Notion et régulation de l'abus de puissance économique( Télécharger le fichier original )par Azeddine LAMNINI Université Sidi Mohammed Ben Abdellah Fès - DESA 2008 |
§2 - LE RENFORCEMENT DU CADRE CONTRAIGNANT DANS L'EXERCICE DE LA LIBERTE CONTRACTUELLE241. Une autre contrainte au principe de l'autonomie de la volonté. Le renforcement du cadre contraignant dans l'exercice de la liberté contractuelle signifie que l'autonomie de la volonté sera encore plus limitée par de nouvelles contraintes. Ces dernières peuvent concernées la protection de la concurrence comme celle d'un partenaire économique. Ainsi, plus que jamais les rédacteurs de contrats devront être attentifs aux exigences du droit, et veiller à ne pas les méconnaître, sous peine de s'exposer à l'annulation de leurs stipulations. Il s'agit d'un principe très simple, rappelé par plusieurs articles du D.O.C., notamment l'alinéa 2 de l'article 62 'article564(*). En effet, la liberté contractuelle, en tant qu'elle exprime la puissance de la volonté, s'arrête là où l'ordre public commence565(*). La prohibition des ententes, des abus de position dominante, la prédétermination du contenu du contrat, relève de l'ordre public, comme de très multiples autres règles, et les contractants qui les méconnaissent voient leur contrat anéanti. Rien de nouveau, rien de choquant. La liberté contractuelle n'a jamais été absolue, elle peut se heurter à des règles générales sans que l'économie cesse d'être libérale566(*). La perspective est nette parce qu'elle ménage la figure d'un contrat comme sphère de règles particulières dessinées par la volonté des contractants, simplement limitée, par exemple, par la prohibition extérieure et subie des comportements anticoncurrentiels, issue de la sphère supérieure de l'ordre public économique. Le principe est acquis et il convient de vérifier dans quelle mesure ce renforcement du cade contraignant de l'exercice de la liberté contractuelle contribue à la lutte contre les abus de puissance économique, d'abords par la prohibition de certains comportements nuisibles au bon fonctionnement concurrentiel (A), et ensuite par l'immixtion dans le contenu du contrat (B). A- La liberté contractuelle limitée par la prohibition de comportements nuisibles au bon fonctionnement de la concurrence 242. Le contrat peut être instrument d'abus de puissance économique. Le contrat peut servir d'instrument pour des pratiques abusives Ces pratiques peuvent, d'abords, être individuelles et se manifestent, notamment au niveau de la fixation du prix pratiqué à l'égard du marché. Ensuite, elles peuvent être facilitées par une concentration, de fait, de la puissance économique, par laquelle les contractants facilitent leur action à l'égard du marché comme à l'égard de ses concurrents. le faire juridique n'a pas ignoré cette réalité. Ainsi, la loi 06-99 a modifié le contenu des contraintes que le droit de la concurrence fait peser sur la liberté contractuelle. L'idée de liberté qui inspire les auteurs de la loi les a conduits à réprimer les abus que les agents économiques seraient tentés d'en faire. L'effet essentiel des dispositions de cette loi est d'aménager ou de réaménager le contenu de la notion d'ordre public et par là même l'illicéité de l'objet du contrat. Cependant, si la loi réprime ces abus manifestés dans des rapports contractuels, il n'en est pas moins, qu'ils présentent des difficultés d'application qu'il importe de les signaler. 243. L'encadrement de la liberté contractuelle dans la détermination libre du prix dans le contrat. L'essentiel de la liberté réside dans la liberté des prix. Néanmoins, l'abus de puissance économique peut se manifester à travers l'action sur le prix ce qui peut avoir des conséquences graves sur le bon fonctionnement de la concurrence. Cela peut se traduire notamment, dans les contrats de distribution, contenant une clause par laquelle l'une des parties agit abusivement sur la détermination du prix de revente pratiqué par son cocontractant. La loi 06-99 n'a pas ignoré cette réalité portant atteinte au principe de la liberté des prix et de la formation de ces derniers par le libre jeu de l'offre et de la demande. En effet, elle sanctionne le fait d'imposer directement ou indirectement, un caractère minimal au prix de revente d'un produit ou d'un bien, au prix d'une prestation de service ou à une marge commerciale567(*). Par