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La concertation comme outil de construction d'un développement durable en Nouvelle-Calédonie

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par Yannick MONLOUIS
Arsenal - M1 Infocom 2008
  

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PARTIE 2 : Genèse de projets non discutés

La contestation aboutit bien souvent à la concertation. Cette première partie va mettre en relief les carences de projets non concertés concernant le projet Vale Inco dans l'extrême sud calédonien. À partir de cela, nous montrerons les conséquences de l'absence de concertation dans un projet de développement durable. Toutefois, pour mieux comprendre le manque de concertation, nous devons dans un premier temps étudier la théorie délibérative de Jürgen Habermas

I. Concept de la concertation

Pour être efficace, la concertation doit se faire en fonction de certaines règles. Habermas dans le cadre de sa théorie délibérative n'a pas pensé concrètement la concertation. Cependant, sa théorie donne des pistes intéressantes pour penser les relations entre la sphère du pouvoir et la société civile.

A. Les concepts de « système " et de « société civile "

A la suite de Luhmann, Habermas constate l'émergence au sein de nos sociétés complexes, de sous-systèmes spécialisés qui tendent à fonctionner en vase clos de manière « autoréférentielle ». Il s'agit principalement du système économique et du système administratif, qui obéissent chacun à un mode de régulation spécifique. Les échanges économiques s'organisent dans le système du marché, qui coordonne l'offre et la demande par le médium de l'argent. L'organisation des mécanismes publics de solidarité est confiée à l'administration, qui coordonne ses actions par le médium du pouvoir hiérarchique, assurant la transmission et l'exécution des ordres du sommet vers la base. Ces systèmes délestent ceux qui s'y engagent, de la préoccupation d'autrui et du bien commun, et leurs imposent au contraire d'adopter une attitude stratégique, orientée vers le succès de leurs entreprises. C'est le système lui-même qui se charge de coordonner les actions individuelles et de veiller à l'intérêt général. Ainsi, dans le système administratif, les gouvernés sont censés se préoccuper uniquement de faire valoir leurs droits d'usagers des différents services publics, tout en abandonnant à l'administration le soin d'organiser un juste accès aux différentes prestations, ainsi que la répartition équitable des charges et des allocations publiques. De même, chaque auteur engagé dans le marché se préoccupe uniquement de maximiser ses profits et de minimiser ses coûts, en laissant à la « main invisible " le soin de réaliser spontanément

l'allocation optimale des ressources. Chacun d'entre nous se trouve engagé dans ces deux systèmes, soit comme consommateur ou agent économique, soit comme usager des services publics ou fonctionnaire. Les relations que nous entretenons avec autrui dans ces cadres sont médiatisées par l'argent ou le pouvoir.

La société civile est un espace qui échappe à la régulation des systèmes. C'est un espace se forme l'opinion publique c'est-à-dire une opinion formée en public, résultant d'un débat

public, au cours duquel les différentes thèses et les arguments qui les soutiennent ont été publiquement exposés et discutés, en sorte que le public a pu se forger son opinion sur la question. A la différence du marché et de l'administration, la société civile ne forme ni un système, ni une institution, mais un réseau permettant de communiquer des contenus et donc des prises de position et donc, des opinions. Elle se compose d'associations, d'organisations et de mouvements qui institutionnalisent les problèmes sociaux trouvés dans les sphères de la vie privée, à travers des discussions qui se proposent de résoudre les problèmes apparus concernant les sujets d'intérêt général. C'est donc un espace largement ouvert, illimité quant aux thèmes dont il peut se saisir, en théorie accessible à tous puisqu'il opère grace au médium du langage ordinaire. La société civile est le seul espace à garantir l'égalité et la solidarité entre tous les participants. Elle répond à l'exigence d'équilibrer les trois ressources que sont le pouvoir (état), l'argent (le marché) et la solidarité (société civile). Son rôle consiste exclusivement à légitimer l'exercice du pouvoir politique. L'opinion publique ne peut pas dominer, mais doit se contenter d'orienter l'usage du pouvoir administratif dans un certain sens. En développant le concept de société civile, Habermas propose que, puisqu'il y a eu une mondialisation de l'économie et un retrait des états-nations, il faut qu'il y ait une mondialisation de l'espace public c'est-à-dire une construction de forme de solidarité mondiale.

