L'influence du décret n°2005-1978 du 28 décembre 2005 sur l'office du juge de la mise en état( Télécharger le fichier original )par Nicolas DAOUST Université Paris 2 Panthéon Assas - Master 2 Professionnel Arbitrage, Contentieux et MARC 2007 |
II) Une recherche d'efficacité passant par une augmentation des responsabilités pesant sur le juge de la mise en étatEn Droit comme dans d'autres domaines, la poursuite de tout objectif nécessite de se donner les moyens y compris par la possibilité d'infliger des sanctions contre les parties mettant en péril le résultat recherché. Le décret de 2005 introduit ainsi un mécanisme de sanction des délais qui n'est pas sans influence sur les obligations du juge de la mise en état. Le nouvel article 780129(*) -permettant la clôture partielle de l'instance à l'égard de la partie qui n'a pas accompli avec une diligence suffisante les actes qui lui ont été impartis dans un délai fixé par le juge- fait peser sur le magistrat une lourde responsabilité dans la mesure où cette action revient à empêcher purement et simplement la partie défaillante de soutenir sa prétention durant le reste de l'instance. Comme l'évoque certains auteurs130(*), une « mise en oeuvre rigoureuse» 131(*) de ces dispositions en première instance pourrait inciter fortement les parties ayant perdu -sans avoir pu développer tous leurs arguments devant le juge- à interjeter appel quasi systématiquement avec pour effet pervers d'aller à l'encontre des objectifs de célérité et d'efficacité poursuivis par les rédacteurs du décret. Dès lors, il serait souhaitable que le juge de la mise en état exerce la faculté que lui reconnaît l'alinéa 2 de l'article 780 en rétractant son ordonnance à l'endroit de la partie défaillante afin que celle-ci ne se sente pas lésée d'avoir été dans l'impossibilité d'exposer l'ensemble de ses arguments. Le recours à l'article 780 devrait alors être exercé avec pragmatisme132(*) ainsi que parcimonie et réserver au cas de mauvaise foi manifeste et répétée ou d'inertie systématique de la part d'une partie. En outre, la sanction de la clôture nécessite au préalable une injonction de la part du juge de la mise en état133(*), cette exigence étant contrôlée par la Cour de cassation. Le respect du principe d'égalité des armes ne pourrait être assuré si la partie défaillante ne bénéficiait pas de la possibilité de répondre aux moyens nouveaux développés par l'avocat adverse. Dès lors, certains auteurs présentent cette faculté comme « une arme de dissuasion » 134(*) plus que comme une véritable sanction, le juge de la mise en état pouvant difficilement justifier un refus de rétracter son ordonnance même en l'absence de « cause grave et dûment justifiée »135(*). Si les avocats de l'ensemble des parties ne respectent pas les délais fixés par le juge de la mise en état, il est toujours possible pour ce dernier de radier l'affaire136(*). Il s'agit d'une simple faculté pour le juge137(*). La fixation du calendrier de procédure, déjà évoqué précédemment, est une responsabilité supplémentaire pesant sur le juge. Il incombe au magistrat de générer un climat propice à l'échange entres les parties et leurs conseils. C'est de cette relation de confiance avec le juge que les bases du respect du principe de « loyauté processuelle » seront posées. La responsabilisation de l'ensemble des acteurs dans la phase de mise en état est une charge très lourde dans la mesure où la période de l'instruction est la plus propice à la cristallisation des difficultés. Or, ce sont ces dernières qui engendreront une dispersion du contentieux sur des points de détails dans la procédure. L'« éparpillement » des points d'achoppement ne peut conduire, dans le meilleur des cas, qu'à un ralentissement dans le déroulement de l'instance et, dans la pire des hypothèses, à une diminution de la qualité des jugements. En effet, la persistance d'éléments d'incertitude dans le dossier transmis à la formation de jugement ne peut rendre que plus ardu le travail des magistrats du siège. La pacification des échanges recherchée par le « contrat de procédure » doit permettre l'instauration d'une volonté commune d'arriver à un jugement de l'affaire prompt et satisfaisant juridiquement. Garant de cette exigence, le juge de la mise en état est mis en premier ligne par le décret du 28 décembre 2005. Sans devenir un « adjudant de service»138(*), le magistrat doit, en toute impartialité, concilier les attentes de chacune des parties. L' « expérience » que j'ai acquise au sein de la 5ème Chambre civile du TGI de Bobigny m'a fait prendre conscience de l'absolue rigueur dont doit faire preuve le juge de la mise en état lorsqu'il élabore le calendrier de procédure. La responsabilité qui pèse sur lui lors de la prévision du nombre d'échanges entre avocats est très intense. Il lui est souvent reproché son imprévoyance par les avocats lorsque ces derniers, multipliant les mémoires en réponse, répliques et dupliques, voient la date de clôture se rapprocher. C'est également vers lui que convergent les critiques des parties quand, à