Notion et régulation de l'abus de puissance économique( Télécharger le fichier original )par Azeddine LAMNINI Université Sidi Mohammed Ben Abdellah Fès - DESA 2008 |
§1 - LE RENFORCEMENT DU POUVOIR JUDICIAIRE194. Rénovation du rôle classique du juge et reconnaissance du pouvoir juridictionnel au régulateur. De prime abord, la fonction du juge et du régulateur dans la lutte contre les abus de puissance économique, au regard de leurs sphères classiques de compétence, nous amène logiquement à arborer la question de leurs fonctions naturelles. Ce sont des fonctions qui demeurent dans le pouvoir naturel dont dispose chacun de ces intervenants. Fonction judiciaire pour le juge et fonction de réglementation et du contrôle pour le régulateur491(*). En effet, le régulateur ne se voit jamais par exemple accorder le droit de condamner à la réparation du dommage subi par les acteurs du marché. Le juge aussi ne doit jamais se prononcer d'une manière générale et impersonnelle. Ce qui implique que le régulateur n'est point un juge et que le juge ne saurait être un régulateur. Néanmoins, beaucoup d'impératifs ont instigué les deux structures à entamer un travail d'adaptation aux réalités économiques et techniques. Ainsi, des tendances actuelles laissent avancer que les organes chargés de l'application du droit de la concurrence, et ainsi, la lutte contre les abus de puissance économique, doivent correspondre à des instances judiciaires et des institutions administratives, sans perdre de vue l'intérêt de conserver une place relative aux opérateurs492(*). En effet, le juge a conservé son rôle naturel dans l'application du droit de la concurrence, incarné par son pouvoir judiciaire. Par la suite, et afin de pouvoir lutter efficacement contre les abus de puissance économique portant on constate qu'il a entrepris une sorte de rénovation dans les techniques d'interprétation et d'analyse des dispositions du droit de la concurrence (B). De même, et pour les mêmes raisons, de sont côté, le régulateur, se voit confié un pouvoir quasi-juridictionnel, dépassant son pouvoir de réglementation et de contrôle (A). A- La reconnaissance de la fonction juridictionnelle aux autorités du marché 195. De la réglementation à la régulation. De prime abord, il faut signaler que bien avant la création des autorités indépendantes du marché et la publication de la loi sur la liberté des prix et de la concurrence, une certaine protection contre les abus de puissance économique était assurée par l'administration classique, notamment par l'action sur les prix et la qualité des produits493(*). La nouvelle législation sur la liberté des prix et de la concurrence ne bouleverse point cet édifice. Elle se limite à le corriger et à le réorienter conformément aux principes de la libéralisation de l'économie et d'adaptation des procédés de régulation494(*). Toutefois, la loi innove de manière saisissante par la création d'un Conseil de la concurrence dont la composition, les attributions et le fonctionnement tiennent compte de la participation des agents économiques du secteur privé de la confirmation de l'emprise administrative et malgré tout du respect de principes plutôt traditionnels aux procédures juridictionnelles495(*). 196. La nature des autorités du marché. . La protection du marché contre les abus de puissance économique afin de maintenir les équilibres est assurée par une structure extérieure sous forme d'organes distincts, « les autorités de régulation ». Ces autorités de régulation comme organes distincts du marché, sont des éléments de l'exécutif. Elles sont en quelque sorte le bras armé de ce dernier496(*). Elles n'en sont même pas un démembrement, comme on le disait naguère des établissements publics administratifs, car ces derniers ont la personnalité morale alors que les autorités de régulation, dans la plupart des cas, ne l'ont pas. Elles font partie du pouvoir exécutif de l'État, même si, par l'intervention du législateur, le pouvoir exécutif traditionnel, celui qui est constitué sous l'autorité hiérarchique du Premier ministre, s'est trouvé amputé de certaines compétences au profit d'autorités méritant davantage d'ailleurs le qualificatif « d'autonomes » que celui « d'indépendantes »497(*). 