Pour être efficaces et efficients les espaces de concertation doivent être contraints par des procédures strictes et des lois.

B. Les postulats de la démocratie délibérative

Pour garantir le niveau des débats publics, il est nécessaire d'améliorer les méthodes et les conditions de débats, de discussions et de persuasions. Le poids de la procédure est très important. Les formes de participations sont donc régies par des procédures strictes qui se référent aux postulats de la démocratie délibérative qu'Habermas emprunte à Joshua Cohen.

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Le premier postulat est que « les délibérations s'effectuent sous formes argumentées et donc par l'échange réglé d'informations et de raisons entre des parties qui font des propositions et les soumettent à un examen critique »8. Ce postulat montre qu'il est possible d'envisager la décision politique non pas comme le résultat de négociation entre intérêts particuliers mais comme le résultat d'une discussion orientée vers le consensus, c'est-à-dire que tous les participants sont convaincus que la solution est juste socialement et valide moralement. La discussion est une situation de communication dans laquelle les interlocuteurs cherchent à produire un changement dans l'opinion de l'autre de façon rationnelle. On convainc sur la base d'arguments valides. L'intérêt de l'échange réside dans le fait que lorsqu'un individu entre en communication, il accepte à priori de voir évoluer son point de vue et les participants ne se limitent pas seulement à la seule défense de leurs positions, ils doivent également réfuter les arguments des propositions qu'ils désapprouvent.

Le deuxième postulat pose que « les délibérations sont inclusives et publiques ». Les termes « inclusives » et « publiques » sont cruciaux. Les délibérations inclusives indiquent que nul ne peut être exclu ; toutes les personnes susceptibles d'être concernées par les décisions prises ont des chances d'y accéder et d'y participer. L'enjeu est de dépasser les groupes institutionnalisés. Le principe délibératif se focalise sur les individus non organisés. Les délibérations publiques poussent à la généralisation c'est-à-dire au dépassement du particularisme et de l'égoïsme du point de vue individuel. On peut observer que tout débat organisé dans un espace public fait peser sur le discours des acteurs, des contraintes. En effet, les discours doivent être compréhensibles par tous les participants, ce qui présuppose qu'aucun discours ne doit être trop spécialisé. Au contraire, les discours doivent monter en généralité, sans tomber dans le sens commun ou une vulgarisation trop poussée.

Le troisième postulat est que « les délibérations sont exemptes de contraintes externes », ce qui veut dire qu'aucune pression extérieure n'agit sur les individus participants au débat. Chaque individu se présente en son nom. Les seules conditions auxquelles l'individu doit se soumettre sont les conditions communicationnelles et les règles procédurales de l'argumentation.

Enfin le quatrième postulat dit que « les délibérations sont exemptes de toutes les contraintes internes ». Ce postulat permet l'égalité des chances, de paroles pour l'ensemble des individus participants au débat. « Les participants sont fondamentalement égaux, dans la mesure où la

8 Cohen, op.cit., p. 22.

répartition existante du pouvoir et des ressources ne préfigure pas leurs chances à contribuer à la délibération, ni ne joue aucun rôle autoritaire sur celle-ci »9.

Les postulats de la démocratie délibérative proposés par Habermas ont permis de mettre en place des procédures sur le terrain afin de favoriser l'émergence du consensus dans une situation idéale de parole. L'évolution des formes de participations repose essentiellement sur les postulats décrits précédemment.

C. Les différents niveaux de participation

Avec la multiplication des initiatives en matière de développement durable, la question de la participation s'impose de plus en plus aux porteurs de projets. Les formes d'association des publics sont variées : depuis l'information, en passant par la consultation, la concertation ou la codécision. Le terme général de « participation » sera utilisé pour désigner l'une de ces formes d'association du public et le terme de « concertation » renverra, quant à lui, à un stade précis et évolué de la participation où les publics sont étroitement liés à l'élaboration du projet. La participation peut s'appliquer indifféremment à chaque étape du projet : élaboration, décision, mise en oeuvre et gestion. Toutefois, il est préférable d'appliquer les formes de participation bien en amont de la prise de décision.

