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Réfugiés Hmong à  Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) - rapports aux lieux et diaspora

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par Pilippe MICHEL-COURTY
Université de POITIERS - Migrinter - Master 2 2007
  

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II. D'un lieu à l'autre : dispersion, errance et ancrage

« ...de toute façon, on est toujours au bord d'une autre vie. »

Alain QUELLA-VILLEGER

Nous allons accompagner les familles de réfugiés hmong le long des parcours migratoires qui les ont conduites de leurs villages d'origine au Laos jusque dans une commune du Maine-et-Loire où elles se sont installées au terme d'un itinéraire que nous allons retracer. Cette succession d'étapes, variables dans leur durée, ont toutefois des points communs quant à certains lieux, qui ont permis des formes d'ancrages territoriaux, mais également en ce qui concerne le statut des individus. En effet, dans un premier temps le réfugié, à partir du moment où il a quitté son pays, n'a qu'une très faible marge d'initiative : il passe de camp en camp, de camp en centre d'accueil... Il va, dans un second temps, avoir la possibilité d'exercer des choix lui permettant une insertion dans la société d'accueil : choix professionnels et choix résidentiels en sont les composantes essentielles. Les témoignages recueillis permettent de reconstituer les conditions dans lesquelles s'est fait le départ du village d'origine et du Laos, puis l'accueil en Thaïlande dans les camps sous contrôle de l'UNHCR, avant qu'un pays tiers n'ouvre ses portes et permette à terme un nouvel ancrage, concrétisé pour quelques uns par l'accès à la propriété.

1. Une mobilité forcée dans des lieux géographiques fluctuants

a. La vie au village

La littérature ethnologique a pendant longtemps présenté les Hmong comme un peuple semi-nomade (LEMOINE, 1972), des « mangeurs de forêt » pour reprendre l'image utilisée par G. CONDOMINAS23(*) à propos de la population Mnong Gar du Vietnam, vivant de l'agriculture sur brûlis. Si cette image a longtemps prévalu, il faut convenir que le contexte des guerres d'Indochine qui précède le départ des Hmong du Laos en a quelque peu modifié le caractère.

Dispersés dans les collines et souvent à l'écart des axes routiers, les villages traditionnels se composent d'une quinzaine de maisons abritant chacune une dizaine de personnes. En réalité, ils se définissent « plus comme un communauté que comme un lieu géographique » (LEMOINE, 1972c : 33) car les familles appartiennent souvent au même clan. Cependant, la population d'un village hmong est rarement compacte et homogène. Loin de constituer une communauté fermée, le village est ouvert à tous les groupes qui veulent s'y joindre, de la même façon chaque famille ou chaque groupe qui veut le quitter le fait en toute liberté et en ne tenant compte que de ses propres intérêts. L'activité essentielle est l'agriculture extensive itinérante, complétée par un élevage de volailles, de bovins et de cochons. La guerre a pourtant modifié cette structure villageoise, les villages ont grossi sous l'effet des déplacements de population : Hmong Blancs et Hmong Verts24(*) cohabitent parfois, avec tout ce que cela entraîne de difficultés de communication, leurs langues étant quelque peu différentes. Au cours des entretiens, nous avons rencontré plusieurs chefs de famille, originaires de provinces différentes du Laos, dont les témoignages coïncident :

Nous habitions dans un village dans la province de Luang Prabang. C'était un gros village de plus de 90 maisons en bambous toutes de plain pied... Je n'ai pas fait d'études. Comme mes frères et soeurs, je travaillais dans les champs... Je me suis marié au village, mais comme mon épouse ne pouvait pas avoir d'enfant, j'ai épousé une deuxième femme parce que j'avais peur de ne pas avoir d'enfants... Mon frère était chef de village, c'était un chef hmong... Il y avait un autre chef de village laotien, lui. (témoignage de K. T.)

Ce « récit de vie », qui s'apparente davantage à un sommaire25(*), nous éclaire sur plusieurs points, en particulier la structure familiale, l'éducation et les rapports aux lieux.

Une famille hmong est traditionnellement une famille nombreuse considérée comme une nécessité, ne serait-ce que pour les activités agricoles (ROBINSON, 1990). La pratique de la polygamie, qui sera précisée dans le chapitre III, en est l'origine. Le système de parenté englobe à la fois la famille conjugale, ou « nucléaire » (père, mère, enfants), et la grande parenté étendue à tous les liens familiaux plus ou moins lointains du côté de la mère et du père (TAILLARD, 1980). Lorsque certaines personnes nous ont été présentées comme étant des « cousins », nous avons essayé de démêler - en vain - l'écheveau familial. En réalité, la notion d'appartenance familiale est très large, allant du cousin ou du neveu direct à un vague parent issu d'une lointaine parenté. C'est un point important à souligner et qui sera repris ultérieurement dans le cadre de ce que l'on peut désigner sous le terme de reconstitutions familiales.