ailleurs, la liberté contractuelle comprend aussi la liberté de déterminer librement le prix de vente dans le contrat. Or, une entreprise disposant d'une puissance économique, notamment une capacité financière très importante peut abuser de cette puissance par une stratégie d'élimination basée sur une revente à perte. C'est le cas par exemple des prix d'appel que permet la revente à perte préjudicie aussi bien aux consommateurs qu'aux concurrents du distributeur qui la met en oeuvre568(*). A cet effet, et dans le même ordre d'idée, la loi 06-99 a, dans son article 7569(*), renforcé le cadre contraignant de l'exercice de la liberté contractuelle dans la détermination du prix par la prohibition de la revente à perte570(*). 244. L'encadrement de la liberté contractuelle par la sanction des clauses renforçant le pouvoir du marché. Parfois les contractants usent de leurs libertés contractuelles pour prévoir des clauses par lesquelles ils concentrent leurs puissances économiques. Leur but et de disposer d'un pouvoir de marché par lequel ils seront capables d'agir facilement sur le bon fonctionnement concurrentiel. Cette situation n'échappe plus au législateur. A cet effet, la loi 06-99 a prévu un certain nombre d'atteintes à la liberté contractuelle par le biais de l'illicéité de l'objet et de la cause modifiée en fonction du réalisme économique. Ainsi, l'article 9 de la loi 06-99 rappelle que tout engagement, convention ou clause contractuelle se rapportant à une pratique anticoncurrentielle est nul571(*). Ces pratiques anticoncurrentielles concernent les ententes quelle que soit leur forme lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher de restreindre ou de fausser le jeu normal de la concurrence sur un marché. Ainsi, les pratiques contractuelles de droit commun relèvent en principe du contrôle des ententes. Ce contrôle est opéré soit par le conseil de la concurrence soit par les tribunaux. Le caractère anticoncurrentiel d'une clause ou d'une convention peut être relevé par le juge comme par le régulateur. Cependant, un problème peut apparaître. On peut certes être tenté d'évoquer la difficulté née du fait que les décisions des autorités de la concurrence n'ont pas en la matière autorité de chose jugée et qu'on peut imaginer un tribunal estimant que ne justifie pas une nullité une clause préalablement jugée anticoncurrentielle par le Conseil de la concurrence572(*). D'autres difficultés peuvent être apparues. Ainsi, la chambre commerciale de la Cour suprême a rappelé dans un arrêt du 02 juin 2004 que l'illicéité d'un engagement anticoncurrentiel ne peut être sanctionnée d'une autre façon que la nullité de la clause573(*). Ledit arrêt n'a précisé ni la nature de cette nullité ni sa portée. De ce fait, deux difficultés s'imposent : la première est de déterminer exactement la nature et la portée de la nullité ; la deuxième est de comprendre ces notions d'objet ou d'effet anticoncurrentiel, condition de nullité de la clause ou du contrat. 245. La nature de la nullité. Radicalement le droit de la concurrence est guidé par l'ordre public de direction574(*). Lorsque le droit français de la concurrence pourchasse en tant que tel l'état de dépendance économique, c'est plutôt une perspective d'ordre public de protection. Faut-il en tirer des conséquences et songer notamment à des nullités relatives ? Nous ne pensons pas car même la protection d'un partenaire dépendant contribue à la protection de la concurrence sur le marché. Le problème ne se pose pas en droit marocain de la concurrence, car notre droit ne sanctionne que les pratiques ayant pour objet ou pour effet une atteinte à la concurrence575(*). En effet, ici, puisque le droit de la concurrence ne protège pas les concurrents mais la concurrence, c'est-à-dire le marché, si l'on utilise la grille d'analyse de l'ordre public, le droit de la concurrence serait nécessairement d'ordre public de direction576(*). Cela confirme que l'ordre public concurrentiel protégé par la loi 06-99 est un ordre public économique de direction. Ainsi, si nous prenons l'hypothèse d'un ordre public concurrentiel de direction, la nullité absolue s'impose577(*). 