II. Traitements de la crise de la dette
La dette devenue le premier problème des pays en
développement, grevant les budgets publics des rares ressources
disponibles. Par ailleurs, le remboursement qui exige un effort
considérable d'exportation au regard du statut externe de la dette, dans
un contexte de retournement des conjonctures ayant soutenu l'endettement,
précipite les pays endettés dans les difficultés
économiques.
A partir de 1983, la suspension des prêts bancaires est
presque totale. Les transferts de capitaux vers les pays en
développement deviennent négatifs c'est-à-dire que le flux
de ressources des pays en développement vers les pays
développés est devenu supérieur à celui provenant
des pays industrialisés (notion de transfert net). Avec le tarissement
des prêts, les arriérés de payement s'accumulent. Les pays
de la zone UEMOA en totalité sont confrontés à des
déséquilibres commerciaux et financiers croissants (la Côte
d'Ivoire, principale économie de la région, a connu de
déficit de la balance des paiements courants spectaculaire). Le
remboursement de la dette devient le premier problème à
régler, nécessitant un effort d'exportation puisque la dette est
en quasi-totalité libellé en devise étrangère et
notamment en dollar. Pour la plupart des pays en difficulté, le retrait
des banques privées rend de plus en plus nécessaire un recours
à l'aide du FMI dont l'adoption de ses programmes constitue une
étape nécessaire pour obtenir des réaménagements de
dettes.
Ces réaménagements prennent le plus souvent la
forme d'un accord multilatéral et s'appuient sur l'adoption de la part
des pays débiteurs d'une sorte de « code de bonne
conduite », dans la définition duquel le FMI joue un
rôle directeur.
Ce code de bonne conduite appelé
« conditionnalités », conduit à la mise en
place de politique de stabilisation pour finir en général par
l'adoption de politique d'ajustement structurel sous l'égide du FMI et
de la Banque Mondiale et qui, constitue une étape préalable et
indispensable, sauf quelques exceptions près à l'accès, au
rééchelonnement des deux Clubs informels de retraitement de la
dette.
1- Les contraintes financières ont conduit
à la crise économique :
Dans les pays en développement, le début des
années 1980 correspond à un retournement de la conjoncture.
Ainsi, avec une dizaine d'années de retard sur le déclenchement
de la crise économique dans les pays industrialisés, les chocs
externes (échanges internationaux et les mouvements de capitaux) vont
faire basculer les pays de la région dans la récession.
L'activité économique interne doit donc désormais
s'adapter à une capacité d'importation plus réduite et
à la raréfaction des capitaux étrangers. Pour l'ensemble
des pays de la zone, ce marasme économique rend nécessaire le
recours à l'aide du FMI. Ce dernier conditionne son intervention
à l'adoption de programme d'ajustement structurel qui repose sur le
dosage des éléments suivants : réduction des
dépenses publiques, dévaluation de la monnaie nationale,
réduction du poids du secteur public, blocage des salaires, reforme
fiscale, des mesures qui ont été pleinement appliqué par
l'ensemble des pays de l'UEMOA. Il réussit à s'ériger pour
les pays en difficulté en une institution incontournable pour obtenir
des réaménagements de dette aux deux clubs de
réaménagement de dette (Club de Paris et celui de Londres) en
jouant un rôle clé de coordination grâce à son
appareil statistique et à son implantation sur le terrain.
- Rôles du FMI dans les négociations de
réaménagement de dette :
Le Fonds joue un rôle d'information et de
coordination devenu incontournable dans le cadre du
réaménagement de la dette des pays en développement.
- Le rôle d'informateur :
Les clubs de Paris et de Londres sont de petites
structures, seul le FMI est capable de collecter l'ensemble de l'information
économique et financière relative à un pays donné.
Il existe trois principaux degrés dans la recherche de cette information
sur un pays membre.
Le premier degré est commun à l'ensemble des pays.
L'article IV des statuts du Fonds prévoit en effet qu'il doit mener, une
fois par an, une consultation auprès de chaque membre.
Au début des années 1980, la Pologne n'a
signé aucun accord préalable pour obtenir le
réaménagement de sa dette, ce qui tenait beaucoup plus à
de considérations géostratégique propre à la guerre
froide.
La mission séjourne quelques semaines sur place et
rédige une étude qui est soumise au conseil d'administration du
Fonds. Ces consultations servent à la rédaction du World Economic
Outlook.
Le second degré est la surveillance renforcée,
créée en 1985. Ce mécanisme prévoit que le pays
doit établir un programme financier détaillé comprenant
les objectifs macroéconomiques tels la maîtrise de
l'évolution du stock de la dette, le retour à une croissance
soutenue, l'équilibre de la balance des paiements, qui s'apparente au
programme triennal de l'évolution des finances publiques que chaque pays
membre est tenu d'adresser à la commission européenne. Il
prévoit aussi que le Fonds procède à des missions
régulières de surveillance en général deux fois par
an.
Le troisième degré concerne l'envoi d'une mission
ad hoc dans le pays débiteur pour préparer la signature d'un
accord d'ajustement avec le Fonds.
- Le rôle de coordination du
Fonds :
Le Fonds coordonne les négociations entre
débiteurs et créanciers notamment dans le cadre des demandes de
rééchelonnement de dette au sein des deux clubs. Le Fonds
élabore en concertation avec le pays concerné le programme
d'ajustement et négocie avec les créanciers la couverture des
besoins financiers. Par ailleurs, la conclusion d'un accord avec le Fonds est
préalable à l'ouverture des négociations sur le
rééchelonnement de dette des deux Clubs.
2- Réaménagements de la
dette :
Malgré l'ampleur de la crise de la dette, il n'y pas
eu, à proprement dire, de répudiation de dette unilatérale
parce qu'il s'agit de la pire solution qui aurait conduit à l'isolement
des pays débiteurs. Il existe, à cet égard, quatre moyens
de modifier le profil d'une dette :
- Le rééchelonnement, il consiste à
étaler la période de remboursement d'un prêt sur une
période plus longue que prévue initialement. Seule la
durée du prêt est modifiée, ses autres
caractéristiques, comme le taux d'intérêt par exemple,
restent inchangées.
- Le refinancement, il s'agit de la révision, plus ou
moins étendue, des conditions du contrat d'origine. Les autres
paramètres du contrat ne sont pas modifiés.
Le World Economic Outlook du FMI, retrace les évolutions
les plus marquantes de l'économie mondiale dans les six derniers
mois.
- La conversion, la créance d'origine dans les cas
précédents n'est en rien modifiée. Ici, la dette change de
nature. La créance peut être convertie en actifs réels et
n'être plus constitutive d'un titre financier. Ces actifs réels ne
donnent plus lieu normalement à transfert de capitaux.
- Le quatrième est l'annulation des créances, une
technique qui vise à diminuer le stock de la dette pour diminuer son
poids (service de la dette).
Dans la pratique et dans un premier temps, les apparences sont
maintenues au travers du report des échéances
(rééchelonnement), puis progressivement des mesures de
réduction, voire d'annulation de la dette vont s'imposer.
