II 5. L'ennui propre à
l'adolescent : voyage à l'intérieur de soi
« Celui qui connaît l'art de vivre avec
soi-même ignore l'ennui. »
Didier Erasme
Certains adolescents, comme je l'ai expliqué dans la
partie théorique, s'ennuient car ils ne savent pas vraiment ce qu'ils
ont envie de faire. Ceci étant parfois en lien avec le fait qu'ils ne
savent pas ce qu'ils sont. Ce qui revient à dire qu'ils ne savent pas
toujours ce qu'ils aiment, ce qui leur plait. Au lieu de chercher à
l'intérieur d'eux même des solutions, ils se réfugient
auprès des adultes. Il est parfois plus simple pour un adolescent de
faire appel à l'adulte que de se retrouver face à lui
même.
II 5.1 "On ne sais pas quoi
faire, rêvons un peu"
Je suis assise dans un fauteuil à côté de
plusieurs adolescentes. J'entends l'une d'elle dire qu'elle s'ennuie. Les
autres soutiennent la même chose. Je leur demande si nous sommes
obligées de faire quelque chose. Elles me répondent que si nous
ne faisons rien, le temps ne passe pas vite. Elles me racontent qu'elles en ont
marre d'être ici, qu'il n'y a rien à faire. Je leur demande ce
qu'elles font de plus quand elles sont chez elles. Elles me regardent un peu
hébétées. Elles me répondent un peu perplexe
qu'elles ne font rien de plus, mais qu'elles rêvent de faire pleins de
choses. Une adolescente me dit qu'elle voudrait un jour devenir chanteuse, une
autre qu'elle aimerait devenir pilote d'avion. Chacune leur tour, elles
réfléchissent au rêve le plus fou. Il y a beaucoup de
silence car elles pensent dans leur tête. Je les laisse à leur
imagination, elles réussissent à "occuper", comme elles
disent, leur temps. Au bout d'un certain moment, je leur signale que nous
allons manger. Elles me répondent qu'elles n'ont pas envie et qu'elles
se sentent bien ici. D'autres adolescents reviennent de leur promenade. L'un
d'eux raconte aux jeunes filles qu'il s'est beaucoup ennuyé. Il leur
demande ce qu'elles ont fait, l'une d'elle répond en rigolant, "rien,
nous avons rêvé!".
Il est intéressant de voir à quel point
l'inactivité des jeunes peut traduire un malaise. L'envie de faire
quelque chose précède souvent le besoin. Il est important de leur
demander de réfléchir à ce qu'ils ont vraiment envie de
faire et s'il y a lieu de le faire.
II 5.2 "Ce que j'aime, ce que je
n'aime pas? Je ne sais pas."
Je reparle, pour illustrer cette idée de Laurence.
Lorsque son état physique ne lui permet pas d'aller à
l'école, elle est souvent toute seule. Avec l'équipe de
professionnels, nous nous sommes mis d'accord pour mettre en place un projet de
recentrage sur elle-même. Nous lui accordons un espace temps, pour la
mise en oeuvre d'une activité qui lui plait. Je trouve le projet
pertinent, mais quelque chose me déplaît. Les différents
professionnels participant au projet ont des domaines de
spécialité. Une éducatrice lui propose de faire de la
relaxation, une autre de la réflexologie. Ce qui m'interpelle est le
fait que lorsque nous proposons, nous orientons la décision,
voire nous l'imposons. Pour moi, il est s'agirait de ne rien lui proposer, mais
plutôt que Laurence trouve et choisisse par elle même son
activité.
Laurence m'attend un matin. Le moment est prévu pour
effectuer l'activité. Elle interroge sur ce qu'elle va faire avec moi.
Je lui réponds que je ne sais pas. Elle me regarde, interloquée,
et me demande si elle ne s'est pas trompée d'horaire... Je lui
réponds qu'elle ne s'est pas trompée, mais que c'est elle qui va
choisir ce que l'on fera toutes les deux. Je ressens chez Laurence un sentiment
de gène et de malaise. Je pense qu'elle ne s'attendait pas à
cette réponse de ma part.
