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La concertation comme outil de construction d'un développement durable en Nouvelle-Calédonie

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par Yannick MONLOUIS
Arsenal - M1 Infocom 2008
  

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A. Le boom du nickel (1966-1971)12

La Nouvelle-Calédonie a une longue histoire avec le nickel. Vale Inco n'est pas la première société à s'implanter sur le territoire. La Société Le Nickel (SLN) est installée depuis 1880. La décennie 1960-1970 changea fondamentalement le visage de la Calédonie. Dès 1960, la production de nickel entre dans une phase d'expansion modifiant profondément l'économie calédonienne, puis il y eut le « boom du nickel » entre 1966 et 1971. Une forte croissance des pays industrialisés et la guerre au Vietnam doublent la demande de nickel en moins de dix ans. L'usine de Doniambo s'agrandit, la SLN ouvre de nouveaux centres miniers, la main d'oeuvre métropolitaine et des îles voisines afflue. La SLN emploie alors un tiers de la population salariée de l'archipel.

Toute l'économie de l'île bénéficiera du boom, le secteur du bâtiment explose. Il faut pouvoir loger toute cette population de travailleurs qui arrivent sur le territoire. Le commerce est florissant, la masse de revenu induit par l'augmentation des emplois augmente considérablement la demande. Les institutions publiques vont également faire face en embauchant de plus en plus de personnel. Cette période fut prospère pour la Nouvelle-

11 « Déclaration de Rio », Nations Unies, [en ligne]. [ http://www.un.org/french/events/rio92/rio-fp.htm].

12 Economie assistée et changement social en Nouvelle-Calédonie, Jean Freyss, Tiers Monde I.E.D.S, 1995

Le boom du nickel se situe, selon Jean Freyss, sur la période 1966-1971 où le taux moyen de croissance de la production de minerai s'établi à 22%

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Calédonie et ses habitants. A cette époque les revendications environnementales n'avaient pas énormément d'échos.

En 1972, ce fut la « crise du nickel » en raison d'une concurrence internationale accrue. Le premier choc pétrolier de 1973 plonge la Nouvelle-Calédonie dans la crise.

En 1999, Vale Inco débute la construction de son usine pilote sur le site de Goro situé sur la commune de Yaté, dans le sud de la Nouvelle-Calédonie. La construction entraîne alors une nouvelle dynamique pour l'économie locale. En décembre 2002, Vale Inco décide de suspendre la construction du projet après avoir constaté un dérapage du coüt d'investissement prévisionnel du projet. En 2004, la société annonce la reprise du projet.

Ce projet est vu par une grande partie des calédoniens comme le commencement d'une nouvelle ère de prospérité économique pour le territoire.

B. Historique des relations entre acteurs du projet

Les conflits par rapport au projet d'attribution de Prony, ont émergé du fait que les décideurs n'ont pas pris en compte les divergences d'opinion. Et parfois, simplement du système de démocratie représentative. Le premier conflit majeur qui a opposé les acteurs du projet minier n'a pas été provoqué par l'activité de la Société minière, mais par la décision prise par le comité des mines, le 14 mai 2002. Ce jour là, la Société Vale Inco, détentrice de l'exploitation minière du site de Goro, se voit attribuer par la Province sud, l'autorisation du permis de recherche sur le domaine minier de Prony. Ce site est qualifié de « dernier plus grand gisement de nickel au monde »13. Dans les faits, l'attribution du permis de recherche débouche sur une concession. Cette décision a engendré une forte protestation de la société civile et de l'espace public en général. Elle a fait ressurgir toutes les protestations concernant la gouvernance du projet.

1. Désaccord au conseil des mines

La décision du conseil des mines a été fortement contestée. Pour comprendre les raisons de ces protestations, il faut tout d'abord distinguer le « conseil des mines » du « comité consultatif des mines ».