2.1- Le rééchelonnement de la
dette :
Le rééchelonnement de la dette qui n'est
autre que la modification des termes contractuels d'une dette, en modifiant,
par exemple, les échéances ou en reportant le paiement du
principal et/ou des intérêts à une date donnée. Il
est traditionnellement la première phase par laquelle passe un
débiteur se trouvant dans l'incapacité de faire face à ses
engagements avant la mise en place d'un programme d'ajustement
économique. Le principe fondamental du rééchelonnement est
l'analyse du problème rencontré par le débiteur comme un
problème de liquidité ce qu'on a appelé stratégie
du créancier qui consiste à assurer la continuité du
service de la dette. A ce titre, il apparaît opportun aux
créanciers de procéder à un aménagement de
l'échéancier de la dette permettant en principe au
débiteur de continuer à faire face à ses engagements en
raison de la baisse du service de la dette.
Ce n'est qu'à partir du sommet de Londres (juin 1984), que
des négociations portant sur des accords de
rééchelonnement pluriannuels débutent au sein des
deux clubs de retraitement de la dette (Club de Paris et Club de Londres) qui
loueront un rôle clé. Ces négociations conduisent à
des restructurations de la dette sur des périodes plus longues assorties
de baisse des taux d'intérêt.
2.1.1- Le Club de Paris :
Réuni sous la présidence du Directeur du
Trésor du Ministère français des finances, le Club de
Paris regroupe les créanciers publics des pays développés
et, à titre d'observateurs, des organisations financières
internationales (Banque Mondiale et FMI essentiellement). Ses membres s'y
réunissent pour s'accorder sur le rééchelonnement des
obligations financières de gouvernements débiteurs
vis-à-vis de créanciers publics. Un certain nombre de principes
président à son fonctionnement.
Pour un débiteur, les conditions d'accès au
rééchelonnement en Club de Paris sont strictes. En effet, tout
pays endetté ne peut accéder directement à une
restructuration sans répondre à deux conditions :
- être en situation de « défaut
imminent ». En effet, la restructuration ne peut être
accordée qu'à un pays confronté à des
difficultés de balance des paiements. L'existence d'un
arriéré de paiements est en par ailleurs perçue en quelque
sorte comme un critère déterminant.
- avoir conclu avec le FMI un accord sur le programme
d'ajustement économique qui vise, en général, à
obtenir une croissance non inflationniste et à accroître la
capacité de remboursement du pays demandeur.
Une fois que le débiteur est déclaré
éligible à l'aide du Club, une autre étape s'engage. Il
s'agit du traitement du problème de sa dette, lequel obéit
à des règles techniques précises et immuables pour tous
les créanciers et débiteurs du Club de Paris.
Premièrement, le club ne rééchelonne que
deux types de créances : celles qui correspondent à des
dettes contractées auprès de créanciers publics (les
organismes de financement étatiques : Agence Française de
Développement (AFD), Fonds Abu Dhabi, Fonds Saoudien de
Développement (FSD), Fonds Koweitien de Développement (KFAED),
Italie-Mediocredito etc.) et celles qui correspondent à des dettes
commerciales à garantie publique. Ainsi, les dettes dues aux
organisations financières internationales et intergouvernementales (FMI,
Banque Mondiale etc.), celles à court terme (moins d'un an) et la dette
publique contractée auprès de pays non membres du club en sont
exclues. En outre, le rééchelonnement porte sur le principal et
non les intérêts, et comporte toujours une date butoir (depuis mai
1984 en général) : seule la dette contractée avant
cette date peut être rééchelonnée.
2.1.2- Le Club de Londres :
Contrairement au Club de Paris, le Club de Londres n'a
pas véritablement d'existence formelle et officielle. On regroupe
parfois sous cette expression les comités ad hoc réunissant les
principales banques créditrices dans les cas où la situation
financière d'un pays débiteur pousse la communauté
bancaire internationale à chercher à négocier avec
celui-ci un accord d'aménagement de ses obligations financières.
Le Club de Londres -- ou Comité consultatif des banques commerciales,
selon son appellation officielle -- est une instance chargée de la
restructuration de la dette consentie par des banques privées (sans
garantie publique). Comme le Club de Paris, il n'a pas de statuts et ses
membres varient selon les dossiers dont il est saisi. À la
différence de ce dernier, il n'a ni secrétariat ni lieu de
réunion fixe.
Bien qu'étant de nature complètement
privées, les renégociations de dettes au Club de Londres, ne sont
pas indépendantes de l'action des institutions financières
officielles. Ceci est dû en particulier au fait que les banques exigent
le plus souvent de leur débiteur que celui-ci ait obtenu l'aide du FMI,
ce qui implique la mise en place d'une politique de stabilisation
économique. Les principes de négociation du club de Londres, sont
inspirés notamment, de ceux du club de Paris. Ils en ont trois en
commun :
- pour accéder à une restructuration de sa dette
bancaire, il faut qu'il se trouve en situation de défaut imminent de
paiement. Il faut, en outre, qu'il ait signé au préalable un
accord avec le FMI. Cette condition n'est pas devenue obligatoire qu'à
partir de 1976 avec le réaménagement péruvien.
- Ensuite, le Club de Londres a imposé comme principe le
suivi par le FMI de l'ajustement du débiteur.
La particularité du club de Londres par rapport à
celui de Paris, c'est que les banques participantes touchent des commissions de
l'ordre d'environ 1 % pour le rééchelonnement. Par
conséquent, le coût d'intervention du club de Londres est
sensiblement plus élevé que celui de Paris.
2.2- Le bilan de l'action des deux
clubs :
Le Club de Paris, de 1956 date de sa première
réunion à 1984, a mis en oeuvre la stratégie du
créancier qui consiste à mettre les débiteurs en situation
de rembourser leurs dettes. Le diagnostic des créanciers publics
concluait à une crise d'illiquidité situation dans laquelle la
valeur actualisée des remboursements est inférieure à
l'encours de la dette. La crise de la dette était
considéré comme conjoncturelle. Par conséquent, les moyens
utilisés par le Club consistaient en des rééchelonnements
classiques qui avaient pour but de repousser les échéances des
prêts contractés par les pays débiteurs. En plus,
progressivement, un marché gris des dettes publiques de mauvaise
qualité » s'est constitué, animé par des Fonds
qui rachètent les créances de mauvaise qualité avec
décote.
L'année 1984 marque la prise en compte d'une
véritable situation d'insolvabilité des pays endettés. De
1984 à 1988, le Club amorce une reforme de ses modes d'intervention.
Plusieurs principes techniques, en vigueur dès 1956, ont
été révisés. Ainsi, la période de
rééchelonnement a été allongée, faisant de
la consolidation pluriannuelle une pratique désormais courante.
