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La concertation comme outil de construction d'un développement durable en Nouvelle-Calédonie

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par Yannick MONLOUIS
Arsenal - M1 Infocom 2008
  

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A. Historique des relations entre acteurs du projet

Généralement l'inscription d'un site au patrimoine de l'humanité est vue comme une reconnaissance mondiale et un label de prestige. Pourtant, l'inscription du lagon calédonien ne sait pas fait sans accroche. Nous allons analyser les contestations qui ont suivi le dépôt du dossier en janvier 2002.

1. Non respect de l'Accord de Nouméa

La Nouvelle-Calédonie est devenue une collectivité sui generis, c'est-à-dire de son propre genre. Cela signifie qu'elle possède un statut particulier relativement autonome vis à vis de l'État français. L'archipel possède son propre gouvernement. Depuis les Accords de Nouméa en 1998, des compétences de l'État sont transférées progressivement à la collectivité. Ce transfert de compétences aboutira à un référendum entre 2014 et 2018 qui donnera la possibilité à la Nouvelle-Calédonie de devenir indépendante ou de rester sous tutelle française. L'organisation institutionnelle du pays a été définie le 16 février 1999 par la loi organique et la loi ordinaire adoptées par le Parlement. Une des missions de la loi organique est de répartir les compétences entre l'État, le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, les Provinces et les Communes. Dès la signature de l'Accord de Nouméa certaines compétences ont été immédiatement transférées. Ainsi, d'après l'article 46 de la loi organique du 19 mars 1999, les Provinces ont la compétence en matière de protection de l'environnement. Elles « réglementent et exercent les droits d'exploration, d'exploitation, de gestion et de conservation des ressources naturelles biologiques et non biologiques des eaux intérieures, dont celles des rades et lagons, de leur sol et de leur sous-sol, et du sol, du sous-sol et des

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eaux surjacentes de la mer territoriale. Les provinces prennent, après avis du conseil coutumier concerné, les dispositions particulières nécessaires pour tenir compte des usages coutumiers. " 27. Donc, l'État n'a aucun rôle en la matière.

En 2001, avec le soutien des coutumiers, l'association « Corail vivant " présente un dossier d'inscription du lagon calédonien à Yves Cochet, ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement de l'époque. Ce dernier dépose le 31 janvier 2002, le dossier à l'Unesco pour l'inscrire sur la liste du patrimoine mondial de l'humanité. Cette initiative du ministre, qui représente l'État français, a provoqué une vive contestation des parlementaires calédoniens. Jacques Lafleur, Président de la Province sud ; Pierre Frogier, Président du Gouvernement et Simon Loueckhote, Sénateur ; tous membres du RPCR, se sont élevés contre l'ingérence de l'État dans le domaine de l'environnement qui relève de la compétence provinciale et territoriale. Cette initiative va à l'encontre de l'Accord de Nouméa.

2. Société civile mondiale

Suite à l'élection présidentielle de 2002, Mme Roselyne Bachelot accède le 6 mai au poste de Ministre de l'Environnement, de l'Écologie et du Développement Durable. A la suite d'une visite de Mr Jacques Lafleur, Mme Bachelot annonce au mois d'aoüt le retrait du dossier de classement du lagon calédonien au patrimoine de l'UNESCO. Pour expliquer ce subit renversement de situation, Mme la Ministre a déclaré que la demande de nomination déposée par son prédécesseur en janvier est « une mesure qui n'a aucun n'intérêt car elle n'a aucun impact contraignant "28. Et Mme Bachelot rajoutait, qu'au lieu de chercher la nomination de Patrimoine Mondiale, la France assurera la protection des écosystèmes fragiles et uniques en travaillant conjointement avec les sociétés minières internationales, en particulier avec INCO Ltd Canada, cela pour assurer une « véritable protection environnementale ". Cette annonce a provoqué la stupéfaction de la société civile calédonienne et plus globalement de la « société civile mondiale ". J'entends par ce terme, la formation de mouvement, de groupes civiques qui s'occupent des questions transfrontalières. Une solidarité qui ne se limite pas dans l'espace. Comme il y a une mondialisation économique, il existe également une mondialisation de la société civile qui repose sur la solidarité.

