II- Remboursement par anticipation des créances
multilatérales
Le remboursement par anticipation qui constitue une rupture
de contrat, est régie par des règles et procédures. Ces
règles sont différentes lorsque l'éventualité est
prévue dans les clauses du contrat et de ce dont le contrat n'y
prévoit pas, ce qui nécessite le recourt au droit commun. Dans
ce qui suit, nous nous intéresserons aux cas plus précis de la
Banque mondiale, principal bailleur de fonds des pays pauvres. Dans les accords
de prêt de la Banque mondiale, les emprunteurs ont le droit de payer, par
anticipation, avant l'échéance et à une date acceptable
pour la Banque : a) l'encours du principal du prêt ; ou b) le montant en
principal dû à une ou plusieurs dates d'exigibilité du
prêt.
La prime de remboursement devant être acquittée
à ce titre est fonction du type de prêt considéré.
Les emprunteurs doivent informer la Banque par voie de notification de leur
intention de rembourser tout montant avant l'échéance au moins 45
jours à l'avance.
Cette notification préalable est nécessaire car,
elle permet semble-t-il à la Banque de fournir à l'emprunteur
une estimation détaillée du montant du remboursement
anticipé.
La Banque Mondiale a élaboré des règles qui
régissent les remboursements anticipés mais qui diffèrent
selon les types de prêts.
Pour les prêts à échéance fixe, les
montants remboursés de manière anticipée sont
imputés selon les modalités définies par l'emprunteur ou,
en l'absence de toute spécification de la part de l'emprunteur, de la
manière suivante : a) si l'Accord de prêt dispose que des
décaissements spécifiques doivent être remboursés de
manière distincte, comme dans le cas des prêts à
échéance fixe liés aux décaissements, les montants
remboursés de manière anticipée sont imputés dans
l'ordre inverse des dates desdits décaissements, en fonction de la date
de décaissement (le montant décaissé en dernier est
remboursé en premier) puis en fonction de la date d'exigibilité
(dans chaque tranche, c'est le montant qui est exigible à la date la
plus éloignée qui est remboursé en premier) ; et b) dans
tous les autres cas (c'est-à-dire pour les prêts dont le
calendrier de remboursement est défini lors de l'engagement), le montant
remboursé de manière anticipée est imputé dans
l'ordre inverse des échéances du prêt, en commençant
par les montants dus à la dernière échéance.
La valeur nominale d'une créance est le montant
emprunté minoré des remboursements en principal
déjà effectués. En d'autres termes, c'est le capital
restant dû. Ce montant dépend de l'échéancier de
remboursement en principal, mais ne dépend ni du taux
d'intérêt du contrat ni du taux d'intérêt actuel.
La prime prélevée en cas de remboursement
anticipé d'un montant quelconque d'un prêt est
déterminée par la Banque en fonction du coût du
redéploiement des fonds remboursés d'avance entre la date du
remboursement anticipé et la date d'exigibilité de ce montant.
Pour les prêts à échéance variable, la
Banque prélève une prime de remboursement anticipé qui est
en fonction du coût du redéploiement des fonds remboursés
d'avance entre la date du remboursement anticipé et la date
d'exigibilité de ce montant. Le calcul de la prime prend en compte la
différence entre le l'échéance payable pour le prêt
remboursé de manière anticipé et l'échéance
applicable à tout le prêt en la devise du prêt à la
date du remboursement anticipé. Les montants versés de
manière anticipée sont imputés aux paiements dus au titre
de l'amortissement du prêt aux dates les plus tardives.
Dans les conditions générales applicables aux
crédits de développement de l'IDA (guichet concessionnel de la
Banque mondiale), l'emprunteur a le droit de rembourser par anticipation tout
ou partie de l'encours du principal d'une ou de plusieurs
échéances de remboursement du crédit
désignées par lui. Actuellement, aucune prime de remboursement
anticipé n'est prélevée en cas de remboursement
anticipé des crédits de développement de
l'IDA.
A quelques exceptions près lié à la nature
même des crédits, les règles et procédures du
remboursement anticipé des institutions financières
multilatérales, sont identiques : notification de l'intention du
paiement anticipé, indemnité tenant compte du coût du
redéploiement des fonds remboursés en anticipation payée
par le pays débiteur.
III. Les enseignements de la stratégie du
remboursement par anticipation.
Les économies réalisées sur les
services futurs de la dette ne justifient pas en elles seules le rachat. En
fait, le gain doit être évalué par rapport au coût du
capital, c'est-à-dire au coût de refinancement ou au coût
d'opportunité. Ainsi, un refinancement de durée identique n'est
intéressant pour le débiteur que lorsque le nouveau taux
d'intérêt est inférieur à l'ancien. Dans le cas
contraire, la charge d'intérêt du débiteur sera alourdie.
De façon plus générale, le remboursement par anticipation
de dette n'est intéressant pour le débiteur que lorsque la valeur
actualisée de la même créance est supérieure
à son prix de rachat.