Le Club de Londres a, certes vu son fonctionnement
profondément évoluer. Le plan Baker (1985) a permis, en donnant
une liberté aux acteurs notamment bancaires, d'initier un mouvement
d'innovations de techniques financières de traitement de la dette
(reconversion de dette etc.) en inaugurant une approche par menu . Cette
approche donnant le choix aux banques d'intervenir auprès des
débiteurs de la manière quelles désirent essentiellement
sur la participation, le mode de négociation et le choix des options
(nouveaux prêts directs, les conversions des financements nouveaux en
fonds propres, l'achat d'obligation du débiteur).
Ce plan connu un échec en ne permettant pas une reprise de
la croissance en Amérique latine pour rendre la dette soutenable.
Dès le printemps 1986, le Mexique demandait le secours des
créanciers et obtient un nouveau rééchelonnement de sa
dette. La position des débiteurs se durcit : en janvier 1987, le
Brésil obtient du Club de Paris un rééchelonnement qui
pour la première n'est pas soumis à l'accord du FMI sur
l'orientation de sa politique économique. Le mois suivant le
Brésil suspend le paiement des intérêts dus aux banques
commerciales.
2.3- Les nouvelles innovations de retraitement de la
dette des pays pauvres
Les réaménagements de dette, tant du Club de
Londres que du Club de Paris, ont été insuffisants face à
l'ampleur de l'endettement structurel des pays pauvres. Les causes de
l'échec du Club de Paris ne lui sont pas spécifiques. Elles
appartiennent aussi au Club de Londres.
Les réorganisations des dettes opérées par
le Club de Paris n'ont pas réussi à résoudre le
problème l'endettement officiel. Ces mesures excluaient, le menu et les
options différentes selon des parties, au profit d'un accord
général de principe qui cadre les négociations
bilatérales. Elles étaient, surtout, faites de
rééchelonnements, c'est-à-dire de reports de la date de
remboursement d'un montant limité du principal de la dette, le reste des
sommes dues demeurant soumis aux conditions de remboursement initiales.
programme pour une croissance soutenue, proposée par le
Secrétaire d'Etat Américain au Trésor James Baker en 1985,
principalement destiné aux pays débiteurs des prêts
bancaires notamment d'Amérique latine.
Ces rééchelonnements n'ont pas permis aux pays
concernés de sortir des difficultés liées au poids de la
dette pour plusieurs raisons :
- les mesures exigées par l'accord d'ajustement du FMI,
ont privilégié les aspects financiers de la dette aux
impératifs de production du pays débiteur, portant parfois
préjudice aux perspectives de croissance à long terme ;
- les rééchelonnements accordés par le Club
de Paris n'ont souvent servi qu'à repousser dans le temps le service de
la dette. Et la mise en oeuvre des rééchelonnements de dettes
ayant été rééchelonnées
(procédé accepté à partir de 1985 par les
créanciers privés) a rendu encore plus complexe la situation de
certains débiteurs.
Ces échecs ont rendu nécessaires de nouvelles
concessions des créanciers face aux difficultés que rencontrent
les pays endettés. A l'évidence, la situation des pays à
faible revenu en particulier les pays de l'UEMOA, diffère de celle des
pays fortement endettés à revenus intermédiaires
essentiellement d'Amérique latine, ce qui appelle à des
traitements différents. Alors que le réaménagement de la
dette des pays à faible revenu passe nécessairement par l`action
de gouvernements créanciers des pays industrialisés, le
réaménagement des dettes bancaires des pays fortement
endettés repose pour partie sur l'initiative privée et le
fonctionnement des marchés.
2.3.1- L'accord de Toronto :
Les premières propositions de
réaménagement visant à réduire, voire à
annuler, la dette publique des pays à faible revenu ont vu le jour en
juin 1988, à l'occasion du sommet du G7 de Toronto. Ces propositions,
adoptées lors de la réunion annuelle de la Banque Mondiale et du
FMI à Berlin en 1988, portent sur l'ensemble des créances
éligibles au Club de Paris. Elles reposent sur un menu de trois options
qui sont ouvertes aux pays créanciers :
- la première option soutenue par la France, consiste
à une annulation pure et simple d'un tiers des créances
publiques, le restant devant être rééchelonné au
Club de Paris aux conditions habituelles, sur une période de quatorze
ans, avec une période de grâce de huit ans.
- la seconde option, qui a la préférence des
Etats-Unis, consiste en un allongement de la période de remboursement de
vingt cinq ans au lieu de quatorze, avec une période de grâce de
quatorze ans. Cette solution consiste donc en un étalement des
paiements, avec capitalisation des intérêts.
- la troisième option, soutenue par la Grande Bretagne et
par l'Allemagne fédérale, consiste en une réduction du
taux d'intérêt en vigueur sur les créances publiques, pour
l'abaisser à 3,5 % ou à la moitié du taux initial si
celui-ci était inférieur à 7 %.
Dans le cadre de l'accord de Toronto, en février 1991, un
prêt spécial de la Banque mondiale a permis au Niger de racheter
sa dette commerciale (108 M de dollars US, soit 10 % de la dette
extérieure, mais 20 % du service de celle-ci). Cette dette a
été rachetée à 18 % de sa valeur nominale, avec
l'accord de la grande majorité des créanciers. Le Togo a pu
bénéficier des mêmes possibilités.
Le caractère limité de l'impact de l'accord de
Toronto car concernant essentiellement les pays pauvres dont le montant, en
absolu, de leurs dettes est très inférieur à celui des
pays à revenu intermédiaire, a conduit les pays du G7 notamment
lors du sommet de Houston aux Etats-Unis en 1990, à étendre aux
pays à revenu intermédiaire et lourdement endettés la
possibilité de bénéficier les termes de l'accord de
Toronto.
Cette proposition, connue sous le nom du Programme de Houston,
pour en bénéficier, les débiteurs doivent remplir
plusieurs conditions dont essentiellement :
- leur PNB par habitant doit être inférieur à
1 235 dollars en 1991 ;
- un ratio « dette bilatérale/dette
commerciale » supérieur à 150 % ou un service de la
dette trop élevé (les ratios dette /PIB et dette /exportation,
respectivement supérieurs à 50 % et
275 %. Quatorze pays ont bénéficié de ce
programme, jusqu'en 1993.
En 1991, le Club de Paris prend conscience de l'insuffisance de
ses efforts envers les pays à faible revenu, en proposant un menu de
Toronto renforcé c'est-à-dire amélioré en
élargissant les options :
- le rééchelonnement est porté à
vingt trois ans avec une réduction de 50 % en valeur actualisée
des remboursements venus à échéance, au titre de la dette
publique non concessionnelle.
- le rééchelonnement au taux concessionnel
d'origine, des créances dues sur une période de trente ans, dont
douze de grâce. Ce rééchelonnement de la dette
concessionnelle comporte une remise de l'ordre de 50 %.
- la possibilité pour les créanciers qui le
souhaite, de mettre en oeuvre des conversions de dette en monnaie locale en vue
d'investissement sur place.
- une clause de bonne volonté qui ouvre la facilité
d'un traitement du stock de la dette, après une période
probatoire de quelques années pendant laquelle le débiteur devra
avoir maintenu des relations satisfaisantes avec ses créanciers. Dans la
zone UEMOA, le premier à en bénéficier fut le Bénin
(1991) suivi par le Mali, le Togo et le Burkina Faso.
