Les accords de médiation, construction et devenir( Télécharger le fichier original )par Marie Caroline Despax DRASS Toulouse - DE médiateur familial 2009 |
B- Les acteurs concernés par l'écrit de médiationCette pensée qui émerge avec la parole en
médiation, qui se réalise dans le travail 26 Henri-Jean MARTIN ; Histoire et pouvoirs de l'écrit, Albin Michel 1996 27 Cf. Roger CHARTIER, cours au Collège de France. janvier 2008 28 Charles HIGOUNET, L'écriture, Que sais-je, 1955 29 Jacques GOODY, La raison graphique, domestication de la pensée sauvage - Editions de Minuit 1979 directement concernés : les médiés, le médiateur familial, les magistrats et avocats. Qu'attendent ils de ces accords ? 1- Les médiés a) Qui vient en médiation ? Les personnes qui viennent en médiation sont en situation de rupture du lien familial, et dans une crise qui empêche la communication entre eux. L'impossibilité d'établir un dialogue aggrave les désaccords qui les opposent. Chacun reste bloqué avec ses certitudes. L'autre n'est plus un sujet avec qui échanger mais cristallise le conflit. « Il m'a trahie, c'est un irresponsable », « j'ai tant souffert, je n'ai plus confiance ». D'après M.H. Belluci, les réactions face au conflit varient selon les personnes : « elles vont de l'évitement à l'affrontement, en passant par le déni, la fuite, la minimisation, la confrontation, la continuation. La manière de réagir au conflit permet de sortir de l'impasse ou, au contraire, accentue la rupture et aggrave le conflit. Les personnes qui viennent en médiation familiale sont le plus souvent dans une impasse et sollicitent l'intervention d'un médiateur familial dans la mesure où elles sont conscientes de leur impossibilité de sortir de cette situation ainsi que des difficultés dans lesquelles se retrouve leur entourage»30. Carl et Isabelle31 viennent en médiation, après avoir accepté la proposition du juge. Isabelle est institutrice, Carl professeur de philosophie. Isabelle est partie, après huit années d'union libre avec Carl. Ils ont un fils, Mathieu, 7 ans, qui vit chez sa mère, Carl l'accueillant un week-end sur deux et la moitié des vacances. C'est la demande de Carl d'une résidence alternée pour son fils qui a relancé une nouvelle procédure devant le Juge. Ils ne se sont pas vus depuis plusieurs mois. Ils sont pâles et tendus. Isabelle est tournée vers la médiatrice et ne s'adresse qu'à elle. Se retrouver est déjà en soi tout un programme
pour les personnes en conflit, qui ont 30 Marie-Hélène BELLUCI, DEMF - Vuibert 2008 31 Les noms, dates et lieux de cette médiation suivie en stage ont été modifiés pour en préserver la confidentialité de médiation. Pour parvenir à exprimer leurs demandes et leurs désaccords, les parties ont besoin de se sentir en sécurité et en confiance. Cet espace doit pouvoir accueillir le conflit, contenir la violence qui peut surgir. Jacqueline Morineau parle d'un « espace pour l'imaginaire, d'un réceptacle du désordre »32 ; rendre présentes la souffrance et la violence, c'est les réintégrer, leur donner leur place ; cela permet de passer à une nouvelle étape. Les médiés acceptent de donner du temps pour permettre à une nouvelle relation d'émerger de la confusion qui les habite. Elles vont mettre en marche un processus, pendant les séances, qui va se continuer dans le temps entre chaque séance. Chacun prendra la parole et donnera un temps d'écoute à la parole de l'autre. Ils vont être totalement acteurs dans la gestion de leur conflit et non pas s'en remettre à une entité extérieure qui tranchera à leur place. Comme la sociologue Maryvonne David-Jougneau le note, elles abandonnent le registre de la plainte pour celui de la responsabilité ... « Que l'on en soit conscient ou non, la logique de la médiation se situe dans une logique systémique d'interaction où chacun est amené à se reconnaître et à s'assumer comme co-acteur de son présent et de son avenir »33. Ils se mobilisent vers l'objectif concret de la construction d'accords qui va redéfinir la place de chaque parent au quotidien, dans la vie de son enfant, et leur permettre d'exercer, même dans la séparation, leurs responsabilités de parents. La responsabilité parentale se situe au niveau de l'autorité parentale telle que l'indique la loi du 4 mars 2002 : « L'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant ». Être responsable, c'est