Réfugiés Hmong à Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) - rapports aux lieux et diaspora( Télécharger le fichier original )par Pilippe MICHEL-COURTY Université de POITIERS - Migrinter - Master 2 2007 |
2. Le jardin, un territoire fémininParmi les lieux fréquentés quasi quotidiennement par les femmes, il en est un qui mérite maintenant notre attention : il s'agit des jardins potagers disséminés sur le territoire communal, exploités et entretenus avec soin par plusieurs d'entre elles. Nous rappelons que, traditionnellement, chez les Laotiens des Montagnes, les zones montagneuses sont le domaine de l'essartage, culture d'abattis-brûlis avec rotation des aires cultivées. Un pan de la forêt est coupé puis brûlé - « mangé 44(*)» - à la fin de la saison sèche, avant d'être ensemencé. Au cours de leur migration, les Hmong ont perpétué la tradition des pratiques agricoles, en particulier pour ceux qui se sont installés en Guyane française et pour qui on estime que ce sont « des activités qui leur sont coutumières » (OTT, 1984 : 32), mais aussi dans les départements du Sud de la France métropolitaine, en particulier dans le Gard autour de Nîmes, qui devient dans les années 1990 un pôle d'attraction du courant migratoire. A Montreuil-Bellay, à une échelle plus réduite, 5 familles continuent de cultiver des lopins de terre selon des méthodes que nous allons préciser à partir de l'observation de quelques exemples. Elles possèdent par ailleurs des petits élevages avicoles originaux. A quelle fin répondent ces activités ? Quelles sont leur fonction économique et leur originalité ? Peut-on percevoir dans un « jardin hmong » des marqueurs spécifiques qui en font un territoire culturel ? En préambule, nous souhaitons évoquer la présentation d'un « jardin » faite par Phong-Yu, un fils de Ka-Gé TCHA qui avait annoncé : « Un ami nous a donné un terrain à Montreuil. Il faut tout faire ». De quoi s'agit-il exactement ? Le terrain se trouve excentré, non loin de la route de Loudun, au bout d'un chemin de terre. En réalité, il s'agit d'une vaste parcelle non clôturée, en friche depuis longtemps. Le sol est parsemé de cailloux, des ronces et des chardons poussent un peu partout. Phong-Yu le montre avec fierté. Que reste-t-il à faire pour mettre en culture ce lopin de 2 000 m² ? « Nous allons tout faire à la main parce que nous n'avons pas de machines. Pendant les vacances (de Pâques), je vais commencer à nettoyer, arracher les plus grosses herbes... C'est le travail des garçons... Quand ce sera fait, ma mère et ma belle-mère sèmeront les piments, les pastèques et tous les légumes hmong... » Et pour l'arrosage ? « Ma mère doit voir avec le propriétaire... ». Il n'y a pourtant ni puits, ni mare ou cours d'eau à proximité. Au centre du terrain, se dresse une construction inattendue : un poulailler de 20 m² fait de grillage et de panneaux en bois de récupération. A l'intérieur, une quinzaine de poules et de coqs s'ébattent. Phong-Yu parle de cet élevage : « Ces poules sont à mes grands frères (Tong-Tou, Faty et Hmong). Quand ils étaient petits, ils étaient toujours avec les poules... Quand mon père est arrivé (à Montreuil- Bellay) il a eu des poules et mes frères jouaient avec... Maintenant ils s'en occupent... Il y a des poules thaïlandaises, deux coqs japonais et puis des poules « françaises »... Les poules thaïlandaises, mon père les a ramenées de Thaïlande... Enfin non, il a ramené deux oeufs ! Ce sont des poules de pure race... Elles peuvent aller à des concours... Celles qui sont ici ne sont pas très belles... Les beaux coqs et les belles poules, on les a à la maison. Comme ça on ne peut pas nous les voler ! Les manouches, ils savent que ça vaut de l'argent, mais s'ils volent celles qui sont ici, ils n'en gagneront pas beaucoup... ». De cette conversation devant le poulailler, au milieu des champs, nous retenons plusieurs éléments. D'abord un discours identitaire et une manière de parler de soi en référence constante avec un mode de vie traditionnel. L'exploitation du « jardin » est avant tout l'affaire des femmes qui sont responsables des plantations, en particulier des « légumes hmong» (piments, pastèques...). De même pour l'élevage : à son arrivée en France, Ka-Gé TCHA s'est empressé de mettre en place un petit élevage avicole à usage domestique à l'identique de celui que ses parents avaient au Laos. Cette tradition a été transmise à ses fils aînés, sous la forme d'un jeu qui a pris par la suite une autre signification : les oeufs rapportés de Thaïlande à l'occasion d'un voyage ont permis de donner à cet élevage une nouvelle dimension. Il ne s'agit pas simplement d'élever des poulets pour une consommation de type familial, mais plutôt de reconstituer dans le pays d'accueil un « environnement hmong ». L'image surréaliste de ce poulailler fait de matériaux de récupération au beau milieu d'un terrain en friche devient le symbole à la fois d'un déracinement mais aussi d'une volonté d'ancrage dans un univers hostile. En construisant cet enclos, les TCHA s'approprient réellement une infime parcelle qui, à leurs yeux, devient un morceau symbolique du Laos. Les parents s'accrochent à leur passé, les enfants héritent d'un mode de vie transmis par l'exemple et le discours parental. Le jardin potager, une tradition hmong ? Oui, pour les plus âgés à savoir les parents. Les enfants, à une exception près, ne pratiquent pas le jardinage. Outre Teng CHIENG qui possède suffisamment de terrain autour de son pavillon, les jardins sont dispersés sur le territoire communal, parfois éloignés de plusieurs kilomètres. Quelles sont leur spécificité et leur originalité ? La « visite » de quelques jardins va permettre de répondre à ces questions. 5 familles exploitent à elles seules 9 « jardins » selon des statuts d'occupation variables (carte n°10). Il peut s'agir de lopins de terre prêtés temporairement, de parcelles louées par la commune, enfin de terrains en propriété. Selon le cas, le mode d'exploitation présente quelques différences. Carte n°10 : Jardins hmong à Montreuil-Bellay v Un nouveau jardin : le jardin de Ka-Gé TCHAUn lopin de terre a été mis à disposition par un agriculteur, beau-père d'une fille de Ka-Gé TCHA. Il s'agit d'une pièce de terre de 12 m de large sur 110 m environ, soit 1 400 m², non clôturée. Il se situe sur la commune de Montreuil-Bellay, à 6 km de la Herse à l'Est (carte n°10, jardin n°1). Il est caché de la route par un petit bois et on y accède par un chemin de terre. Orientée au Sud, cette lanière est bordée à l'Est et au Nord par un bois, au Sud et à l'Ouest par un champ de céréales. Ka-Gé TCHA dispose également d'une seconde parcelle plus vaste, sur laquelle ses fils et lui ont construit un petit poulailler. Ils exploitaient précédemment un jardin à Saumur. L'opportunité de ces 2 nouvelles parcelles prêtées gracieusement, à proximité de Montreuil-Bellay, leur a fait renoncer, par souci d'économie, à la location précédente. Le terrain a été mis en culture en avril et, grâce aux services d'un agriculteur complaisant, a été labouré par ce dernier, ce qui a évité un travail fastidieux de bêchage et de désherbage manuel qui aurait dû être réalisé par les enfants. Ce sont les deux épouses de Ka-Gé qui ont désormais la charge de la préparation du terrain et des semis. Les graines proviennent soit des récoltes de l'année passée, soit du Laos ou de Thaïlande envoyées par la famille. Pour seul outillage, elles disposent de deux binettes à sarcler à manche court dont le soc hémisphérique mesure environ 15cm de diamètre. Ces deux outils proviennent eux aussi du Laos, envoyés par des « cousins » : elles prétendent que « les outils français sont trop grands pour elles ». Deux bâches de plastique noir ont été tendues sur le sol, de manière à délimiter deux emplacements, couvrant la moitié de la surface totale, réservés à plusieurs variétés de concombres et de citrouilles. Elles sont maintenues au sol par des matériaux divers (cailloux, morceaux de bois, bouteilles en plastique pleines d'eau...). Ce dispositif évite la pousse des mauvaises herbes, et les végétaux rampants doivent progressivement s'étaler sur les bâches. Photo n°10 : Le « jardin » de Ka-Gé TCHA (8 juin 2007) Le reste de la parcelle est consacré à d'autres légumes (oignons, maïs, haricots, pommes de terre...) semés ou plantés en rangs approximativement parallèles très serrés. Enfin, à l'entrée du terrain, figurent quelques plantes médicinales pour les humains et les volailles, et quelques plants de tomates (carte n°11). Pour éviter de perdre de la place, aucune allée n'a été prévue : seule la bordure de la parcelle permet la circulation. Carte n°11 : Le jardin de Ka-Gé TCHA Les semis en poquets et les plantations ont été effectués au début du mois de mai. L'arrosage dépend exclusivement des précipitations. L'ensemble des récoltes, à partir du mois de juillet, est destiné à assurer l'alimentation familiale des deux ménages. Il semblerait qu'au cours de l'année ils ne fassent jamais l'achat de légumes en dehors de ceux qu'ils récoltent. L'hiver, ils sont approvisionnés par des « cousins » de Tours qui pratiquent des cultures sous serre et leur permettent ainsi de faire la « soudure ». * 44 CONDOMINAS, G. 1965. L'exotique est quotidien, la vie quotidienne d'un village montagnard du Vietnam. Paris : Plon. 664 p. |
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