II- DELIMITATION DU SUJET
Nous commencerons par définir le cadre spatio-temporel
(A), avant d'esquisser un éclairage conceptuel (B).
7 L'agent du Cameroun précisera le 14 juin
1994 que cette requête additionnelle n'était qu'un amendement
à la requête initiale (cf. C.I.J, arrêt du 10 oct 2002
op.cit., paragraphe 5). La Cour acceptera par une ordonnance du 16 juin 1994
(cf. C.I.J, arrêt du 10 oct 2002 paragraphe 6)
8 Introduite le 29 mars 1994, c'est le 10 octobre 2002
que la Cour internationale de Justice va rendre sa décision. Soit
après huit années de procès.
9 L'expression péninsule désigne une
presqu'île très étendue. Elle est souvent employée
pour désigner la presqu'île de Bakassi.
10 La partie relative à la zone du Lac Tchad
fait 23 pages ( cf. arrêt, pp. 43-66 ) , le reste de la frontière
terrestre fait 31 pages (cf. arrêt, pp. 66-97 ), tandis que la partie
relative à la presqu'île de Bakassi fait 16 pages de l'arrêt
( cf. arrêt, pp. 97-113 ). Au total, les développements de
l'arrêt relatifs à la frontière terrestre font 70 pages
disportionnellement reparties, contre 31 pages seulement pour la
frontière maritime ( cf. arrêt, pp. 114-145 ).
NB : Cet état des choses justifie énormement
le déséquilibre dont souffre les parties de notre travail.
A- LE CADRE SPATIO-TEMPOREL
Le cadre spatial de cette étude ne pose pas de
problème. En effet, suivant l'intitulé même de notre sujet,
il est question d'examiner avec la C.I.J le trajet que suit la ligne
frontière Cameroun/Nigéria du Lac Tchad juqsu'à la
presqu'île de Bakassi. Il s'agit alors de l'espace terrestre de la
frontière entre le Cameroun et le Nigéria.
En ce qui concerne le cadre temporel, il faut reconaitre que
les questions de frontière entre ces deux Etats du Golfe de
Guinée prennent naissance dans l'histoire11. Mais dans le
cadre de ce travail, nous partirons du 10 octobre 2002, jour du prononcé
de la décision, jusqu'à nos jours. C'est à partir de cette
date que l'on connaît les droits et obligations de chacun de ces Etats
sur les parties frontalières jadis querellées. Il serait donc
interressant de savoir ce que la C.I.J a fait de la frontière, base de
la sécurité juridique internationale12. Sans
négliger le détour historique nécessaire pour comprendre
la pertinence des accords coloniaux applicables et appliqués.
B- ECLAIRAGE CONCEPTUEL :
Nous convenons avec MBGALE MGBATOU13 que c'est
à travers la précision du contenu de certaines notions
essentielles que le sociologue accède à une meilleure
intelligibilité du travail scientifique. Le juriste n'échappe pas
à cette logique. Aussi essayerons-nous de circonscrire les notions
clés de notre thème.
1- La frontière :
En reprenant la définition doctrinale donnée par
Jean BASDEVANT dans le dictionnaire de la terminologie du droit international,
Laurent ZANG14 définit la frontière comme «
une ligne déterminant où commencent et où finissent
les territoires relevant respectivement de deux Etats voisins ». De
cette définition, il ressort que la frontière implique une
limite, une ligne de séparation de deux territoires étatiques
voisins. D'autres auteurs15 la
11 A cause de l'indifférence frontalière longtemps
entretenue par l'Administration coloniale britannique qui assimilait les deux
peuples sous sur contrôle avant 1960. Cf. C.I.J, arrêt du 2
décembre 1963, affaire du Cameroun septentrional..
12 Le professeur Narcisse MOUELLE KOMBI voit même en
elle un élément fondamental de l'Etat à côté
de la souveraineté. « la frontière permet aux
Etats d'exister. Sans frontières, il n'y a pas de droit international
». In « Séminaire de droit international public
approfondi », dispensé en D.E.A, F.S.J.P, U-DLA, année
académique 2003-2004, inédit.
13 H. MGBALE MGBATOU, « La politique camerounaise de
résolution pacifique de la crise de Bakassi », Thèse de
3è cycle Doctorat, soutenue à l'I.R.I.C en Juillet 2001, p.
29.
14 Professeur Laurent ZANG est internationaliste à
l'IRIC de Yaoundé. Il tient ce propos dans un article intitulé
« Les frontières en Afrique centrale : Barrières, Limites ou
Ponts ? », paru dans le N° 1155 du journal Mutations du lundi 24 mars
2004.
15 C. BARBIER, A. DAVEAU, et Alii, Dictionnaire des
relations internationales au 20e siècle, Paris,
Armand Colin, 2000, p. 105.
définissent comme une « ligne juridique qui
marque les limites de l'Etat et de sa compétence territoriale
». Et d'après la Cour internationale de Justice: «
une frontière internationale est la ligne formée par la
succéssion des points extrêmes du domaine de validité
spatiale des normes de l'ordre juridique d'un Etat »16.
Ces définitions jurisprudentielle et doctrinale seront retenues. Elles
permettent de mieux rendre compte de jusqu'où s'étendent et
s'arrêtent désormais les compétences territoriales et les
ordres juridiques du Nigéria et du Cameroun sur ces zones jadis
querellées.
