D- La « valeur » des accords écrits de
médiation
Concernant la valeur symbolique des accords écrits, je
vous renvoie à la partie consacrée aux besoins psychologiques des
personnes par rapport à l'écrit (p.20).
La valeur juridique est plus objective même si elle est
mouvante, accompagnant l'évolution de la société en
fonction des priorités du temps.
63 Op.cit note n°34
1- La valeur juridique des accords
Pour être durables, les accords doivent avoir une
valeur. Au-delà de la valeur que leur accorde chaque personne
après avoir travaillé à leur élaboration dans le
cadre de la médiation, il y a leur valeur juridique qui est importante
selon que les accords sont simplement rédigés, et/ou
signés et/ou homologués.
a) Portée juridique des accords de médiation
Les accords de médiation ne lient pas juridiquement les
personnes. Ce simple engagement mutuel n'est doté d'aucune valeur
légale et n'a aucune force obligatoire. L'exécution des accords
de médiation dépend uniquement du bon vouloir des parties.
Dans son mémoire juridique sur la
médiation64, Laurent Benoiton souligne « l'incidence
que la signature des parties peut avoir sur la nature juridique de l'acte.
Quand les accords de médiation sont signés, ils peuvent
être qualifiés d'acte sousseing privé et sont alors soumis
au droit commun des contrats ». On relèvera que dans la
pratique, les accords rédigés sont presque toujours signés
par les parties et par elles seules.
L'intervention du Juge Aux Affaires Familiales est
indispensable pour leur donner force exécutoire, c'est-à-dire la
force d'un jugement. Le juge n'exerce qu'un contrôle à posteriori
et ne peut ni en modifier un terme, ni le valider partiellement. Il
contrôle si les principes de la médiation tels que la libre
adhésion des personnes ou l'impartialité du médiateur
familial ont été respectés. Il s'assure que l'acte ne
lèse pas les intérêts des parties et qu'il préserve
l'intérêt de l'enfant dont il est le gardien65.
L'homologation des accords est elle indispensable ? Pour les
magistrats comme pour les parents médiés, il semble que oui :
afin que les accords de médiation soient revêtus de
l'autorité de la chose jugée. Les juges manifestent clairement
leur besoin d'un « retour », si ce n'est sur le contenu de la
médiation, au moins sur des accords rédigés qui leur sont
soumis pour contrôle. Pour les parents, dont la confiance mutuelle a
été souvent terriblement mise à mal pendant le conflit,
l'homologation est un gage que les accords seront protégés.
L'homologation représente également pour eux la fin judiciaire au
processus de médiation.
64 Laurent BENOITON, La médiation familiale, DEA
Théorie juridique, Aix-Marseille III 2001-2002
65 Code civil : art.247 alinéa 2
b) Un débat sur la responsabilité du
médiateur, « rédacteur d'acte juridique »66 Un
débat a été lancé autour de la
responsabilité du médiateur, professionnel qui est engagé
en tant que « rédacteur d'acte juridique sous seing privé
» .
En effet, selon P. Bonnoure-Aufière, avocate, c'est le
médiateur qui établit le document, inscrivant les accords de
médiation familiale, pendant ou à la fin du processus. Il est
garant du cadre et intervient donc pour ne pas permettre n'importe quelles
options si elles ne défendent pas l'intérêt commun des
personnes et soutient les participants dans leurs choix
rédactionnels67.
Pour cette auteure, ce statut de rédacteur d'acte
juridique entraînerait sa responsabilité au-delà de ses
compétences (« ce n'est pas le rôle d'un médiateur
d'être rédacteur d'un contrat faisant la loi des parties »),
avec pour lui d'éventuelles conséquences juridiques
problématiques.
Elle suggère, afin que le médiateur soit
protégé de ce risque, que soient rédigées seulement
des options potentielles envisagées, « laissant les suites
spécifiques, juridiques ou autres, s'instaurer dans l'après
médiation ». L'écrit resterait alors au stade de
l'engagement intentionnel, se référant à la conception
juridique de l'intention de faire. Il s'agirait non plus d'accords de
médiation ou de protocole d'accord mais d' « accords d'intention
» qui seraient remis à un professionnel compétent pour le
finaliser.
Selon Séverine Garat, médiatrice familiale, ces
précautions conditionnelles paraissent « difficilement
conciliables avec l'esprit du travail de médiation ». Le
médiateur est certes « incontestablement lié à la
rédaction des accords qui sont écrits dans le cadre du processus
et sous sa responsabilité professionnelle » et il est donc
bien rédacteur d'acte juridique.
Cependant, renvoyer les parties vers leurs conseils respectifs
pour un contrôle des accords, permet d'éviter les
difficultés. « Cela va dans le sens d'une responsabilisation
des personnes et du développement d'une complémentarité
efficace entre le médiateur et les différents acteurs de la
médiation, notamment dans le monde judiciaire ». Cela est
complété dans la pratique par des mentions à la fin des
accords qui indiquent : les transmettre aux conseils respectifs « seuls
habilités à
66 Cette partie est largement inspirée de l'article de
Séverine GARAT, Les écrits en médiation familiale, pour
qui ?comment ?quels effets ?- revue Empan n°72 février 2009
67 D'après Pierrette BONNOURE-AUFIERE dans son article :
« L'écrit des accords en médiation familiale :
de l'intention à l'action » - AJ Famille 2003, repris dans Guide
de la médiation familiale - Eres édition 2006
les mettre en forme juridiquement »(pour les
médiations judiciaires) ou s'engager à des démarches de
faire contrôler les accords par un spécialiste du droit si les
personnes décident de les faire homologuer (pour les médiations
conventionnelles).
