Chapitre VI : La doctrine de la dette odieuse et
répudiation
I- La doctrine de la dette odieuse
1- Contexte historique
L'utilisation des concepts incorporés par la
doctrine de la dette odieuse apparaît à la fin du 19ème
siècle lors de la décolonisation de l'Amérique Latine.
A cette époque l'emploi du droit international et des
thèses jus naturalistes par les grandes puissances
dans leurs relations avec les autres Etats est fréquent. La
période qui s'étend de 1890 à 1905 correspond à un
changement majeur dans les relations internationales. L'un des
éléments de ce changement est l'entrée des Etats-Unis sur
la scène internationale.
En effet, c'est à partir de cette période que la
politique extérieure des Etats-Unis oscille entre la Doctrine Monroe,
qui prône l'isolationnisme continental et fonde la politique
américaine tout au long du XIXème, et celle du Manifest
Destiny qui les pose en défenseurs de « l'ordre et de la
sécurité de la société civilisée
». L'intervention américaine à Cuba, en 1898, illustre
cet « élargissement de la doctrine Monroe».
C'est lors de la résolution de ce conflit hispano-américain, que
la doctrine de la dette odieuse fait son entrée dans la jurisprudence
internationale.
2- Conceptualisation
Est classiquement considérée « odieuse »
toute dette contractée par un gouvernement illégitime et/ou dont
l'usage est contraire aux besoins et intérêts du peuple.
C'est Alexander Nahum Sack, ancien ministre de Nicolas II ²
et professeur de droit à Paris, qui en 1927 formula cette doctrine suite
aux pratiques étatiques qu'il observa : « Si un pouvoir
despotique contracte une dette non pas pour les besoins et dans les
intérêts de l'État, mais pour fortifier son régime
despotique, pour réprimer la population qui le combat, etc., cette dette
est odieuse pour la population de l'État entier. Cette dette n'est pas
obligatoire pour la nation; c'est une dette de régime, dette personnelle
du pouvoir qui l'a contractée, par conséquent elle tombe avec la
chute de ce pouvoir.»
Selon la thèse jus naturaliste, le droit
international est la « réactualisation d'un ordre inscrit dans
les
desseins divins ou les décrets de la nature
». En se référant à des considérations
morales qui transcendent la sphère étatique, la doctrine jus
naturaliste impose l'idée de civitas maxima : la
communauté internationale.
² Nicolas II Aleksandrovitch, empereur de Russie
(1894-1917), renversé par la Révolution russe de 1917.
Cette doctrine s'oppose au principe de succession d'Etat
énoncée par la Convention sur la succession d'Etats en
matière de biens, archives et de dettes d'Etats de 1983. En
effet, selon l'auteur, le principe de succession d'Etat ne concerne
pas les dettes de régime.
De plus, face aux préoccupations des créanciers,
Sack argumente en faveur d'une responsabilisation de ces derniers. S'ils
connaissent les desseins de l'emprunteur, ils commettent « un acte hostile
à l'égard du peuple » et s'exposent eux-mêmes
au risque de non-remboursement si le régime est déchu. Ils ne
peuvent donc pas réclamer leur dû.
Les dettes de régime ne sont donc pas soumises au principe
de droit international pacta sunt servanta, selon lequel : «Tout
traité en vigueur lie les parties et doit être
exécuté par les parties de bonne foi» .
L'approche de Sack, empruntant le discours naturaliste, manque
cependant d'applicabilité. Une définition plus
opérationnelle des dettes odieuses est offerte par le Centre for
International Sustainable Development Law (Centre du Droit International pour
le Développement Soutenable). Elle établit trois critères,
sur lesquels s'accordent plusieurs auteurs, qui fondent le caractère
« odieux » d'une dette :
- l'absence de consentement : la dette a été
contractée contre la volonté du peuple.
- l'absence de bénéfice : les fonds ont
été dépensés de façon contraire aux
intérêts de la population.
- la connaissance des intentions de l'emprunteur par les
créanciers.
On remarque que l'affectation des fonds constitue un
critère plus pertinent que celui de la nature du régime dans la
distinction des obligations publiques. En effet, elle détermine la
régularité des dettes d'Etats. La jurisprudence penche
plutôt dans ce sens.
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