être garant de l'éducation des enfants et pour ce faire, prendre les décisions qui les concernent. S'en remettre à autrui pour assumer ces responsabilités ou pour décider de quelle façon elles seront partagées, c'est signifier une défaillance par rapport à ce qui était totalement assumé avant la séparation. Au premier entretien de médiation, Carl indique dès le départ cette nécessité d'avancer dans la réalisation d'accords avec Isabelle sur une nouvelle organisation pour reprendre le pouvoir sur sa vie avec Mathieu. Avec impatience, il est prêt à brûler des étapes du processus de médiation pour inscrire dès le début les points d'entente qui font avancer sa position. On entend cependant beaucoup de 32 Jacqueline MORINEAU, L'esprit de la médiation - Erès 1998 33 Maryvonne DAVID-JOUGNEAU, La communication familiale au moment de la rupture : de la logique de procédure à la logique de médiation - revue Dialogue n°143 1999 souffrances et d'interrogations autour de la séparation de Carl et d'Isabelle et de la vie commune qui l'a précédée. La médiatrice relève des épisodes confus, assez violents (« il m'a saisie par le cou », « elle m'a griffé le visage »), qui devront être éclaircis : « sommes-nous bien dans le cadre de la médiation ? ». Plus tard dans l'entretien, quand est évoquée la question des biens, les parents disent que oui, c'est là aussi une question importante qui devra être abordée. b) Besoins psychologiques par rapport aux accords écrits Verba volant, scripta manent - L'écrit qui intervient en fin de médiation est une représentation de la parole, et aussi une parole engagée et une promesse donnée à quelqu'un. « Il est, par une trace laissée sur un papier, un supplément aux propos et à la parole donnée. Ces accords témoignent de nouveaux objets communs: nouvelles règles, nouvelles distances, nouveaux territoires »(Claire Denis)34. Les accords sont signés par chacun. Au plan psychologique (Freud) : « signer, c'est donner ». Nous avons rappelé que l'usage de l'écriture a, dans notre histoire occidentale, une relation avec le pouvoir. Dans la médiation, cet écrit qui va appartenir aux personnes est le signe du nouvel échange et d'une reprise de pouvoir sur leur vie, une réappropriation des décisions qui les concernent. Les accords peuvent même prendre une « dimension d'archive familiale quand ils prennent en compte les mots des parents, véhicule de l'identité familiale »...35 - L'écrit est un puissant facteur de mobilisation. L'occasion de produire un écrit, qui place les personnes en situation de producteurs, est propice pour éclaircir et traduire les spécificités des échanges : volonté de voir reconnaître ses propres demandes, nécessité de prendre en compte ce que dit l'autre. Écrire peut permettre de favoriser l'accélération des prises de conscience sur les options choisies et rédigées. Dans l'inventaire des biens à partager, Carl et
Isabelle, avant d'en venir à la 34 Claire DENIS, La médiatrice et le conflit dans la famille - Eres 2001 35 Catherine LE SAMEDI, Lecture d'archive, reflet des identités, le projet d'entente de médiation familiale - Mémoire de recherche DHEPS Paris III, 1997 l'expérience de l'entente. Les points d'accord sur la répartition des biens sont écrits au fur et à mesure qu'ils sont trouvés. J'ai perçu l'intensité active et parfois le plaisir des participants à élaborer ces écrits, à les repréciser par des détails pour eux essentiels. Dans leur crainte de déraper plus tard sur quelque chose qu'ils auraient oublié, le moindre objet : tapis de bain, CD de Charles Aznavour, banc de jardin, est attribué à l'un, à l'autre. Ce premier accord est un pas qui met à l'épreuve un début de confiance nouvelle. Dans les accords finaux, Carl et Isabelle qui auront beaucoup cheminé, se détacheront des détails pour se mettre d'accord sur les modalités principales de l'exercice en commun de l'autorité parentale. - L'écrit peut permettre de concrétiser la réalité de la rupture, de se désengager du conflit de couple et de reprendre un nouveau projet de vie. Formalisant les différentes « pertes », il initie l'acceptation par la responsabilisation. Écrire, c'est couper, nous dit l'étymologie. La psychanalyse évoque en quoi l'écriture renverrait à la perte et à la mort. Quand on écrit, quand on synthétise un point d'accord, comment prend-on note ? Qu' est-ce qu'on garde, qu'est-ce