L'offre éducative primaire au Burkina Faso. Approche économique et anthropologique( Télécharger le fichier original )par Julie Rérolle Université Aix - Marseille 1 - Master 2 Langues Etrangères Appliquées "Intelligence économique, culture et organisation" 2007 |
II.3) Conclusion et bilansII.3.1) Quels enseignements tirer ? Cette expérience bilingue a tout d'abord permis de mettre en lumière l'importance de l'utilisation des langues nationales dans l'enseignement et le fait que cela facilite l'apprentissage des autres matières, tout en améliorant son efficacité interne et externe. La réussite des écoles bilingues laisse à penser « qu'un jour, l'enseignement bilingue dépassera son étape d'expérimentation pour être pratique dans toutes les écoles du Burkina. »195(*) En effet, les taux de réussite au certificat d'enseignement primaire est supérieur dans les écoles bilingues et les taux de redoublement sont moins élevés. De plus, les élèves passent un an - ou deux - de moins à l'école, ce qui diminue le coût pour les parents et la communauté, et qui rend les enfants plus vite disponibles pour travailler. L'école bilingue est récente mais, de par sa pertinence et son efficacité, a montré de nombreux atouts, et a conquis le coeur de la population, qui avait soif de changement et de reconnaissance. « Lentement mais surement, le bilinguisme est en train de s'imposer dans le système éducatif burkinabé. »196(*) Pour résumer, l'école bilingue a des impacts très importants sur tous les acteurs concernés : élèves, parents et autres membres de la communauté. Les répercussions sur l'individu sont multiples : i) elles sont tout d'abord sociales : amélioration des conditions de vie, de la santé, de l'hygiène, de l'esprit civique ; ii) elles sont aussi d'ordre économiques : meilleure productivité agricole, augmentation des revenus familiaux et de la communauté dans son ensemble ; iii) ou encore éducatives avec une meilleure fréquentation et participation scolaire, des meilleurs taux de réussite aux examens, plus de filles scolarisées et plus d'échanges intergénérationnels ; iv) et enfin une amélioration en termes d'organisation et de gestion de la communauté. Au niveau de la communauté, la cohésion sociale est renforcée, car les parents participent à l'éducation de leurs enfants ; les exclus du système classique peuvent être réintégrés et le village perçoit mieux les bénéfices de l'instruction. De plus, le coût global de l'éducation est réduit grâce à une réduction significative du temps passé à l'école et à la création de richesse par les activités productives de l'école. II.3.2) Limites, objectifs et défis Limites du système La seule limite que nous avons trouvée à ce système est que lorsque l'on compare les élèves de 3e année (CE1) des deux systèmes, on peut noter que ceux du classique ont une meilleure prononciation et plus d'aisance, de confiance en eux-mêmes en langue française. Cela est dû au fait que dans le bilingue, l'apprentissage est progressif et que les élèves transfèrent leur savoir du mooré vers le français. S'ils sont moins à l'aise en français, ils le sont plus dans toutes les autres matières, car ils ont dédramatisé l'acte d'apprentissage et se sont approprié les enseignements. De plus, les écarts de niveau s'estompent car en fin de cycle, comme nous l'avons vu, ils ont un niveau moyen supérieur que leurs camarades des écoles classiques, avec des résultats supérieurs à l'examen du CEP. Difficultés et défis : Aujourd'hui, l'ambition du système est de se généraliser (500 demandes de transformations ne seraient pas satisfaites197(*)), en proposant plus de langues, en accueillant plus d'enfants et en transformant plus d'écoles classiques en bilingues. L'objectif est d'enseigner en 14 langues nationales les plus parlées, qui représentent 90 % de la population burkinabé198(*). Un besoin d'investissements « Le plus grand ennemi de la nouvelle campagne d'alphabétisation, c'est le manque de moyens pour conduire l'opération sur tout le territoire national jusqu'au bout. »199(*) En effet, les difficultés majeures sont de l'ordre des moyens humains et financiers qu'il faudra débloquer pour faire face à l'expansion du système. Même si le projet global a pour but l'autonomisation des communautés et la reconnaissance et la valorisation des réalités et des cultures locales, le besoin de partenaires financiers extérieur est indéniable, « la majeure partie [des] projets et programmes étant bâtis en comptant sur l'aide de nos partenaires au développement. Il y a cette vérité qui veut que le partenaire ne finance que ce qu'il veut financer, c'est-à-dire ce qui va lui profiter, à