PARTIE2 - Modes de traductions et finalités
réelles des projets
2.A. Des actions diversifiées dans les sinuosités
du développement local
L'approche coopération décentralisée
repose, à présent, sur le passage de l'aide-projet (les gestes
ponctuels et donations), composé de phases clairement
séparées, limitées dans le temps et basées sur des
objectifs, moyens et budgets définis avant la mise en oeuvre du projet,
à l'adoption d'une approche par programme ciblé et durable. Ce
changement d'orientation a été pressenti, dès le
départ, pour redynamiser les mouvements de coopération notamment
le partenariat Rhône-Alpes et Saint-Louis.
Cependant les acteurs du nord n'ont jamais pu accorder leur
« confiance » aux élus, acteurs et agents locaux du Sud,
à cause des rumeurs de détournements et de corruption qui
gangrènent les pays du Sud. Ainsi, la réussite de ce partenariat
doit passer par une meilleure compréhension entre les acteurs de la
région Rhône-Alpes et leurs homologues de Saint-Louis.
2.A.1. Une traduction multiforme des projets
En 1997, lors de la première convention signée
entre le conseil régional de Rhône-Alpes et le conseil
régional de Saint-Louis, les thématiques
privilégiées étaient : l'appui au développement, la
lutte contre la pauvreté (à travers la santé et
l'éducation). Avec la signature des OMD en 2000, par la
communauté internationale, la région Rhône-Alpes
décline ses actions dans le cadre réalisation des OMD,
l'amélioration des services de base offerts à la population de
Saint-Louis et la promotion des dynamiques du genre. En outre,
Rhône-Alpes met à la disposition de Saint-Louis, ses
expériences acquises dans le cadre de la décentralisation et de
la gouvernance locale. Ainsi elle appuie la capacité des acteurs de
Saint-Louis et oeuvre pour le renforcement institutionnel de son partenaire de
la vallée du Fleuve Sénégal. Ce qui se traduit par une
variation des thématiques mises en oeuvre.
Les réalisations les plus importantes concernent
l'éducation, la jeunesse et la formation professionnelle. En effet, avec
les partenariats de Saint-Louis et Matam une filière de formation en
froid climatisation a été mise en place au centre de formation
professionnel Peytavin de Saint-Louis, en 2000. C'est un programme de formation
technique et
professionnelle qui a mobilisé 180.000 €. Dans cet
ordre d'idée, Rhône-Alpes a financé la création
d'une filière électro-bobinage/ réfection des moteurs,
où le Conseil régional de Saint-Louis a été
placé directement en situation de maître d'ouvrage.
Toujours dans le secteur éducatif, Rhône-Alpes a
subventionné l'électrification et l'équipement en
matériel informatique des collèges de Podor et de NDioum avec un
montant de trente (30) millions de francs CFA depuis 2007, sur la demande de
Saint-Louis.
Toutefois, le programme le plus ambitieux réalisé
concerne l'appui à l'éducation de Podor. On y retrouve plusieurs
aspects inhérents à la coopération
décentralisée Nord-Sud.
En 2006, pour lutter contre le chômage, l'exode rural et
l'immigration clandestine, la région Rhône-Alpes, le Conseil
régional de Saint-Louis associés à l'ARD ont
démarré un programme de formation et d'insertion des jeunes
à Podor. L'Association pour la coopération et le
développement du Sud (Aced-Sud) a été
désignée par Rhône-Alpes comme opérateur dudit
projet. Son fondateur Alain Guérini, est un ancien fonctionnaire des
établissements pénitenciers en France, il met ainsi en oeuvre son
expérience acquise dans l'accompagnement de personnes en
difficultés ou désocialisées au profit de la jeunesse de
Podor. Cependant, le choix porté sur Aced-Sud en qualité
d'opérateur pour conduire le projet témoigne du fameux recours
aux professionnels de développement bien que les acteurs de la
région de Saint-Louis sont très présents dans la mise en
oeuvre.
En choisissant Podor pour réaliser un projet de cette
envergure, Rhône-Alpes réagit aux invitations de Saint-Louis qui
cherchait à rationaliser les interventions sur son territoire,
conformément aux inégalités des collectivités qui
la composent. Par ailleurs, ce projet a mobilisé une dynamique d'acteurs
dont le Préfet de Podor, le Conseil régional de Saint-Louis et
les agents municipaux. Il y avait, également, la participation du Crrej
(centre régional de ressources pour l'emploi des jeunes), le Centre
départemental de formation professionnelle de Podor (Cdfp) et
l'inspection départementale de l'éducation nationale (Iden). En
outre, les domaines d'intervention du centre sont axés sur l'insertion
professionnelle, le sanitaire, le social, le sport et le culturel. Ce programme
offre à la jeunesse de Podor, la possibilité de se former dans
les métiers de l'agriculture, à la mécanique automobile et
informatique. Grâces aux modules de formation en informatique et
électronique de niveau CAP, les ressources humaines devraient être
valorisées, dans ces milieux défavorisés. C'est une
réorientation aux besoins, comme en témoigne l'ouverture d'une
filière d'initiation aux techniques agricoles.
48
Avec un tel centre, il s'est agit surtout d'améliorer
les capacités des élèves de Podor en leur inculquant un
savoir faire technique et une culture d'entreprise. D'ailleurs, à la fin
du programme, un fonds est prévu pour le financement des projets
montés par les bénéficiaires. Dans ce cadre, les
diplômés de la filière agricole et de l'insertion
trouveront d'autres possibilités avec la Grande offensive agricole pour
la nourriture et l'abondance (Goana). Bien que cette politique mise en oeuvre
par le président sénégalais Abdoulaye Wade n'en est
qu'à ses balbutiements et n'a pas encore démontré son
efficacité.
Ce type de réalisation symbolise les avancées
considérables survenues dans la poursuite du partenariat
Rhône-Alpes et Saint-Louis. L'aide-projet qui est très manifeste
dans certains types de partenariat fortement teintés d'humanitaire,
à l'instar de Rhône-Alpes et Tombouctou (Mali), est une variable
latente dans la coopération Rhône-Alpes et Saint-Louis. Pour
illustrer cela, Philippe Bayon, vice-président de la
délégation française de Rhône-Alpes s'est rendu
à Podor en 2008. Il a pu visiter avec Waly Guèye, du Conseil
régional de St-Louis, le tout nouveau lycée de Podor que
Rhône-Alpes a électrifié mais surtout les
réalisations du programme de formation et d'insertion professionnelle
des jeunes de la région par la remise des diplômes aux premiers
sortants. Rhône-Alpes ne se contente plus de financer des projets,
sous-traités par un opérateur, à Saint-Louis mais veille
au suivi et à l'évaluation lors du comité de pilotage
comme celui du 14 Avril 2008 qui s'est déroulé au siège du
conseil régional de Rhône-Alpes sous la présence de
Philippe Bayon, vice président délégué à la
coopération décentralisée, et d'Aliou Niang,
président du conseil régional de Saint-Louis. D'autres
initiatives existent parmi lesquelles les commissions mixtes ou les visites
régulières sur place.
