II. INTRODUCTION
Au cours de ces trente dernières années, la
littérature sur le financement du développement a beaucoup
évolué. Suite à la baisse de l'aide au
développement et à la crise de l'endettement extérieure,
l'attention a été portée sur les conditions
nécessaires pour que les systèmes financiers bancaires nationaux
des PVD puissent mobiliser suffisamment des ressources et soutenir la
croissance.
En effet dans les PVD, les gouvernements ont utilisés
les systèmes financiers bancaires nationaux comme un instrument de
politique de financement en intervenant dans les différentes phases de
l'intermédiation financière. L'orientation de la politique
financière interventionniste s'inscrit dans la conception selon laquelle
dans les PVD, la croissance économique est contrainte par la
rareté des ressources financières. L'Etat doit intervenir pour
assurer le financement des secteurs porteurs de croissance. Cette conception a
été abandonnée car il s'agirait moins de la rareté
que d'une mobilisation insuffisante des ressources financières (Fry,
1995). C'est ainsi que les recherches se sont davantage
intéressées aux conditions d'intermédiations bancaires
dans les PVD.
C'est ainsi que l'on a assisté à la naissance de
« l'école de la libéralisation
financières », qui recouvre à l'origine les travaux de
R.I Mc Kinnon (1973) et E. Shaw (1973). Dans cette analyse, la
libéralisation financière doit se substituer à la
répression financière mise en place par de trop nombreux pays en
développement, notamment la Côte d'Ivoire. Les deux auteurs sont
en effet persuadés que de nombreux Etats en voie de développement
font peser des contraintes tellement fortes sur la sphère
financière que celle-ci est incapable de se développer.
Ces politiques de contrôle monétaire sont contre
productives puisqu'elles affaiblissent la croissance. Ceci justifie alors la
levée de la répression financière (Mc Kinnon, 1973).
En effet, depuis la fin des années 70, la Côte
d'Ivoire est confrontée à de graves difficultés
économiques, celles-ci ont pour nom, chômage, inflation,
déficit commercial, déficit budgétaire, crise
financière, résultantes d'une contraction des activités
bancaires et d'un manque de compétitivité des entreprises
ivoiriennes. Il faut rappeler qu'à ces difficultés
économiques, il s'est ajouté de façon plus intense des
difficultés socio-politiques, entraînant une instabilité
politique qui a fortement perturbé l'activité bancaire, et qui
d'ailleurs s'est soldée par une partition du territoire national en
Septembre 2002 (rapport annuel de la zone franc, 2003). Il faut souligner
que cette crise d'instabilité sociopolitique a entraîné la
perte de nombreux emplois, a ralenti la croissance économique et
affectée significativement le système bancaire ivoirien (rapport
annuel de la zone franc, 2003). Les causes de la contre-performance de
l'économie ivoirienne sont multiples. Nous retenons ici quelques unes.
Elles sont d'origine macroéconomique, institutionnelle et principalement
sectorielle.
Les causes macroéconomiques se résument
essentiellement par le recours aux politiques keynésiennes
expansionnistes pour maintenir la croissance à la fin des années
70 et au début des années 80, le recours à l'endettement
extérieur pour financer des déficits provoqués par ces
politiques expansionnistes. L'inflation qui en ait résultée, a
surévalué la monnaie nationale et a rendu moins
compétitive les entreprises ivoiriennes.
Au plan institutionnel, les causes se caractérisent par
une détérioration de l'environnement gestionnel. Elles se
résument par des erreurs techniques de gestion, une forte corruption et
également la présence de fraude massive dans la gestion des fonds
publics.
A ces deux causes, s'ajoutent des problèmes sectoriels
qui se caractérisent principalement par la répression du
système financier. Répression caractérisée par le
maintien des taux d'intérêt et de change à un niveau
inférieur au taux d'inflation. Cet état de fait a eu pour
conséquence la baisse de la valeur réelle des actifs financiers,
une désintermédiation financière, la faiblesse des marges
bancaires ...etc.