qu'on laisse tomber ? « A moins que l'écrit ait pour effet de mettre à distance les cris, lesquels résonnent habituellement à la maison », interrogent les lacaniens36. La fonction cathartique37 de l'écrit est connue. L'expérience en stage confirme le pouvoir libérateur de l'écrit. Une fois posés, les acquis ne sont pas souvent remis en question. On attend et on travaille beaucoup avant d'écrire ; on revient peu en arrière ensuite. - L'écrit étaye les avancées en médiation, permet la structuration progressive des avancées, des acquis. L'expérience des médiateurs montre que les parents peuvent affronter la complexité de la transcription de leurs accords, pour autant qu'on les accompagne. Les situations de recherche stimulent l'implication. La construction de repères de plus en plus élaborés et le souci permanent de clarté, de durabilité de ces accords instrumentent un rapport conquérant face à l'écrit. « L'écrit est bien la 36 C. GHISTELINCK, Considérations sur un usage de l'écrit - Site freud-lacan.com -Internet 1992 37 Etym. Du grec ancien katharsis : évacuation du katharma, du mal. Interprétation classique : purgation des passions- Wikipedia 2009 marque du pouvoir que possède l'homme de s'inscrire dans le monde et dans sa réalité » (Liliane Abensour38). 2- Le médiateur familial: « Etre extérieure à votre histoire me permet d'avoir une écoute différente de la vôtre ; je ne suis pas dans votre relation mais dans ce qui se passe ici, dans le cadre de la médiation. » (Jocelyne Dahan, médiatrice familiale, propos relevés en stage) Pour mieux comprendre la spécificité de cet écrit que sont les accords de médiation, on doit étudier de plus près ce tiers médiateur qui rend possible cette co-construction de deux personnes qui ne pouvaient s'entendre, et chercher quelle est son éthique. a) La posture de tiers du médiateur La présence d'un tiers fonde le processus de médiation (Jacques Faget39). Le médiateur, garant du cadre, a une place différente des parents médiés : il est à distance de leur conflit et de la situation. Sa place est particulière, extérieure au conflit. Il assure aux personnes la possibilité d'agir à la fois librement et en sécurité. Il marque la confiance faite à leurs capacités de comprendre et de poursuivre, hors sa présence, le nouveau cadre de leurs échanges. La position de tiers du médiateur est un ensemble complexe qui se définit par la gestion du processus de médiation, la maîtrise du cadre de la médiation et par une attitude d'écoute et d'empathie par laquelle il permet aux personnes de rétablir un dialogue. Ce n'est « pas un tiers « surplombant », mais il n'est pas non plus dans une place substituable40 ». Pendant les premiers entretiens de médiation, Carl et Isabelle « s'accrochent » à la médiatrice pour s'exprimer. Ne pouvant se parler directement, voire même regarder l'autre pour Isabelle, ils utilisent la médiatrice qui s'y prête activement, pour se dire ce qu'ils n'avaient pas pu se dire depuis longtemps. Ils se rendent compte avec surprise de malentendus accumulés. La médiatrice se dit « décodeur » et 38 Liliane ABENSOUR, L'écriture du moi - In Artéfact n°9 1997 39 Jacques FAGET, Médiation et post-modernité, conférence à l'Institut Saint-Simon, Toulouse, 7 février 2008 40 Commission éthique de l'APMF : Laurence CORNU, Claire DENIS, Françoise NERISSON, Emile RICARD Livret : Pratique éthique de la médiation familiale, 2003 reformule de l'un à l'autre pour s'assurer que les propos exprimés sont bien entendus par l'autre, mais aussi pensés par celui qui les dits. Quand l'émotion est trop forte (Carl pleure souvent vers la fin des entretiens qui sont intenses), la médiatrice décale l'entretien vers un sujet plus consensuel amené par les parties, qui permet une respiration. Le médiateur rend présent le cadre. Il est à distance à la fois de l'objet de la discussion et de la solution. Il garde cette juste distance en se situant comme un passeur, accompagnant le changement d'un état à un autre. Il fait en sorte que la parole circule, à partir des éléments que les personnes apportent en médiation. Il travaille avec elles à la construction d'accords, qui sont posés pas à pas tout au long du processus. Cette recherche d'accords est évoquée par Justin Lévesque : « Que recherche [le médiateur] ? Un projet d'entente préférablement écrit ou une transformation des