246. La portée de la nullité. La seconde difficulté tient à l'ampleur de la nullité, qui va du contrat à la clause578(*). Le plus souvent, seule la clause est annulée, par une nullité ciblée579(*), une sorte de nullité absolue au laser580(*). Il peut s'agir plutôt de sanctionner le bénéficiaire de la clause à exécuter un contrat dont l'avantage économique a pour lui disparu. Il peut s'agir encore de tenir compte de la complexité contractuelle et du nouveau souci du contrat d'organiser le dépassement de ses propres difficultés581(*). Le droit de la concurrence peut aller plus loin, en opérant une sorte de « laser sur laser ». Il s'agit alors franchement de réécrire la clause pour la redessiner selon les contours qu'elle aurait dû avoir pour satisfaire la prohibition des comportements anticoncurrentiels582(*). Par exemple, plutôt que d'effacer une clause anticoncurrentielle pour une durée excessive, le juge pourrait en réduire simplement l'efficacité dans le temps, pour lui donner la juste durée, supportable parce que proportionnée à la concurrence. Cela pourrait se justifier par l'idée que les parties sont toujours supposées vouloir se conformer au droit. Ainsi, l'autorité de la concurrence reformule une clause licite, telle que la rationalité juridique des parties aurait nécessairement voulu l'exprimer583(*). Mais l'argument souffre de sa propre puissance car il faudrait alors appliquer le raisonnement à tous les vices du contrat et le système n'est pas prêt à un pouvoir général du juge de réécrire les contrats sur une, si faible, présomption584(*). Un argument plus fort consiste à poser que les parties doivent pouvoir déployer leur liberté dans le plus grand espace possible. Dès lors, il faut mais il suffit de raboter l'excès de cette liberté pour qu'un équilibre optimal soit trouvé entre liberté contractuelle et marché concurrentiel. 247. L'illicéité de l'objet et de la cause modifiée en fonction du réalisme économique. Pour donner plus d'efficacité à la lutte contre les abus de puissance économique facilités par des clauses contractuelles, l'objet et la cause du contrat prennent une nouvelle conception adaptée au réalisme économique. Ainsi, comme le fait remarquer M. Mousseron585(*) « le mot objet correspond au concept d'« objectif » et par conséquent à la notion juridique de cause ». Il s'agit bien entendu de la cause du contrat, du motif déterminant. Cependant le propos demande à être nuancé car le droit de la concurrence semble s'être inspiré de la notion civiliste de cause tout en lui donnant une portée plus objective et matérialiste. En effet, en droit commun des obligations, la cause est considérée comme une prise en compte des motifs subjectifs et par là même une percée de la morale dans le droit586(*). Dans la conception de la loi 06-99, c'est l'effet objectif d'atteinte à la concurrence qui est visé et non l'état d'esprit des contractants. Aussi, il n'est pas raisonnable de transposer aux pratiques anticoncurrentielles les règles dégagées à propos de la cause subjective et notamment l'exigence de l'entrée dans le champ contractuel du motif déterminant. Cette exigence en droit commun a pour but de permettre le maintien du contrat au profit du contractant ignorant des mobiles de son partenaire ; un tel souci de sécurité contractuelle est exclu de l'esprit du droit de la concurrence. 248. Malgré ces difficultés qu'on vient d'exposer, le droit de la concurrence avec son nouvel esprit et son pragmatisme, et avec une certaine adaptation aux réalités économique, est en mesure de lutter contre les abus de puissance économique. L'expérience française en atteste. Certes, l'ignorance de la loi 06-99 par les tribunaux, par la défense et même par les autorités en charge de son application constitue le vrai obstacle à la préservation d'une concurrence effective et saine dans nos marchés nationaux. Ainsi, la lutte contre les abus de puissance économique par la prohibition de certains comportements anticoncurrentiels dans l'exercice de la liberté contractuelle n'est pas un instrument efficace dans notre droit positif. Cela dit, qu'on est-il du renforcement du cadre contraignant dans l'exercice de la liberté contractuelle par l'immixtion dans le contenu du contrat. B- La liberté contractuelle limitée par l'immixtion dans le contenu du contrat 249. Généralités. L'immixtion dans le contenu du contrat et l'un des instruments privilégiés par le législateur, à l'instar des contrats du travail, du bail, d'assurance... En effet, dans la lutte contre les abus de puissance économique dans les contrats de consommation, l'intervention du législateur français prend deux formes essentielles. D'abords, d'une manière préventive en imposant certaines stipulations dans le contrat, c'est-à-dire en limitant la liberté contractuelle du professionnel ; ensuite, d'une manière curative, en interdisant certaines clauses qualifiées d'abusives. 