2- Comment la médiation rend les accords
durables
Au fur et à mesure qu'ils ont avancé dans le
processus de médiation, les médiés en ont perçu
progressivement l'essence et sont rendus compte :
. Que ce n'est pas un espace de conciliation où une
solution sur un seul aspect des problèmes doit à tout prix
être dégagée,
. Que ce n'est pas qu'un espace de négociation fait de
compromis mutuels,
. Que le médiateur n'est pas un arbitre qui tranche
équitablement.
« L'enjeu de la médiation n'est certainement
pas d'uniquement trouver des solutions aux conflits. (Il ne s'agit pas non
plus seulement de trouver une réponse pratique à la demande
qu'ils amènent). Il s'agit pour les acteurs sociaux d'apprendre
à les vivre, d'être capables d'affronter les problèmes
futurs qui se présenteront et de pouvoir créer eux-mêmes
des dispositifs de construction d'accords »
(M.E.Volckrik)68.
Le médiateur a conscience des limites de son rôle
dans l'élaboration des écrits et a accepté la perte de
pouvoir que cela implique.
Qu'il ait agi directement sur la forme des écrits ou
pas, il n'a pas influé sur le contenu. Il a aidé les participants
à ne pas chercher à produire un discours de vérité
mais à produire un texte plus sensible et non
stéréotypé qui laisse à chacun une place
entière et responsable. Il les a encouragés à s'assurer
auprès d'un spécialiste que leurs intérêts
étaient bien préservés.
Il s'est assuré qu'un champ potentiel de litige n'avait
pas été laissé de côté.
Dans le temps, le cheminement de la médiation a permis
la mise à distance des émotions et les excès du conflit.
Par la position de tiers du médiateur, protégé par cet
espace de médiation et par son cadre, le participant a pu s'exprimer et
a pu ainsi retrouver confiance en lui-même. Cette confiance lui a permis,
à son tour, d'écouter l'autre, de l'entendre, de l'accepter dans
ses différences. Certaines occasions ont été
créées pendant la médiation, qui ont mis à
l'épreuve, positivement, cette confiance nouvelle, cette
reconnaissance.
68 Marie-Elisabeth VOLCKRICK, Intervenir en tiers aujourd'hui -
Conférence à l'Université catholique de Louvain 2007
Le texte (du latin textus : tissu), qui désigne
l'oeuvre écrite dans sa clôture et dans l'ensemble de son
organisation et de ses déterminations sociologiques, imaginaires,
biographiques, discursives, système second par rapport aux productions
verbales, en est inséparable et distinct dans la mesure même
où il se saisit du discours premier. 69
Ce texte des accords de médiation est le tissu fait des
mailles croisées des questions et des valeurs des participants, qui se
sont tissées tout au long du processus. Pouvoir s'entendre
(s'écouter) a été le préalable à leur
entente (s'accorder). C'est sur cette trame que va s'inscrire la nouvelle
organisation familiale, permettant à chacun de se projeter dans le temps
et donnant à chacun les outils pour les futurs
réaménagements nécessaires.
« Bonjour,
La dernière audience s'est passée très
rapidement. Le texte de nos accords a été simplement
entériné....
La situation était tellement difficile et
embrouillée... cette médiation nous a permis d'être
entendus, ce qui ne va pas de soi. J'espère que cela aura permis de
pacifier à long terme cette relation passionnelle ! Dans tous les cas,
je me sens plus sereine et «Mathieu» va bien... »
«Isabelle». (Courriel septembre 2008)
A la suite de l'expérimentation en stage, la question
s'est posée pour moi de savoir pourquoi les parents pensaient que les
accords écrits seraient durables.
En théorie, nous venons de voir que tout est mis en
place pour que les accords rédigés soient pérennes : la
médiation est constituée d'un dispositif complexe qui associe les
techniques de communication, d'écoute et de parole, un cadre-outil
règlementant les échanges, des principes déontologiques
qui favorisent la confiance en assurant la confidentialité de l'espace
et la compétence professionnelle du médiateur familial.
Construits au fur et à mesure du processus, avec l'aide
contenante et sécurisante du médiateur, les accords de
médiation reflètent les dispositions nouvelles des parties par
rapport à leur relation, entendue comme la nécessité de
s'entendre sur les conséquences de leur séparation, qui
s'étendent bien au-delà de la période de rupture.
Des chiffres circulent. On entend que plus de la moitié
des personnes envoyées par
69 « Texte » : Extrait de définition : Grand
Larousse Universel, 1997
le magistrat en médiation concrétisent des
accords, que les retours contentieux après médiation sont bien
moins nombreux. Qu'en est-il réellement sur le terrain, dans le temps ?
Que deviennent les accords ? Sont-ils durablement appliqués dans les
nouvelles organisations familiales ?
J'émets l'hypothèse que c'est la construction des
accords qui permet le devenir des accords :
Que c'est le temps, le rétablissement du dialogue, la
position de tiers du médiateur, le cadre contenant et rassurant de la
médiation,
-qui permet aux personnes de retrouver une certaine confiance en
eux et entre eux ;
-qui leur permet de penser que les accords vont durer,
c'est-à-dire qu'ils seront capables de prendre ensemble les
décisions qui les concernent, eux et leurs enfants.
C'est ce que je vais tenter d'évaluer par la recherche de
ce mémoire.
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