197. Le rôle naturel des autorités du marché dans la protection du marché. En effet, le régulateur assure une fonction propre, issue de son pouvoir règlementaire499(*) à travers laquelle il contribue activement à la lutte contre les abus de puissance économique. Cette fonction naturelle s'opère à la fois en amont et en aval. Les fonctions amont ont pour but d'introduire la concurrence et encadrer la mutation de l'économie dirigiste à l'économie du marché par la création, notamment, des conditions nécessaires à l'instauration de la concurrence. Ainsi, le régulateur participe à l'élaboration des règles au travers des pouvoirs réglementaires qui lui sont dévolus, y apporte des précisions par des recommandations, lignes directrices ou autres documents n'ayant pas valeur normative. Dans ce cadre, il introduit la concurrence par l'octroi de licences aux nouveaux entrants, établir les cahiers de charges pour clarifier les droits et obligations des opérateurs. 198. En aval. En aval, le rôle naturel du régulateur dans l'appréhension des phénomènes de puissance économique consiste dans la surveillance de tous les opérateurs y compris ceux du secteur public. Il se charge de contrôler les conditions d'accès au marché et d'exercice des activités économiques dans le but de protéger l'ensemble des professionnels et des consommateurs. Ainsi, il contrôle le marché pour éviter tout abus de la part des opérateurs, alloue les ressources rares qu'il gère, analyse les marchés pertinents et identifie les opérateurs puissants, rationalise l'utilisation des infrastructures, faciliter le développement de la couverture du territoire et de promouvoir les investissements. Toutes ces missions constituent la fonction propre du régulateur, issue de son pouvoir règlementaire. Elles ne relèvent aucune contestation à côté de la fonction judiciaire du juge. Or, ce sont ces mêmes missions qui attestent de la souplesse des autorités du marché et leur réalisme dans l'appréhension des phénomènes économiques qui, à côté de la rigidité de la fonction judiciaire classique, motivent l'attribution d'une fonction juridictionnelle au régulateur. 199. Extension du rôle du régulateur à la fonction juridictionnelle. Aujourd'hui, le juge se voit souvent reprocher son éloignement des réalités concrètes et des contraintes indomptables par le droit tout court. Ces décisions ressemblent à des interventions chirurgicales dont les séquelles marquent pour toujours l'activité économique d'autant plus qu'elle favorise par inadvertance ou application scrupuleuse des règles de procédure, les risques de vengeance, d'abus et d'immoralité, dont fait preuve parfois des plaideurs insensibles aux idéaux de justice, de civisme, de respect de l'ordre public et de l'esprit des lois500(*). Par conséquent, le nouveau droit de la concurrence se particularise indiscutablement par l'importance qu'il accorde aux institutions administratives et à leur mission de régulation dans la lutte contre les abus de puissance économique. Cette dernière ne se limite plus aux fonctions classiques de contrôle, de surveillance, d'orientation et de conseil. Elle s'apparente de plus en plus à des missions de conciliation, de réparation, de correction et de sanctions très semblables à celles traditionnellement reconnues et réservées à la justice501(*). 200. Fonction juridictionnelle des autorités du marché et respect des principes traditionnels de la procédure. Cette nouvelle mission du régulateur administratif est basée sur une procédure préalable. Son effectivité dans la lutte contre les abus de puissance économique passe inéluctablement par le respect des principes légaux le gouvernent, du déclenchement des enquêtes jusqu'à l'exécution des sanctions. Les conditions du procès équitable devront par conséquent être respectées tout comme la présomption d'innocence et les garanties de la défense. Il faudra donc bien séparer les fonctions de jugement de celles de recherches et d'instruction des infractions502(*). Cependant, la composition503(*), les attributions et le fonctionnement du conseil de la concurrence institué par la loi 06-99, tiennent compte de la participation des agents économiques du secteur privé de la confirmation de l'emprise administrative et malgré tout du respect de principes plutôt traditionnels aux procédures juridictionnelles504(*). Il ne dispose pas d'un pouvoir décisionnel505(*). Ce dernier relève des prérogatives du premier ministre ce qui laisse planer sur l'indépendance et l'impartialité objective de nos institutions administratives du marché. Néanmoins, la loi 06-99 impose des règles procédurales strictes pour le respect des principes d'un procès équitables506(*). D'un autre côté, elle consacre au niveau des enquêtes administratives simples et judiciaires, les principes de loyauté, du secret professionnel et du respect de la vie privée507(*). A côté de la garantie du respect des principes d'un procès équitable, les autorités du marché présentent des avantages, dans la lutte contre les abus des opérateurs économiquement puissants, les favorisent par rapport au juge. Il s'agit des délais courts par rapport à la procédure de droit commun et de la liberté dans le règlement des litiges. 