la demande « insistante » des avocats de ces dernières139(*), il est obligé de modifier les dates mentionnées dans le calendrier et, par conséquent, recule la date à laquelle la décision sera rendue. Sa fonction de régulateur de l'instruction ne peut en être que sévèrement altérée. De la faculté du juge de la mise en état à résister aux pressions des avocats140(*) dépend l'efficacité du contrat de procédure. Or, force est de constater que la mise en état est souvent confiée à des assistants de justice ou à de jeunes magistrats souvent peu préparés à contrer les arguments des avocats en faveur d'une modification des dates prévues par le calendrier. Il est de la responsabilité du juge de s'approprier la place de « partie forte » dans le contrat de procédure sans pour autant devenir un « obsédé processuel » 141(*) inflexible quant aux modifications de la date de plaidoirie. Le décret du 28 décembre introduit dans le Nouveau Code de procédure civile des dispositions relatives à la communication électronique142(*). Si ces dernières constituent incontestablement une avancée en termes de rapidité et d'information des parties, elles nécessitent néanmoins de la part du juge de la mise en état une attention particulière dans sa relation de travail avec le greffe. De sa bonne communication avec ses services dépend l'efficacité des dispositions prévues aux articles 748-1 et suivants du NCPC143(*). Ces textes prévoient les envois, remises et notifications par voie électronique. Or, il incombe au juge de la mise en état de s'assurer du consentement exprès des parties quant à l'utilisation de la voie électronique. Ce type de communication ne pouvant être pertinent que si toutes les parties au litige y ont accès, le magistrat à la responsabilité de recueillir l'accord de tous les intéressés, accentuant ainsi sa charge de travail principalement dans les affaires multipartites. Cela peut paraître anodin mais les dossiers instruits par un juge de la mise en état étant généralement très nombreux, il peut être difficile pour lui et les services du greffe de s'assurer du consentement effectif de toutes les parties pour recourir aux échanges électroniques. Un défaut de communication pouvant poser des problèmes d'opposabilité des pièces, il est crucial que le juge de la mise en état et le greffe s'assurent de la bonne réception de l'ensemble des envois. La question du travail de l'expert est également abordée par le décret dans la partie relative aux mesures d'instruction144(*). Ces dispositions impliquent de plus grandes responsabilités pour le juge de la mise en état et ses services145(*). Le magistrat a un rôle plus important qu'auparavant dans la mission d'expertise, celui-ci étant de plus en plus perçu comme un intermédiaire assurant la pacification des rapports -souvent très conflictuels- entre experts et parties. De plus, il lui appartient de s'assurer que l'expert s'acquittera des nouvelles obligations que le décret met à sa charge notamment à l'article 276 du Nouveau Code de procédure civile146(*). Ce contrôle peut paraître secondaire dans la mesure où l'expert semble être, au regard des textes, le seul concerné par ces dispositions notamment pour ce qui est d'accepter les observations ou réclamations des parties. Cependant, et toujours dans le but de favoriser une collaboration harmonieuse entre les différents acteurs de la procédure, le juge de la mise en état dialogue souvent avec l'expert147(*) afin que celui-ci ne rejette pas de façon trop systématique les observations formulées par les parties après le délai fixé. Il n'est pas exceptionnel que le magistrat incite l'expert à adopter une conception extensive de la notion de « cause grave et dûment justifiée » afin que les parties ne se sentent pas dans l'impossibilité d'exprimer leur point de vue. Ce travail de conciliateur doit être soigneusement exercé par le juge de la mise en état. L'article 276 du NCPC apporte cependant une avancée facilitant la mission du juge dans la mesure où « lorsqu'elles sont écrites, les dernières observations ou réclamations des parties doivent rappeler sommairement le contenu de celles qu'elles ont présentées antérieurement. A défaut, elles sont réputées abandonnées par les parties ». Le juge de la mise en état n'est donc plus obligé, afin d'avoir une vue d'ensemble du dossier, de réaliser une compilation chronologique des observations des parties. * 129 Le nouvel article 780 du NCPC est ainsi rédigé : « Si l'un des avocats n'a pas accompli les actes de la procédure dans le délai imparti, le juge peut ordonner la clôture à son égard, d'office ou à la demande d'une autre partie, sauf, en ce dernier cas, la possibilité pour le juge de refuser par ordonnance motivée non susceptible de recours. Copie de l'ordonnance est adressée à la partie défaillante, à son domicile réel ou à sa résidence. « Le juge rétracte l'ordonnance de clôture partielle, d'office ou lorsqu'il est saisi de conclusions à cette fin, pour permettre de répliquer à des demandes ou des moyens nouveaux présentés par une partie postérieurement