Les médiations esthétiques et d'appartenance sociale de Vodacom Congo RDC. Etude des stratégies de sublimation du public par les expressions symboliques et le mythe d'organisation( Télécharger le fichier original )par Issa ISSANTU TEMBE Université de Kinshasa - 2003 |
5. LA PRESENCE PHYSIQUE DANS LA CITE A TRAVERS L'UNIFORME PROFESSIONNEL DES EMPLOYES (ESTHETIQUE MOBILE)L'uniforme professionnel, qui est vu comme « un dispositif esthétique identitaire dans lequel se joue la mise en visibilité, en lisibilité, en efficacité et en unité d'un nombre croissant d'organisations »142(*)Chez Vodacom Congo, le recours à ce dispositif n'a cessé de se sophistiquer. Les raisons techniques, d'hygiène ou de sécurité n'expliquent pas elles seules ce phénomène, qui du reste peut être considéré comme un « fait organisationnel total »143(*) Concrètement, depuis le lancement des activités commerciales de Vodacom, la présence de ces hommes en uniforme de Vodacom et de ces voitures aux couleurs blanches de cette firme se fait remarquer. Dans ces morceaux d'étoffes, sur ces couleurs et ce logotype sont contenus et résumés les enjeux esthétiques et économiques ainsi que « les stratégies de marketing et de positionnement » évoqués par Nicole d'Almeida et Sylvie Merran144(*). A travers cet uniforme professionnel se lit de manière claire ce dialogue que Vodacom tient à installer entre lui et le groupe social qu'il tente de conquérir. Les auteurs précités précisent que « L'uniforme est bien plus qu'un uniforme. Il est à lui seul un concentré, un noeud de relation : il engage la relation du salarié à son corps, aux autres salariés, aux clients, aux objets et services proposés au marché et à l'organisation pour laquelle l'individu travaille »145(*) Ainsi donc, nous osons croire qu'il est possible de repérer cette tension qui dynamise le social. Cette tension entre le « Je » et le « Tu », entre le principe de valorisation et d'homogénéisation de salariés, entre la mise en principe de singularisation et celui de mise en commun, d'inclusion et d'exclusion, d'égalité et d'inégalité »146(*) Chaque fois que le public est en contact avec une unité mobile de Vodacom portant l'uniforme professionnel ou peinte aux couleurs de Vodacom, il est soumis au même exercice de sublimation que celui qui l'enchante quand il est devant un panneau publicitaire ou une réclame. La seule particularité de cette médiation est qu'elle revêt une dimension mobile. L'uniforme intervient donc dans les médiations sociales de Vodacom pour poser le problème spécifique de socialisation de la marque et des services. Cette présence dans la société cliente fait incruster le label Vodacom dans l'ornement quotidien. L'uniforme professionnel était au départ considéré comme un habit de travail dont la forme est déterminée par le genre de tâches à exécuter. Certaines analyses confirment que l'uniforme professionnel a évolué avec le temps. Il était l'apanage de métiers à risque et avait comme principale fonction la protection de celui qui le porte ou du produit fini. Aujourd'hui, il a évolué de la perspective de la production vers celle de la commercialisation, qui peut être considérée comme l'enjeu majeur des entreprises contemporaines. L'uniforme joue de même un rôle très important, soulignent D'Almeida et Merran, dans la relation avec le client et avec le produit ou service proposé par l'entreprise. Aujourd'hui, il fait croire quelque chose sur l'entreprise. Il porte en lui cette représentation que l'entreprise s'efforce de faire prévaloir à travers toutes les médiations esthétiques147(*). Il est donc lié au type d'entreprise, à son secteur d'activité, au marché, au niveau de concurrentialité, à l'environnement social et à la clientèle visée. « L'uniforme engage au moins trois acteurs qui lui confèrent son sens et son utilité : l'employé, porteur d'uniforme arborant les couleurs de l'entreprise, l'employeur qui garantit la visualisation et l'effectuation d'un service et enfin le client, ainsi informé de la répartition des rôles. » 148(*) Sa coupe et sa couleur sont étroitement liées au temps de l'interaction. Le tableau ci-après peut servir de fil conducteur. (Figure 1)
Bien coupé, sobre et classe, l'uniforme des agents de Vodacom révèle l'élégance de l'employé, la grandeur et la puissance de l'employeur (Vodacom très très fort !). C'est pourquoi, il n'est pas exclu que pour des entreprises oeuvrant dans un contexte concurrentiel comme Vodacom, on vise sur une stratégie de recrutement basée sur un casting tacite, qui valorise les employés « jeunes, beaux et jolies » (pour ce qui est des jeunes filles). C'est d'ailleurs le modèle type des visages qui apparaissent sur la plupart des affiches et sur les panneaux publicitaires. Ces derniers sont transformés pendant leurs heures de services en mannequins portant les couleurs de l'entreprise. Vu sous ce nouvel aspect, l'uniforme sursignifie. Il dit plus que la fonction elle-même, il offre comme le suggère Erving Goffman « les signes spectaculaires de la propreté, de la modernité, de la compétence et de la probité. »149(*) C'est en réalité l'idéal de l'hôtesse de l'air, avec son image « propre, séduisante et polie » qui est ramenée dans les offices des entreprises commerciales dans le but de séduire à plus grande échelle la clientèle. L'uniforme est donc devenu « une réalité institutionnelle » soumise à des normes et lui-même producteur des normes que le corps va prendre en charge. Donc, concluent D'Almeida et Merran, « Porter l'uniforme c'est endosser la responsabilité d'une mission qui transcende l'individu et qui impose une posture, une gestuelle et une parole particulière » Comment concilie-t-on mobilité et fixité institutionnelle par le port de l'uniforme? L'uniforme des agents de Vodacom et aussi tous les T-shirts et autres casquettes portant les marques de cette entreprise servent à habiter et habiller l'espace sociale de la production. Il est une des dispositions organisationnelles qui introduit la mobilité dans la fixité institutionnelle. Le fameux adage qui dit que « les hommes passent et que les institutions restent » est, à quelque degré près, l'expression de cette fixité dans le temps. Mais pour ce qui est l'espace, l'uniforme professionnel tente de battre en brèche l'immobilisme bureaucratique et architectural des offices. Il convient de souligner cependant qu'un uniforme n'est pas forcément un costume. D'Almeida et Merran150(*) avancent qu' « il y a uniforme dès qu'est mobilisé un accessoire signifiant : un badge151(*) ou une pièce de vêtement, soit un signe unique dont l'ambition est métonymique. » Plus loin elles disent que « l'uniforme fait du corps un médium pour la marque qui transforme le salarié en homme (ou femme) sandwich » C'est pourquoi le tee-shirt portant les insignes ou le logo de Vodacom est lui aussi considéré comme un uniforme152(*) Pour être plus explicite, l'uniforme dans sa mobilité à travers les rues de la cité remplit plus exactement les fonctions d'une carte de visite153(*). Il l'est à la fois à l'intérieur de l'espace commercial comme il l'est à l'extérieur. Pour le deuxième cas, il habille des agents mobiles qui font un travail essentiellement de terrain.
Pour être plus clair, l'uniforme remplit trois fonctions essentielles :
En définitive, nous dirons avec Nicole d'Almeida et Sylvie Merran que « Le tissu et la coupe opèrent une médiation agissante. Ils participent de l'organisation dans sa dimension instituante : l'uniforme permet d'endosser une fonction dont il promet l'accomplissement. Il vise à orienter et impressionner le client. Par l'esthétique, il tend à unifier le groupe social et à différencier les individus. » * 142 N. d'Almeida et S. Merran, « Le corps glorieux des institutions : analyse de l'esthétique mobile de l'uniforme professionnel » in Recherches en communication n°17, Bruxelles, UCL, 2002, p. 61 * 143 Concept emprunté à Nicole d'Almeida et Sylvie Merran., op.cit. * 144 Auteurs de l'article précités. * 145 N. d'Almeida et S. Merran, op. cit, p.62 * 146 Idem * 147 Y. Winkin, « Publicité d'entreprise et maîtrise des impressions » in Reflets et perspectives de la vie économique, tome XXIX, 1990 * 148N. d'Almeida et S. Merran, op.cit, p.64 * 149 E. Goffman cité par L. Ferry, Homo aestheticus, Paris, Livre de poche, Biblio essais n°4074, 1991, p.13 * 150 N. d'Almeida et S. Merran, op.cit, p. 66 * 151 Lire à ce sujet la fonction « badge » qui est une autre fonction de l'appartenance à la famille Vodacom (dans ce même travail) * 152 Le tee-shirt, communément appelé à Kinshasa « polo » constitue actuellement un des principaux outils de la promotion des produits et services. Vodacom a produit depuis son implantation à Kinshasa une quantité inestimable de ces « polos » portant les couleurs, la marque et le logo de Vodacom. Hormis les outils techniques et les autres moyens par lesquels Vodacom affiche sa présence dans l'espace public, il faut aussi compter ces milliers d'hommes et de femmes sandwiches. La plupart d'organisations marchandes recourent à ces identités filantes pour le coût de production de loin inférieur à l'impression sur les pagnes, par exemple. Dans le lot de ces uniformes on classe aussi les pagnes, les képis, les visières, tous les imprimés sur les tissus en coton ou en cuir ainsi que d'autres artefacts... Sur ce plan, Vodacom Congo RDC a franchi le rubicond car ses enseignes sont visibles dans toute la ville à travers ces panneaux mobiles que sont les femmes et les femmes habillés par Vodacom. * 153 J. Jeanneret et E. Souchier, « La griffe, la fonction et le mérité : carte de visite professionnelle » in Communication et langage, n°125, Paris, 2000 |
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