Les médiations esthétiques et d'appartenance sociale de Vodacom Congo RDC. Etude des stratégies de sublimation du public par les expressions symboliques et le mythe d'organisation( Télécharger le fichier original )par Issa ISSANTU TEMBE Université de Kinshasa - 2003 |
6. LA PRESENCE A TRAVERS LES BATIMENTS ET LES FORMES ARCHITECTURALES VISIBLES SUR LA PLACE PUBLIQUEIl convient de dire dès le départ que Vodacom n'a pas construit d'immeubles qui dans leurs esthétiques énonceraient la philosophie d'action de son organisation. Il tente d'adapter comme par un maquillage les formes architecturales des bâtiments qu'il loue à sa propre logique organisationnelle.
Albert Cohen est le premier à avoir évoqué le prestige des organisations internationales dans son roman « Belle du Seigneur »154(*). Parlant d'Adrienne Deume, un des personnages du roman, cet auteur dit ceci : « Arrivé devant le Palais des Nations, il le savoura. Levant la tête et aspirant fort par les narines, il en aima la puissance et les traitements. Un officiel, il était un officiel, nom d'un chien, et il travaillait dans un palais, un palais immense, tout neuf, archi moderne... » Les offices des entreprises de prestige comme Vodacom sont des représentations de l'image que l'entreprise se forge à travers ses propres actions et aussi, de l'image qu'elle milite pour imposer au public. Ainsi, comme le dit Bernadette Dufrène155(*), l'un des éléments clefs qui constituent l'image d'une organisation internationale est l'architecture de son siège. Elle manifeste le prestige et rend sensible toutes les fonctions de la démarche esthétique dite ou inédite. Depuis la construction à Berne en Suisse du Palais des Nations156(*) entre 1929 et 1935 par les architectes Nenot et Freigenheimer, les grandes firmes et les organisations internationales choisissent d'afficher leur présence par les formes architecturales et symboliques de leurs sièges. L'immeuble moderne qui abrite le siège de Vodacom Congo RDC, situé sur l'avenue de la Justice est un exemple éloquent. Tout de blanc, cette superbe architecture moderne émerveille plus d'un. Rien qu'à voir son parvis extérieur et ses abords, la grandeur, la splendeur et l'éclat de Vodacom sont rendues visibles et lisibles. Ainsi donc, l'architecture du siège de Vodacom Congo RDC n'est pas moins parlante. Il en est de même du décor des façades et des abords, qui ne sont pas si loin de l'oeuvre de l'artiste espagnol José Maria Sert (1935-1936), qui a peint « dans l'esprit de la grande iconographie baroque »157(*) le Palais des Nations à Genève. L'immeuble qui abrite le siège de Vodacom n'est certes pas une oeuvre entièrement réalisée par cette firme. Cependant, il convient de lire dans toutes les démarches qui ont milité à son acquisition, l'essence même de cette esthétique de la médiation. C'est pourquoi, il n'est pas étonnant de lire dans le déploiement du protocole de cette esthétique de la médiation la manifestation d'une certaine éthique des organisations. Vodacom s'est approprié les expressions artistiques d'une oeuvre qui pouvait être destinée à autre chose. Bien entendu, ce choix militerait toujours dans le sens de cette forme de communication tridimensionnelle qu'est l'exposition par l'esthétique d'objet. Pour Bernadette Dufrène, « Le siège des organisations internationales est par excellence un lieu d'exposition permanente ou temporaire. » Mais, l'universalité de l'art ne tardera point à donner à cette exposition le sens d'une exposition de patrimoine. Là alors, Vodacom recourt à la symbolique universelle de l'art, car ce dernier est un langage universel compris de tous. A travers l'architecture qu'il s'est approprié, Vodacom Congo RDC recourt à une communication interculturelle sous le couvert d'une « culture cachée »158(*)
Pour être complet et présent partout, Vodacom Congo RDC dispose aussi d'un site Internet. Comme toutes les entreprises modernes Vodacom vit à l'ère des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Ce site libellé comme suit : www.vodacom.net est presque une vitrine à travers laquelle cette organisation expose sa marque mais aussi sa grandeur. On aurait cru que Vodacom Congo RDC se limite à la seule représentation symbolique physique. Pour y arriver au niveau virtuel, Vodacom recourt à ce nouveau concept de Web design. Ce terme prend ses racines dans le vieux français. Il provient de `desseigner' qui signifiait intention, projet, volonté et de `designer' (dessiner) qui sont tous deux des termes proches du latin `designare'. Aujourd'hui le terme design est un anglicisme. Il ne pouvait pas être employé seul au début. On pouvait entendre alors des combinaisons comme par exemple le design graphique, le design industriel, le design de l'environnement, le design produit, le design textile... Mais dans sa nouvelle acception, le design est issu de l'esthétique industrielle, affirme Philippe Quinton. Selon cet auteur, « son projet était de rechercher le beau utile dans une