Depuis la mise en fonction du Crrej (centre régional de
ressources pour l'emploi des jeunes) à Saint-Louis en 2005,
Rhône-Alpes soutient et accompagne son autonomisation institutionnelle
financière et son développement en partenariats avec le Nord Pas
de Calais et la région Midi Pyrénées, bien que son
engagement doive se terminer en 2009. C'est l'un des rares projets où la
maîtrise d'ouvrage de Saint-Louis est bien réelle. Mais force est
de constater, qu'une fois encore la question de la mobilisation des ressources,
après 2009, pour maintenir les services proposés par ce centre,
n'est pas encore résolue. C'est une des plus grandes limites de la
coopération décentralisée. Donc, la région
Rhône-Alpes fait beaucoup dans le domaine éducatif mais l'absence
de fonds propres à la région de Saint-Louis ne permet pas de
pérenniser les services.
La santé, l'hygiène et l'action sociale
emboîtent le pas à l'éducation. Secteur prioritaire au
même titre que l'éducation, la santé fait l'objet d'une
attention particulière par Rhône-Alpes. Ainsi, l'hôpital de
Saint-Louis travaille en étroite collaboration avec le CHU de
Rhône-Alpes qui contribue, également, à l'équipement
de l'hôpital de NDioum. Située dans le département de Podor
NDioum est une des 14 communes de Saint-Louis. Cette relation s'est
concrétisée, en 2002, par une session de formation, du personnel
de l'Hôpital de Saint-Louis à la sécurité sanitaire
financée par Rhône-Alpes pour un budget global de 80.000
€.
Pendant longtemps, la plus part des actions était,
donc, axée dans les domaines de l'éducation, l'appui à des
projets en direction des jeunes, ainsi que dans le domaine sanitaire. Cependant
avec les OMD et les maigres impacts que les projets ont sur les populations de
Saint-Louis, de nouvelles thématiques sont mises en oeuvre.
Dans cette optique, l'appui institutionnel a concerné
la réalisation de schémas régionaux d'aménagement
du territoire (SRAT), mais surtout les échanges d'expériences
entre élus des deux collectivités lors de stages
appropriés. En 2003, une séance de formation de trois jours a
été financée par le conseil régional de
Rhône-Alpes pour les élus locaux de Saint-Louis.
Dans le domaine du développement rural, Rhône-Alpes
soutient les activités économiques, parmi lesquelles deux
initiatives :
D'une part, avec l'expérience de Guélakh qui est
très significative à ce niveau. En effet, elle s'est fortement
engagée dans la construction de la ferme de Guélakh qui
connaît une véritable réussite car ce projet est
opérationnel et visible. Même le président
sénégalais s'est laissé tenter en affirmant qu'il
veillerait à l'installation de ce type de ferme dans chaque
communauté rurale.
Et d'autre part, avec la signature d'un accord de partenariat
entre la Fédération des Alpages de l'Isère
(Rhône-Alpes), et la Maison des Eleveurs de Saint Louis du
Sénégal, en Août 2001, après plusieurs années
d'échanges. Les interactions portent sur la formation et la mise en
oeuvre d'un programme d'aménagement dans le Nord du
Sénégal, région sahélienne d'élevage
extensif, pratiqué depuis toujours par les Peuls, ethnie
d'éleveurs semi nomades. Ce jumelage est soutenu financièrement
par la Région Rhône-Alpes. Depuis 2003, 4 voyages d'études
ont été effectués dans le cadre de ce partenariat. Par
exemple en Octobre 2008, pour finaliser leur
50
module d'Education au Développement, 12
étudiants et apprentis du Lycée Agricole et du CFPPA de la
Côte Saint André accompagnés par 3 enseignants et
formateurs se sont rendus à la région de Saint-Louis. Ces
échanges répondent, de manière concrète, aux
critères de la mise en synergie des acteurs des deux territoires.
Tableau 5: récapitulatif des acteurs de Rhône-Alpes
présents à Saint-Louis en 2002 et les types d'action
réalisés :
Acteurs
|
Localités
|
Réalisations
|
Commune de Saint-Pierre de Boeuf (42)
|
Diaranguel et Walla
|
Projet d'adduction d'eau au village
|
Fédération des Oeuvres Laïques
(42)
|
Saint-Louis
|
Construction d'écoles et de salles de classes
|
ACERA (69)
|
|
Suivi et animation de la coopération dans le domaine
économique
|
Le Conseil Régional Rhône- Alpes
(69
|
Saint Louis
|
Coopération décentralisée Appui
à l'aménagement du marché de Matam
|
Fédération des Alpages de l'Isère
(38)
|
St Louis
|
Appui à la maison des éleveurs
|
Nangadef (38)/
|
St Louis
|
Coopération scolaire
|
Sources: RESACOOP, « l'évolution des partenariats
entre acteurs de Rhône-Alpes et du Sénégal », Privas,
28 juin 2002.
Donc, en 2002, les acteurs de Rhône-Alpes
présents à Saint-Louis étaient multiples (Conseil
régional, acteurs non-constitutionnels, une commune, des
établissements scolaires et des associations et ONG) et les projets
diversifiés (le scolaire, l'adduction d'eau, le développement
rural et la coopération économique). Par conséquent, il
s'agissait plutôt de financer ou d'appuyer des projets et non d'impulser
un développement stratégique pérenne de la région
de Saint-Louis.
A présent, suite aux maigres impacts que les projets
ont eus sur la population, un changement d'orientation était
nécessaire. En effet, Pour réduire durablement la pauvreté
à laquelle sont exposées les populations de Saint-Louis,
Rhône-Alpes apporte une contribution manifeste aux FAIL. Le fonds d'appui
aux initiatives locales a mobilisé le montant de 415. 215.000 francs
CFA, dont 88% alloués aux initiatives génératrices de
revenus et le reste accordés au renforcement des institutions de micro
finance (I-M-F) soit 83.043.000 francs CFA.
Ce fonds cherche principalement à rendre effective la
réduction de la pauvreté. D'après les estimations trois
milles (3.000) personnes devraient en profiter pour sortir de la
précarité. Ainsi, l'indice de pauvreté passerait alors de
41,2% à 36,7% soit une baisse de 4,5% dans la région de
Saint-Louis, toujours enclin au paupérisme. En 2007, il a
été prévu dans le cadre du Fail la création d'un
réseau régional des mutuelles avec, d'une part, l'appui aux
financements pour 80% du budget et, d'autre part, le renforcement des
capacités pour 20%. Ses effets programmés du FAIL, ont
motivé les bailleurs, notamment la région Rhône-Alpes dont
la contribution de Rhône-Alpes s'est élevée à
hauteur de quarante (40) millions de francs CFA soit 10,38% du total En 2008,
en 2009 Trente six (36) millions et en 2010 elle devrait tourner autour de
trente deux (32) millions de francs CFA.