Pour la plupart, les hommes interrogés ont un niveau d'études faible. Certains, issus de familles modestes, ont dû très tôt aider leurs parents dans les activités agricoles ; d'autres ont pu fréquenter, pendant quelques années, l'école du village ou de la ville voisine, et apprendre des rudiments de français. Compte tenu de leur âge au moment du départ du Laos - ils avaient souvent moins de 20 ans - et de leurs origines rurales, aucun n'a suivi d'études supérieures. Les femmes interrogées n'ont jamais fréquenté un établissement scolaire. Tous souffriront, à leur arrivée en France, d'une part, de la non-maîtrise de la langue française, mais surtout de l'analphabétisme car ils ne pourront alors compter que sur leur mémoire pour acquérir les bases d'une nouvelle langue. Les enfants ont pu, dans les camps, que ce soit à Ban Nam Yao ou Ban Vinaï, acquérir quelques bases linguistiques, mais c'est surtout à leur arrivée dans les pays tiers qu'ils entameront une scolarité « normale ».

Ce qu'ils appellent « les champs » - ray - constitue un terroir fluctuant relativement éloigné du village, et cela pour éviter que les troupeaux - vaches, cochons, chevaux, volailles - laissés en liberté autour du village ne s'attaquent aux récoltes. Ainsi, une à deux heures de marche sont parfois nécessaires pour les atteindre. Ce sont des parcelles conquises sur la forêt dont les hommes ont, dans un premier temps, abattu les plus gros arbres. Ceux-là ne repousseront pas. Après brûlis, nettoyage et clôture de la parcelle, on peut ensemencer et procéder à la mise en culture. C'est là que poussent le riz, le maïs et le blé, et des légumes divers (piments, choux...). Même s'ils se disent aujourd'hui avoir été « propriétaires » de ces terres, il n'existait pas véritablement d'acte de propriété au sens où nous l'entendons en Occident puisqu'au bout de plusieurs années, la terre étant moins fertile, ils étaient obligés de préparer une nouvelle parcelle. Même la maison, dans la mesure où on peut être amené à déplacer l'ensemble du village, n'est qu'un lieu de vie provisoire, qui renferme cependant des lieux symboliquement importants, comme nous le montrerons en étudiant les cérémonies du mariage. Le territoire familial est donc « un ensemble de lieux hiérarchisés, connectés à un réseau d'itinéraires » (BONNEMAISON, 1981 : 254), qui relie la maison et les champs, mais aussi les habitations des autres membres du clan. Traditionnellement, l'autosuffisance est assurée par une agriculture extensive itinérante et la cueillette des « herbes sauvages » qu'ils appellent « salades ». N'étant pas propriétaire d'un lieu géographique, ils en disposent tant qu'il répond aux besoins du groupe.

Aucune des familles rencontrées ne possède de photos de leur village. En voyant le document ci-dessous ils ont dit ne pas reconnaître le type d'habitat : leurs maisons étaient construites en bambous mais pas surélevées comme on peut le constater sur la photo.

Photo n°1 : Un village « hmong » près de Luang Prabang,

Source: J. P. Rodrigue. 2003. http://www.cia.gov/cia/publications/factbook/geos/la.html

Par contre, ils ont été sensibles à l'environnement qui leur rappelait les lieux où ils avaient passé leur enfance. Monsieur T..., qui est revenu trois fois en Thaïlande depuis qu'il vit en France, confie avec un sourire : « Quand on voit la nature, les arbres, les bambous, ça ressemble au Laos, ça fait plaisir... ». Ces éléments paysagers correspondent à de « véritables médiateurs symboliques » et renforcent le lien identitaire (DI MEO, 2005 : 84).

Du jour au lendemain, cette vie réglée sur le calendrier agricole, rythmée par les traditions d'une civilisation agraire ancestrale et dans laquelle chacun joue un rôle et a une fonction au sein de la communauté, cette vie va basculer brutalement et pousser sur les routes de l'exil ceux qui, jusque là, ne connaissaient que l'environnement immédiat de leur village et qui, pour certains, n'avaient du monde qu'une connaissance fondée sur les légendes transmises oralement par les anciens de la famille. J.P. HASSOUN, étudiant le terme « réfugié » dans les langues hmong et vietnamienne26(*) constate que dans l'exil de nouvelles expressions apparaissent alors : ils s'autodésignent comme « les gens qui éclatent de leur territoire » (neeg tawg teb chaw) (HASSOUN, MIGNOT, 1983 : 13). Plus que géographique, il s'agit davantage d'un espace social traditionnel en marge de l'Etat laotien.

* 23 CONDOMINAS, G. 1954. Nous avons mangé la forêt de la Pierre-Génie Gôo. Chronique de Sar Luk, village mnong gar (tribu proto-indochinoise des Hauts Plateaux du Vietnam central). Paris, Mercure de France.

* 24 Les Hmong se divisent en sous-groupes : Hmong Xanh (vert), Hmong Do (rouge), Hmong Hoa (bariolé), Hmong Den (noir), Hmong Trang (blanc), et se distinguent entre eux par la langue, le costume et la coiffure.

* 25 cf conditions de l'enquête p. 27

* 26 ASEMI, XIV, 1-2, 1983

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein