4. INTERPRETATION QUANTITATIVE DES DONNEES
GRAVIMETRIQUES
Au terme de l'analyse qualitative de la carte des
anomalies gravimétriques nous avons pu établir la
corrélation entre les anomalies observées et les
différentes entités géologiques. L'analyse a aussi permis
de voir les signatures gravimétriques des directions tectoniques
majeures de la zone d'étude. Nous allons à présent
procéder à l'interprétation quantitative des
données expérimentales. Elle consiste à obtenir un
modèle de structure du sous-sol comportant différentes couches de
terrain avec leurs épaisseurs et à déterminer la
géométrie des surfaces de contact entre terrains
différents ainsi que celle des accidents éventuels. Pour le
faire, on procédera à une interprétation directe des
anomalies par une modélisation 2D1/2 le long d'un profil ; la
modélisation sera précédée par une analyse
spectrale des données.
4.1. Choix des profils
L'interprétation est
effectuée à partir des profils géométriques
exécutés perpendiculairement à l'allongement principal de
la structure à étudier. Les profils choisis doivent
déborder largement la zone où la structure est suspectée
pour tenir compte de l'influence des masses souterraines ou
éloignées.
Une grande extension longitudinale des anomalies permet
une interprétation en modèles bidimensionnels (2D).
L'interprétation d'un profil ne conduit pas à une solution unique
et l'interprétation 2D est rarement univoque ; la confrontation des
modèles gravimétriques avec la géologie est donc
indispensable pour déterminer un modèle réaliste.
4.2. Technique de
modélisation
La modélisation du sous-sol profond est
effectuée par le logiciel IGAO 2D1/2 mis au point par Chouteau et
Bouchard (1993). C'est un logiciel permettant la comparaison entre la courbe
expérimentale obtenue à partir des profils tracés sur la
carte d'anomalies de Bouguer et la courbe calculée.
Dans la pratique, l'interprétation s'effectue en
quatre étapes :
1- construction d'un modèle raisonnable,
2- tracé de la courbe des anomalies issue de ce
modèle,
3- comparaison entre la courbe expérimentale et la
courbe calculée,
4- modification du modèle pour améliorer la
correspondance entre les anomalies observées et calculées et
retour à l'étape 2.
Le processus est itératif et la bonne
correspondance entre les anomalies observées et calculées est
progressivement améliorée. La structure initiale pour amorcer le
processus correspond à un modèle de départ dont les
paramètres (profondeur, épaisseur, densité,
géométrie etc.) sont suggérés par les
résultats de l'interprétation géologique.
On doit donc fournir au programme de
traitement :
- les contrastes de densité des différentes
couches,
- la valeur maximale de l'anomalie régionale dans la
zone d'étude,
- la profondeur d'investigation de la structure source de
l'anomalie observée.
4.2.1. Choix du contraste de
densité
Les anomalies gravimétriques résultent
de la différence de densité ou du contraste de densité
entre une roche et le milieu environnant (encaissant). Pour un corps de
densité contenu dans un matériau de densité ,
le contraste de densité est donné par :
Le signe du contraste de densité est
déterminé par le signe de l'anomalie gravimétrique.
Le signe du contraste de densité des roches
est nécessaire à l'interprétation des données
gravimétriques. En l'absence des données provenant d'une autre
source telle que la sismique profonde, des valeurs moyennes de densité
des roches fournies par les littératures spécialisées
(Telford et al., 1976 ; Mbom Abane, 1997) seront adoptées
pour la présente étude. Pour les différentes formations
constituant le socle de la région, ces valeurs sont consignées
dans le tableau suivant.
Tableau 2 : Valeurs de
densités de quelques roches (Telford et al.1974 ;
Mbom Abane, 1997 ; Tadjou, 2004)
Types de roches
|
Valeurs limites de densité
|
Densité moyenne
|
Granites
|
2,5 -2,8
|
2,64
|
Gneiss
|
2,6 -3
|
2,80
|
Granulites
|
2,7 -2,9
|
2,80
|
Roches métamorphiques
|
2,4 -3,1
|
2,74
|
Quartzites
|
2,5 -2,7
|
2,6
|
Schistes
|
2,4 -2,9
|
2,6
|
Charnockites
|
2,9 -3,1
|
2,90
|
Basaltes
|
2,70 -3,30
|
2,99
|
Rhyolites
|
2,35 -2,70
|
2,52
|
Syénites
|
2,6 -2,95
|
2,77
|
N
Fig. 6a : Carte d'anomalies de
Bouguer
: profil étudié
4.2.2. Analyse spectrale.
L'estimation des profondeurs
d'investigation sera faite par l'analyse spectrale des données
gravimétriques le long d'un profil (Fig.6b).
Technique d'analyse
Cette technique est basée sur les
propriétés du spectre d'énergie des anomalies
gravimétriques ou magnétiques et permet d'estimer les contrastes
de densité majeurs et par conséquent les profondeurs moyennes des
masses perturbatrices.
La profondeur moyenne d'une source d'anomalie
gravimétrique ou magnétique peut être estimée
à partir du spectre d'énergie du signal correspondant. Une
anomalie peu étendue avec une amplitude qui décroît
rapidement sera caractérisée par des grandes fréquences.
Par contre, une large anomalie dont l'amplitude diminue faiblement sera
caractérisée par des spectres concentrés vers les basses
fréquences.
Lorsqu'on trace le logarithme de l'énergie
gravimétrique en fonction du nombre d'onde, on choisit des segments de
droite dont les pentes sont proportionnelles à la profondeur des masses
perturbatrices selon la relation :
= (Gérard et Griveau, 1972)
est le spectre d'énergie et le nombre d'onde.
L'estimation des profondeurs de source est
contrôlée par le choix des segments de droites définissant
les pentes.
Résultats de l'analyse
spectrale
Lorsqu'on trace le logarithme
de l'énergie gravimétrique en fonction de la fréquence, la
courbe spectrale exhibe trois pentes caractéristiques de la Bouguer
(Fig.7).
La première pente située dans les basses
fréquences correspond aux structures situées à de grandes
profondeurs. La deuxième pente dans les fréquences moyennes
correspond aux structures situées aux profondeurs moyennes. La
troisième pente vers les hautes fréquences correspond aux
structures superficielles. La figure 6 montre les spectres d'énergie en
fonction des fréquences obtenus pour le profil et les pentes choisies
pour déterminer les profondeurs. On obtient ainsi trois droites
définissant trois pentes différentes.
Fréquence
Fig. 7 : Profil montrant
l'évolution du spectre d'énergie gravimétrique en fonction
du nombre d'onde (on distingue trois droites de pentes
différentes).
A partir de la relation de Gérard et Griveau on
définit trois profondeurs qui représentent les toits des
structures anomaliques ou des discontinuités structurales majeures.
La relation entre le nombre d'onde et la fréquence
étant donnée par , la profondeur des masses perturbatrices est donnée
par :
avec la fréquence, le spectre d'énergie et qui représente la pente.
Le tableau 3 donne les valeurs des profondeurs moyennes
obtenues et les fréquences correspondantes.
Tableau 3 : Valeurs
des profondeurs moyennes des discontinuités et bande de fréquence
correspondantes
Bande de fréquence (1/km)
|
Profondeur moyenne (km)
|
0,003 - 0,01
|
45,3
|
0,01-0,02
|
26,8
|
0,02-0,03
|
15,9
|
Trois discontinuités majeures de densité
ont ainsi été mises en évidence.
La première à 45,3 km représente
l'interface croûte-manteau ; cette valeur indique une grande
épaisseur de la croûte dans le craton.
La deuxième discontinuité située à
26,8 km représente une discontinuité intracrustale et pourrait
correspondre à un relèvement du manteau à certains
endroits de la zone d'étude.
La troisième discontinuité à 15,9 km
semble à une discontinuité intracrustale dans la région.
Les profondeurs déterminées seront
utilisées lors de la modélisation.