Mais cet aménagement de dette ne semble pas être
à la mesure des problèmes liés à la crise de la
dette d'où l'adoption d'un nouveau dispositif nommé menu de
Naples qui voit passer l'annulation des sommes aménagées de 50 %
à 67 %. La plus récente innovation est l'idée d'une
réduction du stock de la dette. Elle se manifeste le projet d'une
annulation pure et simple qui concerne pour l'instant le stock la dette
multilatérale des pays pauvres estimés très
endettés.
2.3.2- Les innovations de réaménagement
des créances privées
Concernant essentiellement les pays à revenu
intermédiaire fortement endettés d'Amérique latine, les
réaménagements des créances privées initiés
par les gouvernements des pays industrialisés et les institutions
financières internationales se sont traduits par un certain nombre
d'innovations destinées à résoudre la crise
financière.
- Le plan Baker :
Présenté par le secrétaire américain
au Trésor à la réunion de la Banque Mondiale et du FMI
tenue à Séoul en octobre 1985, en effet le plan Baker mettait en
avant la nécessité d'un ajustement par la croissance plus que par
la contraction de l'activité économique, en opposition avec la
pratique des politiques de stabilisation mises en oeuvre jusqu'alors.
L'argumentation soutenue, reposait sur la nécessité du retour une
croissance durable pour sortir de la crise d'endettement. Le plan avait pour
but de fournir les moyens notamment financiers d'un retour à la
croissance, par un accroissement de flux nouveaux de capitaux essentiellement
en prêts bancaires. Ce plan s'est heurté à la
réticence des banques d'augmenter leurs financements.
Dans la foulée de l'échec de ce plan, qu'est
née l'initiative Brady en 1989 du nom du successeur de James Baker au
Secrétariat américain du Trésor, Nicolas Brady.
- L'initiative Brady :
Cette initiative qui constitue une innovation nouvelle du
réaménagement de la dette, consistait en un dispositif permettant
aux banques de répondre aux besoins de financement des pays en
développement. Le fondement de l'initiative Brady est de diminuer les
risques « subis » par les banques, pour se faire,
l'initiative propose des opérations d'échange de dette avec une
décote, les nouveaux titres de dette pouvant être assortis d'une
garantie par le FMI et la Banque Mondiale.
Tout comme l'accord de Toronto, l'initiative Brady repose aussi
sur la proposition de menu d'options entre lesquelles les différents
créanciers pourraient choisir. Ces options sont essentiellement en ordre
de trois :
- la première consiste à convertir les
créances en obligation avec une décote (décote de 35 %) et
rémunérées au taux du marché.
- la seconde propose une conversion sans décote, mais
contre des obligations portant un taux d'intérêt réduit
(6,25 %).
- la troisième option est la constitution par un apport de
nouveaux prêts étalé sur quatre années, pour un
montant égal à 25 % des concours initiaux.
Appliquée au traitement de la dette mexicaine, les banques
ont largement opté pour les deux premières options, ce qui
atteste la confiance limitée des banques pour de nouveaux
prêts.
Ce manque d'engouement des banques a limité fortement le
succès de l'initiative Brady.
En marge, d'autres innovations ont fait leur chemin sur la
résolution de la crise de la dette notamment le marché secondaire
des titres de créances qui pratique des conversions de dette avec
décote. En 1991, les dettes du Pérou s'échangeaient
à 10 % de leur valeur nominale.
La persistante du surendettement montre que les mécanismes
traditionnels de réduction de la dette des pays pauvres,
c'est-à-dire que les différents passages devant le Club de Paris
et le Club de Londres, n'ont pas été suffisants. Cette
persistance, fait le problème de la dette un phénomène
récurrent dans la problématique du développement des pays
pauvres notamment de par le poids que représente son remboursement dans
les budgets publics. Il y a environ vingt ans, dans les pays pauvres,
l'endettement était soutenu dans l'espoir de générer le
développement économique, aujourd'hui il leur faut se
développer pour se désendetter. Ainsi, les vertus de
l'endettement sont mises en causes, la traditionnelle controverse sur les
conséquences de l'endettement dans le fonctionnement de
l'économie ressurgit.
Chapitre IV : Problèmes de la dette
publique
En théorie, l'endettement peut être
bénéfique, lorsqu'il permet à un pays d'accroître
ses capacités de production et de s'industrialiser. L'augmentation de
production permet à terme de rembourser les capitaux empruntés.
C'est ce discours qui prévalait durant la période d'endettement
du tiers monde. Les crises répétées de la dette ont
contribué à la résurgence de la vieille controverse sur
l'utilité de la dette publique.
I. Effets économiques de la
dette
1- Les objectifs économiques de la politique
d'endettement
La dette publique qu'elle soit appréhendée en terme
d'endettement nouveau (flux) ou d'encours (stock), est par sa nature même
un instrument d'action de politiques économiques publiques dont le mode
opératoire s'inscrit dans la trilogie fonctionnelle d'analyse de
l'intervention de l'Etat présentée en 1959 par Musgrave à
savoir (allocation-redistribution-stabilisation).
Les objectifs économiques poursuivis par la politique
d'endettement peuvent être synthétisés autour de quatre
axes essentiels :
- un des moyens de financement des déficits et par la
même des dépenses publiques. La finance publique dans la
théorie classique vouait par tradition la dette au financement des
dépenses d'investissement public, les impôts devant
nécessairement financer les dépenses de consommation et de
transferts publics. L'analyse keynésienne de la finance publique,
insistait sur la fonction de stabilisation de la dette, promue au rang
d'instrument de régulation de la demande globale, qui peut contribuer
efficacement, via le ressort multiplicateur/accélérateur, au
financement de divers types de dépenses publiques, en agissant
directement sur la consommation et l'investissement publics, et (ou) en
influençant le partage consommation/épargne des ménages et
par la même l'investissement privé.
- un second objectif de la dette publique est aujourd'hui mis en
oeuvre par les tenants de la nouvelle économie classique. Pour ces
derniers en effet, même si la dette publique n'influence pas le partage
épargne/consommation, il peut être intéressant pour l'Etat
de recourir à la dette publique afin de lisser dans le temps les
variations du poids de l'impôt.
- un troisième objectif de la dette publique fait de cette
dernière dans l'optique de la fonction de répartition et de la
redistribution des ressources et des patrimoines, un instrument de transfert de
charges intra ou intergénérationnel.
- le dernier objectif apparaît dans l'examen de la
dimension strictement financière de la dette. Le « debt
management » classique insiste sur l'articulation nécessaire
entre dette publique et politique monétaire.
Malgré l'importance de la question de la dette, il est
difficile de déterminer au-delà de quel seuil la dette compromet
la performance économique tout comme le chiffrage de son incidence sur
la croissance.
Au demeurant, certaines tentatives de détermination du
seuil d'endettement continuent à alimenter largement la controverse.