250. Prédétermination du contenu du contrat, arme préventive. Afin de lutter contre les abus de puissance économique des professionnels à l'égard des consommateurs, le législateur peut parfois chercher à fixer par avance le contenu des contrats passés entre professionnels et consommateurs. Le contrat est alors prédéterminé dans son ensemble, la liberté des parties se bornant à décider de le passer ou non. Le contrat reste donc un contrat d'adhésion, pré-rédigé. Mais au lieu que ce soit l'une des parties au contrat, c'est-à-dire le professionnel, qui en détermine le contenu, ce sont les pouvoirs publics voire les organismes professionnels et de protection du consommateur, par des accords collectifs587(*). Ainsi, Il arrive au législateur d'intervenir pour imposer le contenu du contrat, afin de protéger la partie la plus faible. Cette législation étant d'ordre public, chacune des parties voit donc ses obligations fixées par la loi elle-même, les clauses contraires étant frappées de nullité. Et s'agissant des clauses imposées par le législateur, la législation sur les clauses abusives est a priori sans objet. Cette fixation impérative du contenu du contrat concerne plusieurs types de conventions, la plupart d'une certaine gravité ou présentant des risques pour le consommateur588(*). Le législateur va dans ces cas parfois jusqu'à imposer des modèles types de contrats589(*). 251. Protection contre les clauses abusives, arme curative. La législation sur les clauses abusives constitue une arme essentielle dans la lutte contre les abus de puissance économique. Compte tenu de l'état actuel de notre droit positif, le droit commun offre, il est vrai, le seul recours590(*). Cependant, même en la présence d'une législation spécialisée en la matière, l'utilité du droit commun n'est toutefois pas totalement à exclure. Du reste les influences réciproques sont nombreuses591(*). Ainsi, en France, la question des clauses abusives est certainement l'une de celle qui a connu le plus grand nombre de transformations depuis son adoption en 1978, dans un domaine qui n'en est pourtant pas avare. La première loi en la matière est la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 qui prévoyait des dispositions de protection contre les clauses abusives tout en confiant le rôle de déterminer ces clauses au pouvoir réglementaire. Celui-ci ne s'étant guère préoccupé de la question puisqu'en treize ans, un seul décret avait été adopté592(*), c'est finalement le juge qui remédia à cette carence. Soutenue par une partie de la doctrine et après quelques arrêts précurseurs593(*), la Cour de cassation reconnut en effet le pouvoir aux tribunaux de déclarer une clause abusive, prenant appui sur l'article 35 de la loi594(*). 252. Champ d'application large. L'article L. 132-1 du Code français de la consommation donne à la lutte contre les clauses abusives un champ très large, tant en ce qui concerne les personnes que le support de ses clauses abusives. Ainsi, il vise les contrats passés entre un professionnel et un non-professionnel ou un consommateur595(*). C'est cette notion de non-professionnel qui a donné lieu à toutes les "circonvolutions jurisprudentielles"596(*). Ainsi la jurisprudence française a adopté successivement une définition étroite597(*) puis extensive des hypothèses où la législation relative aux clauses abusives pouvait être invoquée598(*), avant d'en venir au critère du rapport direct599(*). Ce critère du rapport direct conduit en général à écarter l'application de la législation sur les clauses abusives, lorsque le contrat a été conclu pour satisfaire à des besoins professionnels600(*). 