4.3. Interprétation du profil d'anomalie
de Bouguer
L'interprétation est faite le long d'un profil
gravimétrique d'orientation SSW-NNE qui traverse la zone d'étude
du Nord au Sud (Fig.6b). Ce profil est presque perpendiculaire au réseau
de courbes iso anomales de Bouguer et a une longueur d'environ 310 km. La
grande extension du profil permettra d'effectuer une interprétation
bidimensionnelle (2D)
4.3.1. Analyse du profil
Le rapprochement du profil avec la carte
géologique montre qu'il traverse du Sud au Nord : les gneiss, les
charnockites, les granites de So'o et les granulites. Le profil comporte
environ 28 points expérimentaux. Le profil (Fig. 8) a l'allure d'un
polynôme de degré quatre. L'examen du profil conduit à
distinguer quatre compartiments délimités par des ruptures de
pente représentant des contacts tectoniques ou des failles.
Tableau 4: Caractéristiques du
profil d'anomalies de Bouguer
Profondeur d'investigation
|
50 km
|
Base de l'anomalie
|
-100 mgals
|
Nombre de formations obtenues
|
8
|
Contrastes de densité retenus
(g/cm3)
|
1- Manteau
2- Craton du Congo
3- Unités profondes denses
4- Chaîne panafricaine
5- Gneiss
6- Charnockites
7- Granites
8- Granulites
|
0,53
0,00
0,09
0,03
0,13
0,25
-0,08
0,15
|
Au Sud, le profil a une allure en cloche
caractérisée par des anomalies lourdes de
- 50 mgals d'amplitude s'étendant sur environ 100 km.
Ce maximum est encadré par deux minima relatifs au Nord (- 80 mgals) et
au Sud (- 95 mgals). La partie centrale du profil a l'allure d'une cuvette avec
des maxima au Sud (- 60 mgals) et au Nord (- 25 mgals) et un minimum de -100
mgals.
Ces maxima et minima sont dûs au contraste de
densité entre les différentes formations sous-jacentes.
Le profil présente un modèle de structure à
huit formations :
· La première formation de contraste de
densité élevé 0,53 g/cm3, d'épaisseur
variable constitue le substratum de la région. Cette formation
représente le socle mantellique.
· La seconde formation occupe un espace important sur le
profil et présente un contraste de densité faible par rapport au
manteau. Il s'agit des formations denses du craton ; nous l'avons
associée à la croûte.
· Au nord du profil, la troisième formation
située à la base de la croûte à une profondeur
moyenne de 25 km et possède un contraste de densité de 0,25
g/cm3. Cette formation peut être assimilée à un
corps lourd issu du manteau.
· La quatrième formation se situe au nord du
profil à environ 12 km de profondeur. Son contraste de densité
est de 0,03 g/cm3. Nous pouvons l'associer aux formations de la
croûte panafricaine.
a
b
S
N
ooo : observée
___ : calculée
Fig. 8 :
Interprétation du profil gravimétrique
a : Profil d'anomalies de
Bouguer ; b : Modèle de structure
interprétative
Manteau d1= 3,28 g/cm3
Craton du Congo d2= 2,75
g/cm3
Unités profondes denses d3 = 2,84
g/cm3
Chaîne panafricaine d4 = 2,78
g/cm3
Gneiss rubané d5 = 2,88
g/cm3
Charnockites d6 = 3,0
g/cm3
Granites d7 = 2,67 g/cm3
Granulites d8 =2,90 g/cm3
Faille prproposée
· La cinquième formation affleure à
l'extrême sud du profil. Elle a un contraste de densité de 0,13
g/cm3. Cette formation serait responsable de la
diminution de la valeur de l'anomalie au sud du profil. Nous l'assimilons aux
gneiss de la série rubanée.
· La sixième formation affleure au sud du profil
au contact des gneiss et s'étend en profondeur vers le Nord. Elle
possède un contraste de densité de 0,25 g/cm3. Son
extension en surface est d'environ 70 km. C'est cette formation qui serait
responsable de la zone de maximum observée au sud du profil. Cette
formation de densité positive est imputable aux charnockites.
· La formation qui affleure dans la partie centrale du
profil présente un contraste de densité négatif (- 0,08
g/cm3) par rapport à l'encaissant. Son extension en
profondeur est d'environ 130 km et en surface 95 km. Sa profondeur maximale est
de 15 km. Nous assimilons cette formation aux granites de So'o. Elle repose au
Sud sur les charnockites et s'enfonce au Nord sous les granulites. Le contact
des granites avec les formations de la chaîne panafricaine
présente un pendage presque vertical que nous assimilons à une
structure faillée.