Ainsi le Pacte de Stabilité et de Croissance dans l'Union
Européenne impose un certain plafond en matière d'endettement. Il
en est ainsi le plafonnement du déficit budgétaire et de la dette
publique, respectivement à 3 % et à 60 % du PIB. Ce
plafond s'impose en effet à tous les pays membres, quelles que soient la
position dans le cycle de croissance et les conditions économiques du
pays. La limite des 3 % de déficit ne correspondait d'ailleurs
qu'à un calcul purement théorique : c'est le niveau qui
assure la stabilité d'une dette publique de 60 % avec une inflation
de 2 % et une croissance en volume de 3 %. Ces seuils sont au moins
aujourd'hui contestés par certains économistes. Selon Jean Paul
Fitoussi de l'OFCE « le niveau optimal d'endettement au-delà
duquel un pays serait en faillite, serait un niveau d'endettement si
élevé qu'il impliquerait le renoncement aux dépenses
publiques nécessaires à assurer la cohésion
sociale » ².
Par ailleurs, certains pays dont le niveau de la dette est
jugé inquiétant (le Japon 130 % du PIB, l'Italie 120 %, la
Belgique 100 %) continuent d'avoir de très bonne note dans les agences
de notation et la souscription de leurs emprunts considérée comme
de placements sans risque.
Cette considération ne s'applique pas aux pays en
développement et encore moins aux pays pauvres notamment africains, ce
qui permet d'appréhender la notion de risque de défaut de
payement en termes de capacité de mobilisation de ressources.
Par ailleurs, l'analyse économique de la dette publique
s'intéresse habituellement à un double perspectif :
- la fiscal policy : qui traite les problèmes
afférents au niveau et à l'extension de la dette,
- le debt management, traite de la structure, de la composition
de la dette.
OFCE : Observatoire Français de Conjoncture
Economique
² Débat avec Jean Paul Fitoussi paru sur le site
du monde en date du 11 Janvier 2006.
Cette double analyse peut être schématisée
en macrodynamique de la dette (approche en niveau qui met en évidence
la place de la dette au sein des grands agrégats, du fonctionnement
global de l'activité économique) et microdynamique de la dette
(approche en structure centrée sur la spécificité de
l'unité économique Etat ou administration publique face à
la gestion de la dette, avec impact différencié sur les autres
unités économiques).
L'ambivalence des effets issus de cette double analyse a conduit
à une schématisation autour des thèmes d'effets
d'entraînement et d'effets d'éviction.
2- Les effets économiques de la dette dans
la théorie économique
Au cours des trente dernières années, les
pays en développement ont bénéficié de prêts
considérables, assortis souvent de conditions très
concessionnelles qui devaient permettre leur décollage rapide en
favorisant l'investissement et en accélérant la croissance.
Mais, devant les sommets atteints par les ratios d'endettement
dans les années 80, un constat s'est imposé : pour de nombreuses
économies, et en particulier pour quelques pays d'Amérique latine
à revenu intermédiaire, le remboursement de la dette serait non
seulement un frein aux performances, mais une tâche quasiment
impossible.
La théorie économique est habituellement
mobilisée à la fois par ceux qui justifient et par ceux qui
condamnent les déficits publics.
Les premiers s'appuient surtout sur les travaux du
célèbre économiste anglais John Maynard Keynes. En effet,
face à la crise de 1929, celui-ci estimait que l'Etat avait vocation
à injecter de la dépense dans le circuit économique,
quitte à creuser temporairement les déficits publics lorsque
l'économie tourne en sous régime. Ses thèses sont devenues
dominantes après la seconde guerre mondiale, contribuant notablement aux
succès de ce qu'on a appelé les Trente Glorieuses années
en Occident.
En montrant ses limites de promotion de la croissance au
début des années 70, en raison d'un certain nombre de facteurs
exogènes dont entre autre le premier choc pétrolier de 1973, la
thèse keynésienne de déficit conjoncturel a largement
été mis en cause notamment sur le plan théorique par les
tenants du monétarisme dont Milton Friedman et les influences que cette
école a exercé sur les politiques économiques à
partir des années 1980 plus précisément aux Etats-Unis
sous Reagan et au Royaume Uni sous Thatcher. La politique de relance
économique n'est pourtant pas abandonnée. L'endettement des
Etats de l'UEMOA, nouvellement indépendants, au début des
années 60, s'inscrivait dans le but de fonder les bases d'une
économie de croissance et ceci dans la logique de la définition
du concept du sous- développement de l'époque.
Du côté des seconds, de nombreux économistes
considèrent que donner « artificiellement » un
supplément provisoire de revenu aux ménages, ne les incite pas
réellement à consommer davantage car ils ajusteraient leur
consommation sur une vision de long terme de leurs ressources (théorie
du revenu permanent). En outre, constatant aujourd'hui l'augmentation des
déficits publics, les ménages anticiperaient les augmentations
d'impôt nécessaires demain et renonceraient à consommer
d'avantage pour épargner (effets dits
« ricardiens ») qui ne sont pas observés
actuellement dans les pays jugés fortement endettés. Par
ailleurs, les emprunts contractés par l'Etat pour financer ses
déficits capteraient tous les capitaux disponibles et feraient, de ce
fait, monter les taux d'intérêt selon le processus de
l'élémentaire loi de l'offre et de la demande.
Cette augmentation affecterait négativement les
capacités d'emprunt et d'investissement des entreprises privées.
Ces effets appelés effets d'éviction ne caractérisent pas
non plus les grands pays fortement endettés (les Etats-Unis, le Japon,
la France etc.) dans lesquels les taux d'intérêt demeurent
relativement bas. Certains économistes reconnaissent cependant que la
dépense publique peut jouer un rôle déterminant dans la
croissance de long terme, si elle est investie dans le capital humain
(éducation, recherche etc.) ou dans les infrastructures, élevant
ainsi la productivité, donc le rythme d'activité (théorie
de la croissance endogène).
La théorie suggère que l'emprunt, contenu dans
des limites raisonnables (difficilement quantifiables), peut aider les pays en
développement à affermir leur croissance. L'idée est que
les économies qui sont au stade initial de leur développement
disposent d'un stock de capital limité et offrent souvent des
possibilités d'investissement plus rentables que les économies
matures. Aussi longtemps qu'elles emploient les capitaux empruntés pour
financer des investissements productifs et échappent à certains
maux (instabilité macroéconomique, adoption de mesures faussant
les incitations, chocs de grande ampleur), leur croissance devrait
s'accélérer et leur permettre de rembourser à
l'échéance les dettes contractées. Malgré cette
argumentation vraisemblable, l'endettement des pays pauvres en particulier pose
d'énormes difficultés quant au remboursement et son effet sur la
croissance n'a pas été totalement avéré, là
se pose la problématique de l'usage des fonds prêtés.