201. Les délais courts. Dans la plupart des affaires de répression des abus de puissance économique, il ne s'agit pas seulement pour le demandeur d'obtenir réparation d'un dommage causé par cet abus, mais aussi de gagner dans un délai très court. Les économistes ne cessent de rappeler aux juristes qu'une part de marché perdue est très difficile à reconquérir. Cependant, dans sa fonction juridictionnelle, le régulateur devait respecter les délais nécessaires à l'obtention d'une décision dans le règlement des litiges, c'est un facteur qui est essentiel. Il s'agit, en effet, d'un élément déterminant. Le législateur national, et à l'instar de ses homologues européens, ne s'y est pas trompé, ce qui explique que dans la plupart des textes, relatifs aux règlements des différends nés de la régulation économique, imposent le règlement des litiges dans des délais très courts. Cependant, parfois, ce n'est pas le cas. Ainsi, le Conseil de la concurrence peut dans un délai de deux mois déclarer, par décision motivée, sa saisine irrecevable s'il estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence ou ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants. Ce délai est relativement long par rapport au délai imposé aux juridictions de droit commun, ce qui est absolument incompatible avec les exigences de célérité et de rapidité susmentionnées508(*). Ajouter à cela, l'absence de toute exigence légale quand au délai imparti pour la décision finale. 202. Une grande liberté dans le règlement des litiges. Au-delà du facteur temps qui joue souvent en faveur des autorités du marché, un autre élément est souvent avancé pour justifier le recours à celles-ci, à savoir la plus grande liberté dont elles jouissent dans le règlement des litiges. Il est vrai que la loi donne très fréquemment un large pouvoir d'appréciation au régulateur pour trancher les litiges qui leur sont soumis. Ainsi, par exemple, en France, les articles L. 34-8 et L. 36-8 du C.P.T. qui organisent le règlement des litiges en matière d'interconnexion permettent à l'Agence de la Régulation des Télécommunication. d'imposer toute prestation d'interconnexion qu'elle juge « raisonnable » au regard des besoins du demandeur et des capacités de l'opérateur sollicité à l'offrir. Elle peut réduire un tarif d'interconnexion dès lors qu'elle estime qu'il « crée une charge excessive » ce qui a pour effet de sanctionner notamment un abus dans l'exploitation des installations essentielles. De même, la même agence peut imposer la modification des dispositions d'une convention d'interconnexion, même si aucune des deux parties au litige ne le lui demande. A l'inverse, un juge qui tranche un litige en matière d'interconnexion doit respecter les règles qui s'imposent en matière de convention de droit privé et en particulier de par l'article 230 du Dahir des Obligations et des Contrats, et ne dispose donc pas de la même liberté que le régulateur. Si on ajoute à cela que par nature un régulateur estime avoir vocation à créer lui-même les règles du jeu, il est manifeste que lorsque la solution à un litige requiert une décision innovante, le choix du régulateur sectoriel peut être privilégié. Toutes ces prérogatives du régulateur contribuent à la lutte contre les abus de puissance économique d'une manière plus efficace et plus rapide que le juge. 203. De ce qui précède on peut déduire que les régulateurs qui se voient octroyer le pouvoir de sanctionner les acteurs portant atteinte au bon fonctionnement de la concurrence et de régler des litiges y afférents. Ils agissent en droit et mènent leur action avec les garanties procédurales qui s'imposent. Dès lors, ils deviennent des quasi-juridictions509(*) plus aptes d'appréhender les phénomènes d'abus dans l'exercice de la liberté de la concurrence. Néanmoins, l'octroi des pouvoirs de nature juridictionnelle à des régulateurs, ne réduit pas pour autant le domaine de compétence des juges et, de ce fait, l'action quasi-juridictionnelle des régulateurs s'exerce toujours de manière complémentaire à la possible intervention du juge. A son tour, ce dernier, pour s'adapter aux réalités économiques, entame un travail de perfectionnement de son action et ainsi, il commence à recourir à une sorte de régulation moderne des mécanismes concurrentiels. B- L'accroissement de la fonction régulatrice du juge 204. Les tribunaux naturellement compétents