2- approche du concept d'accords de médiation
a cors = avec le coeur (« Accords »
étymologie latine Encycl.Larousse)
a) Que sont-ils?
En médiation familiale, les accords écrits sont
le document qui peut être établi en fin de médiation, qui
reprend les points d'accord trouvés par les parties tout au long des
séances. Certains médiateurs élaborent des accords
intermédiaires pour jalonner le chemin vers l'accord final et redonner
confiance aux personnes quant à leur capacité à sortir de
cette impasse, dans une période de transition où chacun a perdu
ses repères.
Il est difficile de définir précisément
ce que sont les accords de médiation, il s'agira davantage de cerner ce
concept. Une première observation permet de souligner la
diversité des noms que les acteurs de la société donnent
à ces accords écrits: accords de médiation, protocole
d'accord, projet d'entente, écrit final en médiation, sommaire
des ententes, nouveau règlement familial, rapport de médiation,
et même procès-verbal de médiation...
Ce foisonnement sémantique vient comme en écho
d'une incertitude autour de l'identité de la médiation familiale,
qui, toujours pionnière et encore assez mal connue, n'a pas ses
caractéristiques gravées dans le marbre. Au delà, ce
pourrait être un des signes positifs d'une pratique adaptable, non
institutionnelle, où une large place est laissée à la
créativité.22
Cependant, il semble qu'aujourd'hui un consensus se dégage
autour de l'utilisation de la terminologie « accords de médiation
», formule qui sera employée ici.
Les accords de médiation présentent des
spécificités importantes qui les différencient clairement
des autres formes d'écrits dits « professionnels ».
i Les accords de médiation peuvent être
écrits ou verbaux
L'absence d'exigence quant à la forme des accords met en
évidence la grande
22 La médiation souffre d'une identité floue due
à la trop large utilisation de ce terme de « médiation
» par ceux qui ont voulu bénéficier de son image flatteuse
mais c'est un concept rigoureux qui répond à des règles
précises. Cette thèse est développée par M.
GUILLAUME-HOFNUNG dans son article : Le concept de médiation et
l'urgence théorique- Les cahiers du Cremoc 2001
souplesse de la médiation. Un accord verbal est
parfaitement concevable. Néanmoins, si les accords écrits ne sont
que facultatifs, ils restent malgré tout opportuns et parfois
nécessaires, plus pour des raisons pratiques que des raisons de
validité. «Afin que les accords élaborés
grâce au travail de médiation familiale puissent se maintenir dans
le temps, il convient à un moment donné de les formaliser, de les
écrire » (M.Cevaer-Jourdain)23 .
Pour P. Bonnoure-Aufière, avocate et médiatrice
familiale, l'écrit en médiation familiale est « une
forme valorisant le processus »24 Dans la médiation
judiciaire, l'écrit apparaît indispensable, le magistrat
contrôlant l'accord afin d'en vérifier la légalité
et s'assurant que les intérêts des parties ont bien
été préservés.
i La liberté de forme et de contenu
Une extrême liberté préside à la
rédaction des accords, ce qui ne diminue en rien leur valeur.
Les formes de ces accords sont multiples :
rédigés par le médiateur ou directement par les parents,
dans un style qui peut être administratif voire juridique ou bien au
contraire avec des mots simples, dans une langue concrète et
personnelle.
Les contenus sont également variés : ce sont les
personnes qui viennent en médiation qui décideront ensemble du
contenu de leurs accords. Ceux-ci pourront donc être partiels ou
très complets, laconiques ou extrêmement détaillés.
Pourront y être évoqués les modalités de l'exercice
de l'autorité parentale, la répartition des biens, les pensions
alimentaires, la résidence des enfants, ou tout autre sujet
traité pendant la médiation et jugé nécessaire par
les parties, ce qui sera développé plus loin.
i Les accords appartiennent aux personnes
Les personnes disposent à leur gré des accords
qu'elles et elles seules ont signés (dans le paragraphe consacré
à la valeur juridique des écrits de médiation, nous
reviendrons sur l'importance de la signature). Selon l'article 131-12 du NCPC :
« le juge homologue, à la demande des parties, l'accord
qu'elles lui soumettent. » L'homologation est facultative puisqu'elle
est soumise à la volonté des parties.
