Deuxième Partie : les stratégies de
désendettement public
Dans la pratique, un débiteur public dans
l'incapacité de faire face à ses engagements peut en
théorie adopter plusieurs attitudes :
- Il peut essayer de se désendetter à tout prix, en
appliquant une austérité budgétaire immédiate
visant en premier lieu de stabiliser le ratio de l'encours de la dette en
pourcentage du PIB en adoptant des réformes structurelles limitant le
déficit, et ce pour obtenir une baisse progressive du ratio de
l'endettement.
- Il peut répudier purement et simplement sa dette et
cesser tout paiement.
- Il peut quand ses capacités le lui permettent de
rembourser par anticipation tout ou partie de sa dette avant
échéance.
- Il peut aussi suspendre de manière temporaire ses
paiements en déclarant attendre de nouveaux accords ou des conditions
favorables. C'est la solution qu'ont adopté certains pays comme le
Mexique en 1982. On parle de moratoire, qui en général dure
jusqu'un accord international intervienne.
- Il peut demander un rééchelonnement de sa dette.
En pratique, cela revient à étaler des engagements de court terme
vers le long terme. La dette est renégociée, les
créanciers acceptent de reporter leurs exigences. Cette solution a
été couramment pratiquée par nombre de pays en
développement, toute fois, elle contient une perversion
fondamentale : financer le court terme par du long terme soulage sans
doute la trésorerie immédiate, mais repousse le problème
en l'accroissant vers les années suivantes.
Toutes ces stratégies, comme nous le constatons, sont
à la disponibilité des pays débiteurs et peuvent
être mises en oeuvre leur initiative.
Pour des motivations différentes, un créancier
dispose, par ailleurs, d'une multitude d'instruments lui permettant
d'alléger souvent de façon temporaire le poids du service de la
dette de son débiteur.
Ainsi, dans des circonstances le plus souvent exceptionnelles, il
peut annuler tout ou partie de sa créance comme c'est le cas des
créances multilatérales des pays pauvres dont l'endettement est
jugé insoutenable dans le cadre de l'initiative en faveur des pays
pauvres très endettés. Cette solution est le plus souvent mise en
oeuvre par des créanciers publics bilatéraux. A titre
illustratif, François Mitterrand, président français de
1981 à 1995, avait annoncé lors du sommet de la Baule en 1989,
que la France annulait la totalité de ses créances sur trente
cinq pays africains, tous situés dans la tranche des pays à
faible revenu. Les abandons de créance bilatérale
obéissent dans la majorité des cas à des
considérations géopolitiques que purement économiques.
En fin, le créancier peut accepter ou proposer un
moratoire, une restructuration ou simplement un rééchelonnement
de la dette.
Vue la limite des stratégies autrefois appliquées
pour le désendettement public notamment le rééchelonnement
et la pratique des moratoires, dans cette deuxième partie, nous abordons
les stratégies qui de notre avis peuvent être entreprise par les
pays pauvres et notamment les pays de l'UEMOA en élucidant leurs
conséquences éventuelles, pour sortir du cercle vicieux de
l'endettement. Aux trois stratégies (le remboursement par anticipation,
la répudiation et la réduction du déficit structurel) que
nous nous efforcerons d'analyser les contours et qui peuvent décider et
appliquer par un pays endetté, nous aborderons une quatrième voie
qui, d'initiation des créanciers, accompagnée des mesures
permettant d'éviter les erreurs du passé, peut permettre aux pays
endettés et notamment les pays de l'UEMOA de sortir du
surendettement.
Chapitre V : Le remboursement par anticipation
Le remboursement par anticipation comme toute
stratégie de désendettement a pour but d'annuler ou diminuer
l'encours de la dette. C'est une pratique qui consiste à rembourser
avant l'échéance contractuelle le tout ou une partie de la dette.
Relevant d'un contrat entre débiteur et créancier,
toute modification des termes du contrat de prêt fait en principe l'objet
d'un accord bilatéral entre pays débiteur et pays ou groupe de
pays créanciers, définissant les modalités. Les conditions
du remboursement anticipé, diffèrent qu'il soit effectué
au profit des créanciers publics réunis dans le club de Paris ou
aux créanciers multilatéraux.