pour sanctionner les abus de puissance économique. L'application du droit de la concurrence relève des juridictions civiles, des juridictions pénales et des juridictions administratives. Le partage des compétences entre les trois juridictions est établi en fonction des objectifs poursuivis par les parties saisissantes510(*). Ainsi, il relève de la compétence des juridictions administratives, le contrôle de la régularité des décisions prises par les autorités administratives, dont celles du premier ministre. Les tribunaux civils ou de commerce sont compétents pour déclarer l'annulation du contrat de nature anticoncurrentielle et d'obtenir les dommages et intérêts511(*), tandis que les juridictions pénales sanctionnent les pratiques déclarées infractions par la loi512(*). 205. Compétence propre du juge dans la lutte contre l'abus de puissance économique. Il est incontestable que la plénitude des pouvoirs juridictionnels relève du juge. Les juges de droit commun sont de plus en plus fréquemment saisis de litiges qu'ils doivent trancher sur le fondement du droit de la concurrence ou de lois économiques spécifiques513(*). Seul le juge de droit commun, le juge administratif ou le juge civil, selon l'auteur ou la nature du dommage, ont le pouvoir d'évaluer les indemnités qui doivent être accordées aux opérateurs victimes d'abus de puissance économique et de condamner l'auteur de telles pratiques à réparer le préjudice subi par les victimes. Dès lors, le juge est conduit à devenir lui-même un acteur de « premier niveau » de la régulation économique. Cette compétence judiciaire touche à la majorité du domaine du droit de la concurrence. En effet, le juge se trouve compétent en matière de pratiques anticoncurrentielles comme en matière de concurrence déloyale. Il a un pouvoir de sanction civile et pénale, de réparation de dommage, d'ordonner les mesures conservatoires en vertu de l'urgence et de trancher les litiges. Il peut en vertu de l'article 9514(*) de la loi 06-99, et conformément à l'article 306 et suivant du Dahir des Obligations et des Contrats515(*), déclarer la nullité des actes de concurrence illégaux. Ainsi, tout engagement ou comportement se rapportant à une pratique anticoncurrentielle, notamment un abus de position dominante, est nul de plein droit. Cette nullité est justifiée par la violation des dispositions légales impératives des articles 6516(*) et 7517(*) de la loi 06-99. Enfin et sans dresser un tableau exhaustif, le juge est compétent en vertu de l'urgence d'ordonner, sans préjudicier à ce que va être rendu au fond, toute mesure conservatoire, temporaire, pour faire cesser un trouble manifestement illicite ou faire prévenir un dommage imminent, notamment en matière de pratiques anticoncurrentielles et de pratiques restrictives. De ce qui vient d'être présenté, on peut déduire que le juge dispose de prérogatives étendues dans à la lutte contre les abus de puissance économique dans le cadre de l'exercice de son pouvoir judiciaire traditionnel. Cependant, la complexité et le réalisme des phénomènes économique ont incité le juge, sous d'autres cieux, à améliorer ses techniques judiciaires, notamment par l'accroissement de sa fonction régulatrice. 206. Accroissement de la fonction régulatrice du juge. Quand on parle de régulation et de juge, on parle à la fois de ce que fait depuis toujours le juge dont c'est la mission, une mission de régulation sociale518(*), et de cette technique nouvelle apparue plus récemment, venue un peu d'ailleurs et transposée dans les droits romano germaniques de manière assez hybride, qui fait qu'on exerce de la régulation par secteur, par suite de la démonopolisation et de la déréglementation. Il y'a là évidemment une fonction un peu différente, qui place le juge sur un terrain qui n'est pas au départ celui du droit. Ce terrain se caractérise par l'aspect technique des affaires de régulation économique, ce qui justifie de la saisine des régulateurs au détriment du juge de droit commun. Toutefois, il n'y a, en fait, que peu d'affaires qui présentent réellement une technicité telle que seul un régulateur sectoriel peut, à l'aide de ses propres services techniques, trancher. De surcroît, la faculté pour le juge de solliciter l'avis du régulateur ou de saisir un expert technique facilite la compréhension par le juge des questions techniques soulevées par les affaires de régulation économique. Au demeurant, il s'agit en général de comprendre un secteur économique, un vocabulaire, des règles économiques spécifiques, ce qui n'est pas au-dessus des capacités des magistrats de droit commun. L'organisation