individus par le biais d'une influence thérapeutique ? Les deux ? Le médiateur doit répondre à cette question pour lui-même. Ses interventions seront teintées par sa vision de la médiation. Nous ne suggérons pas que le médiateur devienne obsédé par l'obtention d'une entente et que celle-ci devienne son unique préoccupation. Néanmoins, il est clair que le couple se présente en médiation pour en arriver d'abord à un accord sur des points litigieux et pour cette raison, il importe de travailler à la recherche d'une solution »41. La posture de tiers du médiateur s'entend comme une position d'autorité et non de pouvoir envers les médiés. Ceux-ci ont tendance à accorder d'emblée au médiateur le savoir. « Que doit-on faire ?» ; « Vous allez nous dire comment.. ». C'est l'éthique de la médiation et les principes déontologiques du médiateur qui le soutiennent dans sa mission : être dans le non-pouvoir, et y rester. « La notion de restitution du pouvoir aux acteurs eux-mêmes est l'axe central sur lequel reposent les fondements de la médiation. Le médiateur se définissant essentiellement par son rôle de facilitateur de la reprise de communication face à une situation de conflit, pour aider à la recherche de solutions concrètes acceptables pour chacun. 42» Le Conseil National Consultatif souligne en 2004 cette spécificité du médiateur familial : « dans cette posture, il n'est plus question de « prendre la famille en charge ». Le Médiateur Familial n'est pas un acteur social, comme on peut l'entendre ». 41 Op.cit. note n°3 42 Jocelyne DAHAN, Mireille ALBERHNE-GAIRAUD, Madeleine LEFEBVRE, Introduction au dossier : médiation familiale et lien social - revue Empan n°72 février 2009 Les caractéristiques du médiateur familial qui le différencient des autres professionnels procèdent d'un positionnement particulier qui s'appuie sur des principes déontologiques propres. b) Principes déontologiques du médiateur familial : les règles de l'art Tout praticien de la médiation familiale est tenu de respecter le présent Code de déontologie, ainsi que les règles de l'art et tous textes en vigueur (APMF, Code de déontologie de la Médiation Familiale, 1998) Le médiateur familial applique des principes éthiques et déontologiques, tels qu'ils ont été élaborés par le CNCMF. Cette base de travail a permis à l'APMF43 la réalisation d'un code de déontologie auxquels peuvent se référer les médiateurs familiaux. Ces principes protègent les personnes, médiateur et médiés, et instaurent une relation de confiance indispensable au travail en médiation. C'est cette confiance qui est la base de la durabilité des futurs accords. - Le principe de confidentialité Comme indiqué précédemment, le médiateur veille à ce qu'aucun élément concernant le contenu de la médiation ne sorte et ne soit utilisé hors de cet espace et en particulier ne figure dans les courriers communiqués au juge. La loi précise simplement que le médiateur « informe le juge de ce que les parties sont ou non parvenues à trouver une solution au conflit qui les oppose » (Loi n°95125 du 2 février 1995). Le nouveau code de procédure civile complète : « les constatations du médiateur et les déclarations qu'il recueille ne peuvent être ni produites, ni invoquées dans la suite de la procédure sans l'accord des parties, ni en tout état de cause dans le cadre d'une autre instance ». (Art.131-14 du NCPC) La limite de la confidentialité, qui est annoncée en préambule de la médiation, et les conditions de sa levée, sont encadrées par la loi : lorsqu'il y a atteinte à l'intégrité ou mise en danger de mineurs. Enfin, le médiateur familial ne peut être cité comme témoin44. 43 L'APMF (créée en 1988) et la FENAMEF (créée en 1991) sont les instances nationales représentatives de la médiation familiale 44 Excepté à être relevé de la confidentialité par un magistrat, ce qui ne s'est jamais vu à ce jour. - Le principe d'impartialité 1' Ne-uter Le médiateur familial doit s'attacher à ne pas prendre parti pour l'un ou l'autre. On peut ainsi le dire impartial, « neutre » au sens étymologique du terme : « Ne-Uter » (ni l'un ni l'autre). Il laisse les personnes décider des points qui seront abordés pendant la médiation familiale. Il doit leur permettre de s'exprimer en mettant de côté ses propres convictions concernant ces points et éviter absolument de devenir le porte-parole de l'une d'elle. Le