Notion et régulation de l'abus de puissance économique( Télécharger le fichier original )par Azeddine LAMNINI Université Sidi Mohammed Ben Abdellah Fès - DESA 2008 |
§1 - UN POUVOIR ECONOMIQUE20. Présentation. La notion de « pouvoir économique » est assez équivoque pour en rappeler une élucidation immédiate. Néanmoins, qualifié un pouvoir d' «économique » suppose l'appréhension de ce qualificatif. A cet effet, il est primordial de déterminer quelles sont les conduites ou les événements qui méritent le qualificatif économique. Ainsi, le qualificatif économique désigne tout ce qui se rapporte à l'ensemble des activités de production et de consommation des biens matériels d'une collectivité humaine. On considère vulgairement comme économique d'abord, l'activité professionnelle des Hommes, ensuite la répartition des ressources entre les groupes et les individus. L'adjectif économique peut désigner, en effet, le fondement et l'objet du pouvoir. A- Un fondement économique du pouvoir 21. Précisions. Un pouvoir peut porter sur des événements et des conduites économiques et trouve son fondement dans un autre pouvoir, notamment politique ou juridique. Cette hypothèse dépasse l'objet de notre étude. Ainsi, il importe de préciser la nature économique du pouvoir en question. Le pouvoir objet d'étude est un pouvoir ayant pour fondement la détention par son titulaire d'une puissance économique. Il se distingue du pouvoir politique et du pouvoir juridique. A cet effet, il convient d'entamer une brève distinction entres les fondements de ces différents pouvoirs avant de mettre en lumière la nature de la puissance économique à l'origine du pouvoir susceptible d'abus. 22. Distinction des fondements du pouvoir économique et du pouvoir politique. S'il est évident que le pouvoir politique peut avoir, dans beaucoup de cas, pour objet la conduite des événements économiques, son fondement est tout à fait distinct de celui du pouvoir économique53(*). Au début, la violence du conquérant était le fondement du pouvoir politique. Aujourd'hui, c'est l'assentiment du peuple qui fonde et légitime ce pouvoir54(*). Cela signifie que le pouvoir trouve son fondement dans le respect des circuits légaux qui mènent à la prise de décision et ceux qui mènent à l'application de la décision ce qui rejoint la combinaison légitimation/représentation. C'est-à-dire que le pouvoir politique est légitime tant qu'il a pour fondement le respect des circuits prédéterminés par la collectivité. Or, c'est la puissance économique n'est pas sanctionnée en elle-même, le pouvoir économique n'est jamais justifié par les circuits de la concentration de cette puissance. De plus, c'est le pouvoir politique est défini par d'autres55(*) comme le pouvoir de gouverner, de contrôler et de domination sociale, comme une capacité d'agir et d'atteindre des objectifs56(*), le pouvoir économique n'a pas pour objet de gouverner, contrôler ou dominer une collectivité. Ainsi, même influencée par le conflit d'intérêts dans une collectivité, la règle juridique qui reflète le rapport de forces sociales, ne peut jamais reconnaître aux détenteurs du pouvoir économique, des prérogatives se rapportant au pouvoir juridique public. Cependant, si le pouvoir économique est distinct du pouvoir politique, il importe de le distinguer du pouvoir juridique privé. 23. Pouvoir économique et pouvoir juridique privé. Le droit positif, tel qu'il est présenté dans la doctrine et dans la jurisprudence, fait rarement état du pouvoir juridique. Lorsqu'apparaît le terme «pouvoir» dans sa forme substantive, il n'a pas de portée significative : il n'est qu'une autre façon de reconnaître la capacité ou la compétence, ou de définir le droit individuel ou subjectif57(*). Comme tous les intérêts légitimes, le pouvoir a été subsumé dans la catégorie du droit subjectif. Ainsi, le pouvoir juridique dans le droit privé peut se définir comme l'ensemble des prérogatives reconnues aux sujets de droit, par le droit objectif, qu'il s'agisse des prérogatives sur leurs patrimoines ou sur le patrimoine d'autrui58(*). Certes, le pouvoir économique, confère à son titulaire une prérogative sur le patrimoine d'autrui mais cette dernière reste une situation de fait qui doit être appréhendée par le droit, dans la mesure où ce pouvoir n'est reconnu par aucun droit subjectif et ne peut être considéré comme l'étendu d'une liberté économique, de même, qu'il n'est protégé par le droit objectif que dans le cadre général de la protection des biens. 59(*). 