· La dernière formation affleure au nord du profil
et présente un contraste de densité de 0.15
g/cm3. Cette formation est responsable de l'anomalie
positive observée au nord du profil. Nous l'associons aux granulites.
Le profil présente trois zones de
discontinuités gravimétriques en forme de gradins. La
première située au sud du profil est caractérisée
par une diminution de la valeur de l'anomalie qui passe de - 50 mgals à
- 80 mgals ; la deuxième zone est située au centre du profil
et sépare la zone d'anomalie positive du Sud et celle négative du
Nord. Cette zone est caractérisée par la diminution de l'anomalie
qui passe de -50 mgals à - 95mgals. La troisième zone de
discontinuité située au nord du profil se caractérise par
un accroissement de l'anomalie.
4.3.2. Interprétation des
résultats
Le profil gravimétrique étudié a
été interprété par un modèle de structure
à huit formations. L'analyse de la coupe structurale issue de la
modélisation montre que le socle de la région présente
plusieurs intrusions responsables des anomalies observées.
Les anomalies de grande longueur d'onde dans le nord
de la région sont principalement dues à la présence des
intrusions de granulites de contraste de densité 0,09 g/cm3
à la base de la croûte à une profondeur de 25 km. Ces
roches se seraient mises en place à la suite de l'effondrement du socle
dans la partie centrale de la région. L'emplacement de ces roches
déversées vers le Sud et leur forme indiquent leur mise en place
lors de la collision et la limite septentrionale du craton du Congo.
L'analyse du modèle de structure obtenu montre
également que l'anomalie légère observée au centre
du profil est liée à l'effet gravimétrique de l'intrusion
de granites légers présentant un contraste de densité
négatif (- 0,08 g/cm3 ) par rapport à la
croûte. Cette intrusion granitique serait probablement responsable de la
vaste anomalie observée au centre de la région. Cette intrusion
granitique serait une conséquence de l'effondrement du socle de la
région.
Le changement de l'anomalie de Bouguer au centre du
profil correspond en surface à une intrusion de charnockites dans la
région présentant un contraste de densité de 0,25
g/cm3. Ces roches seraient ainsi responsables de l'anomalie lourde
observée en contact au Sud-Ouest avec l'anomalie négative
centrale. Ces roches se seraient mises en place à la suite de la
montée d'un diapir mantellique dans la région.
Au sud du profil la chute de l'anomalie est due au
contact des gneiss avec les charnockites au sud de la région.
Le profil présente des discontinuités
gravimétriques ou gradients, traduisant ainsi la transition entre une
zone gravimétrique légère et une zone gravimétrique
lourde. Nous avons observé trois zones de discontinuité :
- La première discontinuité se trouve au sud du
profil. Elle marque le contact entre les gneiss du Sud et les charnockites au
Nord.
- La deuxième discontinuité se trouve au centre
du profil ; elle indique la transition entre la zone lourde du Sud et la
zone légère de la partie centrale. Cette discontinuité
dénote une structure faillée de pendage d'environ 90°. Cette
faille qui s'étend en profondeur, semble être la
conséquence de l'effondrement du socle dans la région qui aurait
par la suite entraîné l'intrusion des granites de So'o.
- La troisième discontinuité se situe au nord du
profil, elle marque la transition entre la zone légère de la
partie centrale de la région et la zone lourde du Nord. Cette
discontinuité indique une structure faillée de fort pendage qui
s'étend en profondeur. Cette faille située au niveau du
parallèle 4°N a été mise en évidence par
d'autres études ; cette faille serait une conséquence de
l'effondrement du socle au centre de la région. Cette faille aurait
favorisé la mise en place des granulites.
En conclusion l'interprétation des anomalies
gravimétriques permet de proposer un modèle crustal qui
correspond au modèle classique de chaînes de collision
péricratoniques caractérisés par la juxtaposition de deux
compartiments de natures différentes et séparés par une
suture matérialisée par des corps denses ; ce modèle
implique donc pour la région une collision entre le craton et les
formations de la chaîne panafricaine Nord-Equatoriale. Le modèle
obtenu est également conforme aux conclusions de Collignon (1968) sur
l'affaissement du socle situé au sud du parallèle 4°N et qui
constituerait un vaste synforme précambrien.
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