253. Champ d'application quant à la forme et au support du contrat. L'alinéa 2 de l'article 15601(*) quand à lui prévoit que les dispositions relatives aux clauses abusives sont applicables "quels que soient la forme et le support du contrat". Là encore, le domaine d'application est entendu de façon extensive, ce qui à cet égard apparaît entièrement justifié pour une protection efficace du consommateur. En effet, il ne serait pas logique d'exclure un contrôle et une sanction éventuelle au seul motif que la clause figure ailleurs que sur l'instrumentum602(*). De plus, dans la plupart des cas, le consommateur est encore moins attentif à ce type de document qu'il s'agisse de tickets ou de bons de commande ou devis, par exemple, qu'à l'écrit qu'il signe lui-même. Surtout, l'article 15 ne limite pas le champ d'application de cette législation aux clauses qui n'ont pas fait l'objet d'une négociation, standardisées. Ainsi, cette législation profite également à celles qui ont été négociées librement entre les parties. 254. Définition des clauses abusives. L'article 15 du projet de loi susvisé, et à l'instar de l'article L. 132-1 du Code français de la consommation, définit les clauses abusives, comme celles "qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligationss des parties au contrat". En effet, contrairement à la définition française antérieure à la loi de 1995, il n'est plus exigé que la clause soit le résultat d'un abus de puissance économique de la part du professionnel. L'existence d'un déséquilibre significatif est un élément a priori objectif : même si c'est concrètement toujours le cas, le fait que le consommateur soit dans une situation inégalitaire, l'empêchant de négocier le contrat, n'est plus pris en considération dans cette définition. Cette disparition du critère de l'abus de puissance économique ainsi que le remplacement du critère de l'avantage excessif par celui du déséquilibre significatif sont généralement considérés comme insignifiants par la doctrine603(*). En effet, antérieurement à 1995, l'abus était présumé dès lors que le professionnel avait usé d'un contrat d'adhésion pour recueillir le consentement du consommateur604(*). Or c'est essentiellement dans ce type de contrats que figurent des clauses abusives. Ce lien entre le caractère d'adhésion du contrat et les clauses abusives n'est au demeurant plus fait par la jurisprudence française : le fait que la clause figure dans un contrat d'adhésion ne suffit pas à la faire qualifier de clause abusive605(*). 255. Appréciation du caractère abusif des clauses. - Le texte ajoute des conditions quant à l'appréciation du caractère abusif des clauses d'un contrat. En premier lieu, celui-ci s'apprécie au moment de la conclusion du contrat, par référence à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, par rapport à l'ensemble des clauses du contrat, voire celles contenues dans un autre contrat, lorsque la conclusion ou l'exécution de ces deux contrats dépendent l'un de l'autre606(*). À cet égard, deux situations doivent être distinguées. Lorsque le caractère abusif d'une clause est invoqué à propos d'un contrat déjà conclu, l'appréciation se fera in concreto, en fonction de la situation du consommateur et des conditions de conclusion du contrat. Cela paraît signifier au demeurant que, selon les cas, une même clause pourra être considérée comme abusive ou non. Lorsqu'en revanche le caractère abusif de la clause est invoqué dans le cadre de l'action en suppression, l'appréciation ne pourra se faire qu'in abstracto, par rapport à un consommateur normalement diligent, et en fonction des circonstances habituelles de passation du contrat607(*). 256. L'écartement de la lésion du champ d'application de la législation sur les clauses abusives. En second lieu, et conformément à l'article 17 du projet, l'appréciation du caractère abusif d'une clause ne peut porter sur la définition de l'objet principal de contrat, ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert, "pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible"608(*). Autrement dit, on considère traditionnellement que la législation sur les clauses abusives ne peut avoir pour objet de sanctionner la lésion dans le contrat609(*). Toutefois, en France, et depuis l'ordonnance du 23 août 2001, c'est qui a été repris par l'article 17 du texte marocain, la question mérite d'être posée. C'est dans ce cadre en effet qu'a été ajoutée la référence au caractère clair et compréhensible de la clause. En effet, c'est faire ici rejaillir la forme sur le fond. Cela permet en même temps par le biais de ce contrôle de sanctionner des prestations dont le prix apparaîtrait disproportionné. On introduirait par là une lésion fondée sur un "déséquilibre significatif" entre la valeur du bien ou du service fourni et le prix payé par le consommateur610(*). La lutte contre les clauses abusives prendrait une dimension nouvelle611(*). 