Le conseil des mines représente l'organe où l'État, la Nouvelle-Calédonie et les Provinces tentent de concilier leurs approches. Placé sous la présidence du Haut-commissaire14 (qui ne

13 « Prony accordé à Inco par la Province sud », Les Nouvelles Calédoniennes, le 14/05/02 [en ligne], [ www.lnc.nc]

14 Représentant de l'État Français en Nouvelle-Calédonie

vote pas), il comprend les présidents des autres exécutifs (Gouvernement et Assemblées de Province). Il a pour objet de vérifier que les décisions prises par les provinces, compétentes en matière minière, soient cohérentes au niveau du pays. Il est obligatoirement consulté sur tout projet de loi du pays ou de délibération en matière minière. « Le conseil des mines dispose [...], non d'un droit de veto, mais du droit de faire évoquer et peut-être bloquer un projet de texte par le gouvernement. En effet, si le Haut-commissaire n'intervient pas, le projet de texte revient devant l'assemblée compétente, qui peut l'adopter ou le rejeter, mais non l'amender. L'exercice habituel du droit d'amendement aurait pu [...] dénaturer le projet initial et vider de son sens le rôle pivot confié au conseil des mines »15. En revanche, si l'avis du conseil des mines n'est pas favorable ou si le représentant de l'État exprime un avis défavorable, l'exécutif de la Nouvelle-Calédonie se prononcera.

Le comité consultatif des mines est beaucoup plus ouvert, il est composé de représentants de l'État, du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, du Congrès, du Sénat coutumier, des organisations professionnelles et syndicales et des associations de protection de l'environnement. Il est obligatoirement consulté sur tous les textes miniers adoptés par le Congrès ou une assemblée de province, à l'exception des autorisations d'investissements étrangers. Ce dernier n'est pas compétent pour prendre des décisions, mais il a pour principal objectif de les orienter.

Ces dispositions ont été voulues par les partenaires locaux et l'État pour que les grandes options stratégiques en matière minière soient prises en concertation. Elles sont inscrites dans l'Accord de Nouméa16.

La proposition d'attribution du site de Prony à Vale Inco a donc été soumise à l'avis du conseil consultatif des mines. Cette instance fut présidée par Mr Pierre Frogier17, président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Au terme de ce débat, le conseil consultatif des mines émet un avis négatif sur la proposition de la Province sud. À la suite de cette décision le conseil des mines s'est réuni. Le représentant de la Province sud et le Président du Gouvernement votent pour, le Président de la Province nord et un représentant de celle des îles votent contre. En vertu de la voix prépondérante de la province auteur du projet, le domaine de Prony a été attribué à Inco. L'attribution du permis n'a pas fait consensus auprès du comité consultatif et du conseil des mines.

15 François Garde, Les institutions de la Nouvelle-Calédonie, Harmattan, 2001

16 Art. 3.2.5 de l'Accord de Nouméa, 05/05/98 à Nouméa, [en ligne] [ www.legifrance.gouv.fr]

17 Pierre Frogier appartient au groupe Rassemblement UMP, anciennement RPCR (Rassemblement Pour la Calédonie dans la République). Ce groupe fut créé par Mr Jacques Lafleur autrefois député et président de la province sud.

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Quant au vote final, à l'assemblée de la Province sud, le RPCR qui représentait la majorité au sein de l'assemblée, a voté pour, suivant l'avis du conseil des mines en opposition à toutes les autres formations politiques (Front de Libération National Kanak et Socialiste, l'Alliance et le Front National) qui ont voté contre.