des tribunaux en chambres spécialisées et le renforcement des moyens donnés au juge peuvent aisément aider à surmonter ce type de difficultés. Cela est confirmé par la présente du juge au sein des autorités de régulation. Ainsi, On note d'ailleurs que les régulateurs sectoriels et généraux sont souvent dirigés par des magistrats, ce qui atteste, s'il en est besoin, que l'aptitude à réguler requiert souvent moins des compétences techniques que des compétences économiques et juridiques. Cependant, si le juge assure une pleine fonction de régulation au niveau des régulateurs administratifs, il n'en va pas de même au niveau des juridictions classiques où il se confronte à des entraves d'ordre légales. Ainsi, il ne peut se saisir lui-même, ne peut statuer que sur la question dont il est saisi, ne se prononce qu'en droit, ne peut prendre des dispositions d'ordre général, n'a pas de pouvoir de substitution et ne peut instaurer de relations de dialogue avec les opérateurs d'un secteur économique. Néanmoins, des juges commencent à surmonter ces obstacles légaux à travers de nouvelles pratiques judiciaires. 207. De nouvelles pratiques judiciaires. Cette vision classique du juge ne correspond pourtant plus véritablement aux pratiques judiciaires actuelles et l'on observe que nombre de magistrats dans des pays avancés dans le domaine de la régulation, prennent conscience de leur capacité à devenir des acteurs de la régulation économique et considèrent qu'il est de leur devoir d'avoir un rôle effectif dans l'exécution d'une politique économique. Plus particulièrement en interprétant la loi économique, il lui donne un sens et que ce sens influe sur sa finalité, c'est-à-dire qu'il peut nuancer, infléchir, pervertir, voire contrarier la politique économique voulue par la loi. Le juge a donc une responsabilité dans l'orientation même de la politique économique519(*). Ainsi, S'agissant de la manière d'évaluer les indemnités accordées à la victime d'un abus de puissance économique, le juge doit s'efforcer d'en fixer le montant, non seulement à la mesure du dommage directement subi par celle-ci mais aussi, en fonction de l'ensemble des préjudices induits, des risques pris par l'entreprise dénonciatrice, de sa contribution personnelle à la mise en oeuvre d'une politique de concurrence et du coût effectif du procès. Ainsi, par son caractère exhaustif, la réparation civile participe d'une démarche dissuasive pour lutter contre les abus de puissances économique. Cette conception large de la réparation est, elle aussi, une composante essentielle de la coopération du juge à une politique économique. 208. Conséquences : un juge régulateur. Dans cette nouvelle fonction du juge, des magistrats commencent à se comporter comme des véritables régulateurs et leurs décisions relèvent un caractère général. Ils vont jusqu'à emprunter les méthodes des régulateurs en convoquant des grands témoins afin de recueillir la position de l'ensemble des acteurs et experts du secteur avant de décider. Cette méthode s'inspire directement des consultations publiques habituellement organisées par les régulateurs. Cette nouvelle dimension donnée à l'activité juridictionnelle, amène les juges à sortir de leurs rôles traditionnels et de leurs modes habituels de raisonnement520(*), Puisque cette fonction de régulation suppose, non seulement d'avoir, en permanence à l'esprit, l'intérêt général, mais également très souvent de faire oeuvre de création et d'innovation. Il s'agit là d'une mutation profonde du monde judiciaire, dont certains magistrats français ou anglais ont parfaitement saisi la dimension. Dans cette extension du rôle du juge à un rôle quasi analogue du régulateur, ne faut-il pas que les juridictions cessent aussi de n'être composées que de juriste, de la même façon que le régulateur, comme c'est en voie d'être en Angleterre et dans certains cas en France ?521(*) 209. Du renforcement du pouvoir du juge et du régulateur à leur coopération dans la protection du marché. L'accroissement de la fonction régulatrice du juge, à côté de la reconnaissance du pouvoir juridictionnel au régulateur, implique une influence mutuelle entre ces deux organes chargés de la veille sur le bon fonctionnement de la concurrence, notamment par la lutte contre les abus des opérateurs économiquement puissants. Cette influence réciproque entre régulateurs et juges, conduit à des emprunts réciproques dans les modalités d'action et au développement d'une certaine concurrence. Cependant, cette concurrence n'est plus d'actualité. L'heure est désormais à la coopération et au dialogue entre juges de droit commun et régulateurs pour rendre leurs actions plus cohérentes et plus efficaces. * 491 Les instances de régulation prennent ainsi une importance sans précédent. Elles assument la surveillance de tous les opérateurs y compris ceux du secteur public. Elles se chargent de contrôler les conditions d'accès au marché et d'exercice des activités économiques dans le but de protéger l'ensemble des professionnels et des consommateurs. M. D. A. Machichi, Droit commercial fondamental au Maroc, op. cit., p . 