l'Expression collective des salariés( Télécharger le fichier original )par Alphonse BALOA Université de Yaoundé II - Soa - DEA en Droit privé 2006 |
RESUMEL'expression collective des salariés est la faculté qu'ont les salariés à manifester de manière collective leur pensée par la parole ou le geste. La loi définit les moyens collectifs d'expression des salariés tant en période de prospérité de l'entreprise qu'en période de difficulté. Parmi ces moyens, certains favorisent le développement et le maintient et le maintien du dialogue social tandis que d'autres le rompent afin de faire pression sur l'employeur pour la satisfaction de leurs réclamations et revendications. Toutefois, l'efficacité du système camerounais d'expression collective des salariés exige la définition de nouveaux modes collectifs d'expression et leur diffusion dans toutes les entreprises où il existe des salariés. ABSTRACTA collective expression that have employees is the faculty that they have to express in a collective manner their thought to match one's actions to one's words. Law defines the collective means of employees expression both in prosperity period and difficult period of the firm. Among those means, there are some which further the development and maintain the social dialogue whereas others cause the break-up of that social dialogue in other to encourage employees to increase pressure on their employers for the improvement of working conditions. In fact, efficiency of the collective expression of employees in the Cameroon system request the definition of the new collective methods of expression and their diffusion in all firms. INTRODUCTIONAu XXIe siècle naissant, le monde du travail est frappé de plein fouet par les contraintes liées à la mondialisation et à la globalisation des échanges. Partout, la privatisation est associée à une conception patrimoniale de l'entreprise qui laisse peu d'espace d'expression aux travailleurs. L'entreprise devient ainsi un lieu d'exploitation et d'aliénation où s'exerce un despotisme patronal quasiment sans limite. Parallèlement, le recul des acquis sociaux et le développement de la pauvreté semblent être le quotidien de notre pays. En cela des similitudes apparaissent entre les conditions actuelles et celles contemporaines a la révolution industrielle. C'est en effet a cette époque que l'on associe traditionnellement l'essor du social. Au centre de cette histoire sociale qui se précipite, la volonté de protéger et de préserver les salariés et la nécessité de leur reconnaître des moyens d'expression collective. Du latin ` expressio' le terme `expression' veut dire manifestation de la pensée ou du sentiment par la parole ou le geste1(*) Longtemps restés totalement exploités et entièrement soumis à l'employeur titulaire absolu du pouvoir dans l'entreprise, et fournissant leur travail dans des conditions inhumaines, les salariés ont manifesté leur besoin d'expression. Le besoin d'expression des salariés naît du désir d'établir un certain équilibre vis - à - vis de l'employeur, et d'humaniser les conditions de travail. Le climat de tension sociale qui s'installe et la multiplication des actions ouvrières rendent nécessaires l'organisation du dialogue social a travers la création des institution capables de le mettre en pratique et en lui donnant un caractère continu. C'est dans ce contexte que s'inscrivent les textes créateurs des institutions représentatives du personnel La question de l'expression des salaries retient également depuis longtemps l'attention du Bureau International du Travail (B. I .T) et de la conférence internationale du travail qui ont adopté divers instruments ayant trait à des aspects importants de cette notion notamment la convention no 98 sur le droit d'organisation et de négociation collective adopté en 1948, la recommandation no 91 sur les conventions collectives en 1951 la recommandation no 94 sur la collaboration dans l'entreprise. Bien que ne prévoyant pas de manière expresse un droit à l'expression directe et collective des salariés sur le contenu et l'organisation du travail comme le fait le législateur français à travers la loi du 4 août 1982, le législateur camerounais, en ratifiant certaines conventions du B. I. T ayant trait à l'expression des salariés manifeste sa volonté de permettre aux travailleurs, sous des formes diverses de s'exprimer librement La législation sociale camerounaise définit les règles relatives aux relations individuelles entre employeurs et salariés ; elle définit aussi les règles relatives aux relations collectives et sociales au sein même de l'entreprise, en tant que collectivité de travail dont les membres peuvent s'exprimer et dont ils font partie intégrante : droit d'expression qui peut s'exercer à travers la représentation des salariés dans l'entreprise, droit d'expression qui peut s'exercer à travers les conflits collectifs et notamment la grève. Ainsi le législateur a institué les délégués du personnel par l'arrêté no 49 11 du 5 octobre 1953 et leur confie la charge de présenter aux employeurs toutes les revendications et réclamations individuelles ou collectives qui n'auraient pas été directement satisfaites concernant les conditions de travail et la protection des travailleurs, l'application des conventions collectives et les taux de salaire. De même après avoir reconnu la liberté syndicale par le décret du 7 août 1944 le législateur lui donne le monopole de la négociation des conventions collectives. Le législateur camerounais reconnaît aussi le droit de grève. Ces trois institutions constituent