Ainsi, la région Rhône-Alpes cherche,
globalement, à améliorer les services de base offerts par la
région de Saint-Louis à ses populations. L'eau qui touche, en
général, des projets d'adduction dans les villages n'est pas une
compétence transférée. Elle est du ressort de l'Etat
central qui à travers le PEPAM essaye d'atteindre les objectifs
prioritaires des OMD, mais quelques projets de Rhône-Alpes sont
orientés dans ce sens. Par contre, la santé et l'éducation
sont bien deux priorités pour les pouvoirs locaux. Les populations
défavorisées de la région de Saint-Louis sont, ainsi
désignés comme cibles prioritaires de la région
Rhône-Alpes. Par conséquent, les réalisations n'ont de sens
que par la reconnaissance des destinataires.
Le secteur du développement économique est
très peu présent. Mais ceci n'est pas la seule
spécificité du partenariat Rhône-Alpes et Saint-Louis. En
effet, au niveau national, l'étude des projets selon leur approche
dominante montre, que seul 1 projet sur 3 présente une approche
économique forte ou modérée tandis que 3 projets sur 4
présentent une approche sociale forte ou modérée.
Le Conseil régional de Saint-Louis doit arriver
à satisfaire durablement les demandes de sa population avec des
politiques de développement local pérennes, des financements
réguliers et des objectifs à long terme. Dans ce cadre si les
contributeurs du FAIL, comme RhôneAlpes, stoppent leurs cofinancements en
2010, et que Saint-Louis ne soit pas en position de mobiliser d'autres fonds,
ils auront encore une fois investi des sommes considérables sans qu'il
y'ait un impact permanent sur les habitants.
Malgré ces interventions plurielles de la région
Rhône-Alpes, se pose un problème de visibilité des
projets réalisés à Saint-Louis. Les populations ne se
sentent pas concerner et
52
considèrent dans bien des cas qu'il y a, sans doute,
des détournements d'objectifs. L'information ne circule pas entre les
acteurs et les habitants, sauf, quand on accueille les dignitaires de la
région Rhône-Alpes à Saint-Louis, pour des visites de
prospection ou de suivi des projets. Ce type d'événement ne
mobilise, en général, que le coté folklorique de la
population de Saint-Louis et non les vrais dynamiques à appuyer.
Après analyse des actions réalisées par
Rhône-Alpes, il apparaît, d'une part, que le renforcement
institutionnel et la maîtrise d'ouvrage directe de Saint-Louis,
très présents dans les discours, sont très peu
appliqués. Pourtant, les projets n'étaient qu'un prétexte
pour accompagner le renforcement des capacités des acteurs de la
région de Saint-Louis.
Et d'autre part, le développement durable, domaine le
plus mobilisateur avec les changements climatiques, , ne fait pas l'objet d'une
grande considération.
Par ailleurs, l'autonomie financière locale
réclamée par les acteurs de Saint-Louis, conformément aux
textes de la décentralisation, parait illusoire et la responsabilisation
des élus locaux trop ambitieux.
Enfin, l'absence de connaissances suffisantes sur le contexte
politico-culturel local des pays en développement par les
collectivités partenaires du Nord ne permet pas d'instaurer une
coopération de confiance. Mieux, elle légitime le recours aux
opérateurs de terrain par les partenaires du Nord. Sans ébranler
la popularité des mouvements de coopération Nord-Sud, il
s'avère urgent de résoudre cette énigme de la
crédibilité des collectivités du Sud qui impacte sur les
modes de traduction et les usages.
En somme, une fois encore, forces est de constater que l'une
des plus grandes faiblesses des jumelages est de prêter le flanc à
des soupçons de détournements frauduleux et, plus
généralement, des détournements sociopolitiques au profit
de certains groupes privilégiés (...), (A. Marie, 2005).
C'est le cas de se demander si les contradictions
rencontrées dans l'exécution des projets, ont fini par avoir
raison de la coopération décentralisée dont l'ambition
était de redynamiser le développement local au Sud?
2.A.2. Les ambiguïtés dans la mise en oeuvre des
projets : sous-traitance du développement et manoeuvres
étatiques
Il convient, au préalable, de donner une définition
claire et succincte des concepts de maître d'ouvrage et de maître
d'oeuvre afin d'éviter les risques de confusion.
· Le maître d'ouvrage est celui qui est
à l'origine du projet. Il finance et est le futur
propriétaire. C'est l'entité porteuse du besoin,
définissant l'objectif du projet, son calendrier et le budget
consacré à ce projet. Le résultat attendu du projet est la
réalisation d'un produit, appelé ouvrage. Lorsque le maître
d'ouvrage ne possède pas l'expérience métier
nécessaire au pilotage du projet, il peut faire appel à une
maîtrise d'ouvrage déléguée (dont la gestion de
projet est le métier). La maîtrise d'ouvrage
déléguée est chargée de faire l'interface entre le
maître d'oeuvre et le maître d'ouvrage afin d'aider le maître
d'ouvrage à définir clairement ses besoins et de vérifier
auprès du maître d'oeuvre si l'objectif est techniquement
réalisable. La maîtrise d'ouvrage déléguée ne
se substitue pas pour autant à la maîtrise d'ouvrage et n'a donc
pas de responsabilité directe avec le maître d'oeuvre.
· Le maître d'oeuvre est
l'ensemblier. C'est l'entité retenue par le maître
d'ouvrage pour réaliser l'ouvrage, dans les conditions de délais,
de qualité et de coût fixées par ce dernier
conformément à un contrat. La maîtrise d'oeuvre est donc
responsable des choix techniques inhérents à la
réalisation de l'ouvrage conformément aux exigences de la
maîtrise d'ouvrage. Le maître d'oeuvre a ainsi la
responsabilité dans le cadre de sa mission de désigner une
personne physique chargée du bon déroulement du projet (on parle
généralement de maîtrise du projet), il s'agit du chef de
projet.
Sources : M. Chassot, Dix ans de coopération
décentralisée française au Sénégal: Quelle
contribution au processus de décentralisation?, Rapport de Stage
DESS coopération et action humanitaire, Paris Sorbonne, 2004-2005
La coopération décentralisée fait souvent
appel à des traducteurs externes. En raison de leur savoir faire
technique de leurs moyens propres, de leur capacité d'expertise et de
leur expérience, ils exécutent bon nombre de projets pour les
collectivités du Nord. Soit on sollicite une ONG qui a en charge la
délégation de maîtrise d'ouvrage, un professionnel du
développement ou un comité de jumelage (Pays de Savoie Solidaire
pour les départements de Savoie et Haute-savoie par exemple)... Ou les
agences de l'eau si le projet concerne l'adduction d'eau dans un village, les
chambres d'agriculture de commerce et d'industrie si le projet touche le
secteur agraire, commercial ou industriel...