212. * 492 Ibid, p. 213 ; Dans ce sens l'article 5 de la loi 06-99 stipule « A la demande des organisations professionnelles représentant un secteur d'activité ou sur l'initiative de l'administration, les prix des produits et services dont le prix peut être réglementé conformément aux articles 3 et 4 peuvent faire l'objet d'une homologation par l'administration après concertation avec lesdites organisations. Le prix du bien, produit ou service concerné peut alors être fixé librement dans les limites prévues par l'accord intervenu entre l'administration et les organisations intéressées. Si l'administration constate une violation de l'accord conclu, elle fixe le prix du bien, produit ou service concerné dans les conditions fixées par voie réglementaire. * 493 La police administrative en matière économique appartient au premier ministre et aux autorités déléguées à l'effet de réglementer les prix des produits et services et d'en contrôler leur respect à tous les niveaux de l'activité économique en vertu de la loi de 12 Octobre 1971. Le contrôle de la qualité et des prix revenait aux Mouhtassibs et Oumanas traditionnels dont le Dahir de 21 juin 1982 renouvelle la création et modernise l'organisation. Les pachas et Caids avaient aussi compétence pour réglementer les prix de certaines denrées en application des dispositions de l'article 44 du dahir de 30 septembre 1976, relatif aux collectivités locales. * 494 M. D. A. Machichi, Droit commercial fondamental au Maroc, op. cit., P. 216. * 495 Ibid, * 496 E. Cohen, « De la réglementation étatique et administrative à la régulation », op. cit., p. 2. * 497 M. D. A. Machichi, Droit commercial fondamental au Maroc, op. cit., P. 211 ; Par ailleurs, après la consécration par la loi 06-99 du principe de la liberté des prix, les articles 3,4 et 5 de la même loi consacrent des prérogatives très importantes au premier ministre. En effet, l'article 3 donne à l'administration le droit de fixer le prix, par voix règlementaire, dans les secteurs ou les zones géographiques où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole de droit ou de fait, soit de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires498. Dans le même sens, l'article 4 déclare que les dispositions des articles 2 et 3 de la dite loi ne font pas obstacle à ce que des mesures temporaires contre des hausses ou des baisses excessives de prix, motivées par des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé, peuvent être prises par l'administration, après consultation du Conseil de la concurrence. La durée d'application de ces mesures ne peut excéder six mois prorogeable une seule fois. * 499 « ... La réglementation relève du privilège souverain de l'État ; la régulation, c'est, dans un champ donné, un considérable pouvoir d'investigation, d'interprétation et d'appréciation dévolu à des personnes indépendantes du pouvoir politique et du milieu sur lequel elles exercent leur contrôle ». E. Cohen, « De la réglementation étatique et administrative à la régulation », op. cit., P : 3 * 500 M. D. A. Machichi, Droit commercial fondamental au Maroc, op. cit., p . 213. * 501 ibid, p. 216. * 502 « Dans l'Union Européen, les régulateurs doivent respecter le principe énoncé à l'article 6, § 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et par l'Article 14, § 1er du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, signé à New York le 19 décembre 1966 ; L'article 6, § 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales énonce : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ... ». Dans ce sens, le Conseil d'Etat grand-ducal en Belgique a rappelé, dans son avis rendu 16 mars 2004 sur le projet de loi relative à la concurrence, le principe de la conformité des lois nationales à l'article 6 susmentionné. Au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme de Strasbourg et des juridictions nationales notamment en France, la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales et notamment son article 6 s'applique aussi à la procédure de sanction des organes administratifs de régulation ; Le Conseil