production massive d'objets (la `forme utile') et donc de se débarrasser de l'ornement en renonçant aux arts décoratifs. »159(*) Il fallait attendre plusieurs années pour voir ce fonctionnalisme se systématiser et devenir un concept universel. Pour P. Quinton, la majorité des productions du présent siècle et du siècle dernier ont hérité de ce fonctionnalisme mais, souligne cet auteur, « au prix d'une réduction du design au produit ou au style. »160(*) Du design industriel dont a parlé Quinton au Web design dont nous parlons ici, un pas de géant a été franchi. A cette étape, il s'agit de la conceptualisation et des intuitions qui militent dans le choix des couleurs et des formes graphiques dans les symboles qui représentent Vodacom Congo RDC : le logo entre autres symboles, et bien entendu les couleurs des fanions et des étendards et les différents graphismes qu'on retrouve sur le site Internet de cette entreprise. La tentation est grande lorsqu'on survole ce domaine particulier et la peur de se tromper est quasi permanente. Quand on lit des auteurs comme Jean-Marie Floch161(*) quand il parle des identités visuelles on se rend compte comme lui, qu'en tant que ressources stratégiques et créatives tous ces designs procèdent tout simplement du bricolage. En effet, lorsqu'on interroge le logo de Vodacom par exemple, ou quand on recherche le pourquoi des couleurs emblématiques bleue, verte et blanche toujours présentes dans le site Web, dans les offices et dans les shops de Vodacom, on se rend compte que la production de cela en tant que signifiant relève plus de « l'intuition et de l'expérimentation du travail d'atelier que d'un calcul ou d'une recherche de laboratoire. »162(*) Bruno Borza de Mozota, Philippe Rasquinet et Martin Brun qui militent tous pour l'avènement du management du design abondent dans le même sens. Pour eux, le design comme le Web design ne sont pas qu'un effet de style. Ils sont aussi une question décorative de la surface et une mise au goût du jour des objets. Le design est donc tout simplement une mise en forme. Heureusement que Vodacom a compris « qu'une organisation ne peut se contenter des apparences, du style et du look »163(*). Le même Philippe Quinton poursuit en disant que « l'esthétique des marques se construit d'abord sur un territoire des valeurs, sur la pensée politique et stratégique d'une communauté sociale, sans négliger pour autant l'appropriation des objets sensibles. » Comment alors ce Web design participe-t-il à l'enchantement que Vodacom opère pour garder captifs ses clients et pour se faire prévaloir comme la plus puissante des organisations, la copie conforme de la métaphore « RDC eloko ya makasi »164(*) ? La réponse à cette question est simple. A l'ère des nouvelles technologies de l'information et de la communication, les organisations qui tiennent à leur image de marque se sont tous lancées à la conquête de ce nouveau type de public qu'on peut qualifier d'internaute. Si l'on doit considérer la toile toute entière comme un lieu d'exposition et de visibilité, une sorte de « passage obligé », pour être vu sur un nouvel espace autre que le réel et l'imaginaire (irréel), alors on devra comprendre l'enjeu du Web design pour l'image de marque d'une entreprise. Cette esthétique des logotypes et la capacité des emblèmes d'entreprise à « manoeuvrer du plaisir »ont été clairement circonscrits par Dominique Blin.165(*) Mais, l'esthétique et le plaisir qu'elles génèrent ne sont qu'une sorte d'adjuvant stratégique ou cosmétique de vente. En définitive, il apparaît clairement que Vodacom, comme d'ailleurs toutes les entreprises, recourt à l'esthétique et au Web design pour se prévaloir au sein du nouvel espace public de sociabilité qu'est la toile du web. Vodacom militerait pour concilier les valeurs socialement partagées des congolais de tous les recoins. Ensuite, il se donne la mission de les proclamer esthétiquement avec toutes les argumentations exigées par le marché. * 154 A. Cohen, Belle du Seigneur, Paris, Gallimard, 1968 * 155 B. Dufrène, « Organisations internationales, humanitaires et le lustre culturel » in Recherches en communication n°17, Bruxelles, UCL, 2002, p. 136 * 156 Siège de la Société des Nations (SDN), qui est devenue plus tard l'ONU * 157 B. Dufrène, op. cit, p.137 * 158 E. Hall, Au-delà de la culture, Paris, Ed. du Seuil, 1979, p. 86 * 159 P. Quinton, « Logo ergo sum » in Etapes graphiques, n°65, sept. 2000, p.81 * 160 P. Quinton, op.cit p.86 * 161 J.-M. Floch, Identités visuelles, Paris, PUF, 1995 * 162 J.-M. Floch, op.cit p.47 * 163 P. Quinton, op.cit, p.87 * 164 Slogan de puissance évoqué plusieurs fois lors des manifestations sportives panafricaines ou internationales qui sous entend le `dur', `le fort'...Voilà pourquoi en lingala on dit facilement `très très fort' * 165 D. Blin, « Les emblèmes d'entreprise : la part du non verbal », in H. Hotier (sous la direction de), Non verbal et organisation, Paris, Greco l'Harmattan, 2000 |
|