24. La puissance économique, fondement du pouvoir économique. De ce qui précède on peut déduire que le pouvoir économique ne trouve son fondement ni dans une légitimité politique ni dans une prérogative de droit. Ainsi, le pouvoir économique est le pouvoir détenu par une entreprise économiquement puissante60(*). C'est la puissance économique qui fonde même ce pouvoir de fait. Elle lui confère sa contrainte et son étendue. Elle peut être absolue à l'égard de tous les opérateurs sur un marché, ou relatif à l'égard d'un partenaire déterminé. 25. Le pouvoir économique fondé sur la position dans un marché. C'est un pouvoir absolu qui influence sur tous les acteurs économiques. Elle peut prendre plusieurs formes. Il peut s'agir d'un monopole de droit61(*) ou de fait, de l'importance des parts de marché détenu sur un marché, de la disproportion entre celles-ci et celles de l'entreprise concurrente, de la valeur économique qu'il développe par rapport à l'activité considérée, d'une avance technologique, de l'appartenance à un groupe puissant, du statut de l'entreprise, des avantages financiers et matériels dont l'entreprise dispose, de l'accès préférentiel à certaines matières premières ou sources de financement. Il peut s'agir aussi d'une disproportion des moyens financiers entre l'entreprise puissante et ses concurrents, d'une supériorité naturelle dans la gestion, de l'étendue de la gamme, d'une innovation technique, de la notoriété de la marque auprès des consommateurs62(*), de l'implantation ancienne et de la renommée de l'entreprise, éventuellement son statut, et ses modes d'action commerciale63(*). 26. Le pouvoir économique fondé sur la qualité ou la dépendance d'un partenaire économique. Parfois c'est la qualité des partenaires qui présume la puissance économique. C'est le cas du binôme consommateurs/professionnels. En effet, l'accroissement de la taille des entreprises, la complexité des produits et des services, le développement du crédit, de la publicité et du marketing a accentué le déséquilibre de rapports de force entre les consommateurs et les professionnels au détriment des consommateurs64(*). Les symptômes de cette réalité sont l'inaptitude à résister à son partenaire, à se défendre, à se décider librement et en pleine connaissance de cause. Ensuite, le pouvoir économique peut être déduit de la dépendance d'un partenaire économique résultante du déséquilibre de rapports de forces. La dépendance économique est l'arme dont dispose le titulaire d'un pouvoir économique de fait. Ainsi, qu'il soit absolu ou relatif le pouvoir en question trouve son fondement dans la puissance économique de son détenteur. Cela dit, reste à déterminer l'objet de ce pouvoir. B - Un objet économique du pouvoir 27. Généralités. Si l'on définit le pouvoir comme la capacité de déterminer la conduite des Hommes d'influer sur le cours des événements, il convient de déterminer qu'il est l'objet du pouvoir économique. Quelle est la nature des événements sur lesquels il exerce son influence ? de quelle conduite des Hommes ce pouvoir est capable de déterminer ? 28. L'objet du pouvoir économique et l'objet du pouvoir politique. Si le pouvoir politique est la capacité d'une personne ou d'un groupe d'imposer certains des choix existants en détruisant les autres par un processus de restriction, le pouvoir économique a pour objet la conduite des Hommes, le cours des événements qui touche à l'ordre économique. Par conséquent, il est important de comprendre que le pouvoir politique ne créé jamais rien, il ne fait que sélectionner des choix préexistants par la suppression des alternatives. Le pouvoir économique, au contraire, est la capacité d'une personne ou d'un groupe de créer des choix supplémentaires qui viennent s'ajouter à ceux qui préexistent65(*). 29. L'objet du pouvoir économique et l'objet du pouvoir juridique. Comme on l'a déjà mentionné, le pouvoir juridique dans le droit privé peut se définir comme l'ensemble des prérogatives reconnues aux sujets de droit, par le droit objectif, qu'il s'agisse des prérogatives sur leurs patrimoines ou sur le patrimoine d'autrui66(*). C'est un intérêt juridiquement protégé67(*). Ce sont les pouvoirs qui sont reconnues aux particuliers68(*). C'et le pouvoir de disposer, d'administrer ou de percevoir les fruits. L'objet de ces pouvoirs est d'opérer un changement juridique dans le patrimoine du détenteur du pouvoir et dans celui d'autrui, s'il respecte les règles de droit objectif. Ainsi, il influence sur le patrimoine des parties en cause. Par contre, l'exercice du pouvoir économique n'aura aucune implication sur la situation juridique que, si son exercice est garanti par une prérogative juridique. Dans ce cas c'est cette dernière qui est la source des changements juridiques opérés. Alors l'exercice du pouvoir juridique affecte la situation juridique des Hommes alors que celui du pouvoir économique est un pouvoir de fait ayant une implication économique qui affecte le volume et la nature de la production, la distribution et de la répartition des ressources et des revenus. 