I- Remboursement par anticipation dans le cadre du club de
Paris
1- Contexte historique :
Une des caractéristiques des créances du Club de
Paris, contrairement à celles du Club de Londres, est leur
illiquidité. Ces créances, à la différence des
émissions obligataires, ne sont pas cessibles et il n'existe aucun
marché sur lequel elles pourraient être négociées.
Il en résulte un monopole de rachat par le débiteur. Le prix de
cession résulte, en théorie, d'une négociation
bilatérale. Pour maintenir une égalité de traitement et
concilier les intérêts des créanciers et des
débiteurs, le Club de Paris s'accorde sur des règles communes.
D'un coté, les débiteurs souhaitaient pouvoir racheter leurs
créances avec décote, comme cela s'était produit pour
certains pays pour des créances commerciales (émission
obligataires). D'un autre coté, certains créanciers,
désiraient en cas de remboursement anticipé de pouvoir exiger des
pénalités compensant les coûts de rupture.
Ces deux positions demeuraient inconciliables. Pour ces raisons,
les membres du club de Paris choisirent une voie médiane et un
compromis : ni décote ni pénalité permettant
d'envisager, vers la fin des années 1990, sous réserve du
consensus des créanciers, le remboursement par anticipation au pair de
leurs créances, chaque partie conservant la possibilité à
titre individuel, de refuser le remboursement anticipé. Malgré
cette règle, il a fallu attendre le retournement de la conjoncture qui
prévalait au début des années 1980 en matière de
taux d'intérêt, pour voir le mouvement de remboursement
anticipé de la dette s'accéléré.
En effet, au début des années 1980, les taux
d'intérêt nominaux mondiaux à long terme dépassaient
10 %, compte tenu du niveau élevé de l'inflation. C'est dans ce
contexte de taux élevé que l'Algérie, la Russie, la
Pologne et le Pérou ont souscrits leurs emprunts initiaux. Ces emprunts
furent restructurés et rééchelonnés par le club de
Paris dans les années 1990.
La désinflation commencée depuis le milieu des
années 1980, a conduit à une baisse importante des taux, qui sont
passés en dessous de 5 % à partir de 2003 dans les deux
principales économies de référence en matière de
taux d'intérêt (Etats-Unis, Allemagne).
Figure 2 : Taux d'intérêt
à 10 ans
En %
Source : Banque de France.
De cette baisse significative du taux d'intérêt, il
en a résulté une hausse de la valeur actuarielle des anciennes
créances et donc, un intérêt croissant pour leur
refinancement.
2. Les remboursements anticipés au Club de
Paris :
La baisse des taux d'intérêt (figure 1) s'est
accompagnée de l'amélioration de la santé
financière des principaux pays débiteurs (l'Algérie, le
Brésil, la Russie etc.) exportateurs de matières
premières, plus précisément grâce à la hausse
des cours du pétrole. Il en a résulté un relèvement
général des notes des principales agences de notation, ce qui par
nature rend l'accès facile aux marchés des capitaux à bas
taux d'intérêt.
Dans ce contexte, les conditions de financement des pays
débiteurs exportateurs de pétrole se sont considérablement
améliorées et la valeur actualisée de leur dette a
dépassé le pair. Il est devenu rentable de rembourser par
anticipation, notamment, grâce à la règle du « ni
décote ni pénalité » des années 1990.
Ainsi, à partir de 2005, le remboursement par anticipation a pris de
l'ampleur pour un certain nombre de débiteurs de poids.
Depuis 2005, au total, plus de 57 Mds $ de créances ont
été remboursés par anticipation par les débiteurs
du Club de Paris.
Tableau n° 8 : Remboursements
anticipés par Pays aux créanciers du Club de Paris
Pays
|
Montant en Mds $
|
Fédération de Russie
|
37
|
Algérie
|
7,9
|
Pologne
|
5,4
|
Pérou
|
1,5
|
Brésil
|
1,5
|
Source : Banque de France, 2006.
Ces rachats ont pris la forme de payement anticipé des
échéances futures en principal, les intérêts
à échoir n'étant pas versés. Ils portaient donc sur
la valeur nominale de la dette restant due (au pair) et n'ont pas donné
lieu à pénalité pour rachat anticipé, à
l'exception du remboursement de la dette russe en 2006 où certains
créanciers ont bénéficié d'une prime d'un montant
total d'un milliard de dollar US et dont 700 Millions pour l'Allemagne.
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