54
Ces opérateurs peuvent mettre en oeuvre la
totalité des projets de la coopération (à l'instar du
Partenariat qui gère l'ensemble de la coopération
Nord-Pas-de-Calais et Saint-Louis) ou se charger d'un seul volet (comme
Aced-sud traducteur d'un projet de Rhône-Alpes concernant le volet
éducation de Podor, département de Saint-Louis). Donc nouer des
rapports de partenariat avec une collectivité lointaine n'implique pas
forcément une présence sur place. D'ailleurs en 2005, sur les 57
partenariats actifs ou nouveaux recensés au Sénégal par le
SCAC, la moitié était en délégation de
maîtrise d'ouvrage. Seule une petite dizaine dispose d'un relais local
permanent (Chassot, 2005). Parmi lesquels il faut compter la région
RhôneAlpes avec un correspondant sénégalais (Adama Sow)
basé à Saint-Louis et Matam.
Par ailleurs, avec ces sous-traitants du développement,
il importe souvent d'établir des accords, de passer des conventions et
de formaliser les rôles et les apports respectifs. Parfois lorsque les
collectivités n'ont pas les moyens de mener, elles mêmes, leur
action sur le terrain, elles leurs confient la maîtrise d'oeuvre sur
place. La formalisation de ces rapports invente de nouvelles routines et par
conséquent alourdie considérablement les charges.
Poumon économique de la « région du fleuve
Sénégal », Saint-Louis ne gère pas la totalité
des fonds qui lui sont accordés par la région Rhône-Alpes.
En réalité, une partie de ce budget servira à solder les
frais de fonctionnement des opérateurs qui, dans certains cas, ont en
charge la totalité des fonds. Finalement l'idée d'une
coopération directe entre Rhône-Alpes et Saint-Louis est
totalement vide en substance. Une analyse cognitiviste de cette situation
permettrait de se rendre compte de la contradiction phénoménale
qui existe entre les idées, autour desquelles il y a un consensus, et
les actes individualisés, éparpillés sans aucun souci de
rationalité. Ainsi, Saint-Louis, se trouve aujourd'hui dans un engrenage
entre une coopération qui risque de lui échapper à cause
des vices cachés et une intervention étatique à dominante
jacobine.
L'extrait23 ci-dessous, témoigne parfaitement
de ce recours aux sous-traitants du développement et ses
conséquences :
« En revanche, il est un domaine où je ne vois
aucune avancée, c'est celui des circuits de financement. Alors que la
coopération décentralisée transfère des fonds
publics vers des institutions publiques, pratiquement aucune
collectivité du Nord ne respecte, sur ce chapitre, les normes de la
comptabilité publique du pays d'accueil. Les fonds sont placés
sur des comptes privés ou transféré à des
associations qui les gèrent pour le compte de la collectivité
partenaire. Résultat, ils ne rentrent pas dans le budget des communes et
leur allocation n'est
23 Sources : B. Husson, il faut en finir avec l'aide
projet, alternatives internationales, Juin 2007
pas nécessairement votée par le conseil
municipal, qui n'a pas de comptes à rendre. La signature,
souvent codétenue par un représentant sur place de la
collectivité française, fait que ce dernier a in fine un fort
pouvoir de décision. Dans plusieurs villes ouest-africaines, ce
représentant est surnommé « le dixième adjoint
». C'est à lui et non aux élus que les associations de
quartier s'adressent pour financer des projets au demeurant fort utiles. La
crainte de la corruption et le souci d'éviter les lenteurs
administratives expliquent ces contournements. Mais de telles pratiques ont des
conséquences désastreuses. Comment prétendre soutenir la
construction de la démocratie et les institutions locales si dans le
même temps l'on s'affranchit du droit et des procédures ? Comment
ces institutions seraient-elles légitimes aux yeux des citoyens si dans
le même temps, les appuis apportés les décrédibilise
?». (B. Husson, 2007)
Cette situation est d'autant plus problématique qu'au
Sénégal le système financier local était
inadapté aux impératifs de développement.
Tout d'abord d'un point de vue global, les budgets des
collectivités étaient entièrement encadrés par le
pouvoir central. Ainsi toutes les décisions prises en matière de
dépenses et de recettes devaient toujours être approuvées
par l'autorité de tutelle en l'occurrence le Ministre de
l'économie et des finances. L'Etat par cette tutelle serrée sur
celle-ci se comportait comme un maître incontesté des finances
locales. Ensuite du point de vue de la gestion financière proprement
dite, les ressources disponibles (taxes, impôts, emprunts) à
défaut d'être recouvrées sont insuffisantes pour assurer la
couverture de l'ensemble des besoins locaux. La finalité optimale de la
décentralisation des transferts de compétences est donc
l'éradication de la faiblesse du système financier local d'alors
par l'octroi d'une autonomie financière à toutes les
collectivités sénégalaises. L'Etat
sénégalais met en place un fonds de dotation destinés au
fonctionnement des collectivités et un fonds d'équipement
destiné aux investissements. Le FECL date de 1977 mais il a
été intégré au budget global de l'Etat depuis 1997.
Malgré ces efforts les collectivités sénégalaises
sont très loin de pouvoir satisfaire leurs nouvelles
compétences.
Il est question d'autonomie financière et d'action afin
que la décentralisation puisse être effective. Une des solutions
était l'ouverture de Saint-Louis aux partenaires étrangers mais
là encore sous prétexte de lutter contre le l'absence de
structures techniques fonctionnelles au Conseil régional de Saint-Louis,
l'Etat s'incruste au coeur du dispositif.
56
Si le Conseil région Saint-Louis dispose de la
co-maîtrise d'ouvrage de ses projets avec Rhône-Alpes
conformément aux accords signés, c'est l'ARD qui en assure
l'appui technique. L'agence régionale de développement
implantée dans chaque région sénégalaise est un
établissement public local à caractère administratif.
Pourtant sa création relève de l'initiative des
collectivités locales (conformément à l'article 37 du
CCL). C'est le décret 98-399 du 05 Mai 1998 qui la complète en
l'espèce et fixe les missions, les organes, les ressources
financières et les règles de gestion de la structure. Elle est
placée sous la tutelle technique du ministère en charge de la
décentralisation et sous la tutelle financière du
ministère des finances. L'ARD est chargée d'impulser de
coordonner et de mettre en oeuvre le développement économique,
social, éducatif, culturel et scientifique de la région de
Saint-Louis. Depuis son installation en Juin 2000, l'ARD de Saint-Louis est
dirigée par Monsieur Bouna WARR. Son personnel est composé d'un
statisticien, d'un géographe, d'un socioéconomiste, d'un
planificateur, d'une assistante, d'un agent administratif et comptable et de
deux chauffeurs. Ils ont des compétences techniques que le personnel
politique de la région ne possède.
