II 3. Les difficultés de
l'éducateur face à l'ennui de l'adolescent
Comme je l'ai dit précédemment, ma pratique se
base non pas sur un projet mais plutôt sur les interactions avec les
jeunes au quotidien. Mon objectif final était de laisser des adolescents
chercher par eux-mêmes la signification propre à leur ennui. Cet
objectif n'a pas été déterminé et mis en pratique
dès le début du stage. En effet, j'explique dans la partie
théorique que la première réaction possible de
l'éducateur face à un adolescent qui s'ennuie est la
culpabilité. J'ai très souvent ressenti ce malaise. Pour
illustrer mes propos je vais vous relater une expérience vécue
pendant mon stage.
II 3.1 "On fait quelque chose
mais on s'ennuie"
Je me souviens d'une situation. « C'est un mercredi
après-midi. C'est une après-midi sans école, les enfants
ont des activités prévues. Les adolescents ont la
possibilité d'avoir des visites d'amis ou de participer à des
activités. Aujourd'hui, aucun adolescent n'a de visite, les
activités se passent dehors. En effet, il fait très beau. Tous
les enfants et les adolescents partent se promener avec les éducateurs.
Néanmoins, deux adolescentes de 15 et 18 ans doivent
rester au sein du service en raison de leur état physique très
faible, qui ne leur permet pas de sortir. Je suis avec elles dans la salle
principale. Je les vois inactives, elles sont enfoncées dans des
fauteuils et ont l'air de s'ennuyer. Je leur demande ce qu'elles ont, elles me
répondent d'emblée qu'elles s'ennuient, qu'elles ont en marre
d'être ici et qu'elles dépriment. Cet instant me replonge dans ma
propre période d'adolescente.
Je me souviens alors de cet état de lassitude physique
et surtout moral que je pouvais ressentir lorsque je ne pouvais pas sortir et
que je m'ennuyais. Je demandais alors souvent à mes parents de me
trouver une solution, ils me disaient « regarde la
télévision ou prends un livre ».
La salle du service a beaucoup de matériel pour des
activités manuelles, je leur propose alors de prendre des feuilles de
dessin, de la peinture, de trouver un thème et de laisser place à
leur imagination.
Elles me répondent qu'elles n'ont pas envie de suivre
mon idée. Je leur propose : "prenez un livre ou regardez la
télévision!". L'idée du livre ne les séduise pas
mais regarder un DVD les intéresse davantage. J'installe la
télévision qui leur projète un DVD. Je ressens alors un
soulagement, j'ai enfin trouvé un moyen de les occuper et de ne pas
ressembler au "mauvais éducateur qui ne propose jamais
rien !"Au bout d'une demi-heure j'entends l'une d'elles dire " on
s'ennuie encore, non ?" »
Après cette expérience et d'autres du même
genre, je me suis rendue compte que le fait de leur avoir trouver une solution
occupationnelle n'a fait que repousser leur malaise. J'analyse mon intervention
comme une solution dans l'immédiateté. J'ai voulu trouver
absolument une réponse avant même que l'adolescente se pose la
question de savoir pourquoi elle s'ennuyait. Je me suis alors demandée :
elles sont déprimées car elles ne font rien? Ou bien elles ne
font rien car elles dépriment ? De mon point de vue, je pense que
notre société est régie par la consommation
d'activité, et les institutions n'y échappent pas. Savoir que
l'on ne fait rien peut entraîner la culpabilité, voire la
dépression. Je me demande ce que ressentent ces deux adolescentes qui,
qu'elles fassent quelque chose ou ne fassent rien, se retrouvent dans le
même état psychique.
A partir de cette réflexion, je comprends que proposer
des réponses toutes faites ne contribue pas à faire oublier
l'ennui. Mon objectif est-il pour autant de faire oublier l'ennui ? Non.
Mon objectif est d'essayer de faire prendre conscience aux adolescents que
l'ennui peut être un symptôme au fait de ne pas savoir ce que l'on
veut faire. Ce qui est alors important pour moi c'est d'insister sur le fait
que l'on est pas obligé de faire quelque chose.
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