Pour résoudre le problème de la crise
financière, les autorités ivoiriennes ont mis en place, avec
l'aide des institutions de Brettons Woods (BM, FMI) des programmes d'ajustement
structurel (PAS) à partir des années 80. Ces programmes visent
à assainir le secteur réel de l'économie et
également le secteur financier (PASFIN). Sous la conduite de la Banque
Mondiale, du Fond Monétaire et de L'UEMOA, les autorités
ivoiriennes ont opté pour une politique de libéralisation
financière (au sens de Mc Kinnon et Shaw) à la fin des
années 80. En effet, cette théorie propose que la politique
monétaire basée sur des instruments de contrôle indirect
améliore les rémunérations sur les dépôts. Ce
qui a pour effet d'accroître l'épargne, devenue plus attrayante
pour les agents économiques dans la gestion de leur portefeuille. Cet
accroissement de l'épargne augmente les ressources des banques, leur
permettant ainsi de financer l'économie.
En Côte d'Ivoire, la libéralisation
financière a été amorcée en 1989 avec la nouvelle
politique de la monnaie et du crédit de la BCEAO, et affirmée
avec les reformes de 1993.
La politique de libéralisation financière se
justifie pour plusieurs raisons :
D'une part, les banques détiennent une part importante
de la masse monétaire. Elles créent de la monnaie et constituent
le principal instrument d'application de la politique
monétaire ;
D'autre part, elles administrent le système de
paiement et elles réalisent l'intermédiation entre épargne
et investissement. Autrement dit, elles collectent l'épargne et assurent
sa transformation en prêts, nécessaires au financement de
l'activité économique.
Cette politique est de nature à permettre au
système bancaire ivoirien d'évoluer dans un environnement
concurrentiel et de tarifer librement ses services d'intermédiation dans
la perspective de dégager des marges suffisantes pour remplir ses
fonctions d'intermédiaire financier.
Par ailleurs, comme l'ont indiqué Stiglitz et Weiss
(1981), la politique de libéralisation à la Mc Kinnon et Shaw
(1973), augmentant les taux d'intérêt, provoquera un effet de
sélection adverse, c'est-à-dire l'éviction du
marché du crédit des emprunteurs les moins risqués (ou ce
qui ont une forte probabilité de remboursement). La hausse du taux
d'intérêt accroît le rendement espéré mais
aussi le réduira à cause de l'accroissement de l'incertitude. En
définitive, du fait de cette sélection adverse, seules les
créances potentiellement douteuses sont retenues, les meilleurs clients
préfèrent s'abstenir si le complément d'information qu'ils
offrent ne fait pas baisser la surprime de risque (Nagel O, 1997).
En outre, Pindick et Rubinfeld (1994), Fry (1995), en plus
du problème de la sélection adverse, mettent en évidence
lorsque les crédits sont débloqués, celui de l'aléa
moral. Le degré d'aléa moral, qui exprime d'une certaine
manière le risque de non remboursement du fait du débiteur
négligent ou malveillant, influence directement le niveau des
créances non performantes des établissements bancaires.
L'aléa moral justifierait donc l'importance des garanties exigées
par les banques et incite l'emprunteur à participer aux outils de
réduction du risque de non remboursement que la banque aurait dû
assumer seule. Cependant, du fait des insuffisances des garanties
constituées, le système bancaire ivoirien semble assez
exposé aux conséquences de l'alea moral dont la résultante
serait la dégradation du portefeuille des banques (NIS, BCEAO). Ainsi,
dès lors que l'on tient compte des contraintes internes et externes
susceptibles d'influencer la coordination des objectifs, quelques fois
divergents, entre emprunteurs et prêteurs, le contrat de dette standard
cesse de devenir optimal. L'appréciation de la fiabilité du
système d'information à travers l'évolution des
créances irrécouvrables est donc un élément
important pour la réussite de la politique de libéralisation
financière. En effet un système d'information inefficient est
l'une des principales sources d'erreurs en matière d'appréciation
du risque. La capacité des banques à générer
à moindre coût, toutes informations utiles sur leurs clients, leur
permet d'en assurer un suivi régulier. Un tel système pourrait
permettre des simulations sur le sort probable d'un projet soumis au
financement et réduire ainsi la probabilité du risque de
défaut. En Côte d'Ivoire, la fiabilité du système
d'information est assez douteuse. Il s'est distingué par une
accumulation des créances irrécouvrables dans les années
1980- 1990 (Caprio et klingebiel ,1996) et une légère
amélioration de ces créances dans les années 1996-2002
(NIS, BCEAO).