recul du médiateur par rapport au contenu du conflit permet aux personnes de se sentir en sécurité et de s'adresser à l'autre et non pas au tiers. Ce principe d'impartialité a une dimension d'équilibre à garantir entre les médiés : Carl, professeur de philosophie, parle beaucoup et part souvent dans des dérives intellectuelles très éloignées de la réalité. Il a une élocution compliquée, des réactions inattendues. Isabelle est plus silencieuse, sceptique, hostile. La médiatrice équilibre la parole ; elle crée du vide où Isabelle peut exprimer ses inquiétudes ; et sur des petites actions concrètes (téléphoner à son enfant à une heure précise et pendant une durée limitée définies ensemble), elle offre la possibilité à Carl de montrer sa capacité à prendre et à respecter des décisions. 1' La compétence du médiateur Le médiateur pratique l'impartialité envers les idéologies et les morales. Ce n'est pas une indifférence mais une distanciation. Cette exigence est directement liée à l'exigence de connaissance de soi. Le médiateur, dont la compétence est validée par un diplôme d'État, effectue tout au long de sa pratique professionnelle des analyses de pratique, supervisions, formations complémentaires. - Le principe d'indépendance Le médiateur ne rend pas compte. Il n'a pas à répondre à des objectifs fixés par une autorité extérieure concernant des résultats attendus. Il n'est pas agent exécuteur d'une institution. Même s'il est dans un lien de subordination dans le cadre de son travail, il va s'efforcer d'être autonome et va respecter les règles confidentielles de la médiation. Par ailleurs, le médiateur s'interdit d'intervenir dans des médiations impliquant ses propres relations et d'exercer, avec les mêmes personnes, des fonctions autres que celle de médiateur. Selon la commission éthique de l'APMF45, poser les principes déontologiques du médiateur familial, c'est poser les exigences de l'éthique de la médiation : se démarquer d'une utilisation instrumentale et normalisatrice, et promouvoir une médiation qui soutienne véritablement la responsabilité créative des acteurs. La pratique du médiateur n'est pas solitaire. Elle s'inscrit dans un maillage de professionnels qui travaillent autour des situations de ruptures et de séparations familiales. De la même façon que certains professionnels (assistantes sociales, notaires, psychologues..), pourront orienter des personnes vers la médiation, les médiateurs familiaux évaluent les situations qui se présentent à eux et réorientent éventuellement les personnes vers un professionnel dont la compétence est plus adaptée à leur cas. Exemples : vers un conseiller conjugal ou un thérapeute de couple si n'est pas établie l'intention d'une séparation définitive ; vers un notaire pour des questions pointues de fiscalité ou d'emprunts hypothécaires... Au cours du troisième entretien de médiation, Carl et Isabelle apparaissent très éprouvés par leurs rencontres en séances, par l'évocation de choses passées pesantes, difficiles. La médiatrice interroge : « Pensez-vous l'un et l'autre que dans l'état de souffrance que vous montrez aujourd'hui, vous pourriez avoir besoin d'une aide extérieure, celle d'un professionnel de la relation d'aide ? Cela n'est pas possible dans le cadre de la médiation ». Elle ajoute : « Pouvez-vous me dire de quoi vous avez besoin ? Peut-être est-ce trop tôt pour ce face à face, peut être est-ce préférable de laisser le juge trancher, de vous permettre d'avoir chacun un espace séparé, de prendre le temps avec un soutien de professionnel, et peut être de revenir plus tard en médiation. Il faut vérifier que ce travail ne rende pas plus insupportables vos blessures ». Carl et Isabelle se donnent le temps de la réflexion et décident de continuer la médiation. Dans des situations délicates de dépression, de fragilité extrême, le médiateur peut être ainsi amené à proposer aux personnes de voir un spécialiste. C'est à elles ensuite de faire, ou pas, cette démarche. D'autres professionnels sont plus que des partenaires, ce sont véritablement des acteurs de la médiation : 45 Cf. note n°40 3-Les autres acteurs de la médiation: juges et avocats La médiation familiale n'est ni la panacée, ni la recette idéale, ni la solution à tous les conflits. Mais, l'essayer, c'est l'adopter. (Marc Juston, Président du Tribunal de Grande Instance de