27 Article de loi, [en ligne], [ www.droit.org]

28 Citation de Roselyne Bachelot, Communiqué de diffusion du Dr Stéphanie Gorson Fried, scientifique de haut niveau, membre de l'ONG Environmental Defense d'Hawaii, 13 septembre 2002, [en ligne] [ www.edf.org]

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À travers la description de ces conflits. On remarque deux aspects du problème. Il y a un problème de communication mais qui parfois est sous jacent à un problème de droit. Nous allons voir le rôle du droit en préalable au processus de décision, et donc au processus de communication.

B. Analyse au vu des principes participatifs

À travers différentes théories issues des sciences humaines et sociales, nous allons tenter de repérer les causes des conflits qui ont suivi le dépôt du premier dossier à l'Unesco.

1. Le droit garant de la discussion

La controverse des parlementaires calédoniens était due à un manque de concertation en amont du dépôt du dossier, mais surtout au flou entourant les droits de l'État et de la Province sud en matière d'environnement. La Province est compétente en ce qui concerne la protection environnementale. Or seul un état peut saisir l'Unesco pour une proposition de classement. La Nouvelle-Calédonie n'étant ni un état, ni membre de l'Unesco, elle ne pouvait pas prendre cette initiative. Les contestataires de cette décision déclaraient que « Le fait que la NouvelleCalédonie ne soit pas membre de l'Unesco ne suffit pas à autoriser le ministère à prendre cette initiative qui ne peut relever que d'une demande expresse des provinces et accessoirement de la Nouvelle-Calédonie [...] Même si l'État était seul habilité à saisir l'Unesco d'une proposition de classement, il est évident que cette proposition devait, au préalable, être discutée avec les collectivités territoriales concernées, et même subordonnées à leur accord... »29.

Ce cas est intéressant car les partis qui s'opposent sont dans leurs droits. Le conflit intervient dans la zone imprécise du droit. De ce fait, on note l'importance du droit et des règles pour régir les relations entre individus ou dans ce cas, les relations entre acteurs d'un projet. Le droit définit le statut des personnes juridiques. Il répartit les rôles de chacun, leur permettant de se situer dans leurs relations avec les autres. Le problème de concertation en amont n'est pas le vrai problème, car la concertation nécessite au préalable la définition du statut des participants au débat. C'est le droit qui joue ce rôle. Il doit donc être clair, précis et accepté de tous. Le droit est donc nécessaire pour permettre une discussion saine et de qualité.

29 Déclaration de Jacques Lafleur, Les Nouvelles Calédoniennes, du 21/02/02. [en ligne] [ www.lnc.nc]

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2. Intérêts particuliers

Le choix de Mme Bachelot fut principalement motivé par la rencontre qu'elle a eue avec Mr Lafleur, Président de l'assemblée de la Province sud. En Nouvelle-Calédonie, seuls les élus RPCR étaient contre le dépôt du dossier d'inscription. Les Provinces îles et nord, le sénat coutumiers, diverses associations de protection de l'environnement, la majorité des calédoniens, les scientifiques et les écologistes étaient favorables au classement. Mme la ministre a pourtant choisi le retrait du dossier, motivant sa décision par plusieurs arguments dont, le manque de consensus local. Or, comment pouvait-il y avoir consensus sans confrontation entre les partis ? Jacques Lafleur a réussi à faire entendre sa voix pour le retrait du dossier. Le problème ne se résume pas dans le choix qui a été effectué, mais dans les raisons pour lesquelles ce choix a été fait. La nature du pouvoir qu'avait Jacques Lafleur se résumait par son statut en tant que président d'une majorité démocratiquement élue. D'ailleurs, lui-même avait déclaré dans une lettre adressée aux Verts qui accusaient Mme la ministre de clientélisme, « Je souhaite rappeler qu'en tant que député de l'UMP et président

de l'assemblée de la Province sud, je ne constitue pas un lobby, je représente par la volontédu peuple s'exprimant lors d'élections libres, la tr*s grande majorité des Calédoniens [...]À

l'inverse, c'est le conglomérat constitué par le Sénat coutumier, les indépendantistes, des associations et un comité de parlementaires, sur lequel s'appuient les Verts, qui forme à proprement parlé un lobby »30. Il légitimise son action par le fait qu'il ait été élu démocratiquement à l'élection de 1999. Le pouvoir qu'il oppose à la société civile repose sur la démocratie représentative, de ce fait « il est légitime ». Dans toutes démocraties, les gouvernants une fois élus conservent une totale indépendance vis-à-vis des électeurs.