30. Un pouvoir dont la nature, le fondement et l'objet sont économiques. Ainsi, on peut déduire que le pouvoir économique est le pouvoir dont disposent certaines entreprises en raison de leurs situations économiques de leurs places dans le processus de production ou de distribution, c`est à dire, lorsqu'il trouve son fondement dans une puissance économique et lorsqu'il a pour objet le changement d'une situation économique de fait. Certes, c'est cette nature même du pouvoir en question qui peut justifier sa non reconnaissance par l'ordre juridique. * 53 J. William, Essai sur le fondement du pouvoir politique, Paris, Ophrys, 1968. Part. 1.3, p. 48 * 54 J. Locke, Plan du texte de Jhon Lock, En ligne le 17/10/2008, disponible sur : http://www.e3a.fr/docs/2001/com_francais2_corr_2001.pdf * 55 Voir not. : R. Dormois, R.F.S.P., vol. 56, n° 4, août 2006, p. 619-651. * 56 « Les principales sources du pouvoir politique sont : l'autorité, les ressources humaines, les compétences et les connaissances, les moyens matériels, les sanctions et les facteurs tangibles », G. Sharp, The Politics of Nonviolent, cité par Srdja Popovic, Andrej Milivojevic, Slobodan Djinovic in Action in la lutte non violente, approche stratégique de la tactique quotidienne, Centre for Applied NonViolent Action and Strategies, 2006. * 57 M. Cantin Cumyn, « le pouvoir juridique, huitième Conférence Wainwright prononcée », 24 oct. 2006, p. 217. * 58 Notamment la théorie de la représentation : le cas de la tutelle légale, datif ou testamentaire ainsi que le cas du mandat. Pour plus de détails, v. infra, n° 37 et s. * 59 Pour plus de détail sur la non reconnaissance du pouvoir économique par le système juridique v. infra n° 28 et s. * 60 A noter dans ce sens un autre pouvoir économique encore puissant, c'est le pouvoir économique des ménages, par exemple pour les ménages, leur pouvoir économique c'est la consommation qui peut au final décidé de la vie ou la mort d'une entreprise, si les ménages refusent de consommer, l'entreprise court à la perte, au lieu de réaliser du bénéfice, elle s'endette. Dans ce sens, on estime que c'est le seul pouvoir capable d'équilibrer les rapports de forces entre professionnels et consommateurs. Car par la nature des choses, c'est le pouvoir qui arrête le pouvoir. * 61 Il peut s'agir aussi d'une entreprise publique chargée d'une mission de service public. Pour plus de détail sur la question v. : D. Brault, « Service public et position dominante : peut-il avoir abus ? », LPA, 2004, n° 239, p. 36 et s. * 62 Pour plus de détail sur la question v. : M. A. Lafortune, « Droit de la concurrence et exercice abusif des droits de propriété industrielle », LPA 2004, n° 132, p. 3 et s * 63 Pour plus de détail v. Infra. n° 51 et s. * 64 J. Calais-Auloy et F. Steinmetz, Droit de la consommation, Précis Dalloz, 9e éd., 2006, n° 2 et s. ; « Il peut exister des situations particulières dans lesquelles le rapport de force est inversé : de petits artisans, par exemple, peuvent se trouver en face de clients exigeants ». loc. cit. * 65 Si les choix qui s'offrent à vous pour survivre sont, par exemple, la culture d'un petit potager dans votre jardin ou la prostitution (alternative que connaissent des millions de gens dans les pays du tiers-monde), le «pouvoir» économique vous proposera un troisième choix, par exemple la confection de tapis destinés à l'exportation * 66 V. infra. n° 37 et s. * 67 La jurisprudence française a été influencée par cette définition : v. Civ. 2°, 28 janv. 1954, Gaz. Pal. 1954.1.205. cité par : H. L. et J. Mazeaud, F. Chabas, Leçons de droit civil, Introduction à l'étude du droit, 11ème ed., par F. Chabas, DELTA, 2000, n° 155, p. 253. * 68 M. J. Essaid, Introduction à l'étude du droit, 3ème éd., coll. Les connaissances, Babel, 2000, p. 36 ; Ainsi, le droit de propriété qui confère à son titulaire un certain nombre de prérogatives est un droit subjectif. Il en va de même du droit de créance. Ce droit subjectif permet à son titulaire - le créancier - de traduire le débiteur devant le tribunal compétant pour obtenir le remboursement de la dette. |
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