à cette ordonnance. Il en est de même en cas de cause grave et dûment justifiée. « Si aucune autre partie ne doit conclure, le juge ordonne la clôture de l'instruction et le renvoi devant le tribunal. » * 130 VILLACEQUE Jean, A propos du Décret n°2005-1978 du 28 décembre 2005 réformant la procédure civile, Perspectives et regrets, Recueil Dalloz 2006 p.539. * 131 Idem. * 132 Ibid. * 133 Ce n'est cependant pas le cas « lorsqu'une des parties a eu tout le temps nécessaire pour conclure ». Civ. 2ème, 23 mars 1994, JCP 1994. IV. 1393. Voir p 807 FERRAND Frédérique, GUINCHARD Serge, Procédure civile: droit interne et droit communautaire, Dalloz, 1449 pages, 28ème édition, Paris, 2006, Paris. * 134 Ibid. * 135 Art. 780 al.2, NCPC. * 136 Art. 781, NCPC:
« Si les avocats s'abstiennent d'accomplir les actes de la
procédure dans les délais impartis, le juge de la mise en
état peut, d'office, après avis donné aux
avocats, prendre une ordonnance de radiation motivée non susceptible de
recours. * 137 Durant mon stage, je procédais en moyenne à deux radiations de ce type pour quarante dossiers. * 138 MARTIN Raymond, JCP 2000, I, p.1639 * 139 Mon stage au sein du TGI de Bobigny m'a permis d'apprécier la façon très «personnelle» avec laquelle de nombreux avocats conçoivent la communication avec leurs clients. A trois reprises- qui ne constituent certainement pas des cas isolés- des parties ont pris connaissance de l'établissement d'un calendrier de procédure le jour même de l'audience des plaidoiries, suite vraisemblablement à une omission de la part de leurs avocats. * 140 Ces derniers sont très sensibles aux impondérables pouvant retarder le dépôt de leurs conclusions d'autant plus qu'ils seraient susceptibles d'engager leur responsabilité en tant que mandataire de leurs clients s'ils s'interdisaient de soulever des moyens nouveaux, de formuler de nouvelles prétentions ou de répondre à leurs contradicteurs. Sur ce point V. LISSARRAGUE Bertrand, Gaz .Pal, 25-27 mars 2007. * 141 Cours de procédure civile de M. PELLERIN, Master 2 professionnel Contentieux, Arbitrage et ADR, année 2006-2007. * 142 Art.71, 72, 73 du Titre VII du décret. * 143 « Art. 748-1. - Les envois, remises et notifications des actes de procédure, des pièces, avis, avertissements ou convocations, des rapports, des procès-verbaux ainsi que des copies et expéditions revêtues de la formule exécutoire des décisions juridictionnelles peuvent être effectués par voie électronique dans les conditions et selon les modalités fixées par le présent titre. « Art. 748-2. - Le destinataire des envois, remises et notifications mentionnés à l'article 748-1 doit consentir expressément à l'utilisation de la voie électronique. « Art. 748-3. - Les envois, remises et notifications mentionnés à l'article 748-1 font l'objet d'un avis électronique de réception adressé par le destinataire, qui indique la date et, le cas échéant, l'heure de celle-ci. « Art. 748-4. - Lorsqu'un document a été établi en original sur support papier, le juge peut en exiger la production. « Art. 748-5. - L'usage de la communication par voie électronique ne fait pas obstacle au droit de la partie intéressée de demander la délivrance, sur support papier, de l'expédition de la décision juridictionnelle revêtue de la formule exécutoire. « Art. 748-6. - Les procédés techniques utilisés doivent garantir, dans des conditions fixées par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, la fiabilité de l'identification des parties à la communication électronique, l'intégrité des documents adressés, la sécurité et la confidentialité des échanges, la conservation des transmissions opérées et permettre d'établir de manière certaine la date d'envoi et celle de la réception par le destinataire. » * 144 Titre III du décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 * 145 La correspondance avec les experts occupe une grande partie du travail des greffiers. * 146 Le second alinéa en caractères gras est issu d'une modification du décret « L'expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu'elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent. Toutefois, lorsque l'expert a fixé aux parties un délai pour formuler leurs observations ou réclamations, il n'est pas tenu de prendre en compte celles qui auraient été faites après l'expiration de ce délai, à moins qu'il n'existe une cause grave et dûment justifiée, auquel cas il en fait rapport au juge. Lorsqu'elles sont écrites, les dernières observations ou réclamations des parties doivent rappeler sommairement le contenu de celles qu'elles ont présentées antérieurement. A défaut, elles sont réputées abandonnées par les parties. L'expert doit faire mention, dans son avis, de la suite qu'il aura donnée aux observations ou réclamations présentées. » * 147 J'ai fréquemment assisté à des « négociations » entre M.PANSIER et les experts nommés par lui, discussions qui portaient sur l'attitude à adopter vis-à-vis des observations nouvelles formulées par les parties. |
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