Conclusion : Au delà des accord
écrits...
1- Rappel de la démarche
La recherche de ce mémoire a été
initiée par un questionnement sur l'observation faite en stage que les
parents, parvenus en fin de médiation à la rédaction
d'accords, pensent que ces accords vont durer dans le temps.
Je me suis donc interrogée à la fois sur ce qui
conditionne cette croyance et également à sa
réalité : la rédactions d'accords écrits est-elle
effectivement un gage de durée de ces accords ? J'ai émis
l'hypothèse que c'était le cadre contenant de la médiation
et la posture de tiers du médiateur familial qui permettaient aux
accords rédigés par les parents d'être respectés
dans le temps.
Pour les raisons exposées dans ce mémoire, j'ai
concentré ma recherche sur des parents engagés dans des
médiations ordonnées par les Juges aux Affaires Familiales.
Les moyens mis en oeuvre pour évaluer la
durabilité des accords et ses conditions ont été :
· L'observation participante, qui a permis
d'appréhender le travail du médiateur
· L'enquête dans un tribunal de Grande Instance pour
la mesure des retours contentieux après divorce ou séparation
· Le questionnaire à des parents
médiés afin de les entendre sur les suites de leur
médiation ponctuée par des accords écrits.
La recherche, dans les limites exprimées, a
validé l'hypothèse selon laquelle, avec l'étayage du
médiateur familial, la rédaction d'accords écrits est un
gage de durée de ces accords dans le temps :
> Près de 2 ans après un jugement
d'homologation de leurs accords, seulement 2 personnes sur 15 dossiers (sur 30
personnes) reviennent en demande contentieuse devant le Juge aux affaires
Familiales (enquête chambre de la famille).
> Sur 12 personnes ayant conclu des accords écrits
au terme d'une médiation, 8 à 9 personnes ont répondu que
l'accord écrit reflétait leurs choix en médiation, que
leur accord était encore valable aujourd'hui, qu'ils avaient pu
régler avec l'autre parent les nouveaux
aménagements nécessaires, qu'ils n'étaient pas
retournés devant le juge (questionnaire).
Pour les acteurs de la médiation, les accords
écrits semblent donc utiles et favorisent l'application des
décisions que les parents ont prises ensemble.
L'accord de médiation peut être donc un outil
efficace qui se place au service des personnes quand il est le reflet du
processus et qu'elles y ont pleinement adhéré.
2- Nouveaux apports
Ma recherche m'a permis d'élargir aujourd'hui mon
propos:
En effet, dans l'enquête à la chambre de la famille
de Toulouse, une première exploration sur informatique amenait les
résultats suivants :
Jugements rendus sur 99 dossiers terminés envoyés
en médiation en 2006 : . accords homologués : 15
. fait droit au demandeur : 27
. fait droit à une partie des demandes : 29
. débouté et autres : 18
Perplexe en découvrant seulement 15 accords
homologués sur 99 envois en médiation, j'ai investigué
dans les dossiers des archives du tribunal pour tenter de découvrir la
réalité des autres jugements.
J'ai eu accès à une trentaine de dossiers que j'ai
pu étudier et pour lesquels :
. La médiation n'a pas pu être mise en place =>
5
. Confusion avec envois en visites médiatisées
=> 2
. Médiation interrompue et le juge a dû trancher
=> 1081
. Médiations ayant abouti à des accords repris par
le juge => 13
Dont : accords homologués et joints au jugement : 6
Accords partiels homologués annexés au jugement :
3
Accords oraux des parents repris dans le jugement par le
magistrat : 4
Si l'on exclut les envois en médiations à la
suite desquels il n'y a même pas eu un premier entretien (car un des
parent ou les deux ont refusé de se rendre en
81 Sur ces dix médiations, le dossier fait état de
2 enquêtes sociales parallèles + 1 situation de violences
conjugales + 1 dépression : contre-indications formelles à la
médiation.
médiation) et l'envoi en visites
médiatisées qui n'est pas un envoi en médiation, on
constate que pour 23 envois en médiation :
· 10 ont « échoué 82»
puisque le juge a dû trancher sur tous les aspects de leur litige.
· 13 ont « réussi »puisque des accords,
même partiels, pris entre les parents, ont été pris en
compte par le juge.
Recherche dans dossiers papier archivés (hors
dossiers accords homologués) - Total 30 dossiers
confusion avec vistes médiation n'a pas pu juge a
tranché juge a pris en compte les
médiatisées démarrer accords
Sur 30 dossiers, on constate donc qu'une majorité de
dossiers qui indiquaient dans la première étape de la recherche
« fait droit au demandeur » ou « fait droit à une partie
des demande» sont en réalité des accords retenus par le
juge.
En extrapolant prudemment, on peut conclure que près
de la moitié des dossiers envoyés en médiation, qui ne se
sont pas conclus dans le jugement par la mention « accords
homologués », représentent une réalité
d'accords soit complets, soit partiels, soit oraux et repris par le magistrat
dans son jugement.
Cela vient confirmer l'intuition de magistrats
rencontrés en entretiens qui pensent que la médiation
amène les parents à se responsabiliser et à prendre
ensemble, au moins en partie, les décisions qui les concernent.
Selon les magistrats rencontrés, le décalage
remarqué entre les 15 accords homologués et la
réalité d'une majorité d'accords dans les dossiers
s'explique par le
82 Les termes d'« échec » et de «
réussite » de la médiation que j'ai repris ici sont ceux
utilisés par un magistrat de la chambre de la famille de Toulouse
rencontré en entretien
fait que l'accord, pour pouvoir être homologué,
doit être écrit et complet, respecter la légalité et
l'équilibre des parties.