de la concurrence qui est en Belgique, la juridiction administrative compétente pour statuer sur les contentieux en matière de concurrence économique, répond indubitablement aux critères définis par la Cour européenne des Droits de l'Homme pour être qualifiée de juridiction indépendante. Les notions d'indépendance et d'impartialité objective sont étroitement liées et sont indispensables dans le chef de l'organe décisionnel de l'autorité de concurrence ». Patrick DE WOLF, « L'importance de l'indépendance s'une autorité de le concurrence », format PDF, disponible sur : http://www.eco.public.lu/salle_de_presse/conferences_presse/2004/03/29_Conference_relative_a_la_concurrence/de_Wolf.pdf , visité le 15/10/2008. * 503 Il n'existe aucune disposition de la loi 06-99 imposant la présence de magistrat de carrière parmi les membres du conseil de la concurrence. Ainsi, l'article 18 de ladite loi stipule : « Le Conseil de la concurrence est composé outre le président de douze (12) membres dont : - six (6) membres représentant l'administration - trois (3) membres choisis en raison de leur compétence en matière juridique, économique, de concurrence ou de consommation ; - trois (3) membres exerçant ou ayant exercé leurs activités dans les secteurs de production, de distribution ou de services. * 504 M. D. A. Machichi, Droit commercial fondamental au Maroc, op. cit., p . 216. * 505 L'article 14 de la loi 06-99, dispose : « Il est créé un Conseil de la concurrence aux attributions consultatives aux fins d'avis, de conseils ou de recommandations. » * 506 Dans le secteur de la télécommunication, le régulateur sectoriel, l'A.N.R.T., la loi n°55-01, en vigueur depuis le 4 novembre 2004 a renforcé ses compétences en matière du respect des règles de la concurrence dans le secteur des télécommunications. Cette nouvelle loi a chargé l'ANRT de veiller au respect de la concurrence loyale dans le secteur des télécommunications et de trancher les litiges y afférents, notamment ceux relatifs aux pratiques anticoncurrentielles ainsi que le contrôle des concentrations. Le décret d'application de la loi 55-01 a précisé les règles applicables à la procédure suivie devant l'ANRT en matière de la concurrence. Ledit Décret a confirmé la plupart des principes procéduraux susmentionnés et confirme, ainsi, le caractère juridictionnel de ces nouvelles missions de l'ANRT. * 507 A noter dans ce sens qu'en France, l'enquête judiciaire est ordonnée par le premier président du tribunal de grande instance alors qu'au Maroc c'est le procureur du Roi auprès du tribunal de première instance qui est compétent à cet effet. Cette situation démontre le maintien du rôle de l'Administration dans l'application du droit de la concurrence au Maroc. * 508 En France, le délai le plus court se trouve à l'article 21 de la directive du 26 février 2001 sur la tarification de l'infrastructure ferroviaire qui prévoit un délai de dix jours ouvrables pour le règlement des litiges relatifs à la répartition des capacités de l'infrastructure ferroviaire. Les régulateurs sectoriels tels que l'Agence de la Régulation des Télécommunication et la Commission de la régulation de l'Electricité qui rendent des décisions exécutoires dans des délais de trois à six mois. * 509 Ces pouvoirs ainsi attribués à un régulateur sont toujours strictement limités par des textes législatifs, et à chaque fois qu'un texte ne lui reconnu pas expressément le pouvoir d'intervenir dans le champ de l'action juridictionnelle, seul le juge peut sanctionner le comportement dénoncé ou régler le litige en cause. * 510 N. Toujgani, Guide pratique du droit de la concurrence, OUMAIMA, 2006, p. 105. * 511 Les juridictions civiles sont seules compétentes pour statuer sur le montant des dommages et intérêts invoqué par les victimes de pratiques anticoncurrentielles. ibid.. * 512 Ainsi, dans la lutte contre les abus de puissance économique, le juge conserve toujours son pouvoir classique de sanction. En effet, le loi sur la liberté des prix et la concurrence prévoit un nombre très important de sanctions pénales : l'emprisonnement de personnes physiques, l'amende, la confiscation, la fermeture temporaires des établissements, l'interdiction temporaire d'exercer une profession ou une activité déterminée ou de toutes activités commerciales avec l'interdiction d'être employé à quelque titre que se soit dans l'établissement exploité même vendu ou donner en location gérance ou à bail et la publication des jugements. Ces peines peuvent être augmentées par d'autres sanctions prévues par le code pénal, notamment ces articles 40 et 87. Ces peines