2. Le rééquilibrage du pays remis en question

Pour l'ensemble des opposants, ce n'est pas tant l'attribution à Vale Inco qui pose problème, mais la menace qu'engendre cette décision sur la viabilité du « Projet Koniambo ". Ce projet est conduit conjointement par la Société Minière du Sud Pacifique (SMSP) qui est une société mixte appartenant majoritairement à la Sofinor, et Falconbridge entreprise minière canadienne. Le groupe SMSP détient 51% du capital de la co-entreprise. Il apporte le gisement du Koniambo, son expertise professionnelle et son implantation locale. Son partenaire détient 49% du capital, amène les études de faisabilité et se porte garant du financement assumé par la future société commune. Ce projet consiste à mettre en valeur le massif du Koniambo qui recèle 150 millions de tonnes de minerai en réserve, pour le transformer sur place et contribuer ainsi au développement économique attendu dans la Province nord. Ce programme est vu comme la seule réponse à la centralisation excessive de la Nouvelle-Calédonie autour de sa capitale Nouméa (plus de la moitié de la population du pays habite dans le Grand Nouméa)18. La construction de « l'Usine du Nord " est également perçue par la mouvance indépendantiste comme l'acte fondateur d'un rééquilibrage social, économique et politique tangible entre le Nord et le Sud du Pays. En effet, l'extraction minière seule reste insuffisante pour assurer un décollage économique de la province et arrêter l'exode de la population vers Nouméa. Avec ses centres dispersés, l'industrie minière seule ne peut créer le pôle urbain qui permettrait d'instaurer une dynamique économique propre à la Province nord. En créant des emplois directs et indirects durant la phase opérationnelle, la réalisation d'une usine métallurgique permet d'amorcer une activité économique d'ampleur en Province nord tout en assurant un débouché local aux activités de main d'oeuvre existantes (agriculture, péche, élevage, hôtellerie,...). La réalisation d'un tel projet justifie également les infrastructures techniques et sociales propres à permettre un développement harmonieux et durable. En ce sens, l'usine du Nord est perçue comme un enjeu majeur pour l'avenir de la population calédonienne en général.

18 Recensement Institut de la Statistique et des Études économiques (ISEE), 2004, [en ligne], [ www.isee.nc]

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« Si la Province sud entérine [...] l'attribution d'un permis de recherche sur le site de Prony à Goro Nickel, le projet d'usine du Nord risque de ne trouver aucun financier sur le marchéinternational, et le rééquilibrage économique inscrit à l'accord de Nouméa restera lettre

morte »19.

L'argument avancé était que, si à l'issue de la période de recherche, l'industriel canadien se voyait attribuer les titres d'exploitation, il serait susceptible d'augmenter considérablement la capacité de son usine. Or, d'autres réalisations sont en cours à travers le monde. Par conséquent, il risque de ne pas y avoir assez de place sur le marché, car sinon ce serait la surcapacité. Dans ce contexte, le projet Koniambo, n'ayant pas encore trouvé l'ensemble de ses partenaires financiers, cette attribution risquait de court-circuiter l'Usine du Nord et par la même occasion menace le rééquilibrage économique et politique de l'île. La question est de savoir quel investisseur achètera des actions à la SMSP-Falconbridge, si Vale Inco est en mesure d'assurer une production de masse.

« Il n'y avait aucune urgence à prendre cette décision. La logique et la sagesse auraient voulu qu'on attende la finalisation du schéma minier, qui doit se faire en 2003 ou 2004 [...] Ce projet n'a pas de sens au regard du développement durable et va à l'encontre du rééquilibrage »20.

3. Revendications économiques

La Province sud estime que, Prony étant retombé dans le domaine public, la situation juridique est telle que les règles du code minier interdisent à la Province de monnayer une décision d'attribution. La collectivité considère que les véritables contreparties d'une activité industrielle s'expriment en termes d'emplois, de salaires distribués (directs, indirects et induits), de recettes fiscales, de contribution au PIB et d'équilibre de la balance commerciale. Or, d'après la déclaration de Mr Rock Wamytan21, signataire de l'Accord de Nouméa, « Le gisement de Goro [...] avait été cédé par l'État Français à Vale Inco pour un prix dérisoire de 3,5 milliards de francs CFP » et le massif minier de Prony est donné. Pour comparaison, au Canada, Vale Inco a acheté le gisement de Voisey's Bay pour l'équivalent de 270 milliards CFP. Ces conditions d'attributions s'additionnent à la multitude de privilèges dont bénéficient la société minière ; par exemple une défiscalisation très avantageuse sur quinze ans, une