Bien qu'elle puisse être considérée
à plusieurs points de vue : «point de vue géographique,
linguistique, économique, juridique, culturel, et politique»
comme l'a si bien souligné Romain YAKEMTCHOUK17, la
frontière en droit international est d'abord une construction
géographique. Elle vise à séparer les espaces territoriaux
de deux Etats voisins. Cette approche dite « stato-centrique
»18 est beaucoup plus illustrative dans la mesure
où elle complète mieux la définition jurisprudentielle.
Précisons néanmoins qu'il s'agira uniquement de la
frontière terrestre entre les deux Parties.
2- Terrestre
L'adjectif terrestre est défini par le dictionnaire de
la langue francaise19 comme ce qui est « relatif à
la planète terre, ce qui se fait sur le sol ». Un autre
dictionnaire20 le définit par rapport au ciel pour dire qu'il
s'agit de ce qui est relatif : « au milieu où vit l'homme ; la
terre ». Dès lors la frontière terrestre mérite
une importance capitale en droit international puisqu'elle marque la limite
entre deux espaces habités par des populations relevant de deux Etats
souverains.
En fait l'adjectif terrestre renvoie nécessairement au
territoire ; élément constitutif de l'Etat en droit
constitutionnel comme en droit international public. Mais contrairement aux
autres espaces aérien et maritime qui constituent le territoire de
l'Etat, seul l'espace terrestre est plus concret. Les populations de l'Etat y
vivent et y exercent leurs activités sous le contrôle d'une
Administration au service du Gouvernement dudit Etat. La frontière
terrestre étant ainsi définie, il faut maintenant s'interroger
sur ce que c'est que sa délimitation, sa démarcation, et son
abornement.
16 Cf. Affaire Guinée-Bissau/Sénégal ; in
R.G.D.I.P, 1990, p. 253.
17 R. YAKEMTCHOUK , « Les frontières africaines
», R.G.D.I.P, N° 1, 1970, p. 28.
18 Voir MGBALE MGBATOU , thèse ,op.cit., p.30.
19 Dictionnaire de la langue francaise, Maxi-poche,
références, 1995, p. 450.
20 Dictionnaire Le Petit Robert 1, les dictionnaires Le
Robert, Paris, 1985, p. 1949.
3- Délimitation, Démarcation, et
Abornement d'une frontière
En principe, et d'après les définitions
ci-dessus, la frontière en elle même ne pose pas problème.
Ce sont plutôt les différentes phases de son élaboration
qui sont généralement sources de vives contestations entre les
Etats. Ces phases sont trois et méritent d'être définies. -
Le mot délimitation est un subtantif venant du verbe
délimiter qui veut dire définir les limites. Elle s'entend
surtout en matière de frontières internationales comme un
processus de fixation des limites d'un territoire. Si pour Charles
ROUSSEAU21 elle veut simplement dire: « la
détermination de la frontière », pour d'autes
auteurs22 elle signifie « une opération juridique et
politique qui fixe l'étendue spatiale du ou des pouvoirs
étatiques ». Ainsi définie, la délimitation
d'une frontière est l'opération préalable de sa mise en
place. Elle permet de determiner la volonté politique des Etats dans
l'élaboration de leur frontière commune; d'où son origine
généralement conventionnelle et exceptionnellement
jurisprudentielle. Pour la Cour internationale de Justice, « la
délimitation d'une frontière consiste en sa «
définition », tandis que la démarcation d'une
frontière, qui présuppose la délimitation préalable
de celleci, consiste en son abornement sur le terrain.
»23. Cette définition jurisprudentielle confirme
l'antériorité de la délimitation sur la démarcation
et l'abornement, sans toutefois distinguer ces deux autres
opérations.
- La démarcation quant à elle
est une opération plus pratique. Elle consiste à traduire en
termes concrets sur le sol, les grandes lignes de la délimitation. Elle
est « une opération technique d'exécution qui reporte
sur le sol les termes d'une délimitation établie
»24.
- L'abornement d'une frontière est une
opération plus technique encore. Il s'agit ici de rendre la
frontière plus palpable en y implantant des bornes. En fait c'est «
la phase terminale consistant à matérialiser la
frontière sur le terrain par des repères convenus ( bornes,
piquets, etc. ) »25.
Que faudra t-il alors entendre par la frontière
terrestre entre le Cameroun et le Nigeria d'après la Cour internationale
de Justice? Avant de répondre à cette question, dégageons
d'abord le sens de « d'après » .
21 Ch. ROUSSEAU, Droit international public,
Paris, Dalloz, 5e édition, p. 161.
22 N.QUOC DINH , P. DAILLIER, A. PELLET, Droit
international public, Paris, L.G.D.J, 7e édition, p.
466.
23 Cf. arrêt, p. 69, par. 84. Voir aussi,
affaire du Différend territorial ( Jamahiriya arabe libyenne/Tchad ) (
C.I.J. Recueil 1994, p. 28, par. 56 ).
24 N. QUOC DINH et Alii, op. cit., ibid.
25 Ibidem.
4- D'après
Le Petit Robert 1 définit cette locution
prépositive comme « conformément à, selon,
suivant »26. Il sera alors question ici de revisiter la
ligne de séparation des territoires terrestres camerounais et
nigérian selon le verdict de la C.I.J du octobre 2002 et
conformément à celuici. C'est le cheminement adopté par la
Cour et le résultat auquel elle est parvenue qui justifient
l'intérêt de notre travail.
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