couvrent toute la matière, pourvu qu'il respecte le principe de la légalité des incriminations et des peines. * 513 « D'autre part, le juge est compétent en vertu de son pouvoir judiciaire naturel de trancher les litiges se rapportant à un acte ou un fait en relation avec la concurrence. L'article 5 de la loi sur les tribunaux de commerce donne compétence au juge commercial de trancher les litiges qui naissent entre commerçant dans l'exercice de leurs commerces y compris évidemment ceux de la concurrence, c'est-à-dire les différents entre commerçants dans la conquête de la clientèle. Quand au juge civil, il conserve sa compétence pour trancher les litiges entre un commerçant et un non commerçant ou en matière agricole, pêche et professions libérales et dont le code de commerce ne les a pas incluent dans les actes de commerce par nature ». M. D. A. Machichi, Droit commercial fondamental au Maroc, op. cit., p . 215. * 514 Aux termes de cet article : « Tout engagement ou convention se rapportant à une pratique prohibée en application des articles 6 et 7 ci-dessus est nul de plein droit. Cette nullité peut être invoquée par les parties et par les tiers ; elle ne peut être opposée aux tiers par les parties ; elle est éventuellement constatée par les tribunaux compétents à qui l'avis du Conseil de la concurrence, s'il en est intervenu un, doit être communiqué ». * 515 Ledit article dispose : « L'obligation nulle de plein droit ne peut produire aucun effet, sauf la répétition de ce qui a été payé indûment en exécution de cette obligation. L'obligation est nulle de plein droit : 1° Lorsqu'elle manque d'une des conditions substantielles de sa formation ; 2° Lorsque la loi en édicte la nullité dans un cas déterminé ». * 516 L'article 6 de la loi 06-99 stipule : Sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes ou coalitions expresses ou tacites, sous quelque forme et pour quelque cause que ce soit, notamment lorsqu'elles tendent à : 1 -limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ; 2 - faire obstacle à la formation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; 3 - limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ; 4 - répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement. * 517 Est prohibée, lorsqu'elle a pour objet ou peut avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises : 1 - d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ; 2 - d'une situation de dépendance économique dans laquelle se trouve un client ou un fournisseur ne disposant d'aucune autre alternative. L'abus peut notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. Il peut consister également à imposer directement ou indirectement un caractère minimal au prix de revente d'un produit ou d'un bien, au prix d'une prestation de service ou à une marge commerciale. L'abus peut consister aussi en offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'éliminer un marché, ou d'empêcher d'accéder à un marché, une entreprise ou l'un de ses produits. * 518 J.-J. Israel, « La complémentarité face à la diversité des juges et des régulateurs », LPA, 23 janvier 2003, n° 17, P. 24. * 519 J.-J. Israel, « La complémentarité face à la diversité des juges et des régulateurs », loc. cit. * 520 « A cet effet, des formations en matière économique sont devenues indispensables car ces deux disciplines doivent pour ainsi dire se chevaucher. C'est difficile mais c'est loin d'être impossible. Les deux disciplines sont beaucoup moins inaccessibles l'une à l'autre qu'on ne le pense ». C. Bellamy, « le juge contrôleur du régulateur », 23 janvier 2003 n° 17, P. 38. * 521 « En Angleterre, avec la création des tribunaux spécialisée en droit de la concurrence, les responsables ont organisé des cours relativement intensifs de formation adaptés à la préparation des membres desdits tribunaux à l'instar « l'Appeal Tribunal ». Ces cours couvrent les principes de base pertinents de l'économie. Par cette approche, les autorités tentent de consolider le mariage entre les principes du droit, d'une part, et les principes de l'économie, d'autre part. Au fond, il s'agit d'un effort pour convaincre les entreprises, les consommateurs et tous les autres intéressés de la crédibilité de ce système. Car, du point de vue des entreprises, la chose la plus importante est la crédibilité du système : It must be fair, it should be quick, it should not cost too much. Et il est presque impossible pour le juge de satisfaire simultanément toutes ces exigences ». C. Bellamy, « le juge contrôleur du régulateur », op. cit. |
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