Réfugiés Hmong à Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) - rapports aux lieux et diaspora( Télécharger le fichier original )par Pilippe MICHEL-COURTY Université de POITIERS - Migrinter - Master 2 2007 |
v Un « jardin familial » : le jardin de madame Mo CHALa municipalité met à disposition des habitants de la commune des « jardins familiaux » sur deux sites, aux entrées Sud et Nord de la ville. Le tarif de location est symbolique : 0,08 € le m² pour l'année. Deux familles hmong louent chacune une parcelle, respectivement de 128 m² et 148 m², au lieu dit « Le Bas de l'Oie », à l'entrée Sud (carte n°10). L'ensemble est clôturé et divisé en 5 lots répartis de part et d'autre d'une allée centrale. Au milieu, une pompe à eau manuelle et un petit bâtiment en bois, fermé : 5 abris pour le petit matériel de jardinage. Le « jardin », loué pour 11,84 € par an, se compose de deux carrés non clôturés de 7m sur 10 m, séparées par l'allée centrale, divisées en « planches » (carte n°12). L'essentiel de la surface est consacré au maïs et à plusieurs variétés de courges, courgettes et melons. Des plantations complémentaires occupent les espaces interstitiels (tomates, coriandre, menthe...). Carte n°12 : Le « jardin » de madame Mo CHA Au vu de la surface ensemencée (148 m²), il ne peut s'agir que d'une activité exclusivement manuelle, ne nécessitant quasiment aucun outil si ce n'est une bêche ou une pelle ; les légumes plantés ici n'imposent qu'un faible entretien et le fait d'avoir bâché les carrés réservés aux cucurbitacées limite le travail de désherbage. Cependant, même s'il n'assure qu'un complément dans l'économie du foyer, ce minuscule jardinet renferme des ingrédients introuvables chez les commerçants locaux (coriandre, citronnelle...) et de consommation courante dans les préparations culinaires traditionnelles. v Un jardin de propriétaire : le jardin de Neng TCHALe jardin de Neng TCHA se situe au Sud du territoire communal, au milieu de terrains agricoles (carte n°10). On y accède par un chemin vicinal. Il s'agit d'une lanière de terre de 120 m de long sur 10 m de large clôturée d'un grillage. On pénètre dans cet enclos en franchissant un petit pont de bois fait de planches qui enjambe un fossé. Une allée latérale le traverse sur toute la longueur. L'image de la mosaïque convient pleinement pour décrire ce jardin : en effet, cet espace complanté est formé de la juxtaposition de micro parcelles - la plus petite mesure moins d'un m² - réservées à une grande variété de légumes et de plantes condimentaires et médicinales (carte n°13). Comme dans les 2 jardins précédemment observés, on retrouve ici la citronnelle, la coriandre, les piments, le basilic, le maïs... autant de plantes utilisées au quotidien dans la cuisine. Carte n°13 : Le jardin de Neng TCHA Au centre, un puits et un poulailler soigneusement clôturé qui renferme une dizaine de volailles. Au fond, on trouve le « verger », alignement de pêchers, pommiers, pruniers, dont certains proviennent d'Asie du Sud-Est, mais aussi de 2 bananiers qui sous le climat local ont bien du mal à fructifier ! Quelques fleurs agrémentent le tout. Neng TCHA possède ce terrain depuis plus de 15 ans, comme en témoigne la taille des arbres fruitiers. Il construit actuellement un petit abri de jardin qui lui permettra de mieux ranger son matériel. Son épouse et sa soeur y travaillent tous les jours. Il les rejoint parfois en fin de journée, après son travail. Au terme de ces 3 études, nous pouvons faire un certain nombre de constats. Les lopins de terre mis en culture se caractérisent d'abord par leur superficie réduite, 1 500 m² en moyenne. Les plus vastes n'excèdent pas 5 000 m². Ils ont la taille de ce que l'on a coutume d'appeler un « champ asiatique » (MIGNOT, 1999 : 192). Et à cette modicité de l'étendue des parcelles s'ajoute la très faible mécanisation, cette dernière trouvant compensation dans l'utilisation d'une force de travail rapidement mobilisable. Les enfants sont ainsi fréquemment mis à contribution en début de saison pour les gros travaux de désherbage et pour certaines récoltes. En pleine saison de récolte, dès la mi-juin, les femmes sont présentes quotidiennement dans les jardins une partie de la journée. Pour elles, « la territorialité du jardin ne fait que prolonger, à l'extérieur, celle de la maison » (DI MEO, 2001 : 100). Le jardin devient l'appendice de la cuisine, avec ses bricolages et ses recettes maison. Photo n°11 : Une serre dans le jardin de madame Mo CHA Sous le désordre apparent, on découvre une organisation méticuleuse des espaces : la complantation est très fréquente, avec dans le même carré de terre plusieurs variétés de concombres, melons, maïs... Cette technique, en continuité avec un modèle initial laotien (MIGNOT, 1999 : 192), permet d'associer des végétaux à croissance différente, d'exploiter