Mais au-delà de la controverse théorique
(l'approche néostructuraliste), et compte tenu du caractère
« opérationnel » de la libéralisation
financière, il convient de déterminer si, oui ou non, cette
politique financière a permis d'accélérer le
développement et l'approfondissement du système bancaire de
l'économie ivoirienne. Autrement dit la libéralisation
financière a-t-elle un impact sur l'intermédiation bancaire en
Côte d'Ivoire ? Quelle est l'ampleur de l'influence de la
libéralisation des taux d'intérêt sur la mobilisation des
dépôts bancaires ? Le processus de libéralisation
financière a-t-il un impact sur le volume du financement bancaire
à l'économie ivoirienne ? Le système d'information
des intermédiaires bancaires ivoiriens contribue t'il à
l'efficacité de la politique de libéralisation
financière ?
Comme nous le signalions plus haut, les recommandations de Mc
Kinnon et Shaw ont très rapidement reçu un écho favorable.
Beaucoup y ont vu une manière simple et efficace de sortir un certain
nombre d'économie, notamment celle de la Côte d'Ivoire, du sous
développement. De nombreuses études économétriques
ont essayé de vérifier empiriquement les impacts de la
libéralisation financière sur l'intermédiation bancaire
(Thornthon 1991 ; Fry, 1995 ; Demetriades et Luintel, 1997). Ces
études, en général, ont mis l'accent sur le sens de la
corrélation entre taux d'intérêt et le niveau de
développement financier (Impact indirect). S'appuyant sur ces
études, nous essayerons sur la base des travaux de Courakis (1984),
Stiglitz (1994), Demertriades et luintel (1996), Bandiera et alii (2000), Ary
tanimoune (2001) et de Mouldi et Mourad (2004), de mettre en évidence
l'impact direct de la libéralisation financière sur
l'intermédiation bancaire capturer à partir d'un indicateur
d'orientation de la politique financière. L'intérêt de
prendre en compte l'impact indirect et direct tient au fait
que dans plusieurs évaluations empiriques les résultats demeurent
assez ambigus. En outre, en établissant que les mesures de politiques
financières et leurs conséquences, notamment la hausse des taux
d'intérêt et la dégradation du porte feuille des banques,
les développements de la théorie de l'intermédiation
bancaire sont donc susceptibles d'affecter la nature et les formes des contrats
financiers, offrant ainsi une voie de recherche sur l'efficacité de la
politique de libéralisation financière en prenant en compte la
fiabilité des systèmes d'information bancaire. Dès lors,
l'analyse du cas ivoirien nous conduit à la poursuite d'un objectif
principal et de trois objectifs spécifiques.
Objectifs de recherche
Objectif principal : le but de
l'étude est de proposer ici une analyse empirique de l'impact de la
libéralisation financière sur l'intermédiation bancaire en
Côte d'Ivoire. Ceci fait appel à trois objectifs
spécifiques.
Objectifs spécifiques :
- D'une part, montrer l'impact indirect (à
travers les taux d'intérêt) de la libéralisation
financière sur l'intermédiation bancaire ;
- D'autre part, montrer l'impact direct de la
libéralisation financière (à travers un indicateur de
politique financière) sur l'intermédiation bancaire ;
- Et enfin, montrer que le système d'information des
intermédiaires bancaires (à travers un indicateur de la
dégradation du portefeuille des banques) a contribué à
l'inefficacité de la politique de libéralisation
financière sur l'intermédiation bancaire.
Hypothèses de recherche
Les objectifs ci-dessus
énumérés reposent sur les hypothèses de recherche
suivantes :
- Les dépôts bancaires (épargne)
augmentent au fur et à mesure que le taux d'intérêt
créditeur s'élève ;
- Le financement bancaire augmente avec la diminution de
l'indicateur de politique financière ;
- Le financement bancaire évolue positivement avec
l'indicateur de dégradation du portefeuille des banques.
Méthodologie de
l'étude
Pour tester nos différentes hypothèses, nous
analysons d'abord nos variables en effectuant des tests de
multicolinéarité, de stationnarité et de
cointégration, puis nous estimons nos relations par la méthode
appropriée, en fin, nous validons nos résultats
économétriques par d'autres tests disponibles à cet effet.
Plan de l'étude
Le mémoire est organisé de la façon
suivante :
- La première partie, composée du chapitre I et
du chapitre II, sera consacrée aux aspects théoriques des
relations qui existent entre la libéralisation financière et
l'intermédiation bancaire d'une part et la présentation des
caractéristiques propres au système bancaire de la Côte
d'Ivoire d'autre part.
- La deuxième partie, composée du chapitre III
et du chapitre IV, sera respectivement celui de la présentation du
modèle et de l'interprétation des résultats.
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