la seule ossature du système camerounais d'expression collectives des salariés. Dans un contexte de mondialisation marqué par une économie concurrentielle, la problématique pourrait se résumer comme suit : le système camerounais d'expression collective des salariés est-il efficace ? Autrement dit, les délégués du personnel sont-ils les mieux placés pour représenter seuls les salariés ? Le système permet -il de bien négocier ? Le droit de grève est-il le seul moyen de conduite des luttes sociales ? La question se justifie d'abord en raison de l'objectif principal de l'expression collective des salariés a savoir l'amélioration des conditions de travail. L'amélioration des conditions de travail passant forcément par des ententes entre les parties en présence, serait a elle seule inopérante si l'on ne recherchait en même temps un meilleurs aménagement des rapports entre employeurs et salariés et une participation plus active des travailleurs a la solution des grands problèmes sociaux et économiques qui ont une incidence sur leur travail et sur leur vie. Cet aménagement des rapports s'effectue dans un cadre de négociation, de consultation et de dialogue, ce qui suppose l'existence d'organes de représentation qualifiés pour parler au nom de leurs mandants2(*). L'expression collective des salariés tend ainsi à favoriser le développement ou l'épanouissement de la personnalité humaine .Elle s'inspire d'une conception de l'homme et de la dignité humaine et la déclaration universelle des droits de l'homme le 1948 constitue l'expression largement acceptée3(*). L'entreprise, collectivité de travail doit ainsi être un lieu de jouissance des droits de l'homme car les droit de l'homme et la démocratie ne peuvent se développer durablement que si les différentes couches sociales prennent en mains leurs propres destinée notamment sur leur lieu de travail. Il serait donc paradoxal que le salarié, citoyen dans la société, ne soit pas appelé, dans l'entreprise où il travaille, à intervenir dans l'élaboration des décisions qui le concernent directement. Bien plus la représentation des salariés dans les entreprises est l'un des droits fondamentaux du droit du travail. Les salariés qui l'exercent, investis d'une fonction ou d'un mandat bénéficient d'un statut particulier contre le licenciement afin de leur permettre d'assurer en toute indépendance leurs missions. Dans une république démocratique et sociale l'enjeu lié à ce statut est l'expression collective des salariés et la défense de leurs intérêts. Le débat sur le statut du délégué du personnel restes cependant constant en droit camerounais, où l'impunité du chef d'entreprise et les carences législatives4(*) ne lui permettent pas d'acquérir son indépendance vis-à-vis de l'employeur. De même , le principe de dialogue à travers la représentation par le délégué du personnel ne s'applique concrètement qu' à partir d'un certain seuil d'effectif ; les élections sociales doivent être organisées dans les entreprises en vue de la désignation des délégués du personnel à partir de 20 salariés5(*). C'est dire que le domaine et l'intensité des règles minimales relatives aux délégués du personnel varient selon la taille des entreprises. Un tel système est aussi source d'inégalité entre les salariés qui ne bénéficient pas tous du même traitement selon qu'il travaillent dans une grande entreprise ou dans une petite et moyenne entreprise (P.M.E). En suite la subordination du principe du dialogue a l'existence d'un certain seuil d'effectif ne facilite pas l'organisation d'un cadre favorable à la négociation. A cela s'ajoutent la timidité du syndicalisme et du service des informations utiles à la négociation et la détermination non pertinente des titulaires du pourvoir de négocier au nom des salariés, notamment les mesures alternatives au licenciement pour motif économique. C'est dire que les requis de la négociation font défaut en droit camerounais et ce défaut constitue un obstacle à l'enracinement de la négociation. Enfin compte tenu de l'inégalité congénitale entre l'employeur et le salariés et pour tenter de corriger ce déséquilibre économique, le législateur reconnaît aux salariés le droit de grève qui leur permet de s'exprimer lorsque les relations collectives ne peuvent plus être gérées par la voie du dialogue. Cependant, le législateur camerounais reconnaît curieusement en sens inverse le droit de lock-out à l'employeur, symétrique du droit de grève L'on peut douter de l'opportunité de prévoir un tel droit car l'équilibre qu'apparemment on veut aménager risque d'être trompeur, `s'appliquant a une situation originairement déséquilibrée : visant a corriger par compensation les imperfections de la condition économique des travailleurs , le droit de grève risque d'être étouffé par son symétrique le droit de lock-out6(*) . A côté du droit de grève, le droit syndical apparaît aussi comme un moyen permettant la revendication des salariés dans le sens du conflit. Mais compte tenu de la méfiance traditionnelle de la puissance publique vis-à-vis de ces droits, compte tenu aussi des différentes stratégies qui cherchent aujourd'hui a mettre en cause des droits syndicaux et le droit de grève et, ce, de diverses manières : par exemple en pénalisant juridiquement les actions syndicales et le syndicalistes, en sanctionnant même de manière déguisée les grévistes par l'amputation brutal de leur salaires mensuels, compte tenu enfin du statut de partenaire social dont bénéficient aujourd'hui les salariés dans les entreprises, de nouveaux moyens de lutte doivent leur