Tarascon ) Dans les médiations ordonnées par le juge aux affaires Familiales, le médiateur travaille en lien avec des magistrats et des avocats. Ce lien n'a pas trait au contenu de la médiation mais aux relations nécessaires pour mener à bien la mission : envoi de l'ordonnance, courrier d'acceptation de la mission par le médiateur, information de celui-ci au juge si la médiation a été interrompue (sans indiquer du fait de qui), envoi des parties vers leurs avocats pour vérification de la légalité des accords,demandes éventuelles de prolongation des délais, homologation des accords par le juge, permettant à l'accord que les parents ont élaboré en médiation de devenir un acte ayant une portée légale et sociale. L'acte d'écriture est donc aussi, pour la médiation, la passerelle vers l'extérieur, le point de retour où les parents vont transporter leur écrit vers le juge, via l'avocat parfois, pour que cet accord soit homologué, rendu loi. Dans l'antiquité, le texte était le moyen magique qui empêchait de revenir sur l'accord et le proclamait de la façon la plus solennelle possible. Le support des actes de vente était la pierre, matériau choisi pour garder le plus longtemps possible souvenir de l'évènement. Enfin, ce texte était souvent déposé dans un temple. Aujourd'hui, le contentieux familial concerne 59 % du contentieux civil.46 Conscients du fait qu'une décision judiciaire n'est pas toujours le meilleur moyen pour résoudre un conflit, beaucoup de juges et d'avocats dirigent les familles vers des services de médiation qui les aident à établir les modalités de leur séparation. Les magistrats, qui tranchent, indiquent systématiquement dans leurs jugements : « sauf meilleur accord », incitant les parents à trouver eux-mêmes leur propre organisation familiale post-séparation. Les magistrats ont repéré que celui qui est "condamné" et qui "perd" son procès est parfois animé d'un esprit de revanche. Le procès met de l'huile sur le feu : les points de dissension sont rappelés, des incidents insignifiants prennent des proportions démesurées et tout ce qui pouvait être positif s'efface en peu de temps. « Les avocats font parler les pièces remises par leurs 46 Annuaire statistique de la Justice, 2005 clients. Les sentiments de dévalorisation, d'injustice et de mauvaise foi se développent. A l'attaque de l'un succède la contre-attaque de l'autre qui agit "en défense". Chacun répercute le poids de souffrance qu'il reçoit sur son entourage »47. Les magistrats ont en vue un plus grand bien des enfants, la médiation étant reconnue par les pouvoirs publics et la justice comme un moyen de protection de l'enfance (rapport ONED 200748). Certains font le constat des potentialités de la médiation par rapport à l'intervention judiciaire. Ils la présentent comme « le lieu d'un « agir communicationnel » qui se révèle plus pacificateur et réparateur pour les plaignants, plus responsabilisant pour les mis en cause » (Bonafé-Schmitt49). Un Juge aux affaires familiales écrit pour recommander la médiation : « pensez aux échecs scolaires, à l'agressivité, la violence ou la consommation de stups des enfants déchirés par le conflit de leurs parents ». Magistrate et médiatrice familiale militante, Danièle GANANCIA insiste: « dire qu'en incitant fortement à la médiation, on porte atteinte à la liberté des personnes est un faux problème : quand on oblige les gens à porter des ceintures de sécurité, c'est pour protéger des vies »50. L'Observatoire de l'Action Sociale Décentralisée (ODAS) a rendu le 19 Décembre 2006 un rapport sur la question de la maltraitance et de l'enfance en danger dont s'occupent les juges pour enfants. Il y est dit notamment que les conflits de couples et les séparations constituent une problématique très importante; « Le nombre des enfants victimes des conflits de couple et de séparation soulève une piste de travail à développer dans les départements, celle de la nécessaire articulation avec les Juges aux Affaires Familiales, avec en corollaire la question du développement de la Médiation Familiale". Guy Canivet, Premier Président de la Cour de cassation (2004) parle à propos du travail avec la médiation familiale, d'une conception moderne de la Justice qui ménage les relations futures entre les parties et préserve ainsi le tissu social 51. 