Elle me dit qu'elle n'a aucune idée de ce que l'on peut
faire et qu'elle ne trouvera sans doute pas d'idées. Je lui rappelle que
tous les jours, elle fait une multitude de choses et qu'elle doit sans doute
aimer l'une d'elle. Elle me répond qu'en effet, elle aime les choses
qu'elle fait mais que ce n'est pas forcément ce qu'elle
préfère. Je saisis à ce moment qu'elle fait beaucoup de
choses, chaque jour, mais qu'elles ne sont pas à la hauteur de ses
attentes. Elle ne se sent pas très à l'aise. Laurence est de
nature assez fière, le fait de lui rappeler le sens de ses actes ne lui
plait pas tellement.
Je n'insiste pas, et lui propose de faire avec elle une
check-list de ses goûts et de ses centres d'intérêt.
L'idée la séduit, mais lorsque je lui pose les questions, elle
n'est pas très bavarde. Je lui dis alors que nous reviendrons plus tard
dessus. On parle de choses et d'autres. Elle parvient à me dire que son
grand-père lui manque, qu'elle l'aime beaucoup et qu'ils font beaucoup
de choses ensemble quand elle n'est pas à l'hôpital. Elle me
raconte qu'il a une passion pour la peinture et qu'il reproduit les paysages au
fil des saisons. Elle, qui n'a pas de talent de peintre, photographie à
côté de lui. Je la laisse continuer son histoire qui la remplie de
gaieté.
Je sens que Laurence aime vraiment penser à sa famille
et qu'elle éprouve beaucoup de plaisir à m'en parler. C'est
quelque chose que, plus tard, je lui rapporte.
Je me demande à cet instant si j'en profite pour lui
dire qu'au lieu de faire une activité nous pouvons tout simplement
parler. Mais je reviens avec elle sur ce qu'elle vient de me raconter, sur le
fait qu'elle aime beaucoup la photographie. Je lui demande pourquoi elle ne
photographie pas à l'hôpital. Elle me dit qu'elle y a
déjà songé mais qu'elle n'avait pas envie que ça se
sache. Laurence ajoute qu'elle a peur de ce que les autres vont penser d'elle
si on la surprend à photographier. Elle me dit qu'elle se sentirait
nulle.
Après une heure passée à discuter, il est
temps pour nous deux d'aller dîner. Elle me demande si notre projet peut
être la photographie. J'acquiesce avec enthousiasme et lui dis que nous
commencerons la semaine prochaine.
Cette activité a eu lieu seulement une fois. La seconde
fois, Laurence n'était pas très en forme, elle n'avait pas envie
de faire l'activité. Je sens qu'elle n'est pas très à
l'aise quand elle me parle, elle me demande si je ne suis pas
déçue. Je la rassure en lui disant qu'elle n'est pas
obligée de le faire, c'est elle qui choisi. Je la remercie de sa
sincérité et lui précise que je suis contente qu'elle me
dise vraiment les choses. Une après midi, Laurence est toute seule, les
autres adolescents sont à l'école. Elle me raconte qu'elle avait
envie de faire de la photographie mais qu'elle n'en a pas fait. Elle explique
qu'au lieu de le faire, elle a pensé très fort à
son grand-père, à leurs moments passés ensemble, et que
ça a suffit à occuper son esprit.
Je pense que cette situation vécue avec Laurence
illustre bien le sentiment que les adolescents, et les individus en
général, peuvent avoir lorsqu'ils se sentent différent des
autres. Certains adolescents préfèrent ne pas développer
leurs centres d'intérêt et leurs goûts, au risque
d'être raillé par les autres. Choisir ce que l'on veut faire ou ce
que l'on veut être, ramène à la notion
d'individualité et de liberté.
|