C- Le processus où naissent les accords
écrits
«La médiation est une démarche et une
série d'activités structurées qui s'enchaînent les
unes eu autres en vue d'un résultat final... [et]... si les parties
demeurent les architectes et les propriétaires de l'entente,
le médiateur est en charge du processus »
(Justin Lévesque, Méthodologie de la
Médiation Familiale, 1993)
Le « processus » implique le temps. « C'est
le terme qu'on utilise pour décrire des changements de forme,
insensibles ou par sauts, des transformations, des étapes d'un devenir
»55. Le mot de processus entre dans la définition
de la médiation familiale ; c'est, entre autres, ce qui la
caractérise par rapport à d'autres modes de résolution des
conflits. C'est ce temps nécessaire qui est le garant que les
écrits seront réalisés »en connaissance de cause
», qu'ils seront le reflet du processus.
53 Marc JUSTON, colloque du GEMME 2005
54 Cf. Alain GIROD, Réflexions sur la médiation
familiale - In revue Le Médiateur Familial (FENAMEF), n°61
décembre 2008
55 Laurence CORNU, In revue Les cahiers de la médiation
familiale citée par R. EDELMAN - Site PEM 2008
1- Le temps : allié du processus
La réalisation d'accords entre les parents est donc
l'aboutissement d'un processus qui, tout en étant limité dans le
temps, s'étend dans la durée. «C'est un temps hors du
danger pour dire le danger et se donner le temps pour penser, mieux comprendre
le conflit et le reformuler» (Claire Denis56), C'est un
temps de passage, de transition, nécessaire pour la réalisation
d'un projet (C. Denis évoque un «rite de passage»).
Concrètement, les entretiens de médiation, qui durent chacun
généralement entre une heure et demie et deux heures, peuvent
s'interrompre au bout d'une séance et peuvent aussi s'étaler sur
plusieurs semaines, voire quelques mois. Les ordonnances judiciaires accordent
trois mois, en général renouvelables une fois. Il y a un
commencement et un terme qui séparent un avant et un après,
ouvrent et ferment une rencontre, réunissent et séparent des
êtres: début et fin sont aussi des limites potentiellement
libératrices et sont donc importants. D'où la puissance
symbolique des accords écrits qui peuvent signifier le point d'orgue de
la médiation. Le temps est un allié de la médiation, un
agent actif du processus, qui permet de venir à bout de blocages, de se
remettre en question, de faire mûrir des décisions, de
réaménager les relations entre les personnes. «Lorsque
ces réaménagements se produisent, elles peuvent devenir à
même d'envisager et d'élaborer des accords signifiants. La
médiation peut alors se concrétiser dans un accord sur ce qui
était l'objet du désaccord initial. L'écriture vient ici
inscrire la capacité de s'accorder dans la visibilité et dans la
durée, et signifier l'engagement personnel par la signature des
acteurs.» (AMPF 2003 57)
Dans la pratique et dans le cas d'accords écrits, le
médiateur va noter les points d'accord des parents à partir des
discussions et au fil des entretiens (en général sur le
paper-board de la salle de médiation). Le médiateur commence en
général la négociation sur les points les plus faciles
à résoudre, les points sur lesquels le consensus est plus facile
à obtenir. Cela permet de démontrer aux parties en litige qu'il
existe un terrain d'entente et un espoir d'en arriver à une entente
globale ; Accord sur des points parfois acquis au départ :
décision de se séparer, valeurs communes. Puis les accords vont
s'étendre progressivement à des points qui
56 Op.cit. note n°34
57 Op.cit. note n°40
peuvent être plus délicats concernant les
modalités d'exercice de l'autorité parentale avec les choix
d'éducation des enfants (religion, école, activités...) et
les choix sur la résidence des enfants (avec parfois une
résidence alternée). Seront aussi abordés les choix
financiers et la répartition entre les parents (pension alimentaire),
les questions de logement,...Il s'agit de prendre le temps nécessaire
pour ne pas omettre des éléments importants. « Il faut
éviter un accord prématuré, un accord qui ne couvrirait
pas toutes les composantes du litige » (Justin
Lévesque58).
Le temps est un allié essentiel du processus de
médiation. Un autre allié, indispensable pour avancer, car il
protège tous les acteurs de la médiation, c'est le cadre.
2- Le cadre : Comment le Médiateur est garant de la
sécurité du processus
Pour être durables, les écrits doivent
également être construits en sécurité grâce au
cadre de la médiation qui protège les parties et garantit la
liberté de leur expression.
a) Le sens du cadre
Le dispositif est porteur d'un sens : de l'idée qu'il
faut un cadre pour mieux se parler. Ce n'est pas n'importe quel cadre mais un
cadre qui permette ces échanges : un cadre sécurisant.
