v Les inquiétudes de la municipalité
Peu de temps après les premières
arrivées, la politique municipale en matière d'accueil se
modifie, comme le prouvent deux courriers adressés en 1981, l'un, par le
secrétaire général de la Mairie au maire de la commune et
aux membres du bureau d'aide sociale (annexe 1a), l'autre, par le Maire de
Montreuil-Bellay à son homologue du Puy-Notre-Dame, petite commune
voisine (annexe 1b).
Nous retiendrons de ce premier courrier quelques
éléments qui permettent d'éclairer ce changement
d'attitude et de réfléchir sur les fondements d'une politique
migratoire dans une très petite ville. Il dénonce en effet, sans
les nommer, deux « phénomènes » : l'un
est l'atteinte d'un seuil de tolérance, l'autre, le risque de
« conflits ethniques ».
...ces personnes [...] représentent
environ 10% de la population du quartier, et s'ajoutent à quelques
autres familles d'immigrés marocains ou turcs, vivant également
dans ce quartier [...] le nombre de
réfugiés a atteint un niveau qu'il serait dangereux de
dépasser...
...des inconvénients graves, aussi bien pour ces
familles que pour les familles vivant dans le même quartier, peuvent
survenir dans les années à venir [...] Certains
logements ont été quittés ou refusés parce que, sur
le même palier, vivaient une ou plusieurs familles laotiennes, de jeunes
enfants laotiens ont provoqué à plusieurs reprises des
dégradations au stade...
La notion de « seuil » est apparue dans
les études de la sociologie américaine sur les distributions
résidentielles des groupes ethniques. D'un outil empirique
élaboré a posteriori pour rendre compte de l`évolution
urbaine des années 1925-1950 en Amérique, il s'est mué, en
traversant l'Atlantique, en explication a priori. En 1968, un rapport du
Conseil Economique et Social lui attribue un fondement scientifique,
réfuté explicitement par les sociologues, sur lequel s'appuie la
politique des quotas et autres contingentements. Selon Véronique de
RUDDER, la notion de « seuil » est dotée d'une aura
scientifique qui répond à une triple imposture. D'une part, sa
corrélation statistique n'a jamais été établie et
la question des conflits ethniques n'est pas de nature quantitative. D'autre
part, elle fonctionne sur une interprétation mécanique et
biologique des conflits sociaux qui voudrait qu'au-delà d'une certaine
proportion d'étrangers, le « corps social »
réagirait sous la forme de conflits inter-ethniques. Enfin, elle usurpe
une pseudo-scientificité en recourant aux outils mathématiques en
usage dans les sciences de la nature (RUDDER, 1993 : 74). Pour
l'élu de Montreuil-Bellay, le « seuil » - même
si le terme n'est pas employé, il se lit en filigrane dans le substantif
« niveau » - présente l'avantage d'autoriser et
d'interdire simultanément les attitudes de rejet et de racisme.
Le second courrier, postérieur de quelques semaines au
précédent (28 août 1981), en est en quelque sorte sa mise
en application, puisqu'il s'agit, non pas de refuser l'arrivée de
nouveaux étrangers, « il est normal d'accueillir de
nouvelles familles laotiennes dans la commune » - on s'interdit
effectivement les attitudes xénophobes -, mais de proposer leur
saupoudrage, une « répartition
harmonieuse », afin que chacun prenne un peu de la part du
fardeau qu'ils représentent :
...Il nous est apparu souhaitable que des communes
voisines puissent accueillir des familles laotiennes désireuses de
s'installer dans notre région, dans un souci de répartition
harmonieuse qui conserverait ainsi la possibilité de se rencontrer
fréquemment...
Pour appuyer sa « théorie »,
l'émetteur avance un double argument
« logique » : la proximité
géographique permettant des contacts faciles entre les membres de la
communauté et le logement lié à la localisation de
l'emploi :
Je remarque que les demandes de logements formulées
à Montreuil-Bellay concernent des personnes qui ont trouvé du
travail dans les champignonnières du Puy-Notre-Dame ; il
m'apparaîtrait logique qu'elles puissent être logées sur
place.
Nous n'avons pas trouvé de trace de réponse du
destinataire. En revanche, le maire de Loudun, commune proche au Sud-Est de
Montreuil-Bellay, lui aussi vraisemblablement destinataire d'un courrier
identique, fait savoir qu'il dispose de logements et serait même
« favorable à l'accueil de réfugiés laotiens
dans [sa] ville, si toutefois ces personnes avaient du travail
[...] mais pour l'instant [il ne peut] leur offrir d'emplois
à Loudun ».
En réalité, que craignait la municipalité
de Montreuil-Bellay ? En acceptant l'arrivée de nouvelles familles,
favoriserait-elle une sorte d' « appel d'air » ?
A ses yeux, les « réfugiés laotiens
[constituaient], compte tenu de leur nombre, une entité
culturelle, philosophique, voire religieuse » et parce
qu' « étant les plus éloignés des
exigences constitutives de l'existence `normale' [risquaient de
produire] un effet d'entraînement vers le bas, donc de
nivellement » (BOURDIEU, 1993 : 166). Quoi qu'il en soit,
les effets de cette nouvelle orientation en matière d'accueil des
Laotiens furent immédiats puisque, pendant 4 ans (1982-1985), aucune
nouvelle famille ne put s'installer dans la commune. Uniquement 3
arrivèrent en 1986-1987. Quelles étaient alors et quelles sont
aujourd'hui les caractéristiques de ces familles ?
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