Dans cette optique, l'ARD a pour missions d'appuyer la
facilitation et la planification du développement local; de renforcer la
mise en cohérence des interventions entre les collectivités
locales de la région de Saint-Louis et avec les politiques et plans
nationaux d'autre part. Son rôle consiste, également, à la
communication, l'information et la mise en synergie des interventions, la
formation des élus, l'appui institutionnel et le renforcement des
capacités des organisations communautaires de base.
Par conséquent, l'ARD était la porte
d'entrée de la coopération décentralisée à
Saint-Louis jusqu'en 2004, date à la quelle le Conseil régional
de Saint-Louis lui a repris la main. Cependant par rapport à ses
antécédents et la réputation dont elle jouit auprès
des partenaires du Nord, on sollicite régulièrement ses services.
A ce titre, Elle contribue à l'élaboration des projets, l'appui
à l'exécution et le suivi des contrats de mise à
disposition des services extérieurs de l'Etat. Sa place est d'autant
plus rayonnante qu'elle s'occupe du suivi évaluation des programmes et
plans d'actions de développement local, de la recherche de partenaires
financiers et techniques au profit des collectivités et des
opérateurs locaux (bailleurs, coopération
décentralisée, ONG, opérateurs etc.) et de l'appui
technique à la maîtrise d'ouvrage.
La nécessité d'avoir un soutien technique pour
le pilotage des actions remet en jeu l'ARD de Saint-Louis car le Conseil
régional n'a pas ce type de structures. Ainsi, à travers son
antenne technique, l'ARD, contribue à l'amélioration des
méthodologies de la planification à Saint-Louis. Cet
établissement renforce, également, le caractère
participatif pour que tous les partenaires puissent s'approprier les plans
locaux de développement en intégrant un forte capacité de
lecture des enjeux mondiaux. Elle a l'obligation également d'organiser
des conférences d'Harmonisation qui doivent regrouper tous les acteurs
de Saint-Louis. Dans cette perspective, M. Bouna Warr Directeur de l'ARD de
Saint-Louis considère qu': « avec l'approche
développement durable à l'échelon international, les
préoccupations environnementales doivent être inclues dans les
plans locaux de développement ».
Avec l'invention d'une stratégie de relance des
économies locales (SREL) l'ARD a expérimenté une nouvelle
méthodologie de planification composée de 4 étapes dont :
le cadrage; l'élaboration des termes de référence; la
concertation publique pour un consensus basé sur une vision et des
engagements ; et la mise en oeuvre. Elle dispose ainsi d'un savoir faire
confirmé dans les méthodologies de la planification lui
permettant de tirer son épingle du jeu par rapport aux autres services
de la région.
L'ARD représente, désormais, la structure
clé de la coopération à Saint-Louis et tous les
partenaires du Nord, notamment Rhône-Alpes, ont salué ses
prestations. D'ailleurs, en 2008, son budget a été
réévalué pour passer de 85 millions de Fcfa, en 2003,
à 104 Millions, selon un article de l'APS (l'agence de presse
sénégalaise). Ce nouveau budget englobe, alors, la contribution
de l'Etat pour 40 millions, la cotisation des collectivités locales pour
13 millions, la participation de la coopération
décentralisée pour 10 millions et la coopération
luxembourgeoise pour environ 33 millions de Fcfa.
Au cours de ces dernières années l'ARD de
Saint-Louis a enregistré de nombreuses réalisations. Elle a mise
en oeuvre, entre autres réalisations, la construction de la maison du
quartier de Diamaguene pour un montant de 26 millions.
De même, l'appui à la filière avicole
s'est traduit par la création de l'association des aviculteurs, la
constitution d'une mutuelle et l'implantation d'une fabrique d'aliments de
volaille. C'est donc plus qu'un travail d'accompagnateur ou de facilitateur
mais de porteur de projets. Par ailleurs, l'ARD a réalisé des
tableaux de bords pour les communes de Saint-Louis, de Dagana et de
Richard-Toll (les jardins de Richard) et le Plan Régional du
Développement
58
Intégré (PRDI) pour la Région. Même
dans le cadre de l'exécution du Programme d'Appui aux Régions,
(PAR), l'ARD joua un rôle primordial. Toutefois le PAR a eu un coup
d'arrêt depuis la cessation des financements de l'Union
européenne. Tout le problème se situe, donc, au niveau de la
gestion des ressources.
Néanmoins, l'ARD a en charge des projets d'envergure,
parmi lesquels, il y a la réactualisation du PRDI (plan régional
de développement intégré) et la mise en place d'un
système d'information géographique (SIG). Pour renforcer la
démocratie participative, elle a créé de cadres locaux de
concertation. Dans le domaine de l'appui à la planification de
Saint-Louis, elle a piloté la réalisation de PIC (Plans
d'investissement Communaux).
Au fur et à mesure de ses interventions l'ARD est
devenu le poumon de l'action publique locale à Saint-Louis. Ce
truchement du développement local par les organes
déconcentrés reste d'actualité. En effet, les politiques
internationales, à l'image des OMD, sont exécutées
directement par l'Etat bien que c'est destiné aux habitants des
collectivités.
On peut en déduire qu'avec la mise en place de ces
établissements locaux directement rattachés à deux
ministères (finances et décentralisation) occupées par des
« savants » nommés par le « politique », l'Etat
sénégalais a fini par court-circuiter le système de
coopération dans la région de Saint-Louis. Si les mêmes
critères avaient été employés pour doter le Conseil
Régional de Saint-Louis d'une structure technique avec des personnels
à la mesure des compétences requises, la région de
Saint-Louis gagnerait en autonomie.
Ainsi, le Secrétaire général du Conseil
régional de Saint-Louis M. Amath Dia tire la sonnette d'alarme en ces
termes: «Quand on prend les grandes politiques internationales du PNUD
ou des OMD qui sont pilotées au niveau national, c'est le retour du
jacobinisme, de la centralisation après la
décentralisation».
Le principe de libre administration des collectivités
locales est, pour ainsi dire, intégralement vidé en substance par
des pratiques étatiques occultes.
L'Etat sénégalais pratique, également, un
pouvoir exclusif de contrôle sur les collectivités locales. Ce
contrôle administratif ou de légalité est exercé
sans retenue par le représentant de l'Etat auprès des
collectivités (le gouverneur pour la région, le préfet
pour la commune et le sous-préfet pour la communauté rurale).
Pourtant les critères d'objectivité sont parfois
marginalisés par des pratiques souterraines. Une
collectivité qui a à sa tête un élu de l'opposition,
du parti socialiste (PS) par exemple, peut se voir refuser des
réalisations par le contrôleur étatique bien que les
études de faisabilité aient été satisfaisantes et
les textes respectés. Robert SAGNA ex-maire PS en Casamance en aurait
fait les frais. En effet ce dernier a du renoncer à plusieurs projets de
coopération décentralisée avec le Nord au détriment
des populations casamançaises. M. Dia Secrétaire
Général du conseil régional de Saint-Louis disait à
cet égard: « Quelque soit la situation si l'Etat veut bloquer
une collectivité, il a toujours le moyen de le faire. Il est
déjà arrivé à Saint-Louis que le gouverneur pose
son veto pour l'exécution d'un acte, mais généralement on
fait ce qu'il faut pour être conforme aux textes ».
Nonobstant les projets qui dépassent 100 000 € le
contrôle de légalité s'exerce à posteriori par le
gouverneur de la région de Saint-Louis. Ce contrôle est
considéré par certains élus comme une véritable
entorse et un frein à la réussite du processus de
décentralisation.
Toutefois, l'inégalité des rapports
centre-périphérie n'est pas exclusivement un
phénomène qui sévit dans les pays du Sud. Certes l'ampleur
parait moindre mais on localise des comportements similaires en France. A ce
titre la dépendance des collectivités françaises, vis
à vis, de l'Etat tient au fait que ce dernier avec son MAEE est un
acteur important des relations de coopération. En effet, le MAEE met en
oeuvre des budgets de cofinancement réservés à la
réalisation des projets de développement durable et à
l'appui aux actions de coordination et de sensibilisation à la
solidarité internationale. L'objectif optimal étant
d'universaliser, en douceur, les modes de gouvernance locale. Par des
dispositifs de coordination et des cofinancements réguliers, l'Etat
central et ses appareils déconcentrés se sont
révélés être plus que de simples
partenaires-facilitateurs mais de véritables co-maîtres d'ouvrage
des projets de coopération décentralisée.
C'est volonté affichée, en trompe l'oeil, de
mieux soutenir financièrement l'action extérieure des
entités françaises connaît un relatif succès.
Cependant, par ce que la région Rhône-Alpes sollicite des fonds
propres, elle ne devrait par subir cette immixtion dans son partenariat avec la
région de Saint-Louis.
A présent, tout le problème, se situe au niveau
du déficit de concertation entre les collectivités
françaises qui interviennent à Saint-Louis. Elles ne sont pas
très disposées à harmoniser leurs actions afin
d'éviter les risques de doublons. Même si cette rationalisation
permettrait d'équilibrer le niveau d'évolution des
collectivités et de rendre performante la coopération.
60
Le rapport d'activités ci-dessous, de la commission
« coopération décentralisée » des Cités
et Gouvernements Locaux (CGLU), traduit parfaitement cette situation : «
chaque action de coopération décentralisée est encore
trop souvent « une chasse gardée » pour les pouvoirs locaux.
De nombreuses collectivités territoriales du Nord résistent
à mutualiser leurs expertises, partager leurs ressources, coordonner des
actions de coopération en direction du même
partenaire».
La coopération décentralisée prête,
donc, le flanc à une bureaucratisation qui alourdit les
procédures et un contrôle étatique qui en diminue les
effets. Dans ce contexte exacerbé de vices cachés et d'effets
pervers, comment peut-on espérer rendre effective la
décentralisation à Saint-Louis?
2. B. Rendre opérationnelle la décentralisation
à Saint-Louis ou dépasser la symbolique des donations
Depuis sa consécration juridique, même bien avant
la coopération décentralisée a effectué un grand
bon en avant notamment sur l'axe Nord-Sud. Ses principaux objets ont
été revus et corrigés dans certains cas notamment avec les
pays émergents, mais dans d'autres on peut encore identifier les
mêmes types d'actions tels que : les donations, les
coopérations-cadeaux, l'aide-projet ou ponctuelle. Pourtant de nos
jours, les enjeux sont autres. Il s'agit, entre autres, de contribuer au
renforcement institutionnel des collectivités du Sud comme Saint-Louis.
Une réelle orientation aux besoins est, également,
souhaitée. Situation qui devrait permettre d'instaurer une notion de
service public, de prendre en compte les demandes des groupes sociaux
minoritaires, d'inciter à l'élaboration des plans locaux de
développement travaillés en concertation avec l'Etat et
d'appliquer des systèmes fiscalités locales à Saint-Louis.
Autrement dit, l'action publique locale gagnerait à être
recentrée dans le champ du développement à partir des
problèmes concrets que le Conseil régional de Saint-Louis doit
résoudre. Parmi lesquels il y'a l'absence chronique de moyens
financiers, techniques et surtout humains et la non formation du personnel de
l'administration publique locale. Pour y parvenir l'adoption d'une approche
stratégique globale de développement conduite par des structures
et dispositifs fiables et pérennes s'avère indispensable.
2.B.1. Aider à la maîtrise d'ouvrage des acteurs du
développement au Sud
La coopération décentralisée a
été saluée avec enthousiasme dans le monde entier par ce
qu'elle devait oeuvrer à la mise en place d'une coopération des
peuples afin d'offrir un « visage humain à la mondialisation
» pour reprendre M. Bouna WARR de l'ARD de Saint-Louis.
Cependant sur le plan empirique, l'aspect mise en rapport des
acteurs et partage d'expérience fait défaut. En effet pour la
plupart des projets, il y a les acteurs de Rhône-Alpes qui se chargent de
leur exécution.
D'après le secrétaire général du
Conseil régional de Saint-Louis M. Amath Dia : « jusqu'en 2006
seuls 5% des projets étaient gérés par la région de
Saint-Louis ». Ce qui diminue considérablement l'apport
financier et ne permet pas aux élus locaux de se perfectionner dans la
gestion budgétaire. Pourtant la maîtrise d'ouvrage de Saint-Louis
est reconnue dans les accords conventionnels, mais force est de constater,
qu'elle reste lettre morte. Cette attitude partagée par les
collectivités françaises n'est pas tout à fait
déplorable car une collectivité comme Saint-Louis ne dispose
d'aucune structure ou dispositif technique fonctionnelle responsable de la
coopération décentralisée indépendamment des
services étatiques déconcentrés. Par conséquent les
raisons de ce dysfonctionnement sont évidemment à rechercher de
part et d'autres.
D'abord à Saint-Louis, la coopération
décentralisée est une chasse gardée pour certains
responsables. Ça leurs offre une légitimité auprès
des citoyens, des réseaux internationaux de relation et notamment des
voyages en France. Dans cette perspective, ce n'est pas faire injure aux
élus locaux du Sud, en reconnaissant qu'une proportion d'entre eux
considère les voyages à l'étranger, à la solde de
leur collectivité, comme une récompense pour services rendus. Ils
mettent, ainsi, en oeuvre des stratégies de contrôle et
d'accaparement des avantages au grand dam des populations. Pour nourrir des
fins personnelles les élus locaux du Sud font usage de la
coopération décentralisée. Pourtant de tels comportements
ne sont pas méconnus des collectivités du Nord, ce qui peut
laisser penser à des complicités entre élus.
La décentralisation ne signifie pas le retrait des
élites qui détenaient ou détiennent le pouvoir d'Etat.
Le pouvoir local peut être confisqué par de petits groupes de
personnes, comme l'était le pouvoir central, confortés par les
appuis extérieurs qu'ils ont négociés. Les
collectivités
62
locales ne sont pas à l'abri d'un contrôle par les
oligarchies locales, écrans entre les aspirations des citoyens et les
opérateurs du Nord (B. Husson)24.
