Réfugiés Hmong à Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) - rapports aux lieux et diaspora( Télécharger le fichier original )par Pilippe MICHEL-COURTY Université de POITIERS - Migrinter - Master 2 2007 |
b. La fuite brutale improvisée dans l'urgenceNous étudierons en premier lieu, à partir de témoignages recueillis, les conditions de ce départ, puis nous élargirons cette étude de l'exil à l'ensemble de la péninsule indochinoise, afin de mieux percevoir les spécificités de chaque population. En 1975, il [le chef du village] a été arrêté et on a dit à mon frère : « Tu dois quitter le village ». On a eu peur et on est parti. On est passé de l'autre côté du Mékong. On est resté une semaine à Xaignabouli. Je cherchais mon frère... Quand je l'ai retrouvé, on est tous partis vers la Thaïlande. Nous étions à peu près cinquante de la même famille. On a marché pendant 7 jours... Les femmes, les vieillards, les hommes, les petits... Quand on est arrivé en Thaïlande, il y avait déjà des réfugiés laotiens sur place. On a été bien accueillis par les Thaïlandais... J'avais 17 ans... (témoignage de K. T.) En 1976, j'ai quitté le Laos avec mes parents et mes grands-parents. J'avais 15 ou 16 ans. C'était pendant les vacances scolaires. Je ne comprenais pas grand chose. Il a fallu préparer de la nourriture, quitter le village la nuit, laisser les animaux... On a pris de quoi manger, boire et s'habiller. Pour passer la frontière il a fallu choisir l'endroit, quelqu'un nous a montré le chemin... Il n'a pas fallu le payer... On a marché pendant 10 km pour arriver en Thaïlande...(témoignage de H.T.) L'exil se fait en deux étapes : d'abord on quitte, collectivement et dans la précipitation, le village et « on se met à l'abri » sur la rive droite du Mékong, avant de franchir la frontière et devenir un « étranger ». Le départ est collectif - il s'agit de groupes familiaux - et semble précipité27(*) : en quelques heures, il faut fuir en laissant derrière soi l'essentiel de ses biens sans ignorer les dangers auxquels on va être exposé. Pour franchir le Mékong, les premiers trouvent des barques où peuvent s'entasser jusqu'à 20 personnes. Bientôt, les suivants n'auront pas cette chance et devront se construire des embarcations de fortune, parfois simples flotteurs en bambous. Ils traversent ainsi le fleuve au risque de leur vie. Et même si la frontière thaïlandaise est « poreuse », elle n'est en pas moins surveillée par endroit par l'armée et nul n'est à l'abri d'une balle perdue. R. POTTIER, dans un rapport au Président de la République28(*), évalue à 350 000 le nombre total de personnes29(*) qui ont quitté ou cherché à quitter le Laos de 1975 à 1980, parmi eux, 125 000 montagnards environ, dont peut-être 100 000 Hmong (mais 75 000 seulement seraient arrivés vivants en Thaïlande), et sans doute 20 à 30 000 montagnards du Nord et du Sud Laos. On estime à 50 000 Laotiens (dont au moins 20 000 Hmong) ceux qui auraient péri en tentant de franchir la frontière. Comme on peut le constater, tous ces chiffres ne sont qu'approximatifs, la comptabilité étant impossible en raison des conditions de franchissement de la frontière et de la massivité des flux. D'autre part, on estime généralement que près de 80 000 Laotiens (pour la plupart Lao) ont réussi à se fondre clandestinement dans la population thaïlandaise en 1975-1976, un certain nombre ayant toutefois préféré par la suite rejoindre les camps de réfugiés pour échapper aux recherches de la police thaïlandaise, et afin de pouvoir bénéficier de la possibilité d'émigrer en France ou dans un autre pays (CONDOMINAS, POTTIER, 1982 : 92). Le graphique n°1 permet d'élargir l'observation à l'ensemble de la péninsule indochinoise (Laos, Vietnam, Cambodge) et de comparer les situations des populations concernées. On peut constater deux phénomènes essentiels : d'une part l'importance des flux de réfugiés estimés globalement à près de 2 millions, d'autre part les situations très contrastées selon les nationalités et les années. Graphique n°1 : Nombre de réfugiés « land people » enregistrés dans les camps thaïlandais (1977-1987) Si le nombre de réfugiés originaires du Laos est constant pendant cette période, avec une légère baisse en 1983, celui des Cambodgiens connaît un pic important en 1979-1980 suivi d'une baisse progressive, alors que le nombre de Vietnamiens demeure très faible. Comment expliquer ces différences