Le cadre est un ensemble de limites à la fois
spatiales, temporelles et psychologiques, dont les acteurs font
l'expérience. Le but de ces limites n'est pas la diminution de la
liberté mais au contraire sa protection, ouvrant un espace sans risque
pour les personnes.
Ainsi, dans cette bulle, du fait de la présence du
médiateur, les personnes sont mises en situation de pouvoir faire une
expérience de l'altérité : reconnaître l'autre comme
interlocuteur, sortir d'un fonctionnement binaire à travers ce qui fait
tiers, et qui est fait de limites (de présence et de parole), à
propos d'objets communs.
La tâche du médiateur est d'aménager un
espace suffisamment sécurisant qui ne soit vécu « ni
comme un espace vide qui pourrait être angoissant, ni comme un espace
trop plein c'est à dire directif ou trop contrôlé. Il doit
donc mettre en place un cadre pour que puisse se vivre l'expérience
d'une rencontre ». (Claire Denis)
58 Op.cit. note n°3
L'observation en stage permet de valider le besoin des
personnes de ce cadre dont chacun défend le respect. Quand le cadre est
bousculé par une personne, le médiateur, dans son rappel,
ramène à l'application des principes de la médiation;
4 Au cours du processus, on découvre que Carl a
gardé en sa possession depuis des mois un document bancaire d'Isabelle.
Elle l'a réclamé plusieurs fois, il a refusé de le lui
rendre. Il indique que son intention première était de s'en
servir éventuellement contre elle. Cela est évoqué au
moment de la réalisation d'accords partiels sur le partage des biens. La
médiatrice rappelle le cadre : la transparence, le respect de l'autre.
Cela permet que ce document soit simplement et naturellement restitué
à la séance suivante.
b) Les limites que pose le cadre
- La limite dans l'espace et le temps:
Le médiateur reçoit les personnes dans un lieu
neutre et séparé d'autres pratiques professionnelles. Il y a une
pièce, des portes, et des sièges pour chacun disposés
à une certaine distance.
Le temps est également défini: il y a un
début et une fin à chaque médiation, quel que soit le
nombre des séances. L'idée d'un terme permet de ne pas la
prolonger au delà de ce qui est nécessaire. Comme la
médiation a eu un commencement, elle doit être
clôturée, même si elle est arrêtée.
Les séances sont elles-mêmes des temps
limités, d'une durée fixe indiquée par le
médiateur, permettant d'aménager le temps d'expression et de
trouver le rythme de l'échange. Le médiateur ne déroge
jamais à cette limite nécessaire.
4 Carl, qui s'attarde systématiquement à la fin
des entretiens après le départ d'Isabelle et tente de se confier
seul, est à chaque fois gentiment mais fermement éconduit par la
médiatrice qui lui rappelle le cadre.
- L'exigence de confidentialité,
Le cadre apporte une protection par rapport à toute
intrusion quand les questions abordées sont personnelles, intimes. Le
médiateur est garant de ce qu'aucune personne extérieure n'a
à connaître du contenu de ce qui se dit en médiation.
- Une parenthèse dans la procédure
Ce passage prend le sens d'une transition, c'est à dire
d'une rupture dans la continuité. Dans cet espace décalé,
dans cette parenthèse, les actions litigieuses : dépôt de
plainte, enquête sociale, courriers recommandés, n'ont pas droit
de cité.
Les procédures contentieuses qui augmentent le litige,
introduisent de nouvelles demandes agressives sont suspendues, voire
retirées.
- Un cadre à l'expression des émotions
Le médiateur doit pouvoir à la fois accueillir
et contenir les émotions: colère, souffrance. Ces émotions
s'expriment parfois dans des « débordements »qui peuvent aller
jusqu'à mettre en danger l'intégrité physique et psychique
des personnes. Disqualification, blâme, injure et agressivité
physique sont interdits en médiation. Le médiateur rappelle alors
le cadre avec fermeté : on ne transige pas avec les règles; cela
peut aller jusqu'à l'arrêt de la médiation.
Cette nécessité de protection à
l'intérieur de la médiation elle-même est explicitée
en début de médiation : « pas de violence physique ou
verbale, respect de l'écoute de l'autre », et le médiateur
garde cette fonction « contenante » tout au long du processus.
3- Les phases du processus «Occupez-vous du
processus, ils pourront
s'occuper du contenu »
Guy Ausloos, la compétence des familles
Grâce à la fonction contenante du cadre et la
position de tiers du médiateur, les contenus vont pouvoir être
élaborés par les acteurs de la médiation au long du
processus à travers différentes phases qui ne sont pas
linéaires mais nécessaires et qu'on retrouve dans la plupart des
travaux des chercheurs et théoriciens de la médiation.
- Justin Lévesque en a repéré six,
«dans un ordre qui n'est ni rigide, ni linéaire... :
Introduction au principe de médiation, vérification de la
décision de se séparer, négociation des
responsabilités parentales, négociation du partage des biens,
négociation des responsabilités financières et
rédaction du projet d'entente »59.