être reconnus qui leur permettraient de faire pression sur l'employeur et de défendre ainsi efficacement leur intérêts autrement que dans la rue. Le droit de grève doit ainsi cesser d'être le seul moyen de lutte à la disposition des salariés. Pour l'Afrique en général et le Cameroun en particulier, l'un des défis majeurs du XXIe siècle est la définition de nomes efficaces garantissant aux salariés les chances de prendre part aux décisions importantes. Pour le faire, les normes devront établir deux types de rééquilibrages. D'abord rééquilibrage des devoirs dans l'entreprise :le devoir pour le salarié de s'investir pleinement pour la prospérité économique de l'entreprise ; mais aussi le devoir pour l'employeur d'assurer un traitement digne et une croissance professionnelle a ses salariés et surtout le devoir de leur rendre des comptes sur l'usage qu'il fait du travail et des savoirs qu'il mettent à la disposition de l'entreprise. En suite rééquilibrage du pouvoir dans l'entreprise .En effet , le contrôle qu'a l'employeur sur l'entreprise et dont le souci majeur est d'éviter le gaspillage ne doit pas faire obstacle au droit de protection et d'expression des salariés. C'est ce besoin de rééquilibrage qui se présente souvent comme une revendication `démocratique' ou `participative', ce qu'il est de manière tendancielle puisqu'il vise a accroître et a institutionnaliser le pouvoir des salariés (démocratiser)et leur implication dans le processus concret de décision (participer)7(*). Ces normes devraient également permettre la rédynamisation du syndicalisme, la création de nouvelles institutions de représentation, telle que les comités d'entreprise et les délégués syndicaux qui permettraient de donner plus de pourvoir et d'autonomie aux vrais acteurs que sont les travailleurs a la base c'est- à- dire sur les lieux de travail, ces normes devront aussi permettre la création de moyens nouveaux de lutte pour les salariés. Le débat qui a animé la France pendant plusieurs décennies et portant sur la nécessité d'une reforme de l'entreprise et qui a vu la confrontation du politique des syndicats et du patronat devrait inspirer le Cameroun. Bien que marqué dans un premier temps par une attitude de rejet systématique de toute participation des travailleurs à la gestion de l'entreprise et d'une attitude favorable à un degré d'implication par l'introduction facultative des représentants des salariés dans les conseils d'administration dotés des seuls droits d'information et de contrôle8(*), l'on a abouti a la création des comités d'entreprise, organes d'expression collective des salariés assurant leur participation a la gestion de celle-ci. Le contexte actuel caractérisé par une économie concurrentielle favorise l'expression collective des salariés. Il est marqué par l'expansion des sociétés multinationales administrées au moyen des techniques anglo-saxonnes dont la plus célèbre et connue sous le vocable « corporate governance » ou gouvernement d'entreprise. Le gouvernement d'entreprise a le mérite d'organiser l'administration de l'entreprise autour d'un système de contre pourvoir. Transcendant la conception patrimoniale stricte de l'entreprise sans heurter l'intérêt social, la technique du gouvernement d'entreprise fait accéder les salariés au rang de partie prenante au même titre que les actionnaires, les administrateurs, les créanciers La technique du gouvernement d'entreprise représente un réel espoir d'évolution de la législation sociale des pays d'Afrique en générale et du Cameroun en particulier car la plupart des règles du gouvernement d'entreprise sont prises en compte par la législation OHADA9(*). Ainsi par exemple ,en permettant aux salariés de devenir actionnaires et donc de participer directement à la prise de décision au sein de l'entreprise, la législation OHADA ouvre des perspectives dans la création des organes de représentation des salariés aux instances de décision des entreprises. Bien que constituant un groupe d'individu qui ne disposent pas du pouvoir de décider et qui effectivement, ne sont pas appelés à faire entendre des avis favorables, les salariés Camerounais jouissent d'un droit d'expression collective. L'expression collective reconnu ainsi aux salariés est pour aux a la fois un moyen de dialogue (première partie) et un moyen de lutte (deuxième partie). * 1 Petit Larousse Grand format, 100e édition 2005 * 2 MAKUATE KAPOKO(s) : L'expression des salariés dans l'entreprise, Mémoire de Maîtrise, Université de Yaoundé 1990-1991 P.1 * 3 Art .22 «toute personne en tant que membre de la société (...) est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité. * 4 Le législateur camerounais reste muet au sujet de conséquences d'un licenciement nul qui devrait être la réintégration . * 5 Art. 122 alinéa,1 du C.trav. * 6 TCHAKOUA (J.M.) La grève et le look-out dans le nouveau Code du travail camerounais RJA, Yaoundé PUA 1994 P85. * 7 LORINO (Ph) «Etre citoyen dans l'entreprise» in le Monde Diplomatique septembre 1991. Cité par SIDIBE (O.O.), Réalités africaines et enjeux pour le droit du travail ; Bulletin de droit comparé du travail te de la sécurité sociale ( COMPTRASEC, UMR, CNRS) Université Montesquieu Bordeaux 4. * 8 Sauviat (c): Le rôle des salaries dans la gouvernance des entreprises en France : Un débat ancien, une légitimité en devenir, IRES document de travail N°06-02 avril 2006. http : //www.iers.fr.org/files/publications/doc%20travail/DT0602cs.pdf * 9 Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires |
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