19 Phrase de Paul Néaoutyine, Président de la Province nord, les Nouvelles Calédoniennes, le 05/07/02 [en ligne], [ www.lnc.nc]

20 Phrase de Paul Néaoutyine, les Nouvelles Calédoniennes, le 05/07/02 [en ligne] [ www.lnc.nc]

21 Déclaration de Rock Wamytan devant la 4ièmme Commission de l'Organisation des Nations Unies, 63ième session, New York le Jeudi 9 octobre 2008. Rock Wamytan fait partie du groupe FLNKS.

mobilisation des moyens de formation et maintenant des titres miniers, alors qu'en contrepartie, 5% de Goro Nickel seulement iront à la Nouvelle-Calédonie.

« 5% du capital, c'est une aumône et nous ne voulons pas d'aumône », a déclaré Didier Guénant pour l'USOENC22.

Au vu de l'ensemble de ces arguments, nous allons tenter d'analyser en quoi cette situation ne respecte pas les postulats de base décrits dans la théorie délibérative d'Habermas et la cohérence des procédures participatives.

C. Analyse au vu des principes de participation

À travers différentes théories issues des sciences humaines et sociales, nous allons apprécier les relations entre les différents acteurs du projet et la procédure qui a mené à l'attribution du site de Prony à la société Vale Inco.

1. Comité consultatif des mines vs Conseil des mines

L'espace public est un réseau permettant de communiquer des opinions au travers du langage ordinaire, qui est à la portée de tous. Il n'a pas pour objet de prendre des décisions politiques. Il met en relief des problèmes sociaux, les amplifient, les dramatisent de tel façon à ce que le système politique, organe de décision, traite ces maux de société. « Le système politique [...] est lié à l'espace public et à la société civile à travers l'activité des partis politiques et le droit de vote des citoyens »23. Le droit de vote, « garant » de la démocratie sous-entend que l'espace public et la société civile ont une influence sur le pouvoir politique. En effet, l'ensemble des informations et prises de positions émis par l'espace public sont condensées en « opinions publiques » regroupées en fonction d'un thème spécifique. En fonction du processus de formation et du large assentiment qui la soutienne, l'Opinion publique a une influence plus ou moins importante sur le pouvoir politique. Pour autant, ce dernier ne peut pas se permettre de nier ou de minimiser la force de cette opinion. Il devra donc justifier clairement toutes décisions qu'il prend, en particulier si elles vont à l'encontre des positions émises par l'espace public, c'est-à-dire de l'Opinion publique. Si le pouvoir politique n'explicite pas ses décisions il augmente la probabilité d'entrer en conflit contre la société civile.

22 Phrase de Didier Guénant, secrétaire général de L'Union des Syndicats des Ouvriers et des Employés de Nouvelle-Calédonie, les Nouvelles Calédoniennes, le 31/08/02 [en ligne] [ www.lnc.nc]

23 J.Habermas, droit et démocratie, p 395, Gallimard, 1997

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Le comité consultatif des mines représente une structure spatiale de l'espace public, c'est-àdire un lieu de formation des opinions. Celui-ci est chargé de donner un avis au conseil des mines, qui sera en principe le dernier habilité à statuer sur les questions concernant la mine. Dans le cas de l'attribution du permis de recherche à la société Vale Inco, le comité consultatif des mines a donné un avis défavorable au projet. Cet avis n'a pas été suivi par le comité des mines. Cette situation a été favorisée par le système de vote qui a avantagé la province détenteur du projet. Au final, l'exécutif a délibéré sur le projet. Le vote final a confirmé la décision prise par le conseil des mines. On constate que l'avis de la société civile, aussi contestataire soit-il, n'a nullement influencé la décision politique. La décision fut prise via le rapport de force entre les partis participants au vote plus que par la concertation. Cet exemple augmente la réticence de certains acteurs locaux qui considèrent souvent que leur participation ne modifie en rien des projets qu'ils pensent, même si c'est à tort, déjà déterminés. En Nouvelle-Calédonie, de nombreux exemples illustrent ces « fausses participations » constituant autant de contre-références à l'origine des préjugés négatifs de l'Opinion publique vis-à-vis de la participation.