1. L'information et la sensibilisation

Les acteurs publics informent la population du projet qui va être réalisé sans attendre de retour de sa part. L'information doit être complète, claire et compréhensible par tous. Elle doit être sincère et objective vis-à-vis du public informé. Donner une information, c'est donner du pouvoir, ainsi informer quelqu'un c'est lui donner la possibilité d'agir. L'information est portée à la connaissance de la population à travers différents supports : bulletin d'information, brochure de présentation du projet, site Internet, articles de presse, réunions publiques, etc. La sensibilisation est une forme d'information qui utilise « des arguments de bon sens, des données chiffrées, des métaphores, mais qui joue aussi parfois sur la fibre émotionnelle du public pour lui faire prendre conscience de l'importance d'un phénomène ou d'une cause, et de sa capacité propre à agir10 ». Si l'information représente le niveau le plus faible de la participation, elle demeure une composante indispensable dans les autres niveaux.

9 Ibid., p. 23.

10 Cf. définition du Guide du RARE, "Objectif développement durable : comprendre, agir sur son territoire", 2005.

2.

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La consultation

C'est le processus par lequel les décideurs demandent l'avis de tout ou partie des concitoyens d'un territoire afin de connaître leurs opinions, leurs attentes et leurs besoins. Ce processus est totalement unidirectionnel, le politique est totalement libre ou pas de prendre en compte les remarques et contributions pour statuer sur la décision finale. La consultation peut relever d'une obligation légale (enquêtes publiques) ou être volontaire (référendum municipal, questionnaire d'enquete).

3. La concertation

Ce niveau de participation se caractérise par l'implication fondée sur le travail en commun des élus, des techniciens et des habitants du territoire sur un projet public, selon une procédure collective préalable à la décision. Cette démarche vise à organiser la confrontation entre différents point de vue afin de prendre une décision. La concertation peut être engagée très en amont de la décision, dès les études préalables. Cependant, la concertation ne veut pas dire partage de la décision. Elle participe au processus de décision en l'alimentant, mais l'espace de la concertation n'est pas le lieu de la décision. La concertation dans les démarches de développement durable se concrétise, tout spécialement, à travers la réalisation d'un Agenda 21, document opérationnel en faveur de la réalisation d'actions de développement.

4. La codécision

Ce niveau est le plus élevé de la participation. Il s'agit d'un véritable partage du pouvoir de décision sur les principales options du projet en question, voire sur son opportunité. Cependant ce principe est antagoniste avec celui de démocratie représentative, puisque les élus sont censés partager leurs pouvoirs décisionnels, or les élus sont toujours les seuls à trancher sur la décision finale. C'est pourquoi ce niveau est difficilement atteignable.

On remarque une prise de conscience des politiques concernant l'ouverture croissante des débats aux populations concernées dans les projets de développement durable. On reconnaît aux habitants « un pouvoir d'expertise » pour des questions qui les concernent, au même titre que les professionnels, les techniciens ou les scientifiques. Cette prise de conscience prend forme dans de nombreux textes, tels que le principe 10 de la convention de Rio en 1992 stipulant que « la meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient. Au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations environnementales que détiennent

les autorités publiques et avoir également la possibilité de participer aux processus de décision. Les États doivent faciliter et encourager la sensibilisation et la participation du public en mettant les informations à la disposition de celui-ci»11

Au vu des différents niveaux de participation, nous nous intéresserons plus particulièrement à la concertation. Elle correspond à la forme la plus aboutie existant en France d'association des populations dans les projets de développement durable, et c'est la forme employée dans le cas précis du projet de développement durable en Nouvelle-Calédonie. L'objectif des parties suivantes est de montrer que l'absence de concertation dégrade bien souvent le projet.

II. Attribution du permis de recherche à Vale Inco

Nous allons montrer les conséquences de l'absence de concertation entre les acteurs du projet, concernant l'attribution du permis de recherche du site de Prony à Vale Inco. Toutefois afin de mieux comprendre la situation nous allons poser le contexte et les relations entre les acteurs précédent le conflit.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984