La situation se résume donc par une partie composée de diverses organisations politiques, associatives et de profanes qui ont un intérêt écologique et d'une partie composée du RPCR qui a un intérét économique. En effet, l'annulation de la décision serait bénéfique pour l'avancement du projet de l'Usine du sud. Le législateur a pris la décision d'annuler le dépôt sans qu'aucune confrontation entre les partis n'ait été organisée. Cette décision s'est faite suite à une réunion privée entre le Président de la Province sud et Mme Bachelot. Les rapports de force ont occupé une place dominante dans la prise de décision. Ainsi un intérêt particulier fut privilégié au détriment d'un autre sans chercher à atteindre un consensus qui aurait pu satisfaire la majorité « numérique ». Aucune confrontation entre les partis n'ayant était mise en place, le consensus, critère déterminant qui conditionnait le dépôt du projet était

30 Extrait de la lettre de Jacques Lafleur adressée aux Verts (parti écologiques de France), Les Nouvelles Calédoniennes, du 20/02/03 [en ligne] [ www.lnc.nc]

impossible à atteindre. Cette procédure est diamétralement opposée aux principes de développement durable et de participation du public dans la prise de décision.

L'analyse fait ressortir plusieurs points importants. D'une part, on peut noter l'importance du cadre juridique et méthodologique. Ce cadre doit permettre de placer les partis sur un pied d'égalité. Il doit créer un espace qui soit exempt de contraintes externes telles que les pressions effectuées sur un parti, qui biaisent les prises de décisions. D'autre part, ces exemples mettent en exergue le problème de légitimité du pouvoir politique. On ne lui reconnaît plus de pouvoir absolu. L'enjeu sera d'éviter une distanciation trop importante entre la société civile et ses représentants politiques. Pour éviter ce fossé, la société civile va mettre en place des actions qui auront pour but d'interpeller l'opinion publique en NouvelleCalédonie et au-delà de ses frontières.

C. Conséquences directes

Nous allons voir comment la société civile s'adapte au problème qu'elle rencontre à différents niveaux.

1. Manifestation locale

Le Collectif de Défense et de Maîtrise de Patrimoine de Prony fut à l'origine de la manifestation du 30 août 2002. Ce jour là, plus de 3000 dirigeants Kanaks, écologistes, militants pour les droits de l'homme et citoyens ordinaires ont manifesté en exigeant que la Province sud retire le permis de recherche accordé à Inco sur le massif latérique de Prony ouest, et que les lois de protection environnementales soient votées. Les manifestants ont exigé que le Gouvernement Français poursuive la demande de classement du lagon calédonien au patrimoine mondiale de l'humanité.

Cette manifestation a permis d'introduire officiellement sur la place publique, le problème environnemental lié à l'activité minière. Auparavant, seules les associations de protection de l'environnement se préoccupaient du volet environnemental, or cette manifestation a permis d'étendre cette thématique aux citoyens lambda. C'est grace à l'assentiment et à l'appropriation de la question par les profanes que la manifestation fut importante au niveau social. Le classement du lagon étant un problème écologique mondial à travers l'érosion des coraux de part le globe, la contestation ne fut pas cantonnée à la Nouvelle-Calédonie. Elle fut mondiale.