et ces contrastes ? Le contexte géopolitique est un facteur explicatif. Des trois pays de l'Indochine orientale, le Laos est celui dont les frontières sont les plus perméables. Le Mékong ne sépare pas le Laos de la Thaïlande, mais constitue, au contraire, un lien entre les deux pays. Les populations des deux rives du fleuve parlent la même langue et sont en fait d'ethnie lao. Entre la rive thaïlandaise et la rive laotienne, hommes et marchandises ont toujours circulé librement, et il est fréquent d'avoir des parents dans le pays voisin. Dès la prise du pouvoir par les communistes en 1975, la monarchie est abolie et la répression touche une partie très importante de l'administration et de l'armée qui avait collaboré avec les Américains et notamment les Hmong, ethnie minoritaire au Laos, répression se traduisant par une vraie chasse à l'homme (poursuite dans les jungles, meurtres, tortures, viols...). Une des conséquences de cette politique sectaire et répressive est alors l'exode de près de 10% de la population, débordant ainsi largement la classe aisée et les couches dotées d'une certaine instruction. Même lorsque les autorités laotiennes ont cherché à s'opposer à l'exode des populations, il a été presque impossible de contrôler efficacement les quelque 1 805 kms de cours du Mékong dans sa partie laotienne. Il est sans nul doute moins risqué pour un Laotien de franchir le fleuve, en pirogue ou même à la nage, que pour un Vietnamien de braver les périls de la mer. A l'inverse, jusqu'en 1979, le Cambodge sous les Khmers Rouges de POL POT était devenu « un vaste camp de concentration dont il était incroyablement difficile d'échapper » (CONDOMINAS, POTTIER, 1982 : 127). Du fait de l'organisation minutieuse de la société, il n'était pas possible sous peine de mort de quitter le lieu auquel on avait été affecté. Pour renforcer la surveillance, les zones frontières avaient été minées : de là le très faible nombre de réfugiés cambodgiens enregistrés dans les camps thaïlandais jusqu'en 1979. En réalité le nombre de Khmers qui ont essayé de fuir le Cambodge est bien supérieur au nombre de ceux qui y sont parvenus. On estime à au moins 200 000 ceux qui auraient péri en route. De plus, contrairement à ce que l'on pouvait observer à la frontière laotienne, il ne s'agissait pas de groupes familiaux mais plutôt d'hommes seuls qui tentaient l'exil. Les vieillards et les jeunes enfants n'auraient eu aucune chance de réussir et les femmes devaient rester pour s'occuper d'eux. En 1979 les troupes vietnamiennes occupent le Cambodge et le gouvernement pro-vietnamien de Heng SAMRIN est mis en place : les Cambodgiens voient de manière inespérée la porte de leur prison s'ouvrir. On peut interpréter alors leur exode - en famille, cette fois - comme un phénomène de fuite différée. La faiblesse des flux de Vietnamiens pris en charge dans les camps de l'UNHCR thaïlandais pendant la même période - 10 000 environ - s'explique par l'absence de frontière commune entre la Thaïlande et le Vietnam. La voie terrestre est de fait beaucoup moins empruntée que la voie maritime. A titre de comparaison, toujours selon les statistiques du HCR, le nombre de « boat people » qui ont quitté le Vietnam entre avril 1975 et avril 1980 s'élèverait à 331 725 personnes. R. POTTIER rappelle dans son rapport que « la majorité des populations de l'Indochine ont été continuellement ballottées d'une région à l'autre du fait des événements politiques et militaires, de sorte que les liens traditionnels qui les unissaient à leurs terroirs ont été rompus ». Il conclut en disant que « l'exode actuel [en France] doit être compris comme la continuation [...] d'un processus de déracinement qui s'est produit à l'échelle de peuples entiers » (CONDOMINAS, POTTIER, 1982 : 93). Ce déracinement constitue le premier véritable « désancrage » de cette population. Quels rapports aux lieux vont-ils désormais pouvoir établir ? * 27 J.P. HASSOUN remarque cependant que « la décision de fuir le Laos fut rarement prise dans la précipitation et s'est souvent accompagnée d'un choix difficile : se séparer de certains membres du groupe familial » .(HASSOUN, 1997 : 27). * 28 CONDOMINAS, G., POTTIER, R. 1982. Les Réfugiés originaires de l'Asie du Sud-Est. Paris : la Documentation française. 227 p. * 29 10% de la population estimée à 3,5 millions d'habitants, en 1980. |
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