Autrement à Rhône-Alpes, on se pose des questions
sans doute légitimes, car depuis 1997 on finance des projets mais d'un
point de vue qualitatif personne ne peut dire quels sont leurs impacts sur les
cibles. Entre 1997 et 2008, la région de Saint-Louis a englouti
8.245.085 € de la région Rhône-Alpes. Ce montant est colossal
et les résultats peu probables.
Malgré cela, on tend de plus en plus vers la
maîtrise d'ouvrage de la collectivité du Sud. En effet, avec le
CRREJ et l'électrification de Podor (cf. Partie2-A-1), le conseil
régional de Rhône-Alpes concrétise son engagement de
renforcer la maîtrise d'ouvrage de Saint-Louis. Bien que depuis 2003 le
personnel n'a pas été mobilisé pour effectuer des stages
de formation à Rhône-Alpes, il y a de réelles initiatives
dont la création d'une filière électro-bobinage et l'appui
au centre de formation. Dans cette optique, la région Rhône-Alpes
a subventionné la dotation en matériels informatiques des
collectivités de Podor (département de Saint-Louis). Avec un
budget global de 80.000 € Rhône-Alpes a également
financé l'organisation, en 2002, d'une session de formation à la
sécurité sanitaire aux personnels de l'Hôpital de
Saint-Louis. Dans le cadre des échanges interprofessionnels entre
acteurs de Rhône-Alpes et Saint-Louis une première bourse a
été octroyée à M. FAYE Babacar, chargé des
affaires administratives au Conseil régional de Saint-Louis. En outre,
à travers l'université d'été de la francophonie
certains membres du personnel ont bénéficié d'une
formation.
Certes Rhône-Alpes met à disposition ses
expériences acquises dans la conduite des politiques de
développement local, mais elle se heurte à l'absence chronique
d'une administration territoriale de qualité. Par conséquent les
initiatives sont insuffisantes et le recours aux traducteurs et sous-traitants
du développement se substitue à la nécessité de
former des acteurs locaux qualifiés.
L'appui à la maîtrise d'ouvrage de Saint-Louis
passe donc par la formation professionnelle du personnel territorial et
l'échange d'expériences entre élus lors de stages
appropriés ou de visites entre acteurs du développement. Ce types
d'actions entrent dans le domaine des échanges institutionnels et
marginalisent de fait l'idée d'un renforcement des capacités des
acteurs du Sud, indispensable à la réussite du processus de
décentralisation.
24 Sources : B. Husson, la coopération
décentralisée, légitimer un espace public local au Sud et
à l'Est, CIEDEL
Cependant, étant donné que la politique de
coopération ne vaut que par la reconnaissance des publics cibles, on
peut se demander comment la région Rhône-Alpes doit
réorienter ses interventions afin qu'elles répondent
concrètement aux besoins des populations ?
II. B. 2. Renforcer les capacités institutionnelles
d'administration et de gestion de Saint-Louis
Les collectivités françaises ont progressivement
pris conscience de la nécessité de renforcer les capacités
d'administration de leurs partenaires du Sud. Cette thématique connue
sous le terme de « l'appui institutionnel », dans le jargon de la
coopération décentralisée était un
élément récurrent dans les discours. A présent,
elle a franchi un palier car des discours on devrait passer à l'acte.
Dit autrement, l'échange institutionnel basé sur des «
voyages cocktails » entre élus, est entrain de céder, de
manière lente mais graduelle, la place à l'appui
institutionnel.
C'est une probable évolution, bien qu'il ne faille pas
aller très vite en besogne car le stade des promesses n'est pas
complètement désuet. A ce titre une distinction précise
entre les termes d'échange institutionnel et d'appui institutionnel
s'avère nécessaire.
Echange institutionnel
|
Appui institutionnel
|
L'échange institutionnel peut être défini
|
L'appui institutionnel peut être défini comme
|
comme des rencontres, des visites, des
|
le renforcement d'une collectivité :
|
échanges d `expérience sur l'organisation et
|
Dans sa capacité à établir et programmer
des
|
le fonctionnement d'un service ou d'un
|
priorités réalistes en prenant en compte les
|
ensemble de services et plus généralement sur
l'organisation et le fonctionnement d'une
|
contingences sociales, économiques,
politiques et financières ; dans ces
|
collectivité locale.
|
compétences pour assurer la maîtrise
d'ouvrage des équipements relevant de ses attributions,
dans sa capacité à organiser et
pérenniser les services collectifs nécessaires à
améliorer les conditions de vie des populations.
|
64
Sources : B. Husson, «Coopération
décentralisée et renforcement institutionnel, une dynamique
à construire»,CIEDEL, in II conferencia anual del Observatorio de
cooperacion decentralizada UE-AL, Guatemala, Mayo 2007, p.14
Donc, pour ce dernier, à la différence de
l'échange institutionnel, l'appui institutionnel est « un
processus par lequel les organisations, les institutions -dont les
collectivités locales- acquièrent la capacité d'exercer
leurs responsabilités, de se fixer des objectifs et de mettre en oeuvre
les moyens pour les atteindre dans les domaines qui relèvent de leur
compétences ».
Sur la base de cette définition, l'enjeu principal est
celui de la gouvernance locale. Il faut, par conséquent, aider les
agents et acteurs de la région de Saint-Louis à renforcer leurs
capacités de gestion et d'organisation, et non les dessaisir de leurs
responsabilités.
A priori il n'y aurait pas de recette type à appliquer.
Tout dépend de la volonté politique des élus du Nord et du
Sud. Quelques recommandations sont apodictiques à ce niveau.
Le premier est d'aider les collectivités de la
région de Saint-Louis à se doter d'un système de
fiscalité locale malgré la faiblesse des moyens qui sont les
leurs. Cette question exige une réponse urgente par ce que l'aide
étrangère est tout sauf un soutien permanent. A ce tire M. FAYE
Babacar du Conseil régional de Saint-Louis reconnaît que : «
la coopération décentralisée n'est pas un financement
crédible du développement local. Elle doit être
accompagnée d'une vision stratégique de la
décentralisation et du développement local ».
En fait, il y'a des projets qui s'attaquent aux vrais
problèmes (comme l'éducation des jeunes, l'assistance
apportée aux enfants de la rue « les talibés », la
fourniture en équipement sanitaire des hôpitaux ou la construction
de case de santé dans les villages...) de Saint-Louis. Pourtant,
dès que les financements s'estompent, suite à la fin d'engagement
du ou des bailleur(s), tout s'écroule. Tant que les ressources de
financement seront aléatoires, l'idée d'un développement
durable de la région de Saint-Louis restera totalement vide de sens. En
réalité, il s'agit d'un « simulacre » de
développement qui ne vient pas forcément de la région
RhôneAlpes ni des élus de Saint-Louis, mais plutôt du niveau
de développement faible auquel la région Rhône-Alpes doit
faire face. Par exemple, au niveau de la mobilisation des ressources, les
collectivités doivent pouvoir assurer la pérennité des
services proposés à leurs habitants.
