Conclusion
L'objectif de ce mémoire
était d'apporter un éclairage sur les conditions du succès
de l'intégration de personnes extérieures dans les processus de
créativité. Quatre éléments de réponse sont
apportés à la fois par la revue de la littérature et par
l'expérience réalisée avec La Poste et Bouygues Telecom.
- Un des enseignements majeurs qui ressort des modèles
de la créativité organisationnelle est que la
créativité se joue d'abord au niveau de l'individu et qu'il
existe des caractéristiques qui permettent de déterminer si un
individu à des chances d'être créatif. Les composantes de
la créativité de Teresa Amabile (motivation intrinsèque,
compétences pour le domaine et compétences pour la
créativité) ainsi que les traits de personnalité du
modèle de Simon Taggar (le caractère consciencieux, l'ouverture
aux expériences, le caractère agréable et l'extraversion)
peuvent ainsi être considérés comme des critères
pertinents pour sélectionner les personnes extérieures à
intégrer dans un processus de créativité.
- La recherche sur le brainstorming a débouché
sur la proposition d'outils pour stimuler la créativité tels que
la réalisation d'exercices d'exploration, l'alternance de phases de
réflexion individuelles et collectives, la création d'un esprit
de compétition et l'utilisation de stimuli. Ces outils ont
été validés quantitativement par des études en
laboratoire. Le processus de créativité mis en place avec
Bouygues Telecom et La Poste s'est inspiré de ces outils. Les
résultats globalement positifs du processus mis en place contribuent
à confirmer la faisabilité et l'utilité de ces outils dans
le cadre de l'entreprise, et dans le cas de la mobilisation de personnes
extérieures.
- L'analyse des résultats du processus de
créativité croisée a permis d'identifier que les personnes
extérieures ont probablement manqué de connaissances des attentes
des consommateurs, des produits existants et des contraintes de
faisabilité. Cela suggère que la préparation et le cadrage
de la créativité est un facteur de réussite
particulièrement sensible dans une démarche d'intégration
de personnes extérieures. Dans le cas du processus entre La Poste et
Bouygues Telecom, nous pouvons faire l'hypothèse qu'une réunion
préalable de briefing et de préparation du brainstorming par les
participants aurait permis d'améliorer l'efficacité
créative.
- Enfin, l'absence de discussion préalables et de
débat sur les objectifs de la recherche d'idées est un point qui
a été explicitement regretté par les participants lors
d'une réunion de bilan qui s'est tenu à l'issu du processus. La
possibilité de changer de regard sur la définition
problème est une attente forte et présentait, aux yeux des
participants, un intérêt essentiel de l'intégration de
personnes extérieures. Cette intuition des participants rejoint
l'idée défendue par Luc de Brabandere : « le vrai
défi n'est pas tant l'élaboration de nouveaux concepts que la
capacité d'abandonner les représentations
existantes ».
Les limites de cette étude sont importantes car
l'expérience n'a porté que sur un seul cas de processus de
créativité croisée entre deux entreprises. Le degré
de généralisation des résultats est donc limité.
Nous pouvons cependant dire que l'expérience contribue à
confirmer que les principes énoncés dans le domaine de la
créativité organisationnelle et du brainstorming s'appliquent
dans ce cas du processus de créativité croisée entre
Bouygues Telecom et La Poste.
Ces limites sont une invitation à poursuivre la
recherche sur les conditions de succès de l'intégration des
personnes extérieures dans les processus de créativité.
Dans cette perspective de futures recherches, un point qui nous semble
important est de distinguer deux phases successives dans le processus
créatif en entreprise (De Brabandere, 2008) :
- le changement de paradigme, c'est à dire le
changement de vision sur la mission de l'entreprise et les contraintes qu'elle
doit respecter.
- la génération d'idées à
proprement parler, c'est à dire la manière dont on s'adapte au
nouveau paradigme avec des idées de nouveaux projets pour
l'entreprise.
Il s'agit de deux étapes successives, qui n'impliquent
pas les mêmes types personnes (niveau stratégique vs niveau
opérationnel), qui ne s'organisent pas de la même manière
(un changement de paradigme est un travail de long terme alors que la
génération d'idées est un processus plus rapide) et qui ne
soulèvent pas les mêmes enjeux (enjeux stratégiques vs
enjeux opérationnels). Ces différences profondes suggèrent
que chacune des deux phases du processus créatif doivent faire l'objet
d'études séparées.
Cette distinction entre la phase de « changement de
paradigme » et la phase de « génération
d'idées » nous amène à nous poser deux questions
:
- Dans quelles conditions l'intégration de personnes
extérieures peut permettre un changement de paradigme susceptible de
favoriser l'innovation ?
- Dans quelles conditions l'intégration de personnes
extérieures peut permettre de renforcer l'efficacité de la
génération d'idées ?
Dans le contexte du développement rapide des pratiques
d'ouverture des processus de créativité, ces axes d'étude
constituent probablement des voies prometteuses pour le chercheur en
créativité et en innovation.
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