L'explication la plus connue est avancée dans les
théories du «surendettement» : si l'on peut penser que la
dette future dépassera les capacités de remboursement des pays
débiteurs, le coût de son service découragera les
investissements intérieurs et extérieurs, pénalisant ainsi
la croissance. En revanche, la réalité de l'usage des fonds
prêtés, n'a fait l'objet d'aucune étude approfondie pour
mettre en évidence la mauvaise gestion imputable aux gouvernements
emprunteurs ou à l'organisme prêteur, le plus souvent au motif de
considération politique et géopolitique. Bien que les
modèles n'analysent pas explicitement l'impact du surendettement sur la
croissance, on peut en déduire que l'accumulation de lourdes dettes
ralentissant l'expansion en freinant notamment l'investissement paraît
plus nuancé, notamment si l'on se penche sur le cas de certains pays
industrialisés comme le Japon.
Il semble donc, d'une part, qu'une évolution
raisonnable de la dette devrait être bénéfique à la
croissance et, de l'autre, que l'accumulation d'une lourde dette risque
d'entraver l'expansion, ce qui résume en quelque sorte le débat
controversé de la relation entre dette et croissance. Les
théories du surendettement ne retracent pas à vrai dire cet
impact. Globalement, la théorie conduit à penser que l'emprunt
extérieur a un effet positif sur l'endettement et la croissance s'il ne
dépasse pas un certain seuil et au-delà duquel, son effet devient
négatif.
L'endettement des pays en développement, en particulier
les pays sous étude, étant par essence un endettement
extérieur public, pose la problématique relation entre dette et
commerce extérieur, le second devant dégager un excédent
(rentrée de devise) permettant d'honorer le payement du service de la
dette extérieure.
La dette extérieure a le potentiel de stimuler la
croissance économique à condition qu'elle serve à financer
des investissements.
En revanche, le service de la dette extérieure (par
opposition à l'encours total de la dette) peut en outre influer sur la
croissance en évinçant les investissements privés s'il est
l'objet de nouvelles émissions de titre notamment auprès du
système financier national (effets d'évictions) ou en modifiant
la composition des dépenses publiques. Toutes choses étant
égales par ailleurs, un service plus lourd peut accroître le
déficit budgétaire de l'Etat et réduire ainsi
l'épargne publique. Un tel service peut en outre réduire le
montant des ressources disponibles pour l'infrastructure et la formation du
capital humain, avec les effets négatifs à en attendre sur la
croissance ce qui est typique au cas des pays de l'UEMOA.
Au-delà de ces controverses théoriques sur le
déficit, donc de la dette publique, un consensus semble se
dégager sur les conséquences du niveau élevé et
croissant de la dette publique notamment en termes de rigidité
budgétaire et de soutenabilité.
2.1- Endettement et rigidité
budgétaire
Le niveau de la dette est jugé préoccupant
tant dans les pays développés du point de vu de son effet sur la
redistribution, sur la génération future et notamment de la
rigidité pour promouvoir ou accompagner la croissance dans l'optique
keynésienne, que dans les pays pauvres du point de vue poids du service
de la dette sur les finances publiques au regard des besoins de financement
dans la lutte contre l'extrême pauvreté.
Les effets économiques de la dette doivent être
distingués de ceux dus aux déficits budgétaires (lesquels
sont à l'origine des engagements financiers croissants du secteur
public). Les implications de déficits durables sur les taux
d'intérêt notamment durant les périodes d'expansion de la
demande (du moins en théorie), ont largement contribué à
la mise en oeuvre des tentatives de politiques d'assainissement des finances
publiques dans la plupart des pays de l'OCDE depuis 1979 par le biais de
programme d'ajustement structurel qualifié par certains milieux
notamment syndicaux, de néolibéral du fait des vastes programmes
de privatisation et de l'ouverture des frontières économiques.
Ces réformes avaient pour but de rompre avec la croissance
molle. Il en a été autrement pour les huit pays de l'UEMOA, vu la
dégradation des indicateurs macroéconomiques qui sont les leurs,
en raison notamment de la chute des recettes d'exportations de matières
premières, rendant « insoutenable » la dette. Ces
pays n'ont pas tardé à connaître des difficultés de
paiement lié au service de la dette. A la lumière de ces
difficultés, de nombreux rééchelonnements ont
été opérés accompagnés de programme
d'ajustement structurel en vu de rendre soutenable la dette.
La dette des pays pauvres et celle des pays de l'UEMOA en
particulier étant totalement publique et dont les créanciers
sont essentiellement de l'extérieur, les emprunts sont souscrits en
devise étrangère, le remboursement pose vraisemblablement des
problèmes de balance de payement, de change et de problème
budgétaire.
2.2- Effet sur le taux de change :
Dans ce contexte de dette
essentiellement publique et contractée en devise étrangère
comme c'est le cas des pays de l'UEMOA, la capacité de remboursement
peut s'apprécier du point de vue de la viabilité de la balance
des paiements.
Pour rembourser leur dette, les gouvernements doivent disposer de
ressources importantes en devises. Pour cela, il faut que l'économie des
pays en questions puisse disposer d'une capacité de production
échangeable sur le marché international, qu'il s'agisse de biens
d'exportation ou de substitut aux importations génératrice de
devise, ce qui pose sans doute problème aux pays concernés du
fait de leur spécialisation dans l'exportation de matières
premières dont les cours fluctuent en permanence .
Dans cette situation, traditionnellement, le seul moyen
utilisé pour équilibrer les ressources et les emplois en devises,
en l'absence d'une dévaluation réelle suffisante, est de
réaliser une contraction du niveau de l'activité
économique. Cette contraction le plus souvent provoqué par le
programme de stabilisation préalable à l'application du programme
d'ajustement structurel, vise à assurer avec les moyens disponibles,
l'équilibre de la balance des paiements. Cette réduction massive
de l'activité économique a des conséquences
économiques notamment une déstructuration de l'économie et
provoquant le plus souvent des tensions sociales.
2.3- La crise de la dette et la
surévaluation du taux de change :
Le diagnostic qui est fait par le FMI dans les
économies endettées est que la solution de la crise
financière passe inévitablement par une dévaluation de la
monnaie nationale, condition indispensable à la création de
ressources supplémentaires en devises, qui manquent pour assurer le
service de la dette. Cette vision a conduit à la dévaluation du
Franc CFA de 50 % en 1994, ce qui n'a véritablement pas permis de
résoudre le problème de la dette à la suite de la crise
des cours des matières premières exportées.
2.4- Le problème budgétaire
associé au renversement des transferts nets :
De 1973 à 1982, les pays en développement
ont bénéficié, par le biais de l'endettement
international, de transfert net de ressources considérables. Reprenant
la définition utilisée par la Banque Mondiale, le transfert net
de ressources est le solde entre les apports financiers constitués par
le flux brut d'emprunt à long terme et les charges de cette dette sous
forme de remboursement du principal ou de rémunération des
créanciers. Pendant les années 1970, jusqu'en 1982, la croissance
de la dette était telle que les nouveaux crédits obtenus
dépassaient largement les charges de la dette antérieure, de
telle sorte que, les pays en développement ont
bénéficié de transferts nets de ressources
considérables. La hausse des taux d'intérêts internationaux
à partir de 1979 a radicalement modifié les conditions de cette
évolution. Le transfert net de ressources est devenu négatif pour
la plupart des pays en développement.