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2. Solidarité mondiale

La liste du patrimoine mondial de l'humanité constitue un héritage culturel et naturel que le comité du patrimoine mondial considère comme ayant une valeur universelle exceptionnelle. Le but est de cataloguer, nommer et conserver les sites dits culturels ou naturels d'importance pour le patrimoine connu de l'humanité. Sa mission oeuvre pour l'intérêt général car ces sites sont considérés comme l'héritage, non pas d'un pays, mais de tous les pays. Malgré cela, aussi exceptionnel que soit le site, si le pays responsable n'entreprend aucune démarche pour l'inscrire, il est impossible que celui-ci apparaisse sur la liste du patrimoine mondial. Pour des raisons politiques un pays ne peut agir à la place d'un autre en prétendant agir pour le bien commun ou l'intérêt général. Il peut entreprendre des actions contraignantes à l'encontre du pays « inactif » pour aller dans son sens, mais de telles actions ne sont mises en place qu'en situation de crise. Bien que représentant la crise de notre siècle, le volet environnemental n'a jamais suscité d'action d'un pays vis-à-vis d'un autre pour le contraindre à quoi que ce soit. La société civile mondiale, dont les « membres » les plus médiatisés sont les Organisations Non Gouvernementales (ONG), s'occupent des questions transfrontalières dans les domaines que les États constitués n'ont pas su s'occuper. D'ailleurs les ONG ont le droit d'ingérence pour agir en cas de situation de crise exceptionnelle. En matière environnementale, elles ont souvent permis de faire pression sur les états en alertant l'opinion publique sur les risques écologiques et en s'appuyant sur la solidarité mondiale. Les Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) ont permis de développer la solidarité mondiale en renforçant la proximité entre les individus à travers le monde. Les problèmes de ce siècle ont fait prendre conscience de l'interconnectivité du monde et de sa finitude. De nombreux blogs, sites internet, forums, etc.... informent et discutent des problèmes environnementaux aux niveaux local, national et mondial.

Après l'annonce de Mme Bachelot, non seulement les associations calédoniennes ont réagi mais un nombre important d'articles, de blogs, de forums et autres manifestations sont apparus sur internet, élargissant le conflit hors de ses frontières. Ainsi, des ONG telles que WWF (littéralement, fonds mondial pour la vie sauvage), des scientifiques, des écologistes, des associations, des profanes à travers le monde ont appelé l'état français à revenir sur sa décision. Un mouvement mondial s'était mobilisé pour défendre l'inscription du lagon calédonien au patrimoine de l'humanité. Ce mouvement a mis un coup de projecteur sur les arguments qui ont motivé le retrait du dossier et il a soulevé l'aspect favoritiste de ces arguments. Sous la pression internationale effectuée par la société civile mondiale, la France en 2003 relance le dossier lors de la visite en Nouvelle-Calédonie du Président de la

République, Mr Jacques Chirac. Lors du discours qu'il donna à Nouméa le 23 aoüt 2003, Mr Chirac affirma son soutien au projet d'inscription du lagon calédonien sur la liste du patrimoine mondiale de l'humanité.

Au cours de ce chapitre, nous avons pu observer l'évolution de processus décisionnel d'une importance considérable pour la Nouvelle-Calédonie. Ces procédures ont fatalement manqué de concertation par manque de temps, de cadre juridique et de cadre réglementaire. Les décisions qui ont émané de ces processus ont de suite été confrontées à une vive contestation de la société civile locale et mondiale. La légitimité des représentants politiques fut remise en question. L'unique pouvoir tangible qu'ont les électeurs vis-à-vis des politiques est le vote électoral. Suite à ces mouvements de contestations qui se sont organisés et qui ont pris au fil des ans de plus en plus d'importance ; on constate logiquement qu'après quinze ans (3 mandats) à la tête de l'assemblée de la Province sud, Mr Jacques Lafleur, l'homme fort de la Nouvelle-Calédonie, n'a pas été réélu aux provinciales de 2004. Ces élections ont d'ailleurs marqué un total renversement dans le paysage politique du territoire, à travers l'apparition de nouveaux partis et l'éclatement des anciens.

Ces conflits ont donc eu des répercussions importantes en Nouvelle-Calédonie. De ces conflits émergèrent de nouvelles procédures pour traiter ces questions. La conduite des projets sera différente, plus participative, une plus grande transparence sera mise en place par l'intermédiaire d'instances créées spécialement pour ouvrir ces questions aux publics et pour favoriser un développement durable. Ainsi, en octobre 2004 sera créé le Comité d'Information, de Concertation et de Surveillance (CICS) sur les impacts environnementaux du site industriel de Goro. Toutefois avant d'analyser ce comité, nous verrons dans le chapitre suivant, les objectifs du développement durable déclinés par acteurs du projet avant l'année 2004. Cette analyse nous permettra de mieux saisir les enjeux du comité et la procédure participative qui en résulte.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery