Le bilan de la CEPGL qui a fonctionné de
manière presque normal jusqu'en 1996 reste mitigé.
L'organisation basée au Rwanda à Gisenyi a
bénéficié pour ses projets du financement des Etats
membres, de la BDEGL, de la Banque Mondiale et du Fond Européen pour le
Développement (FED). Le déséquilibre auquel nous faisions
allusion plus haut en parlant de la problématique de l'énergie
n'a pas épargné le secteur financier de l'organisation. Ainsi la
République Démocratique du Congo s'est très vite
positionnée en principal actionnaire et de manière paradoxale
aussi en principal débiteur.
Un tour d'horizon sur le fonctionnement des principaux
organes spécialisés de la CEPGL laisse vite présager une
explication au diagnostic d'échec que tous les observateurs ont vite
fait d'établir.
La CEPGL semble avoir souffert, sur tous les plans, de la
toute puissance de son initiateur le président Mobutu, oeuvrant à
maintenir les pays partenaires dans une position d'inféodation se
traduisant de manière lisible dans la situation permanente de
déséquilibre qui a prévalu au sein de cette organisation.
C'est dans une optique de caractérisation de ce
déséquilibre que Arsène Mwaka Bwenge42(*) parle des `rapports de
puissance à l'intérieur de la CEPGL... où Mobutu
le `` grand frère'', `` l'ainé'' trônait sur ses deux
`cadets'.
Cette approche valorisant un `homme fort de la Région'
était garantie par l'audience internationale dont Mobutu jouissait,
ainsi que par la facilité qu'il avait à obtenir des puissances
étrangère et des institutions financières internationales
le renflouement des caisses de l'organisation43(*).
Le financement quasi acquis de la CEPGL par l'entremise de
Mobutu, partie intégrante des jeux et des enjeux de la guerre froide,
ainsi que l'audience internationale de ce dernier, garante de sa toute
puissance en Afrique centrale, vont s'effondrer en même temps que le bloc
soviétique, laissant filer vers l'Europe de l'Est le regard et
l'attention des puissances occidentales et des bailleurs de fonds.
Cette situation va entraîner la CEPGL dans le gouffre et
réduire à sa plus simple expression le poids politique de Mobutu
Sese Seko, rompant une fois pour toute la pérennité du
déséquilibre régional institutionnalisé en faveur
de la RDC.
C'est l'institutionnalisation de ce déséquilibre
qui est la raison majeure, sous-jacente à toutes les autres, de
l'échec de la CEPGL.
On ne peut espérer parvenir à une politique
d'intégration régionale effective par un assujettissement de ses
partenaires. L'histoire prouve à suffisance que le meilleur moyen de
réussir ce genre d'intégration par domination est de faire la
guerre. Nous savons tous aujourd'hui que cette guerre s'est
déroulée et plutôt dans le sens inverse.
Un tour d'horizon sur les objectifs et le fonctionnement d'un
des organes spécialisés aide à comprendre les causes de
cet échec.
La BDEGL : avait pour objectif de
promouvoir le développement économique et social des Etats
membres, de financer des projets communautaires communs et certains projets
nationaux, en favorisant la coopération entre les Etats de la
communauté et leur intégration économique. La Banque
été chargée de fournir une assistance technique dans
l'étude, la préparation et l'exécution de ces projets.
Elle a été relativement fonctionnelle de 1984 à 1994,
année marquant le début du grand cycle d'instabilité
régionale avec le génocide rwandais.
Regroupant des actionnaires divers, la banque a pendant ces
dix années de fonctionnement mobilisé un capital de la hauteur de
23 258 786 DTS ayant pour actionnaire majeur la RDC avec presque
45.5%44(*) du capital,
soit plus que les contributions du Rwanda et du Burundi prises ensemble.
L'écart entre les contributions des 3 Etats membres est facile à
comprendre, considérant à juste titre le fait que la taille et le
potentiel économique de la RDC ne sont en rien comparables avec les
potentiels respectifs de ses partenaires. L'une des erreurs majeures de la
Banque, a été de s'écarter de ses objectifs et de sa
logique d'intégration régionale et de soutien à des
projets d'intérêts communautaires, en répercutant le
déséquilibre favorable à la RDC sur tous ses
crédits de financement.
De 1984 à 1993, sur 46 projets, la BDEGL a
contribué au financement de 31 projets en RDC pour un coût d'
environ 29 052 000 DTS soit 76% du total des crédits contre
seulement 7 projets pour le Rwanda représentant 15% du total des
crédits (5 839 000 DTS), 7 pour le Burundi (
1 993 300 DTS soient 5% du total des crédits) et
paradoxalement un seul projet commun(SINELAC : 1 500 000 DTS,
soit seulement 4% du total des crédits)45(*). Comment comprendre que seuls 4% du total des
crédits soient alloués au seul projet à portée
communautaire ?
Dans les faits, la Banque et ses crédits se sont vu
détournés de leur but initial et éparpillés sur une
myriade de petits projets dirigés par une mafia d'entrepreneurs à
la solde du régime de Kinshasa. N Mutabazi46(*) évoque la gestion
chaotique, l'hyperinflation, les pillages, la destruction de l'outil de
production, ainsi que le financement de projets non viables, comme les
principales raisons de la faillite des projets et de la Banque. Le Zaïre,
présenté comme « le plus grand actionnaire et
finalement le plus grand débiteur »47(*), est aux yeux de bon nombre de
d'observateurs le fossoyeur de la BDEGL.
Le même déséquilibre est facilement
retrouvé dans les autres organes spécialisés. Mais
au-delà de la mauvaise gestion des biens communautaires, c'est bien
à l'échelle sécuritaire que se mesure l'ampleur de
l'échec de la CEPGL.
Malgré son intention première d'oeuvrer, par le
biais de l'intégration régionale, à la
sécurité des Etats membres et de leurs populations, la CEPGL n'a
pas su empêcher le génocide rwandais, les guerres successives au
Congo et les cycles de violence au Burundi. Cet échec pourrait signifier
que les efforts des Etats membres de la CEPGL et de la communauté
internationale n'aient en rien touché du doigt le vrai problème
de la Région en se concentrant sur les aspects économiques,
s'obstinant à investir sur « des volcans
sociopolitiques » selon l'expression imagée d'Arsène
Mwaka Bwenge48(*).
Les idées de relance de la CEPGL, que nous
étudierons plus tard, mettent aujourd'hui l'accent sur la
nécessité d'élaborer pour la région des structures
sécuritaires communes, peut être un Etat-major régional
commun et surtout des mécanismes régionaux de prévention
et de résolution des conflits au lieu de se limiter à fluidifier
les échanges économiques.
Les pays de la CEPGL doivent se consacrer avant tout à
résoudre les problèmes sécuritaires qui les minent et
aboutir à la détente politique nécessaire au bon
déroulement de tout projet régional de développement.