plus longuement l'espace cultivé et d'éviter toute place perdue (photo n°12). Dès lors, l'ensemble du terrain n'est mis en repos définitif qu'à la fin de l'automne. La complantation, c'est aussi l'association dans le même espace de plantes d'origines diverses et bien souvent asiatiques. A l'occasion des voyages en Thaïlande, les membres de la communauté ramènent dans leurs bagages des graines, des racines... qui, une fois semées ou plantées, donneront des pieds-mères et fourniront les semences de la prochaine récolte. On retrouve ainsi sous des latitudes et des climats différents de leur terroir d'origine, la citronnelle indispensable dans la cuisine, la coriandre, les concombres amers... et surtout une grande variété de plantes médicinales, soignant et vraisemblablement guérissant les maux les plus divers, allant des problèmes digestifs aux « pannes » sexuelles, aux soins des brûlures, fractures, etc. Tout cela a pu faire dire au philosophe Michel FOUCAULT à propos du jardin que « c'est la plus petite parcelle du monde et puis c'est la totalité du monde » (FOUCAULT, 1984 : 48). Photo n°12 : Un espace complanté (maïs, oignon, citronnelle...) Cette activité de jardinage essentiellement féminine, que M. MAUSS appelle « industries d'acquisition » pour désigner « un ensemble de techniques concourant à la satisfaction d'un besoin - ou plus exactement à la satisfaction d'une consommation » (MAUSS, 1947)45(*), a effectivement pour vocation première la consommation de la famille toujours entendue au sens très large. En cas de surproduction, les voisins sont parfois les bénéficiaires du surplus, comme en témoigne une habitante de l'immeuble où réside madame CHA depuis son arrivée en 1981 : Et puis CHA Mo, elle me donne des légumes... Elle a un jardin. Ah ! les jardins, c'est pas comme chez nous. Ils mettent du plastique et ils font des trous pour planter... C'est leur coutume... Ils font pousser des haricots longs comme ça (geste), des courgettes, de la citrouille... de la coriandre. C'est le persil laotien. Elle me dit : « T'en mets un petit peu, tu verras, c'est bon ! »... C'est fort... Parfois, cela se double d'une activité commerciale, tout particulièrement pour une épouse de Teng CHIENG qui vend sur un marché hebdomadaire de Tours les courgettes qu'elle récolte en abondance. Les conditions climatiques du début de l'été 2007 ont toutefois mis un frein à cette pratique. Par ailleurs, Teng CHIENG est propriétaire d'une parcelle plantée de camomille, dont une de ses épouses et sa fille récoltent quotidiennement les infloraisons.
Photo n°13 : Récolte des fleurs de camomille Une fois séchées, les fleurs sont vendues à un herboriste du Maine-et-Loire. Nous sommes donc ici en présence d'une activité purement commerciale assurant un complément financier pour le propriétaire du terrain qui pense déjà à sa prochaine retraite et diversifie ses sources de revenus. Territoire avant tout féminin, le « jardin », malgré ses dimensions modestes, a donc une fonction économique incontestable. Il vise à couvrir les besoins familiaux en matière alimentaire, tout particulièrement lorsque le chômage provoque une baisse des revenus. Les femmes hmong qui travaillaient dans les champignonnières n'ayant pas, à leur fermeture dans les années 2000, retrouvé d'emplois, le « jardin » a alors permis de compenser la perte de revenus. Mais il se double d'une fonction culturelle en fournissant des bases de préparation culinaire, en particulier les plantes aromatiques et certains légumes difficiles à trouver sur le marché local, ainsi que les plantes utilisées dans la pharmacopée traditionnelle. Il se complète souvent d'un petit élevage de poulets, dans la cour de la maison dans le cas de Teng CHIENG, ou en plein champ, comme nous l'avons vu pour Ka-Gé TCHA. Ces volailles, originaires d'Asie du Sud-Est, sont de morphologie différente de celles que nous avons l'habitude de voir dans nos contrées. Coqs et poules de race sont sacrifiés à l'occasion des cérémonies familiales, comme nous avons pu le constater en assistant à un mariage. Ainsi, le jardin et le poulailler permettent de conserver et de pérenniser le lien avec des modes de vie traditionnels. Métaphoriquement, ils deviennent le pont qui, à l'image de Bifröst l'arc-en-ciel de la mythologie scandinave, relie les rives du Thouet où les Hmong se sont échoués à celles du lointain Mékong définitivement perdu. Par le jardinage qui permet de renouer avec les pratiques traditionnelles et de s'ancrer dans le contexte local, les familles hmong de Montreuil-Bellay s'approprient un espace qui constitue un prolongement à la fois économique et culturel de l'habitation. Cependant les bassins de vie initiaux se sont progressivement élargis. Selon quelles modalités ? * 45 MAUSS, M. 1947. Manuel d'ethnographie. PAYOT |
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