Cet aspect du problème de la dette renvoi au rôle
de la production de biens échangeables dans la détermination de
la capacité de remboursement de la dette internationale, donc de
soutenabilité de la dette.
Face à ces difficultés, les
réaménagements de dette sont devenus, le plus souvent,
différents car les modes de financement sont opposés,
possibilité de recourir aux marchés internationaux des capitaux
pour ceux qui concernent respectivement les pays à revenu
intermédiaire et l'exclusion des pays pauvres de ces marchés de
capitaux. Ce qui rend ces derniers largement tributaires des prêts
publics (bilatéraux ou multilatéraux).
L'endettement croissant des pays ex-communistes répond
à une logique de transition vers une économie de marché.
Les causes de cet endettement diffèrent radicalement des deux autres.
Pour les pays industrialisés, la fin des trente
glorieuses, marquait aussi le début de l'endettement, dont les contours
sont fort différents de ceux des autres catégories de pays. Cet
endettement a surtout servi à contenir les tensions sociales
liées au chômage de masse et une politique keynésienne de
soutien à l'activité économique.
Si le recourt à l'emprunt parait se justifier pour toutes
les catégories de pays, la nature des emprunts et les objets
financés, prêtent à discutions.
La conception du problème de développement,
résumée à un problème de finance et de technologie
qui a prévalu lors de la présidence de Robert S McNamara à
la tête de la Banque Mondiale, sans véritablement se
préoccuper des projets à financer, fait naturellement partie des
explications de la crise de la dette de nombreux pays, dont les solutions
adoptées reposent essentiellement sur l'analyse de la
soutenabilité.
II Le concept de soutenabilité de la dette
Le niveau d'endettement ne peut s'apprécier qu'au
regard de la capacité du débiteur à mobiliser des
ressources pour faire face au service de la dette . C'est toute la
différence entre les pays industrialisé et les pays pauvres. Le
problème de l'endettement se pose en termes de flux et non de stock.
Ainsi les grands pays industrialisés trouvent toujours facilement des
emprunts sur le marché obligataire et demeurent bien noté par les
Agences de notation.
Cette analyse revient à poser le problème de
l'endettement des PVD en termes d'un problème de balance de paiement.
L'endettement en affecte le solde en raison des sorties de capitaux au titre du
service de la dette.
La capacité de mobilisation des ressources
déjà très faible, le démantèlement des
barrières douanières, faisant partir des conditionnalités
du programme d'ajustement structurel, a contribué à la perte de
recette publique sans avoir permis de réelle compensation en termes de
mobilisation d'autres ressources.
Par ailleurs, sans excédent de la balance des transactions
courantes, il est impossible à long terme pour des pays comme ceux de
l'UEMOA de remplir leurs engagements largement exprimés en devise
étrangère.
Devant la situation de crise, les organisations de Breton Woods
ont fini par réagir, après avoir longtemps fait accepter
l'idée que leurs créances devaient rester indiscutables. Fin
1996, une initiative ouvrant la voie à la réduction de la dette
multilatérale a été mis en oeuvre (Initiative de
réduction de la dette des pays pauvres très endettés,
PPTE). La procédure, fort complexe, repose sur l'idée
suivante : les pays qui présentent les caractéristiques d'un
endettement excessif par rapport à leurs ressources se verront octroyer
de la part du FMI et de la Banque mondiale une réduction de dette de
telle qu'ils ramènent leur endettement à un niveau jugé
« soutenable ». Cette réduction n'entre
définitivement en jeu qu'après une période probatoire
d'une durée initialement fixée à six ans, pendant laquelle
les bénéficiaires potentiels devront mettre en oeuvre des
« efforts d'ajustement redoublés ».
Fin 1998, l'initiative PPTE avait démontré sa
lenteur et ses limites : sept pays seulement avaient été
sélectionnés et les réductions de dette prévues
restaient souvent symboliques. Ceci a conduit le G7 à adopter, en juin
1999 sous la pression des organisations humanitaires et religieuses
regroupées dans la coalition Jubilé 2000, une résolution
qui ouvre la voie à un traitement rapide et plus généreux
de la dette des PPTE. Les seuils à partir desquels la dette est
jugée insoutenable ont été réduits (150% au lieu de
200 à 250% par exemple pour le ratio valeur actuelle de la dette
extérieure/exportations des biens et services).
Ainsi, au coeur de l'initiative PPTE se trouve donc la notion de
soutenabilité de la dette : il s'agit de mesurer dans quelles
conditions les pays concernés peuvent être mis à condition
de rembourser leurs dettes.
1- Soutenabilité de la dette
De manière très générale,
l'analyse de la soutenabilité consiste à confronter les flux de
remboursement avec des flux de ressources.
Une dette publique est réputée soutenable, si son
encours est inferieur à la valeur actualisée des futures
excédents primaires (solde budgétaire positif hors
intérêt de la dette).
La soutenabilité repose à la fois sur la valeur des
excédents budgétaires futurs et du taux d'actualisation.
Le but de l'Initiative PPTE est de résoudre
définitivement le problème du surendettement en proposant des
réductions de dette bilatérale et multilatérale, afin que
les pays éligibles atteignent des niveaux soutenables de dette.
L'étude de cette soutenabilité de la dette
extérieure publique revient de manière classique
à :
- préciser la notion de soutenabilité
retenue ;
- spécifier les caractéristiques et les
déterminants de la croissance de l'économie ou, de manière
générale, des facteurs qui améliorent les capacités
de remboursement ;
- spécifier la façon dont ces déterminants
sont liés avec le financement extérieur créateur
d'endettement ;
- spécifier les causes de l'endettement
extérieur ;
- spécifier les caractéristiques du financement
extérieur.
La plupart des évaluations pratiquées dans
l'analyse de la soutenabilité de la dette extérieure sont
fondées sur un modèle « standard » qui est
lui-même la synthèse d'un courant d'analyse de l'endettement
extérieur apparu il y a une cinquantaine d'année dans l'analyse
économique à travers les écrits d'Harrod Domar vers les
années 1944. Le modèle standard effectue des choix aux cinq
niveaux indiqués ci-dessus.
Au plan théorique, le critère de solvabilité
est que la dette finisse par s'annuler.
En pratique, ce qui importe, c'est que le pays puisse continuer
à recevoir des financements extérieurs (ou que les nouvelles
émissions de titres publics soient souscrites). La condition pour cela
est qu'il paye régulièrement les intérêts sur
l'encours de ses dettes. Cette condition diffère de la première,
puisqu'elle est compatible avec le fait que l'encours de la dette progresse
régulièrement. Pour traduire cette condition sur le plan
quantitatif, on utilise la notion de soutenabilité. Le critère de
soutenabilité repose sur l'hypothèse générale d'un
ratio déterminé (généralement le rapport D/Q,
encours de la dette divisé par le PIB) qui tend vers une limite finie.