lui et à son pays. »200(*) Ainsi, il faut persuader les bailleurs de fond de l'utilité d'un tel système, en la légitimant avec des arguments économiques surtout. Les performances de l'école bilingue mesurées jusqu'à présent, ainsi que les économies qu'elle peut faire réaliser au gouvernement et les incitations auprès des familles que représente l'utilisation de la langue locale sont des arguments de taille. De plus, l'aspect civilisationnel et identitaire suscitant de plus en plus d'intérêt auprès d'eux, ils devraient bientôt se bousculer pour financer de nouvelles écoles ou la formation de personnel enseignant. D'ailleurs, les formations des enseignants doivent être généralisées au niveau national. Le MEBA prévoit par exemple d'introduire les langues nationales dans les ENEP (écoles nationales des enseignants du primaire). Il semblerait que la formation des enseignants des écoles bilingues entraine des coûts supplémentaires (surtout s'ils ne sont pas lettrés en langues nationales, qui rappelons-le sont surtout basées sur l'oralité) mais cela est certainement dû à l'état d'expérimentation du système. Un besoin urgent de matériel se fait également ressentir dans beaucoup d'écoles bilingues : des manuels, des guides et supports pédagogiques, des logiciels pédagogiques, CD ou films sont nécessaires201(*) ainsi que du matériel sur la culture burkinabé (danse, musique, contes...). A présent, les outils didactiques sont élaborés, publiés et reproduits localement pour chacune des huit langues et ils sont réutilisables. Mais avec la démocratisation de ce système et le projet de passer à plus de langues, la création de matériel pédagogique est indéniablement un des problèmes dont devront faire face le MEBA ou les communautés qui se chargeront. En effet, la situation multilingue du pays et la volonté de diversifier les langues d'enseignement nécessitent un aménagement linguistique important et ce en plusieurs langues, ce qui signifie que les économies d'échelles réalisées ne seront plus les mêmes et que, par conséquent, les coûts unitaires des manuels seront supérieurs. Comme les programmes sont généralement les mêmes, il faut traduire en langue(s) nationale(s) sachant qu'une difficulté actuelle majeure est déjà celle de « la non-disponibilité et la complexité des programmes d'enseignement. »202(*) Un effort supplémentaire doit aussi être fait dans l'édition en langues nationales car il existe très peu de livres, journaux et autres publications dans ces langues. Pourquoi la population devrait être alphabétisée en mooré ou dans une autre langue nationale si elle ne s'écrit pas dans le pays ? Le Conseil économique et social, qui a récemment mené une étude sur l'alphabétisation, souhaite « que les acquis soient valorisés par la production de documents administratifs, de journaux, de panneaux d'indication en langues nationales, de bibliothèques villageoises. »203(*) Une autre difficulté de taille réside dans le transfert entre langue nationale et français. Les problèmes de terminologie en fulfuldé204(*) ou la façon de compter, par exemple, est différente : alors que le français utilise le système décimal, certaines langues se servent d'un système en base 5. Le passage de la langue nationale au français risque en mathématique notamment de compliquer l'apprentissage. Une organisation bien ficelée Une harmonisation doit aussi être faite au niveau des examens concernant la « non-prise en compte des spécificités de l'éducation bilingue dans les évaluations scolaires »205(*), car si cette formation est reconnue utile par les autorités gouvernementales, les élèves doivent tous pouvoir passer les examens nationaux, pour que leur éducation soit officiellement reconnue sur papier. Et pour cela, les examens doivent être adaptés aux curricula des écoles bilingues. Est-ce que l'Etat burkinabé acceptera de faire de telles concessions pour un système qu'il ne contrôle pas et dont il ne profite pas directement (financièrement du moins) ? Au niveau local, une efficacité optimale du bilingue impose que la transition entre les deux systèmes soit bien organisée, pour ne pas faire les mêmes erreurs que dans le passé206(*). Il faut procéder par étapes : 1) il faut commencer par élaborer une politique linguistique précise et généralisée (ce qui implique le choix de la langue et la définition de programmes professionnalisants et de qualité) ; 2) créer du matériel pédagogique de qualité : manuels, guides de l'enseignants, matériel pédagogique pour les matières générales et culturelles, en plusieurs langues (ce qui est plus coûteux qu'en une langue) ; et 3) former des enseignants, si possible du village