Le nombre de prestations offert par Saint-Louis n'a de sens
que si les populations y ont durablement accès. Eu égard cette
situation préoccupante, il y'a lieu d'espérer. Au Nord et au Sud,
la volonté politique affichée par la nouvelle
génération d'élus pourrait redorer le blason de la
coopération décentralisée en effectuant une
réorientation aux besoins. Ainsi, la région Rhône-Alpes,
par exemple, a adopté le principe des fonds locaux de
développement dans certaines de ces coopérations. Il serait plus
adéquat d'appliquer le même principe pour la région de
Saint-Louis. Cependant, faire évoluer les pratiques, améliorer la
qualité de l'aide induit des coûts. Cela nécessite de
l'expertise, de la formation et beaucoup de temps.
Si Rhône-Alpes n'hésite pas à
dépenser de l'argent pour organiser des comités mixtes qui ne
sont qu'un suivi-évaluation politique, elle ne voit pas, en règle
générale, l'importance de consacrer ses fonds à la mise en
place de structures financières opérationnelles. Force est de
constater qu'avec de telles pratiques, c'est encore la logique du don qui
prime.
Par ailleurs, les collectivités locales du Nord ont des
compétences tangibles, mais celles qui appuient leurs partenaires du Sud
dans le recouvrement des recettes se comptent sur les doigts de la main. Il est
d'autant plus urgent d'agir que la situation actuelle entretient des effets
pervers.
En effet, les Etats du Sud comme le Sénégal ne
doivent plus être les concurrents directs de leurs collectivités
locales mais des interlocuteurs sans lesquels la décentralisation ne
pourra jamais être effective. La région Rhône-Alpes, bien
qu'elle écarte toute ingérence étatique dans son action
extérieure, doit reconnaître le rôle central inhérent
à l'Etat sénégalais. Ce dernier à travers les
efforts qu'il entreprend, en toute légitimité, est le lieu
d'élaboration des règles de la vie commune, il est aussi garant
de la cohésion sociale et des instances de définition des
règles de fonctionnement démocratique. Autrement dit, les
collectivités sénégalaises gagneraient en
renforçant leur collaboration avec l'Etat central, plutôt que de
laisser s'instaurer un rapport de force. A cet égard, le responsable du
Partenariat (ONG opérateur permanent du partenariat Nord Pas de Calais
et Saint-Louis) reconnaît que : « les informations circulent
bien entre acteurs locaux à Saint-Louis mais c'est avec les programmes
nationaux de développement qu'il y a très peu de concertation
».
Il faut, deuxièmement, équilibrer les relations
bilatérales de collectivité à collectivité par
la prise en compte de leur impact sur les collectivités voisines sous
peine d'entretenir des inégalités locales. Un maire du Sud qui
a fait des études et jouit de relations à l'étranger a
66
moins de mal à établir une coopération
décentralisée avec le Nord, tandis que celui du village voisin,
analphabète et sans relations, restera sur la touche, (Bernard Husson,
2007).
La région Rhône-Alpes devrait inclure dans ses
principes d'action une meilleure articulation et répartition des
interventions à Saint-Louis. Certes, de prime abord, ça
paraît difficile car la population de la région de Saint-Louis est
inégalement répartie sur son territoire mais avec du volontarisme
politique, on peut tout surmonter. En effet, le département de
Saint-Louis, avec seulement 879 km2 soit 5% du total
régional, concentre 30,8% de la population. Le département de
Podor qui constitue 68,0% de la superficie régionale est habité
par 41,5% de la population régionale. Dagana est
caractérisé par l'équilibre entre sa superficie et sa
population qui représentent respectivement 27,4% et 27,7% du total de la
région.
Donc, la densité de la population de Saint-Louis ne
correspond pas à sa situation géographique, ce qui accentue les
déséquilibres régionaux. Par ailleurs, le SIG
(système d'information géographique) mis en oeuvre par l'ARD de
Saint-Louis, est un outil qui doit permettre de situer les localités les
plus exposées à la pauvreté. C'est-à-dire là
où tous les seuils des IDH (indices de développement humain) sont
largement franchis.
Ces inégalités de contexte et de situation se
retrouvent à plusieurs niveaux. Par exemple la ville de Saint-Louis
dispose d'une meilleure couverture internationale, à cause de son
passé, son personnel administratif plus qualifié et ses
élus dotés de réseaux, que les autres collectivités
locales de la même région. C'est la raison pour laquelle, en 2006,
lors des comités mixtes organisés en France, Saint-Louis a
invité le Conseil régional de Rhône-Alpes à
concentrer ses actions sur le département de Podor qui était dans
l'abandon. Des initiatives, de ce type, sont prises par les structures de
coordination, comme RESACOOP, entre autres, ou lors des rencontres annuelles,
à l'instar, des Journées de la coopération
décentralisée organisées au Sénégal, dont
l'édition de 2006 s'est déroulée à Saint-Louis.
Toujours est-il que la concertation entre les différents partenaires
français de Saint-Louis, n'est pas bien ancrée dans les
dynamiques de cette coopération bilatérale des
collectivités franco-sénégalaises.
La réforme consiste donc à rationaliser les
actions menées et à construire une dynamique globale de
développement. Pour y arriver, il faut élaborer une planification
stratégique de la région de Saint-Louis. Ainsi les demandes
adressées à Rhône-Alpes ne ressembleront plus à
«une liste de courses au supermarché» mais plutôt aux
besoins prioritaires identifiés en concertation avec les populations
locales, par le biais des dispositifs de participation bien ancrés
à Saint-Louis.
Enfin, malgré quelques avancées
soulignées précédemment, force est de constater que
l'aideprojet est encore très présente dans la coopération
Rhône-Alpes et Saint-Louis. Pour sortir de cette situation, seule la
région Rhône-Alpes détient les clés. En
finançant des fonds locaux de développement, le Conseil
régional de Saint-Louis serait décideur ultime de l'engagement
des dépenses. Par contre, la région Rhône-Alpes pourrait,
désormais, lui exiger des comptes rendus périodiques sur
l'utilisation des fonds. Certaines initiatives répondent
déjà à cette donnée, mais il faut sortir du cadre
cérémonieux, mondain ou folklorique et dialoguer, en termes, de
technicité et d'expérience. Toutefois, cette situation ne peut
être réalisable que si des structures de suivi-évaluation
des réalisations, d'ordre technique, sont mises en place. D'autant que,
les comités mixtes organisés chaque année pour faire le
point sur les projets mis en oeuvre ou en cours d'exécution,
interviennent uniquement, sur le plan politique. Avec de telles
avancées, la gestion des fonds devrait pouvoir répondre à
aucun souci d'efficacité et de rigueur.
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