2. Rôle du comité consultatif des mines ?

Pour que l'espace public ait un réel « pouvoir social », il faut qu'il se dissocie du pouvoir politique. Il est important pour le public que les structures représentants la société civile se différencient des institutions politiques, ceci comme gage de neutralité des décisions. Dans cette logique, le comité consultatif des mines doit être autonome et il ne doit pas être en prise directe avec la décision. Or, le comité fut présidé par Mr Pierre Frogier, président du Gouvernement de Nouvelle-Calédonie et élu RPCR. Ce dernier a prit part au vote final. De ce fait, le comité ne se distinguait pas tout à fait du conseil des mines, qui est l'organe décisionnel. Le conseil s'est réuni directement à la suite du débat du comité. Les élus ont donc voté immédiatement.

Le comité consultatif des mines n'a quasiment joué aucun rôle dans la formation de l'Opinion publique. On constate donc que le déroulement de la procédure a totalement altéré le rôle du comité. En tant qu'espace public, il doit être un lieu de formation des opinions, mais également diffuser ces opinions au plus grand nombre avant une prise de décision par les autorités compétentes. Dans l'exemple de l'attribution du permis de recherche, le comité s'est réduit à un simple échelon d'un système de bureaucratisation des décisions, c'est-à-dire « des décisions sur les décisions ». Cela ne signifie pas que son existence est inutile, mais simplement que l'usage qui en a été fait n'était pas adapté et qu'il a rendu l'organe inerte.

3. Prise de décision

La théorie de la décision en économie est liée à l'individualisme méthodologique. L'approche néoclassique, dominante, est focalisée sur une hypothèse d'anticipation rationnelle en situation d'information plus ou moins parfaite24. Concrètement, l'individu collecte des informations, les traite et fait un choix qui va lui permettre de maximiser son intérêt compte tenu de son système de préférences. Il s'agit là d'un monde certain dans lequel toutes les informations sont accessibles et où les capacités de traitement infinies de l'homme lui offrent la possibilité de comparer les utilités dégagées par différents choix. Ainsi est présenté l'homo oeconomicus, c'est-à-dire celui qui prend les décisions les plus rationnelles. Or, Herbet SIMON dans son ouvrage « administrative behaviour » nous dit que l'homme ne maximise pas économiquement son utilité, il ne connaît pas tous les paramètres indispensables à la prise de position rationnelle, et il n'a pas une fonction de préférence stable et durable. Le but de la théorie dite " de la rationalité limitée " est donc de mettre en lumière les limites pratiques de la rationalité humaine et de s'efforcer de trouver les moyens (entraînement, formation, adhésion à de nouvelles valeurs) de repousser ces limites. Ainsi, le décideur navigue souvent dans le brouillard car les informations dont il dispose ne sont pas complètes, ses capacités d'abstraction, de synthèse ou d'analyse sont limitées ou encore il est influencé par des émotions et des événements extérieurs (professionnels ou privés), étrangers à la décision qu'il doit prendre rationnellement. Ainsi SIMON oppose à la rationalité absolue, la rationalité " procédurale " qui va consister en une succession de décisions itératives, qui cherchent, en fonction des erreurs passées, à s'approcher de la moins mauvaise solution possible. L'importance de cette théorie est la notion de procédure nécessaire à une prise de décision emplie de raison. On peut dire que les modèles participatifs sont constitutifs d'une décision rationnelle.