ou au moins de la langue (pour un coût moindre et un développement durable et endogène). Pour un développement du système, il faut donc trouver des ressources financières, ce qui implique bien souvent la participation des bailleurs de fond, même si cela va à l'encontre d'un mouvement d'initiative locale et dont un des objectifs est l'autonomisation des communautés. La participation financière des institutions, ONG ou associations non-nationales pourrait aussi avoir comme conséquence néfaste d'entretenir la dépendance envers les pays « du Nord », que nous avons évoqué précédemment. Ainsi, un financement totalement interne serait à envisager, dans l'optique d'une « école de développement endogène ». Les craintes Des réticences sont aussi prononcées de la part des autorités sur « l'utilité et l'utilisation de l'apprentissage des langues locales, les risques de marginalisation des apprenants en langues locales, les perceptions défavorables des parents et des communautés vis-à-vis de l'instruction en langues nationales »207(*), alors qu'au contraire, il semble que tout l'intérêt du système bilingue est la lutte contre l'exode rural et la dynamisation des zones rurales, où le français est très peu usité et où les familles cherchent des solutions alternatives à la scolarisation classique. La plupart des réticences se font entendre de certains cadres, de l'élite lettrée et francophone, coupés des zones rurales et des langues nationales, qui ont peur de perdre la maitrise d'un domaine important dont dépend le futur de la nation : la formation de la jeunesse. Ces réticences qui sont encore peu apparentes, du moins dans les articles que nous avons étudiés, semblent bien réelles et risquent de mettre en péril le développement du système bilingue. En effet, le rôle de l'Etat dans un domaine aussi important que l'éducation est réduit à néant, du fait de l'autogestion du système et le risque est qu'il voit en l'école bilingue un concurrent sérieux de pouvoir et qu'il empêche son développement d'une manière ou d'une autre. * 195 Article « Enseignement de base : Des partenaires au Centre Manegdbzanga et aux écoles bilingues de Loumbila » paru le 6 avril 2006 dans Sidwaya (Karim Nongba SAWADOGO) http://www.ibe.unesco.org/French/poverty/Services/Seminaire/3seminaire/Articles_Presse_Ouaga_mars06/Sidwaya_Visite_Centre_Edu_Bilingue.pdf * 196 Article « Enseignement bilingue : La 110e école bilingue inaugurée à Koudougou » paru dans le Fasozine le 16 mai 2005 (François KABORE) http://www.lefaso.net/spip.php?article7299 * 197 Paul Taryam Ilboudo, responsable de l'OSEO-Burkina Faso, dans un article du Sidwaya paru le 24 janvier 2005 « Enseignement bilingue : une délégation suisse à Nomgana » (Boureima SANGA) http://lefaso.net/spip.php?article5673 * 198 Discours de Kédrébéogo, G. le 19 octobre 1998 « La situation linguistique du Burkina Faso. Communication au séminaire-atelier » organisé par le Conseil Supérieur de l'Information. Ouagadougou. * 199 Article « Alphabétisation au Burkina : S'adapter aux enjeux de la mondialisation » paru le 21 septembre 2007 dans Le Pays (Le Fou) http://www.lefaso.net/spip.php?article23577 * 200 Article « Alphabétisation au Burkina : S'adapter aux enjeux de la mondialisation » paru le 21 septembre 2007 dans Le Pays (Le Fou) http://www.lefaso.net/spip.php?article23577 * 201 Pour de nombreux spécialistes des sciences de l'éducation, il est temps d'introduire les NTIC dans les formations et à l'école. * 202 Article « Education bilingue : Radioscopie d'une décennie » paru le 24 février 2006 dans l'Observateur Paalga (Abdou Karim Sawadogo) http://lefaso.net/spip.php?article12628 * 203 Article « Alphabétisation et éducation non formelle : Le CES en appelle à une mobilisation sociale » paru le 13 septembre 2007 dans Sidwaya (Hamadou TOURE) http://www.fasopresse.net/article.php3?id_article=11397 * 204 Article « Ils ont apporté la lumière à nos enfants » paru le 7 juin 2007 dans l'Observateur Paalga (Ousséni Ilboudo) http://www.lobservateur.bf/spip.php?article6451&var_recherche=bilingue * 205 Article « Education bilingue : Radioscopie d'une décennie » paru le 24 février 2006 dans l'Observateur Paalga (Abdou Karim Sawadogo) http://lefaso.net/spip.php?article12628 * 206 Comme en 1979 avec le projet de division du pays en trois zones linguistiques qui s'était soldé par un échec du fait du manque d'organisation. * 207 Article « Enseignement des langues nationales en Afrique : Un facteur essentiel d'efficacité de l'éducation » paru le 16 août 2005 dans Sidwaya (Hamado Nana) http://www.lefaso.net/spip.php?article9062 |
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