257. Elimination des clauses abusives. L'élimination des clauses abusives est susceptible d'emprunter deux voies : l'une a posteriori consistant dans la possibilité pour un consommateur d'invoquer le caractère abusif d'une clause, à l'occasion d'un litige l'opposant à son cocontractant professionnel ; l'autre préventive, passe par l'action collective des associations de consommateurs612(*). Ainsi, L'article 19 du projet susvisé prévoit que "les clauses abusives contenues dans les contrats entre producteurs et consommateurs sont considérées nulles et réputées non écrites". Le deuxième alinéa ajoute que cette nullité est toutefois limitée à la clause, lorsque le contrat peut subsister sans elle. Cette sanction apparaît parfaitement adaptée : elle va dans le sens de l'intérêt du consommateur qui entend la plupart du temps maintenir le contrat ; elle sanctionne le professionnel qui sera obligé de l'exécuter. En même temps elle est insuffisante pour lutter de façon efficace contre les pratiques des professionnels. En effet, d'une part, elle suppose que le litige entre professionnel et consommateur soit porté devant un juge, ce qui n'est pas toujours le cas. D'autre part, la décision du juge n'a, sur ce point, que l'effet relatif de la chose jugée. De sorte que le professionnel pourra toujours la maintenir, en comptant sur l'ignorance des autres consommateurs613(*). Pour plus d'efficacité, cette première voie devait donc être complétée par l'action collective des associations de protection des consommateurs614(*). * 564 L'article 62 du Dahir des Obligations et des Contrats dispose que : « L'obligation sans cause ou fondée sur une cause illicite est non avenue. La cause est illicite quand elle est contraire aux bonnes moeurs, à l'ordre public ou à la loi ». Dans le même sens l'article 6 du Code Civil français avec plus d'explicité dispose : « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs ». * 565 Dans ce sens, v. F. Dreifuss-Netter, « Droit de la concurrence et droit des obligations », op. cit. * 566 On peut ainsi se reporter à la conception d'Hayek, telle que notamment retracée par B. Oppetit, « La liberté contractuelle à l'épreuve du droit de la concurrence », RSMP, Gauthiers-Villars, 1995, p. 241-254. Cité par Marie-Anne Frison-Roche, « Contrat, concurrence, régulation », op. cit.. * 567 L'alinéa 2 de l'article 7 de la loi 06-99 dispose : « L'abus peut notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. Il peut consister également à imposer directement ou indirectement un caractère minimal au prix de revente d'un produit ou d'un bien, au prix d'une prestation de service ou à une marge commerciale » ; En matière de franchise où les tribunaux français tolèrent le prix « conseillé » au revendeur. Elément essentiel de l'image de marque du produit, le prix conseillé est censé être le meilleur en fonction du marché et le revendeur a tout intérêt à s'y conformer en bonne politique commerciale. Dans ces conditions, il faudrait être particulièrement maladroit pour tomber sous le coup de la sanction du droit de la concurrence. * 568 V. Supra, n° 92 et s. * 569 L'alinéa 3 de l'article 7 dispose que : L'abus peut consister aussi en offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'éliminer un marché, ou d'empêcher d'accéder à un marché, une entreprise ou l'un de ses produits. * 570 Elle aussi assortie d'une amende, relève d'une répression de l'abus déjà sanctionné au titre de la concurrence déloyale voir dans ce sens G. Cas et R. Bout, « Concurrence, distribution, consommation », Lamy droit économique, 1990, n° 1475 et s. * 571 Aux termes de cet article : « Tout engagement ou convention se rapportant à une pratique prohibée en application des articles 6 et 7 ci-dessus est nul de plein droit. Cette nullité peut être invoquée par les parties et par les tiers ; elle ne peut être opposée aux tiers par les parties ; elle est éventuellement constatée par les tribunaux compétents à qui l'avis du Conseil de la concurrence, s'il en est intervenu un, doit être communiqué ». * 572 En France, le problème ne se pose guère, car il semble que jusqu'ici la contradiction ait été évitée par un ajustement spontané des institutions en cause. M. A. Frison Roche, « Contrat, concurrence, régulation », op. cit. * 573 Il s'agit de l'Arrêt 573 du 02/06/2004 de la chambre commerciale de la Cour Suprême par lequel la Cour confirme l'objet anticoncurrentiel d'une clause générale imposée par l'ordre des architectes et ce sur la base des articles 2, 6 et 9 de la loi 06-99. Arrêt non publié. * 574 F. Dreifuss-Netter l'avait posé comme acquis il y a dix huit ans 18 ans. « Le droit de la concurrence se définit en premier lieu par sa finalité économique et en second lieu par sa fonction qui est de promouvoir un ordre public de direction », p. 369 ». v. F. Dreifuss-Netter, « Droit de la concurrence et droit des obligations », op cit. * 575 Au Maroc et jusqu'aujourd'hui, la sanction de l'état de dépendance économique est subordonnée à l'atteinte à la concurrence. * 576 Très subtilement, Claude Lucas de Leyssac et Gilbert Parléani affirment que l'expression d'ordre public de direction n'est utilisable que par renvoi à des contraintes de dirigisme économique, la conception libérale du droit économique devenant désormais, parce qu'il laisse par principe jouer le marché et qu'il protège ce libre jeu, un ordre public de protection du marché. Lucas de Leyssac et G. Parléani, L'atteinte à la concurrence, cause de nullité du contrat, in Le contrat au début du XXIe siècle, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 602. cité par M. A. Frison-Roche, « Contrat, concurrence, régulation », op. cit. ; On peut tout de même en rester à l'idée classique selon laquelle la protection d'une catégorie de personne évoque l'ordre public de protection et la protection d'une organisation structurelle évoque l'ordre public de direction. Les auteurs soulignent d'ailleurs que cette protection ne portant pas sur les concurrents, le droit de la concurrence engendre donc une nature originale d'ordre public. * 577 Com. 18 févr. et 26 mai 1992, Rec. D. 1992. 47, note Ch. Hannoun. Sur l'idée même, v. par ex. F. Dreifuss-Netter, Droit de la concurrence et droit des obligations, op. cit. * 578 Sur cette dimension, v. Cl. Lucas de Leyssac et G. Parléani, « L'atteinte à la concurrence, cause de nullité du contrat », op. cit.. p. 613 et s. Les auteurs critiquent d'ailleurs la jurisprudence, qui ne dégage pas fermement les critères utilisés pour n'annuler que la clause ou annuler le contrat dans son ensemble. * 579 B. Fages et J. Mestre, « L'emprise du droit de la concurrence sur le contrat », Droit du marché et droit commun des obligations, R.T.D.com. 1998.1-10, p. 71-81 ; Les exemples cités, dont l'affaire dite « des cuves » est le plus fameux. Com. 18 févr. 1992, Rec. D. 1993.57, note Ch. Hannoun. * 580 Cette survivance des autres clauses contractuelles a rarement pour fondement le fait que la clause anticoncurrentielle à laquelle la nullité se limite n'aurait pas été décisive de la volonté des parties, car le plus souvent elle l'est. * 581 Ainsi, lorsque la concentration entre Schneider et Legrand a été mise en péril, des clauses contenant des obligations à ce propos ont conservé toute leur puissance. Versailles, 29 nov. 2002, Schneider Electric, R.G. n° 02/07705. * 582 Marie-Anne Frison-Roche, « Contrat, concurrence, régulation », op. cit. * 583 ibid. * 584 ibid. * 585 J.-M. Mousseron, Techniques contractuelles, Francis Lefebvre, 1988, n° 5. Cité par F. Dreifuss-Netter, « Droit de la concurrence et droit des obligations », op. cit.. p. 372 * 586 J. Flour et J.-L. Aubert, Droit civil, Les obligations, 6e éd. par Aubert, 1986, vol. 1, Armand Colin, n° 262. * 587 À certains égards, le droit de la consommation emprunte ici des techniques utilisées en droit du travail pour protéger cette autre partie faible qu'est le salarié. * 588 C'est le cas, par exemple en France, de contrats portant sur des immeubles ou leur jouissance : ainsi le contrat de construction de maison individuelle ; le respect de ces prescriptions est assuré par des sanctions pénales. De même en est-il du louage d'habitation. C'est enfin le cas des opérations de crédit, immobilier ou à la consommation (C. consom., art. L. 311-1 et s.) ; v. dans ce sens l'article 69 du projet de loi 31-08 sur les mesures de protection du consommateur. v. not. Au Maroc, les cahiers de charges des opérateurs Télécom et audiovisuelles. * 589 C'est le cas notamment des offres préalables du crédit. v. `article 73 du même projet de loi. * 590 V. Supra, n° 152 et s. * 591 V. sur ce point, J.