des modes de préparation culinaires :
viande déjà coupée et riz gluant accompagné de
sauce ne nécessitant pas ce couvert dont un Occidental ne peut se
passer. C'est au travers des parcours scolaires, contraints par l'absence de
structure locale dans une petite ville, que se mènent au quotidien ces
apprentissages indispensables pour « une population qui
présente les caractéristiques d'une `société
de l'ailleurs' mais qui habite désormais la société
d' `ici' » (ANTEBY, in SIMON-BAROUH, 1998 : 56).
L'obtention d'un diplôme professionnel (CAP, BEP, Baccalauréat
Professionnel) marque souvent la fin des études pour bon nombre d'entre
eux et, dans le cas contraire, ils doivent aller à Angers ou à
Poitiers, et, comme tout étudiant, faire l'apprentissage d'une certaine
autonomie. La non poursuite d'études est souvent liée à
des problèmes financiers et, par le réseau communautaire, les
jeunes hommes trouvent du travail, comme leurs aînés, dans
l'entreprise Euramax. Ainsi la décohabitation n'est que provisoire car
très souvent, après quelques mois
d' « indépendance », ils reviennent au domicile
parental. Le quartier aurait-il sur eux un pouvoir attractif ? Cette
hypothèse sera vérifiée par l'observation des
comportements de jeunes hommes mariés ne résidant pas sur la
commune.
Cependant la cause essentielle de décohabitation
demeure le mariage dont nous allons présenter certaines
particularités en étudiant les pratiques matrimoniales en oeuvre
dans 3 familles retenues dans l'échantillon. Il s'agit là encore
de familles polygames (graphique n°3) dont le nombre d'enfants
élevé - 56 enfants pour 7 épouses - va constituer un
sous-échantillon. Cela correspond à un taux de
fécondité particulièrement élevé - 8 enfants
par femme - par rapport au niveau français - 1,94 (INSEE, 2005). De
plus, on a un nombre de garçons nettement supérieur à
celui des filles - 33 contre 23 soit un ratio garçons/filles de 143/100,
alors qu'en France ce ratio est de 105/100. Ce profil démographique
déséquilibré peut-il avoir des conséquences sur
l'ancrage de la communauté ? Nous procèderons à un
double niveau d'analyse : en premier lieu la forme du mariage, en
distinguant les mariages « hmong » et les mariages
« mixtes », puis le lieu de résidence, et ce afin de
vérifier l'incidence éventuelle de l'un sur l'autre. Le graphique
n°3 présente pour 3 familles la répartition des enfants par
filiation maternelle et les couples constitués par les enfants
mariés. Nous tenons toutefois à préciser que la notion de
« mariage » est à entendre dans le sens où
cela a donné lieu à une cérémonie familiale qui
n'est pas toujours complétée par un acte d'Etat civil.
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