La décision d'attribution du permis de recherche a été principalement motivée par l'estimation d'une augmentation du marché du nickel dans les dix ans à venir. Cette estimation fut effectuée lors du colloque international du nickel organisé à Nouméa, en juin 2001. C'est pour anticiper cette hausse de la demande que la Province sud a décidé d'attribuer le permis de recherche sur le site de Prony. De nombreux opposants ont cité les incohérences de cette décision hâtive et ont souligné le manque flagrant d'informations. Au vu de la théorie de H. SIMON, la procédure qui précède cette décision est critiquable. En effet, une décision

24 Biencourt et al, 2001

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d'une telle importance, qui engage un pays aussi profondément dans son avenir (politique, économique, culturel, environnemental...) et le futur du marché mondial du nickel, mérite une procédure décisionnelle beaucoup plus importante, étalée dans le temps, impliquant la participation du plus grand nombre, reposant sur des informations les plus complètes et surtout, les moins évasives possible. La véracité de l'information est importante. La crise mondiale actuelle est l'exemple démontrant qu'aussi méthodique que soit la science économique, elle reste une science humaine et sociale et donc par défaut, une science imprécise. Une décision de cette ampleur prise aussi rapidement est automatiquement contestée. Pour que les décisions soient efficaces, il faut laisser le temps aux procédures participatives de se développer et de se répandre. Si on étouffe ces procédures participatives à quelques niveaux que ce soit (temporel, spatial,...), elles ne seront pas efficaces. D'où l'idée de mettre en place des règles strictes, claires et précises pour optimiser l'efficacité des procédures et éviter les écueils possibles. Ces règles sont indispensables pour garantir la qualité de la décision.

L'analyse souligne quelques problèmes. D'une part, elle remet en question le principe de démocratie représentative. En effet, un parti élu démocratiquement et qui est majoritaire, a un pouvoir total et absolu durant la durée de son mandat. Il détermine l'intérêt de tous. Pourtant, cet exemple nous montre que la société civile était majoritairement contre cette décision. Donc, en quoi cette décision est-elle légitime ? Ensuite, l'analyse souligne l'importance de la formalisation des procédures. En effet, si les procédures participatives sont dépourvues de règles ou ont des règles imprécises, il risque d'y avoir des dérives qui atténuent la portée de ces procédures.

Le manque de rigueur dans le processus de prise de décision nous amène souvent à un mouvement de contestation de l'espace public. Ce dernier pour faire entendre son opinion use de son pouvoir social, c'est-à-dire qu'avec l'appui de l'espace mobilisé, précisément grâce à la pression de l'opinion publique, il obtient de force que le thème mis à l'ordre du jour soit formellement discuté. Pour autant, l'établissement d'un ordre du jour officiel ne signifie pas nécessairement que la décision finale des autorités ou la stratégie d'implémentation effective correspondront aux espoirs initiaux de l'espace public. Ce pouvoir social se traduit bien souvent par des manifestations publiques.

D. Conséquences directes

Nous allons voir comment le manque de concertation ou de rigueur dans la procédure décisionnelle a alimenté la vivacité de la société civile.

1. Manifestations

Une manifestation est un rassemblement destiné à exprimer publiquement une opinion politique, une revendication sociale... La manifestation est le principal outil que développe la société civile pour engager un rapport de force avec le pouvoir politique ou économique. « Il faut parfois l'appui d'actions spectaculaires, de protestation de masse et de campagnes durables avant que les thèmes pénètrent dans le centre du système politique pour y être formellement traités »25.

Suite à l'annonce du comité des mines, une manifestation fut organisée à l'appel d'un parti politique (FLNKS), de plusieurs syndicats (USTKE, UTINC et FPME) et du Conseil National Des Peuples Autochtones (CNDPA). Cette manifestation a réuni des milliers de manifestants devant le siège de la Province sud. Elle avait pour objectif de faire pression sur le vote qui se déroulait en assemblée. La pression n'ayant pas donné lieu à l'abrogation du permis de recherche, une deuxième manifestation fut organisée le 30 août 2002. Celle-ci a réuni entre 3200 manifestants selon la police et 5000 selon les organisateurs. Cette manifestation fut beaucoup plus diversifiée de part son public. La principale revendication était le retrait du permis de recherche sur le massif de Prony. D'autres revendications furent également soulevées telles que les garanties sur l'environnement et la participation plus importante de la Nouvelle-Calédonie dans le capital de Vale-Inco.