-P. Pizzio, « La protection du consommateur par le droit commun des obligations », R.T.D.com. 1998, p. 53. v. aussi, J. Calais-Auloy, « L'influence du droit de la consommation sur le droit civil des contrats », op. cit. * 592 Il s'agit du décret n° 78-464, 24 mars 1978, codifié aux articles R. 132-1 et R. 132-2 du Code de la consommation. * 593 V. notamment, Cass. 1re civ., 28 avr. 1987, JCP G 1987, II, 20893, note G. Paisant ; R.T.D.civ. 1987, p. 537, note J. Mestre. * 594 Cass. 1re civ., 14 mai 1991 ; JCP G 1991, II, 21763, note G. Paisant ; Rec. D. 1991, jurispr. p. 449, note J. Ghestin ; F. Terré, Y. Lequette, Grands arrêts de la jurisprudence civile : Dalloz, 11e éd. 2000, t. 2, n° 158. * 595 L'article 15 du projet de loi n° 31-08 sur les mesures pour la protection des consommateurs stipule íÚÊÈÑ ÔÑØÇ ÊÚÓíÇ í ÇáÚÞæÏ ÇáãÈÑãÉ Èíä ÇáãæÑÏíä æÇáãÓÊåáßíä ßá ÔÑØ íßæä ÇáÛÑÖ ãäå æ íÊÑÊÈ Úáíå Úáì ÍÓÇÈ ÇáãÓÊåáß ÚÏã ÊæÇÒä ãåã Èíä ÍÞæÞ ææÇÌÈÇÊ ØÑí ÇáÚÞÏ. Ainsi, l'article utilise les termes « producteurs » et « consommateur » ce qui laisse planer sur l'éventuelle protection du non professionnel. * 596 F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, op. cit., n° 306-1) * 597 Cass. 1re civ., 15 avr. 1986, R.T.D.civ., 1987, p. 86, obs. J. Mestre ; Defrénois 1986, art. 33745, p. 787, obs. J.-L. Aubert, * 598 Cass. 1re civ., 28 avr. 1987, op. cit. * 599 Sur le critère du rapport direct voir : supra n° 70 et s. * 600 v. CA Orléans, 4 mai 2000 : Juris-Data n° 2000-125344 ; Toutefois, ces règles ont pu être utilisées pour protéger certains usagers des services publics. En tout état de cause, la Cour de justice a clairement exclu l'application des règles en question aux personnes morales, CJCE, 22 nov. 2001, op. cit. ; La question de la compatibilité du maintien de la solution de la Cour de cassation avec celle de la CJCE mérite d'être posée. Il faut souligner que la directive de 1993 est une directive a minima (Dir. n° 93/13/CE, art. 8, qui réserve toutefois l'éventuelle incompatibilité de la législation nationale avec le Traité de Rome, et l'on peut à cet égard songer aux principes de liberté de circulation des marchandises et surtout des services, dont l'application est susceptible de remettre en cause une telle législation). Or, s'agissant de la directive sur le démarchage à domicile, la Cour de Luxembourg avait admis que le caractère a minima de ce texte permettait à un État d'appliquer cette législation à un commerçant, personne physique, CJCE, 14 mars 1991, Rec. CJCE, 1991, I, p. 1206. * 601 Cet article est venu dans les mêmes termes que L'article L. 132-1, alinéa 4 du Code français de la consommation. * 602 H. Claret, Contrats et obligations, Protection du consommateur, J-Cl civil, Fasc. 10, Septembre, 2002, n° 108 et s. * 603 En ce sens : J. Calais-Auloy, F. Steinmetz, Droit de la consommation, op. cit., n° 182 * 604 Cass. 1re civ., 6 janv. 1994, JCP G 1994, II, 22237, note G. Paisant ; R.T.D.civ. 1994, p. 601, obs. J. Mestre. * 605 V. s'agissant d'un contrat d'assurance, Cass. 1re civ., 16 janv. 2001 : RGDA 2001, p. 293, note J. Kullmann * 606 L'article 16 du projet de loi (article L. 132-1, al. 5 du code français de la consommation) * 607 En ce sens, J. Calais-Auloy, F. Steinmetz, Droit de la consommation, op. cit., n° 188). * 608 Article L. 132-1, al. 7 du code français de la consommation * 609 Cf. G. Paisant, « Les clauses abusives et la présentation des contrats dans la loi n° 95-96 du 1er février 1995 », Rec. D. 1995, chron. p. 99. * 610 V. en ce sens, M. Bruschi, « L'amélioration de la protection contractuelle du consommateur », Rev. Lamy dr. aff. 2002, n° 2830, p. 6. * 611 Il convient toutefois d'observer que la Cour de cassation tenait déjà compte de la rédaction ambiguë des clauses du contrat dans l'appréciation de leur caractère abusif. Voir à propos d'une clause limitative de responsabilité, Cass. 1re civ., 19 juin 2001, Bull. civ. I, n° 181. * 612 V. Infra, n° 279 et s. * 613 À noter que certains juges ordonnent parfois la publication du jugement ayant déclaré la clause abusive, ce qui est un moyen de faire connaître la décision mais aussi sans doute, un moyen de dissuasion par la contre-publicité qu'il constitue pour le professionnel. Pour une illustration, TGI Grenoble, 7 déc. 2000. * 614 V. Infra, n° 284 et s. |
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