Le remboursement anticipé par un pays endetté peut
améliorer son rating (notation), lui permettant d'accéder aux
prêts à taux bas et permettre des économies sur le service
futur de sa dette. De ce point vu, il peut constituer une politique de
désendettement favorable au développement des pays de l'UEMOA,
dans le sens où les économies réalisées sur le
service futur de la dette ou les nouveaux prêts éventuels à
faible taux, serviront à des investissements dont les pays ont besoin
pour promouvoir une croissance économique durable.
Malgré les avantages qu'elle présente, cette
stratégie demeure inaccessible aux pays de la zone UEMOA, car elle
suppose la possession d'une réserve de change relativement importante.
Sauf à emprunter à taux bas pour rembourser les emprunts dont les
coûts sont élevés, or, les taux bas sont
généralement proposés par les marchés aux pays
présentant moins de risque.
Le remboursement de la dette par anticipation reste par
conséquent l'apanage des pays disposant de réserves de change
importantes grâce à leurs exportations de matière
première.
Les précédents du remboursement
anticipé :
La hausse des cours du baril du pétrole a
accéléré le mouvement récent de remboursement par
anticipation. L'Argentine avec une dette publique s'élevant à
141,252 Mds de dollar US soit 53,7 % de son PIB, décide sous la
présidence de Nestor Kirchner de rembourser la totalité de la
dette du FMI (9,81 Mds USD) par anticipation. Cette décision
interprétée comme une décision politique plus
qu'économique avait pour objectif d'assurer une certaine
indépendance du pays vis-à-vis du Fonds, lui laissant des marges
de manoeuvre en matière de politique économique.
Au point de vu strictement économique, ce remboursement
par anticipation n'a que peu d'effet puisqu'il a simplement consisté
à s'endetter pour honorer le FMI, l'encours de la dette demeurant
inchangé en conséquence. Seul changement, la créance passe
du portefeuille du FMI à celui de la Banque centrale (BCRA) dont les
réserves ont été sollicitées à la hauteur de
40 %.
Tout comme le Brésil, l'Argentine, l'Indonésie ou
encore la Russie, l'Algérie a aussi utilisé ses réserves
de change pour procéder à des remboursements anticipés de
sa dette extérieure.
En 2004, elle décide de se lancer dans le remboursement
anticipé de ses dettes et paie 1,6 Md USD à ses créanciers
bilatéraux et multilatéraux. Le processus
s'accélère quand le 11 Mars 2006, le gouvernement algérien
signe un accord multilatéral avec le club de Paris, portant
remboursement de la dette rééchelonnée entre 1994 et 1995.
Cet accord multilatéral qui ouvre la voie à des accords
bilatéraux, lui permet de rembourser de manière anticipée
ses dettes bilatérales estimées à 7,9 Mds USD. En quelque
mois, le pays signe douze accords avec ses créanciers. Fin juin 2006,
l'Algérie avait déjà remboursé par anticipation 4,3
Mds USD à ses créanciers du club de Paris. La partie
privée de sa dette environ 1 Md USD, devrait également être
remboursé avant terme.
Ainsi, la dette extérieure algérienne passe de 21,4
Mds en fin 2004 à 15,5 Mds USD en fin 2005 et devrait tomber aux
alentours de 5 Mds à la fin 2006, soit moins de 5 % du PIB et un peu
plus de 10 % des recettes d'exportation. Au niveau de sa dette publique totale
(intérieure et extérieure), elle passe de 99 % du PIB en 2005,
à 57 % en 2001, 40 % en 2003 et ne représente plus que 15 %.
Le coût d'opportunité de la stratégie du
remboursement anticipé fait l'objet de nombreuses controverses. Ainsi,
il paraît nécessaire que le choix du remboursement de la dette par
anticipation obéisse au calcul du coût-bénéfice. Les
sommes mobilisées par anticipation pourraient servir, selon certains
économistes, à investir pour promouvoir la croissance
économique et rembourser la dette grâce au surplus des recettes
fiscales générées. Pour d'autres, le paiement
anticipé permet non seulement de réaliser des économies
sur les intérêts futurs, mais permet, en outre, d'assurer une
indépendance du pays par rapport aux institutions financières
internationales (FMI, Banque Mondiale essentiellement) qui exercent une
supervision de la politique économique des pays dont elles sont
créancières et édictent dans la plupart du temps, les
programmes d'austérité budgétaire.
Le désendettement par le remboursement anticipé,
n'exige pas de reforme structurelle de nature à dégager de
recettes supplémentaires, mais dépend plutôt, de
manière générale, d'une aisance financière
conséquence, le plus généralement, d'une augmentation plus
que prévu des cours des matières premières dont le pays
débiteur est exportateur. Il obéit comme toute stratégie
de désendettement, à un choix délibéré soit
de s'affranchir de la surveillance des créanciers comme ce fût le
cas de l'Argentine de Nestor Kirchner, soit d'assurer une certaine
sécurité financière (le service de la dette étant
lié à la variation des taux d'intérêt).
Une telle stratégie devrait faire l'objet néanmoins
d'une analyse économique plus précise, afin de déterminer
les incitations et les éventuelles externalités qu'elle pourrait
susciter.
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