Cette limite est par exemple fixée à 60 % au sein de l'UE et de
l'UEMOA. Dans les modèles théoriques, ce critère est en
général considéré suffisant : le fait que les
ratios d'endettement ne connaissent pas de tendance explosive suffirait
à assurer la possibilité de continuer à s'endetter.
Dans la littérature économique, il existe plusieurs
méthodes pour évaluer la soutenabilité selon l'angle de
référence choisie. La dette publique est souvent dite soutenable
si les intérêts qu'elle engendre ne font pas accroître
indéfiniment le niveau de son stock rapporté au PIB. Ainsi, en
prenant la dette extérieure comme une donnée exogène, le
solde budgétaire avant paiement des intérêts (dit
primaire) rapporté au PIB est soutenable s'il est supérieur au
seuil défini par la formule :
DB Ix - Fx ÄA
SPseuil = ---- (r - n) + ------ - ----
Y Y Y
|
SPseuil : seuil de soutenabilité pour le Solde
rapporté au PIB
Fx : financement extérieur net
Ix : intérêts de la dette extérieure
Y : Produit Intérieur Brut
DB : dette publique intérieure
r : taux d'intérêt nominal apparent de la dette
intérieure
n : taux de croissance économique nominal
A : variation des arriérés
2- Difficultés liées à
l'évaluation de la soutenabilité
Pour établir une projection permettant
d'évaluer la soutenabilité, il est habituel du moins dans les
modèles utilisés par le FMI et la Banque Mondiale, de
préciser les ressources avec lesquelles l'économie
endettée assurera les remboursements (taux de pression fiscale ou flux
des nouveaux prêts), et les déterminants de leur croissance
(capital physique et humain, investissement public et privé, taille du
marché etc.).
L'analyse d'un niveau minimum est difficile à mener sur le
seul plan économique, car il dépend de la capacité des
gouvernements à mobiliser d'avantage de ressources ou d'accepter une
diminution des dépenses publiques.
Quelques que soient les modèles de croissance
sous-jacents, la plupart des analyses de la soutenabilité de
l'endettement extérieur utilisent des paramètres (coefficient de
capital, taux de pression fiscale, etc.) fixes ou, dans une approche plus
raffinée, des variations régulières de ces coefficients.
Ceci implique de nombreuses limites, qu'on regroupe en général en
deux grandes catégories :
- absence de prise en compte du changement structurel ;
- absence de prise en compte de l'instabilité.
Etude sur « Soutenabilité,
finançabilité et relance budgétaire », Direction
des Etudes et des Prévisions financières du Maroc, Document de
travail n° 19, Mai 1997.
De manière générale, l'analyse de la
soutenabilité consiste à confronter des flux de remboursement
avec les flux de ressources, après avoir spécifié le
déficit qui est à l'origine de la dynamique de la dette. Quand on
passe de la théorie aux pratiques d'évaluation de la
soutenabilité, les instruments de formalisation mathématique, qui
ne sont généralement valides que sous leurs hypothèses,
prêtent sujet à discussion comme dans toute
modélisation.
Cette limite de la pertinence de l'analyse de la
soutenabilité est aussi confortée le plus souvent de la
confrontation aux avancées de la théorie économique. Par
exemple, la réflexion sur la croissance, a depuis une dizaine
d'année, avec la théorie de la croissance endogène, mis en
évidence le rôle décisif des externalités
(accumulation de capital humain, économie d'échelle,
infrastructures publiques etc.), à côté de la simple
accumulation du capital physique sur la croissance économique.
Certaines approches classiques de la soutenabilité de la
dette extérieure, prennent essentiellement en considération le
déficit de la balance des payements, ce qui est aussi la
référence principale des organisations internationales dans le
cadre de l'initiative pays pauvres très endettés (PPTE).
L'endettement des pays pauvres étant public, le
problème se pose principalement en terme budgétaire notamment la
problématique de la mobilisation des ressources.
L'analyse de la soutenabilité au-delà de la
définition des paramètres théoriques retenus à son
évaluation, est le plus éclairée par des projections
combinant de disciplines telles que la mathématique et la statistique,
dont le calcul ou test s'effectue sous des hypothèses discutables et
discutées.
Classiquement, le test de soutenabilité de la dette se
fait généralement à l'aide d'une formalisation assez
simple et qui se traduit par la formule classique suivante (en notant b :
rapport dette/PIB ; b' : son accroissement par unité de
temps ; G : le montant des dépenses publiques hors
intérêts ; T : le montant des recettes publiques ;
r : le taux d'intérêt ; Y : le PIB et g :
son taux de croissance) :
b' = [( G -T ) /Y ] + b(r - g)
Si b' est positif, le ratio b augmente sans cesse : la dette
est dite explosive,
Si b' est négatif, le pays est solvable
c'est-à-dire que la dette s'annule à un moment donné,
Si b' est égal à zéro, le ratio b se
stabilise : la dette est soutenable.
L'usage de cette méthode d'évaluation en 1996 par
certains économistes dont Daniel COHEN, a montré la situation
insoutenable de l'encours de la dette de nombreux pays africains. Cette
étude a en outre contribué à la prise en conscience
générale sur la problématique de la dette des pays
pauvres, aboutissant à l'initiative PPTE.
Cette méthode d'évaluation diffère des
autres modèles (en particulier celle qu'utilisent la Banque Mondiale et
le FMI dans le cadre des évaluations de la soutenabilité de la
dette, qui constituent la première étape pour
bénéficier de l'initiative PPTE) sur un point crucial : la
dynamique de l'endettement y est générée par le
déficit des opérations financières de l'Etat et non par le
déficit extérieur.
L'évolution de l'analyse de la soutenabilité a
conduit tout au long des cinquante années de problème de la
dette, à des propositions visant à la rendre viable ou soutenable
à travers des rééchelonnements
d'échéanciers. L'endettement des pays pauvres est demeuré
malgré tout élevé. Au milieu des années 90, il
était devenu manifeste que les mécanismes d'allégement de
la dette, les nouveaux concours officiels et l'ensemble de mesures visant
à ramener la dette à un niveau soutenable, n'étaient pas
suffisants.
La persistance du problème a clairement montré, du
moins pour ce qui concerne les pays pauvres dont les huit pays de l'UEMOA, que
les solutions adoptées ont non seulement pas permis de rendre la dette
soutenable, mais ont été la plupart du temps la cause des
difficultés économiques que rencontrent ces pays d'où les
critiques aux programmes d'ajustement structurel et aux procédés
de rééchelonnement au sein des deux clubs de renégociation
de la dette.
En 1996 à Lyon, le sommet du G7, le FMI et la Banque
mondiale ont lancé conjointement l'initiative en faveur des PPTE afin de
proposer une solution exhaustive aux problèmes d'endettement des pays
pauvres. Cette initiative s'appuyant aussi sur l'analyse de la
soutenabilité, marque une rupture par rapport aux pratiques anciennes
qui excluaient de la renégociation de dette, les créances
multilatérales.
Daniel COHEN, est Professeur de sciences économiques
à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne).
|