De la première à la deuxième manifestation, le public s'est enrichi et élargi. En effet, au départ, il comprenait plusieurs adhérents de différentes organisations politiques, syndicales... Dans la deuxième manifestation apparaissaient des associations de protection de l'environnement et des profanes. Les revendications sont également devenues plus nombreuses car elles ont intégré le volet environnemental et la participation du pays dans le capital de la société Vale Inco. L'amplification du mouvement prouve les négligences qu'il y a eues en amont du projet. La société civile a manqué d'information et ceci se ressent dans ces manifestations. Ainsi, on constate l'importance de la prise en compte du temps dans les processus participatif. Le temps est nécessaire à la diffusion et à la compréhension de l'information par l'ensemble des catégories, dont fait partie la société civile. Les processus de

25 J.Habermas, droit et démocratie, p 409, Gallimard, 1997

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décision doivent inclure l'espace temporel essentiel pour la légitimité des délibérations finales. L'amplification du mouvement s'est également traduit par la formation d'associations contre cette décision. Une d'entre elles fut à l'origine de la deuxième manifestation.

2. Création d'associations

La société civile se compose d'associations, d'organisations et de mouvements qui à la fois accueillent, condensent et répercutent en les amplifiant dans l'espace public politique, la résonance des problèmes concernant les sujets d'intérêt général. Ces acteurs émergent le plus souvent de situations de crise qui ne sont pas traitées par la sphère politique. En effet, « un espace public ne se crée pas à volonté. Avant d'être investi par des acteurs stratégiques, il faut que l'espace public et le public qui en est la base se soient constitués en tant que structure autonome et se reproduisent par leurs propres moyens »26.

Ainsi, à la suite de la décision de la Province sud, plusieurs associations de protection de l'environnement calédonien se sont formées. Leurs objectifs sont parfois différents, mais le but est d'être suffisamment représentatif pour jouer un rôle dans les décisions concernant l'usine du sud. Comme exemple, le Collectif pour la Défense et la Maîtrise du Patrimoine de Prony (CDMPP) a été créé suite à la première manifestation qui a eu lieu lors du vote de l'assemblée. Ce collectif se compose de coutumiers, de citoyens, de syndicats, d'associations et de partis politiques. Il est à l'origine de la manifestation du 30 aoüt 2002, qui avait pour but d'interpeller l'État, les élus locaux et notamment M. Jacques Lafleur, député, Président de l'Assemblée de la Province sud, sur le problème que représentait l'attribution du permis de recherche. On peut alors dire que les associations à travers les questions qu'elles soulèvent mettent en exergue des problèmes qui doivent être traités par la sphère politique. Nous analyserons plus en détail le rôle des associations à travers l'étude de la société civile dans le chapitre suivant.

La société civile calédonienne a réagi vivement à la décision du pouvoir politique. Cette réaction témoigne de l'importance du projet et de ses enjeux qui engagent le pays sur le long terme. Nous avons vu apparaître des revendications environnementales qui n'étaient pas le souci premier des acteurs liés aux conflits. Pourtant, au fil du mouvement ces revendications vont prendre de plus en plus d'importance. Nous allons étudier cela à travers l'inscription du Grand Lagon Sud au patrimoine mondiale de l'Unesco

26 J.Habermas, droit et démocratie, p 392, Gallimard, 1997

III. Projet d'inscription de Grand Lagon Sud (GLS) calédonien

Le lagon calédonien est le plus grand lagon du monde. Il représente un des écosystèmes coralliens le plus varié et le plus riche du globe. Il est ainsi reconnu par la communauté internationale comme étant un « hot spot » de la biodiversité planétaire. En 2001, des associations locales de protection de l'environnement ont engagé une démarche pour inscrire le lagon calédonien au patrimoine mondial de l'Unesco. Bien que cette démarche soit noble, elle fut soumise à des contestations.

Après avoir étudié les points d'accroches entre les différents partis, nous allons expliquer d'un point de vue communicationnel les causes des contestations pour finalement montrer leurs conséquences.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius