Réfugiés Hmong à Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) - rapports aux lieux et diaspora( Télécharger le fichier original )par Pilippe MICHEL-COURTY Université de POITIERS - Migrinter - Master 2 2007 |
b. Une « communauté ethnique locale » dans une très petite villeLes familles hmong de Montreuil-Bellay constituent une « communauté ethnique locale » (HASSOUN, 1988 : 39), qui se construit en quelques années, alimentée par des arrivées successives. Il faut remarquer qu'au cours de cette période, on n'enregistre aucun départ. Faut-il y voir le signe d'une migration achevée ? Un contexte économique favorable qui donne à la commune une forte attractivité favorable à la sédentarisation ? Ou bien encore, l'expression de la force ancestrale du clan ? Nous avons déjà vu que les opportunités en matière d'emplois et de logements avaient facilité l'implantation des premières familles. On peut toutefois s'interroger sur la rapidité avec laquelle s'est constituée cette communauté, caractérisée par une unité culturelle, linguistique, une histoire et notamment un passé récent commun, et une insertion de même type dans la société d'accueil. Nous avons présenté antérieurement certaines de ces caractéristiques, en nous penchant plus particulièrement sur l'histoire récente des familles. Nous nous attacherons maintenant davantage à leur composition en étudiant les données fournies par le tableau n°3.
* familles ayant participé aux entretiens Tableau n°3 : Composition des familles arrivées à Montreuil-Bellay entre 1978 et 1987 v Quelques familles polygames avec de nombreux enfantsSur les 22 familles recensées en 1987, 14 sont monogames, 4 polygames et 4 monoparentales. La plupart des mariages ont été contractés au Laos avant l'exil, ou au cours de la migration, en Thaïlande principalement, mais aussi en Argentine, ou dans une commune française de première installation (Rennes). Nous avons précisé plus haut que la polygamie, au moment de l'obtention d'un visa pour un pays tiers, avait empêché certaines familles de partir vers les Etats-Unis. Pourquoi alors la France l'a-t-elle permis, alors qu'on croit la polygamie interdite ? En droit, elle l'est. L'article 147 du code civil stipule qu' « on ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier ». La notion d'ordre public interdit à un étranger de contracter sur le sol français un mariage polygame. Mais qu'en est-il des unions célébrées à l'étranger ? En fait, la polygamie a longtemps fait l'objet d'une grande tolérance quand les mariages étaient contractés hors du territoire national. Cette pratique s'était développée en France, en même temps que le regroupement familial, pour certaines populations d'origine africaine, dans les années 1970, après l'arrêt de l'immigration de main d'oeuvre. Ainsi, « l'arrêt Montcho », rendu en 1980 par le Conseil d'État, avait légitimé cette tolérance. En effet, cet arrêt assimile le fait de vivre en état de polygamie à une vie familiale normale pour un époux de statut polygamique, ce qui permet l'exercice du droit de regroupement familial pour les personnes concernées. Par la suite, des mesures plus coercitives seront prises. La « loi Pasqua » de 199336(*) introduit, dans l'ordonnance du 2 novembre 1945, deux dispositions contre les polygames et leurs familles : Article 15bis : « La carte de résident ne peut être délivrée à un ressortissant étranger qui vit en état de polygamie ni aux conjoints d'un tel ressortissant. Une carte de résident délivrée en méconnaissance de ces dispositions doit être retirée ». Article 30 : « Lorsqu'un étranger polygame réside sur le territoire français avec un premier conjoint, le bénéfice du regroupement familial ne peut être accordé à un autre conjoint. Sauf si cet autre conjoint est décédé ou déchu de ses droits parentaux, ses enfants non plus ne bénéficient pas du regroupement familial ». Chez les Hmong, avoir plusieurs femmes répond à différentes préoccupations : un homme peut épouser d'autres femmes si la première est stérile ou n'a que des filles. La survie du clan dépendant de ses éléments masculins, l'homme doit avoir impérativement des descendants mâles. Un autre cas surgit lorsque l'homme exploite de nombreuses terres et que sa femme enceinte ne peut pas l'aider. Une seconde épouse pourra la suppléer aux champs. Autrement dit, c'est la survie du groupe qui est encore ici en jeu. C'est cette raison inconsciente et primordiale qui explique certainement la maintenance d'un taux de natalité très élevé. A leur arrivée à Montreuil-Bellay, chaque famille compte au moins 5 enfants en moyenne. D'autres naissances suivront. Si l'on prend l'exemple des familles CHIENG (3 épouses) et TCHA (2 épouses), on totalise 26 enfants (20 + 6) et 14 naissances ultérieures (4 + 10). Le nombre moyen d'enfants par épouse est 8, légèrement supérieur à des moyennes établies sur des échelles plus grandes : le nombre d'enfants par femme hmong dans les années 1990 et 2000 est de 6 à 7 enfants, que ce soit en France, au Laos ou aux Etats-Unis (YANG, 1999). Enfin, 3 familles regroupent sous le même toit 3 générations : les parents du chef de famille ont accompagné sa migration. Ils sont souvent trop âgés pour exercer une activité professionnelle mais jouent un rôle dans l'éducation des enfants et surtout dans la transmission de l'identité culturelle. Certains adolescents, rencontrés en entretien, nous ont dit leur attachement à ces ancêtres, connus ou pas, et en ont parlé en ces termes : Les parents de ma mère sont morts pendant la guerre. Mon grand-père [paternel] avait une maladie, tu sais, tu perds tes doigts... la lèpre ? oui, c'est ça... il est mort comme ça... Ma grand-mère [paternelle] est venue en France. Elle est morte en 1996. Je me rappelle que tous les jours je lui apportais du riz dans sa chambre. J'étais toujours avec elle... (témoignage de Phong-Yu T.) On imagine sans peine les problèmes de suroccupation des logements mis à la disposition de ces premières familles ; les appartements correspondent aux normes de la taille des familles françaises et les plus spacieux sont des T5. Rapidement, comme nous le verrons en analysant la construction des « bassins de vie familiaux», les familles polygames obtiendront 2 ou 3 logements, permettant ainsi à chaque épouse d'organiser son propre foyer. Par ailleurs, il faut ajouter que l'Office d'HLM et la Caisse d'Allocations familiales auront quelques difficultés, au début, à « gérer » ce problème... Toutefois, en versant des allocations familiales, l'Etat occulte la polygamie et ne retient que la notion de famille en tant que « clé de voûte de la construction du monde » (BOURDIEU, 1994 : 144). * 36 loi n°93-1027 (24 août 1993) relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France |
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