INTRODUCTION GENERALE
I- L'OBJET DE LA RECHERCHE
L'affaire de la frontière terrestre et maritime entre
le Cameroun et le Nigéria arrive devant la Cour internationale de
Justice au moment le plus chaud de la crise militarodiplomatique qui les
opposait depuis le 16 Mai 1981, jour de l'incident le plus
mémorable1. En effet, c'est par une requête
introductive d'instance enregistrée au greffe de la Cour le 29 mars
19942 par l'ambassadeur du Cameroun à la Haye3 que
cet « organe judiciaire principal des Nations Unies
»4 a été saisi pour la première fois.
La requête introductive d'instance du Cameroun était
adressée contre le Gouvernement de la République
fédérale du Nigéria, et portait «
esssentiellement sur la question de la souveraineté sur la
presqu'île de Bakassi »5. La République du
Cameroun fondait alors la compétence de la C.I.J sur les
déclarations par lesquelles les deux Parties avaient accepté la
juridiction de la Cour conformément au paragraphe 2 de l'article 36 de
son statut.
A ce moment, il était question pour la Cour de dire
lequel des deux Etats était habilité d'après le droit
international à excercer sa compétence sur cette presqu'île
pétrolifère . Mais vu l'aggravation de la situation qui,
d'après le Cameroun, avait pris depuis fin 1993, la forme d'une
aggression permanente du Nigéria sur son territoire, ce dernier va
joindre une requête additionnelle au greffe de la Cour. Cette seconde
requête arrive le 06 juin 1994 et vise l'élargissement de l'objet
du différend. Désormais, il était demandé à
la Cour de resoudre « la question de la souveraineté sur une
partie du territoire camerounais dans la zone du Lac Tchad » et de
« préciser définitivement la frontière entre les
deux Etats du Lac Tchad à la mer »6.
1 Voir Z. NGNIMAN, Nigeria Cameroun la guerre permanente ?
, Yaoundé, Editions CLE, 1996, p. 50.
2 voir C.I.J, arrêt du 10 Octobre 2002, affaire de la
frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria
(Guinée Equatoriale intervenant), p.13, paragraphe.1
3 Il s'agit de S.E.Mme Isabelle BASSONG qui adressait cette
requête pour le compte de l'Etat du Cameroun le 28 mars 1994. Celle-ci
désignait comme agent Me DOUALA MOUTOME qui était alors Ministre
de la justice garde des Sceaux, et comme coagents MM. Maurice KAMTO et YANA
Peter NTAMARK, tous professeurs de Droit.
4 Voir Article 92 de la Charte des Nations Unies .
5 Voir C.I.J , arrêt du 10 Oct 2002 , op.cit., paragraphe
1.
6 Voir C.I.J , arrêt du 10 Oct 2002 précité,
paragraphe 3.
Dès lors, la Cour avait devant elle la demande globale
du Cameroun que l'on peut qualifier de « recours en reconnaissance de
souveraineté » dans la zone du Lac Tchad et dans la
presqu'île de Bakassi, et en «fixation définitive de la
frontière » du Lac Tchad à la mer7.
Après une procédure particulièrement
longue8, marquée le 15 mars 1996 par une ordonnance indiquant
les mesures conservatoires en vertu de la lettre camerounaise du 10
février 1996 et confomément à l'article 41 du statut de la
C.I.J, et marquée aussi par l'arrêt du 11 juin 1998 par lequel la
Cour s'est déclarée compétente pour connaître du
fond du différend en rejetant les exceptions préliminaires du
Nigéria, c'est finalement le 10 octobre 2002 que la Cour va rendre son
verdict tant attendu.
A cet effet, c'est cette décision qui constitue la
matière première de notre travail. Parce qu'il s'agira pour nous,
de rechercher la structure du raisonnement de ladite Cour dans son travail de
précision définitive de cette frontière. Il est alors
question non plus de réécrire l'arrêt, mais, d'essayer de
comprendre le processus intellectuel qui a permis à la C.I.J de vider sa
saisine. Cela etant, nous resterons limités à la seule
frontière terrestre ; objet de notre étude. Cette
frontière terrestre comprend trois principaux secteurs : la
presqu'île de Bakassi et la zone du Lac Tchad
qui constituent les zones culminantes des revendications entre les
deux Etats ; et le reste de la frontière terrestre allant du Lac
Tchad à Bakassi, etant donné qu'au-delà de cette
péninsule9 commence la partie maritime qui n'entre pas dans
le champ de notre étude. Mais précisons déjà que
c'est la frontière terrestre qui constitue la majeur partie de
l'arrêt10. Une telle étude n'étant pas
facilement abordable, une délimitation du sujet s'impose.
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