23 Marguerite CEVAER-JOURDAIN, La médiation familiale -
thèse doctorat en droit 2000
24 Pierrette BONNOURE AUFIERE, Médiation Familiale,
regards croisés et perspectives, Eres, 1997
L'accord est homologué par le juge selon les principes de
la matière gracieuse. Parallèlement, le médiateur familial
préserve la confidentialité du contenu des accords de
médiation: à aucun moment, il n'en divulgue des
éléments au magistrat. Il lui appartient d'indiquer simplement si
sa mission a été possible et si des accords ont pu être
conclus. Par exemple, si une médiation est interrompue par une des
parties, le juge ne saura pas qui est à l'initiative de l'arrêt de
la médiation.
b) Les écrits : décor historique et sociologique
Seules les traces font rêver (René Char)
En concentrant la recherche sur les accords de
médiation sous leur forme écrite, le champ de prospection touche
à cette fonction symbolique majeure évoquée en
avant-propos : l'écriture.
Avant de venir à la place des accords écrits de
médiation dans le processus, il convient de s'arrêter un peu sur
certains aspects historiques et sociologiques de l'émergence de
l'écrit dans notre société : ils éclairent sur les
enjeux liés à l'écrit au moment de la rédaction des
accords de médiation et sur l'importance que leur accordent les parents,
ce qui sera vérifié lors de l'enquête.
D'où vient ce mot d' « écrit »?
Au commencement est l'étymologie. L'étymologie
du mot « écrit » nous apprend que ce mot vient d'une racine
indo-européenne sker ou ker exprimant l'idée de couper et que
l'on retrouve en sanscrit sous la forme de krnati, blesser et krit : couteau.
Il existe une forme élargie : « squeribh »: inciser,
regroupant à la fois l'idée de scarifier et celle d'écrire
25.
Cette origine étymologique renvoie à la
matérialité originelle de la plupart des écritures,
gravées sur la pierre ou incisées. Elle peut ramener
symboliquement à une problématique de la coupure, de la
séparation. L'écrit est codifié, construit de telle
manière que les hommes aient un patrimoine commun qui leur permette de
communiquer, de se comprendre. Alors qu'il est souvent produit par rapport
à la différence, à l'écart, au manque.
Dans l'histoire humaine, l'écrit servit très
tôt à garder mémoire des dettes et des obligations que
les hommes contractaient entre eux. Pour ne pas oublier, l'homme
25 Cf. Joël HAMM, blog le Monde.fr - Internet 2008
primitif avait recours à d'ingénieux agencements
d'objets symboliques ou à des signes matériels, noeuds,
entailles, dessins. Les écrits furent ensuite de plus en plus
utilisés dans les types de commerce pratiqués dans la
Grèce classique, les négociants grecs devenant des maîtres
en fait de contrat écrit.
A partir du IVème siècle, l'écrit
commence à s'imposer réellement dans la vie juridique, se
généralise au delà des secteurs du commerce et du droit
maritime et caractérise notre civilisation occidentale toute
entière.
Au fil de l'histoire humaine, il apparaît rapidement
comme un instrument de pouvoir aux mains de certaines catégories
spécialisées, « du scribe égyptien au
secrétaire de chancellerie humaniste du XVème siècle et du
conseiller au parlement d'Ancien Régime à l'énarque de
notre temps 26». Il devient dès lors une puissance
crainte et désirée que les autorités de tous temps
cherchent à contrôler. S'il est parfois une limite posée
aux pouvoirs, il en est toujours l'instrument27.
Au delà de reproduire le langage, l'écrit permet
aussi et surtout d'appréhender la pensée et de lui faire
traverser l'espace et le temps ; selon Charles Higounet, loin d'être
seulement un instrument, elle ne garde pas seulement la parole, elle
réalise en outre la pensée ; c'est le fait social qui est la base
même de notre civilisation28. Pour
L. Febvre, c'est un nouveau langage « centuplé
».
Jacques Goody a développé cette thèse.
L'écriture n'est pas le simple enregistrement de la parole : elle
modifie en profondeur la pensée humaine, et jusqu'à la parole
parlée en y introduisant des cadres nouveaux : « La
représentation graphique de la parole est un outil, un amplificateur, un
auxiliaire d'une extrême importance qui transforme la
représentation du monde. L'écriture arrache la parole à
son contexte immédiat, enferme les mots dans de nouveaux cadres
abstraits, où ils seront manipulables, analysables et recomposables
à l'infini ; comme instrument critique et accumulatif, elle est le
fondement de tous les développements majeurs dans les domaines ...
d'accomplissement humain »29.
|