- Thomas Fiutak60, professeur américain,
développe quatre étapes plus transversales et théoriques;
Il parle de :
- la mise en place du cadre de la médiation,
- l'écoute de chacun en présence de l'autre (Qui
parle, de quoi à qui),
- la recherche de construction de l'histoire commune,
59 Op. cit. note n°3
60 Théorie de Thomas FIUTAK décrite dans La
Médiation familiale, ouvrage collectif pour Eres, chapitre IV Jocelyne
DAHAN1997
intercompréhension (qui parle, de qui?),
- la gestion des possibles et le changement de perspectives avec
l'accord mutuel.
- Jean Grechez, Médiateur familial, a dégagé
dans son article « Enjeux et limites de la médiation familiale
»61, quatre phases caractéristiques du processus.
Me paraissant être le socle commun aux pratiques de
médiation familiale, j'ai choisi de les reprendre largement ici dans
leur substance :
a) Verbalisation de la demande :
« Le premier entretien est une étape
fondamentale car il va permettre de prendre connaissance de la situation...Le
souci est ici de faire verbaliser par chacun la demande de médiation. De
même, ce premier contact permettra aussi de poser le cadre de la
médiation, d'en vérifier l'acceptation par chacun ...»
(61). Les personnes s'engagent, et aussi le médiateur : dans cette
phase, il évalue si la médiation familiale est une réponse
adéquate à la situation et s'assure de la garantie du
consentement de chacun.
Une pratique courante propose de faire signer aux personnes,
dès ce premier entretien quand les conditions de la médiation
sont réunies, une convention de médiation : « Ce
document est important à plusieurs titres. Tout d'abord, par sa valeur
symbolique. Il marque le début de la trêve, la volonté de
mettre fin aux hostilités...Il est également important car il
définit l'implication, les devoirs des chacun, médiateurs et
parents... » 62(Jocelyne Dahan).
Entre Carl et Isabelle, il faudra attendre la fin de la
troisième rencontre avant que la médiatrice leur propose de
signer cette convention, ce qui sera accueilli comme un soulagement, avec une
forte adhésion. Les échanges apportaient en effet jusqu'alors des
éléments préoccupants (évocation par Isabelle d'un
« inceste » entre Carl et sa mère, « violences physiques
» dans la vie passée du couple). A la demande de la
médiatrice, Carl et Isabelle ont dû faire l'effort
d'éclaircir ces points, de les remettre à leur juste mesure, et
vérifier ainsi ensemble que leur démarche s'inscrivait bien dans
le cadre d'une médiation.
61 Jean GRECHEZ, Enjeux et limites de la médiation
familiale - dans revue Dialogue 170- 2005
62 Jocelyne DAHAN, se séparer sans se déchirer -
Laffont 2001
b) Élaboration de la demande
Il s'agit là véritablement de la « mise
au travail » (étymologie d' « élaboration »)
des personnes venues en médiation. « Les
éléments apportés, vécus comme faisant conflit,
sont souvent concrets et peuvent toucher tous les aspects pratiques d'une
séparation. Les biens, les questions éducatives, les pensions
alimentaires et l'exercice de l'autorité parentale sont sujets à
empoignades et affrontements... Ici se situe sans doute l'une des
difficultés majeures de la médiation, à savoir : prendre
en compte le conflit... » (61).
Des techniques d'écoute, de négociation, de
reformulation, acquises par le médiateur familial lors de sa formation
initiale, de sa formation continue et son expérience pratique sont mises
en oeuvre pour rendre possible ce travail difficile : il faut veiller en effet
à ce que les remarques soient entendues par celui qui à qui elles
sont destinées comme par celui qui les dit.
L'objectif est « de [lui] permettre (à
chacun) de prendre conscience de ce qui l'a mis en souffrance...Ces prises
de conscience successives en présence de l'autre sont,...la condition
essentielle pour accéder à ce que le conflit prenne sens, peu
à peu, pour chaque personne (61) ». C'est dans cette
étape que le médiateur met en place les conditions d'expression
de chacun dans une sécurité maximale assurée par le cadre
et le maintien du cadre dont dépend la suite du processus de
médiation. Ce « travail » en médiation avec Carl et
Isabelle est complexe. Le temps d'échange sur les attentes et les
besoins qu'avait chacun laisse apparaître qu'au long de la vie commune,
ils n'ont jamais été exprimés de façon claire,
explicite et que chacun pensait que l'autre pouvait comprendre, « sans
avoir à dire ». Carl indique : « Je voulais fonder une famille
»; Isabelle : « Je voulais réparer ses souffrances ».