47 Béatrice BLOHORN- BRENNEUR, Président de Chambre à la Cour d'Appel de Grenoble , Conférence RC Grenoble-Belledonne octobre 2007 48 ONED : Observatoire National de l'Enfance en Danger, Rapport à Xavier Bertrand, Ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, 2007 49 J.P. BONAFE-SCHMITT, La médiation pénale en France et aux États-unis - LGDJ, 1998 50 Danièle GANANCIA citée par Marc JUSTON, Colloque du GEMME - décembre 2005 51 Guy CANIVET, cité dans : Vademecum du Juge aux affaires Familiales, Danièle GANANCIA - publication du GEMME, mai 2005 Pour les magistrats, deux objectifs essentiels à la médiation : ~ La réduction des retours après divorce ou séparation devant le Juge aux affaires familiales : En effet, près de 3 prononcés de divorce sur 5 reviennent dans les deux années devant le JAF pour une demande contentieuse de modification, les retours hors mariages sont tout aussi importants et contrairement au but poursuivi dans son établissement, le divorce par consentement mutuel est générateur d'un abondant contentieux après divorce52. « Les parties, par la médiation ont appris ou réappris à dialoguer, à se respecter, à penser à l'intérêt de leurs enfants, et sont en capacité de faire évoluer leurs accords sans forcément faire appel au JAF. Dans notre ressort, nous avons pu constater ainsi, grâce à mon avis à une forte application de la Médiation Familiale, une baisse très sensible des procédures d'après divorce ou d'après enfants naturels » (Marc Juston, juge aux affaires familiales de Tarascon, correspondance par mail sur le sujet de ce mémoire). ~ La défense des intérêts de l'enfant (avec en particulier le fait que cette mesure permet de tester la capacité des parents à s'entendre et à coopérer et donc la viabilité d'une résidence alternée). C'est, selon Marc Juston, « Le but principal de la médiation familiale : Amener les parents à bien séparer le conjugal du parental, tenter de s'expliquer pour reconnaître l'autre en tant qu'individu et en tant que parent, se respecter mutuellement, et réfléchir ensemble aux meilleures solutions à prendre dans leur intérêt et celui des enfants. A partir du moment où les parties dialoguent, se respectent, même si elles n'ont pas trouvé de solutions parfaite : par la médiation, « un grand pas est fait pour trouver des solutions satisfaisantes pour tous, ou à tout le moins, pour que les décisions prises par le JAF soient mieux respectées, mieux acceptées et mieux vécues, et ce dans l'intérêt des enfants et des parents...Le dialogue et la 52 Procès-verbal de séance du Sénat « Le divorce par consentement mutuel représente 60% des cas de divorce. Les époux optent pour cette formule rapide et peu onéreuse mais elle les oblige à des compromissions notamment en matière de garde d'enfants, que l'un des deux finit par regretter. Dans plus d'un cas sur deux, les époux reviennent ultérieurement devant le juge pour régler des litiges non résolus ou étouffés pendant l'instance ». MC. DESPAX Mémoire DEMF Les accords de médiation, construction et devenir communication sont les bases d'une séparation réussie et d'accords durables. 53» Il conclut : « La Médiation familiale permet pour le JAF, l'avocat et le notaire de recentrer le débat autour de la question principale que doivent se poser tous les acteurs judiciaires dans le cadre d'une séparation conflictuelle : L'intérêt de l'enfant, l'intérêt supérieur de l'enfant qui est le fil rouge des droits de l'enfant. ». Des magistrats, persuadés de ces bénéfices de la médiation en matière familiale, mettent en place des dispositifs pour favoriser son développement ; Alain Girod, alors Président du TGI de Carcassonne, a par exemple instauré la pratique d'une lettre d'information jointe à toutes les convocations devant le JAF, incitant les parties à se rendre devant un médiateur avant la date de comparution devant le juge (A. Girod est aujourd'hui Président du TGI de Castres où il met en place des dispositions favorables à la médiation : permanences, sélection de dossiers « difficiles » avec entretien d'information sur la médiation familiale obligatoire avant de passer devant le juge54). Entre l'ordonnance du juge et l'homologation éventuelle d'accords par ce même juge, s'inscrit le chemin de la médiation que vont suivre les médiés accompagnés du médiateur familial. On nomme ce chemin « processus de médiation ». |
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