Les juges n'homologuent pas les accords incomplets ou oraux
qui leur font « perdre beaucoup de temps » puisqu'ils doivent revoir
avec les parties tous les aspects de la séparation point par point. (Un
juge aux affaires familiales me dit en entretien : »Je ne peux pas
homologuer des accords incomplets et qui ne reprennent pas très
précisément les modalités d'accueil des enfants ou le
montant exact de la pension. Je suis en demande d'accords aboutis. D'ailleurs,
quand des parents qui ont besoin de changer quelque chose se sont mis d'accord
une première fois, je leur demande de refaire des accords entre eux et
de me les soumettre pour homologation s'ils le souhaitent. »)
Dans le questionnaire, certaines remarques viennent renforcer
l'idée qu'avec ou sans accord écrit, le passage en
médiation contribue à l'apaisement et à la
responsabilisation des personnes.
A la question 13 : êtes-vous convaincu(e) que la
médiation vous a été utile ?
11 personnes répondent par l'affirmative même
deux d'entre elles qui n'ont pas pu mettre en place les accords. Elles
indiquent que la médiation a été un soutien moral pour
elles (Q11F et Q9F) :
QF11, pour qui les accords n'ont pas pu durer dans le temps,
écrit par exemple : « il m'a été cependant
très utile d'un point de vue moral de parler devant une personne
neutre». Q9F fait ce commentaire : « Très difficile
comme expérience mais nécessaire et utile ».
Une seule personne (Q10F) répond par la
négative à la question sur l'utilité de la
médiation, tout en indiquant en fin de questionnaire : « Il y a
des lois contre le vol, le meurtre et différents excès, ça
n'empêche pas certains de les commettre. Heureusement, ce n'est pas une
raison suffisante pour se décourager. Continuez ! Vous êtes dans
le vrai ! »
3- Perspectives pour une future pratique
Les accords écrits sont à la fois le point
final symbolique de la médiation et le contrat de départ de la
nouvelle relation. Leur importance m'apparaît clairement dans une future
pratique professionnelle où je devrai mettre en place les
éléments repérés favorables à leur
pérennité.
Cependant, la recherche permet d'établir que,
au-delà des accords écrits, c'est plus largement le passage en
médiation qui a été utile aux parents. Ceci est plus
particulièrement révélé par l'enquête
à la chambre de la famille où l'on s'aperçoit que des
jugements présentés sous une forme « classique »
recouvrent une réalité importante d'accords entre les personnes :
dans de nombreuses situations où la médiation a été
interrompue sans que des accords écrits n'aient pu être mis en
place, sont nés des accords partiels, parfois incomplets ou oraux mais
toujours pris en compte par le juge.
Au delà de la médiation et de la
rédaction d'accords cette recherche me permet de repérer qu'en
réalité, la durée de la médiation s'étend
bien au-delà du temps du processus lui-même.
Ce qu'initie cette pratique déborde le cadre des
entretiens de la médiation. Le temps entre les entretiens, le temps qui
suit la médiation, qu'elle ait abouti ou pas, sont ferments de
changement qui mettent en marche une évolution positive sur le long
terme. Le médiateur familial est alors réellement et simplement
le « passeur » entre un présent souvent chaotique, et le futur
d'espérance, porteur de sens dont parlait Claude
Lienhard83.
Cette posture implique un souci dans mon futur exercice
professionnel de prendre en compte les acteurs de la médiation bien
au-delà du cadre des entretiens de médiation. Le dialogue avec
les magistrats m'apparaît indispensable. L'information des personnes sur
la médiation familiale, sans militantisme manichéen, est utile
car encore trop déficiente aujourd'hui. La relation avec d'autres
professionnels doit être activée, en
complémentarité, pour saisir tous les aspects de la
problématique des personnes.
Egalement, l'interruption prématurée d'une
médiation, si elle pousse à s'interroger et à se remettre
en question, doit être respectée à la fois parce qu'elle
peut être un signe que les parents ne sont pas prêts à
dialoguer mais aussi parce que le fait de la rencontre qui a eu lieu a pu
amener des données nouvelles.
83 Cité en introduction
Cette vision apporte une double prise de conscience :
> Qu'une indispensable relativisation de l'influence de la
médiation s'impose :
Le travail en médiation n'est qu'un passage, un
étayage proposé à un moment difficile, une étape
dans le long processus que les personnes ont engagé au moment où
ils ont décidé de se séparer, et ses effets profonds,
personnels et collatéraux, restent presque impossibles à
mesurer.
> Que les efforts consentis :
- par les parents en conflit pour se rencontrer, pour
échanger, pour élaborer ensemble, parfois jusqu'à la
concrétisation d'accords écrits,
- par le médiateur pour maintenir un cadre
sécurisant, pour rester à sa place de tiers, pour accompagner
sans prendre le pouvoir sur les décisions,
- par le magistrat pour accepter de ne pas savoir ce qui se passe
au coeur de la médiation, pour favoriser la responsabilisation des
personnes,
donnent à la médiation ses lettres de noblesse et
l'inscrivent dans le difficile changement en cours de notre
société toute entière84.
84 Jacques FAGET : « Considérer que
chacun est en mesure de devenir son propre législateur représente
naturellement une subjectivisation de la norme et constitue une entorse au
modèle jupitérien d'une loi toutepuissante fondée sur la
Raison. (Revue Empan n°72, février 2009)
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