Carl reproche à Isabelle son manque d'amour, de ne pas lui avoir
laissé de place, ni comme homme, ni comme père. Isabelle dit
qu'elle n'a pas retrouvé dans la vie commune l'homme qu'elle avait
rencontré et qu'elle s'est sentie dévalorisée en tant que
femme : « je pense avoir trinqué pour la mère de Carl
».
Les manques, les souffrances sont racontés. Souvent
l'indignation jaillit : « tu mens, ce n'est pas vrai ! », «
c'est monstrueux, comment peux-tu dire cela ? ». La médiatrice
interroge : « Aviez-vous l'un et l'autre mesuré la souffrance que
vous éprouvez tous les deux ? Je vous propose que chacun puisse accepter
ce qui est dit par l'autre : c'est sa vérité, sans porter de
jugement, est-ce possible ? Nous allons travailler à votre rythme.
»
c) Phase charnière
J'ai assisté en stage à cet entretien, un peu
« magique », où les choses ont été dites,
explicitées et où chacun a pu se sentir entendu. Une porte
s'ouvre, c'est à ce moment là que les éléments de
l'accord peuvent commencer à se mettre en place. Les personnes
commencent à poser un regard différent sur le conflit; elles
reconnaissent l'autre comme différent d'elle-même et se
reconnaissent comme ayant des besoins propres. A partir de là, la
communication s'installe à partir des besoins de chacun. Les personnes
peuvent alors, à partir de ces besoins exprimés et entendus,
faire des propositions qui amèneront à une entente.
Pour Carl et Isabelle, qui ont préalablement, au cours
d'éprouvantes séances, longuement évoqué les
malentendus entre eux, c'est le travail écrit autour de la
répartition de leurs biens qui révèle leur nouvelle
écoute. Dans cette négociation sur les biens, chacun assouplit sa
position, montre un début de confiance, lâche prise. Pour la
première fois, les parents expriment la nécessité de
préserver Mathieu, en décidant de lui permettre de prendre les
jouets, les objets qu'il voudra chez chacun de ses parents pour les emmener
chez l'autre.
d) Protocole d'accord (ou accords de médiation)
Les personnes se sont acheminées ainsi, « pas
à pas », vers des accords de médiation qui vont reprendre
les points d'entente construits ensemble, avec le soutien étayant du
médiateur. « Ici, nul besoin de précipiter la signature
d'un document qui va engager la seule responsabilité de son
signataire. « Reformulations » et modifications font partie du
temps d'élaboration et sont nécessaires afin que les parties
s'approprient l'évolution de leur situation. (53) »
Encore une fois, les pratiques concrètes
diffèrent d'un médiateur à l'autre, et même certains
médiateurs changent de pratique au cours de leur vie professionnelle :
«J'ai évolué dans la mise en forme d'accords
écrits : il y a treize ans, je les rédigeais et je les frappais
à la machine; ils étaient ensuite remis aux personnes et
signés. Il m'arrivait également d'employer des termes juridiques.
J'ai ensuite éliminé des projets d'accord tout terme juridique et
j'ai proposé aux acteurs de réaliser euxmêmes des
écrits qu'ils formulaient ensemble, écrivaient et signaient.
Aujourd'hui, je remets à chaque participant une feuille blanche à
en-tête et chaque personne y
consigne le contenu des accords (et éventuellement
des désaccords) rédigés avec leurs propres mots...Chaque
projet d'accord, signé par tous les participants, est remis à son
auteur et à chaque partenaire de la négociation finale
»63 (Claire Denis), Comme le processus de médiation
lui-même, la forme écrite des accords est diverse, variée,
créative.
L'important reste la durée, la complétude du
processus, ce que souligne encore Grechez : « Si le temps est
escamoté, le risque est important que les personnes...aient le sentiment
de s'être fait piéger... Le conflit a alors toutes les chances de
resurgir à plus ou moins long terme... » (61).
Bien souvent, le médiateur familial laissera le temps
à l'élaboration des accords écrits, permettant des
navettes et des moments de réflexion entre les entretiens, afin que
l'adhésion à l'écrit finalisé soit entière
et sans réserve. La plupart des médiateurs encouragent
positivement une relecture par les avocats des parties, chacune s'assurant
ainsi que ses intérêts restent préservés, que rien
d'illégal n'est inscrit dans les accords, ce temps permettant de tester
avec précaution une confiance neuve et fragile.
Carl et Isabelle, au 7ème entretien,
même s'ils sont encore blessés par leur séparation, ont
abandonné leurs griefs passés. Ils se sont rendus compte qu'ils
avaient surmonté leurs difficultés sur des accords mineurs, le
partage des biens, l'organisation provisoire des vacances... Ils ont
découvert ensemble leur capacité à prendre ensemble une
décision. Cela a favorisé la mise au point rapide et
acceptée d'accords écrits sur le point essentiel de l'accueil de
Mathieu.
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