3. Discussion et implications
La réponse à la problématique est
nuancée.
Le processus de créativité croisé a
atteint un premier degré d'efficacité par rapport à un
processus uniquement interne car les groupes externes et les groupes internes
ont contribué significativement à la production d'idées
sélectionnées par les managers internes. L'intégration de
personnes extérieures a ainsi permis de générer 40%
d'idées sélectionnées en plus. De plus, les commentaires
des participants laissent penser que la création d'une émulation
entre les équipes des deux entreprises a été un facteur de
succès essentiel.
Cette efficacité par rapport à un processus
uniquement interne est cependant relative. Les managers internes ont en effet
sélectionné deux fois plus d'idées internes que
d'idées externes et ont identifié plus idées originales,
attractives et réalisables parmi les idées internes. La
contribution des équipes internes a ainsi été
supérieure à la contribution des équipes externes. Cela
est un point important car un manager peut se demander si est il
justifié d'organiser ce type de processus pour gagner 40%
d'idées utiles en plus.
L'expérience souligne l'importance de la
définition du cadre de la recherche d'idées et du briefing des
participants internes.
La comparaison de l'efficacité des groupes externes et
des groupes internes peut permettre de suggérer des conditions de
succès à l'intégration de personnes extérieures. Le
fait que l'expert indépendant ait été plus favorable aux
idées externes suggèrent que les idées externes
n'étaient pas de moins bonne qualité dans l'absolu mais qu'elles
correspondaient moins aux attentes spécifiques des sélectionneurs
internes.
De manière schématique, nous pourrions
représenter les idées générées par les
personnes internes et par les personnes externes par le dessin ci-dessous. Dans
les deux cas (groupes externes et internes), le même nombre
d'idées a été émis. Cependant, dans le cas des
groupes externes, les idées émises correspondent moins au cadre
et aux objectifs perçus par les managers internes (les idées
externes sont plus souvent perçues comme pas assez réalisables,
moins attractives pour le consommateur ou pas assez différentes des
produits existants.
Schéma 7 : Représentation des idées
externes et des idées internes par rapport
au « cadre » des sélectionneurs internes
Idées émises par les groupes internes
Idées émises par les groupes externes
Cadre : objectifs et contraintes perçues par les
managers internes
Ce schéma permet de proposer deux
interprétations au résultat du nombre inférieur
d'idées externes sélectionnées par les managers
internes :
1. Les participants externes n'ont pas suffisamment
intégré le cadre de la génération
d'idées : les attentes des consommateurs, la faisabilité, et
la complémentarité avec les produits et services existants (ainsi
que d'autres contraintes et objectifs).
2. Les managers internes n'on pas suffisamment remis en cause
leur perception du cadre, qui était inadapté pour accueillir des
idées à fort potentiel provenant des personnes externes.
Afin de pouvoir comparer la contribution des personnes
externes et des personnes internes, nous nous étions fixé comme
contrainte de séparer la génération d'idées des
équipes internes et des équipes externes. Il s'avère que
cette séparation a probablement été trop forte car elle
n'a pas permis aux personnes externes d'intégrer suffisamment les
contraintes, les attentes des consommateurs et les offres existantes sur le
marché. Par ailleurs, cette séparation n'a pas permis aux
sélectionneurs de profiter du regard nouveau que pouvaient porter les
personnes externes sur leur sujet et leur permettre ainsi de modifier leur
perception du cadre de la génération d'idée.
Cette expérience met donc en avant l'importance de la
préparation des participants externes. A l'occasion de son
séminaire d'innovation, Lesieur avait prévu une
demi-journée de briefing et de questions/réponses. Avant
d'intégrer des personnes extérieures à un brainstorming,
certaines entreprises transmettent un briefing détaillé et font
réaliser un exercice de préparation. Ce type de démarche a
probablement manqué au processus de créativité
croisé que nous avons mis en place. Il ne suffit pas de faire participer
des personnes extérieures, il faut aussi les préparer
efficacement. Dans une même logique, cette expérience
suggère l'importance de la rencontre physique entre les personnes
internes et externes avant la génération d'idée car il
s'agit d'un facteur facilitant les transferts de connaissances et de points de
vue. Il est d'ailleurs intéressant de noter que le manque
d'échange et de discussion entre les équipes des deux entreprises
(avant la phase de génération d'idée) est un point qui a
été spontanément souligné par les participants au
processus, lors de la réunion de bilan. Dans ce cas, il existe donc une
réelle attente d'échanger et débattre sur la
définition du problème avant la phase de génération
d'idée. Cela renforce l'idée qu'une phase d'échange
préalable sur les objectifs et les contraintes de la recherche
d'idée suscitent potentiellement l'intérêt des participants
et des sélectionneurs.
L'expérience confirme l'efficacité de
certains principes énoncés par la recherche sur le
brainstorming.
Les résultats globalement positifs du processus (nombre
d'idées émises et nombres d'idées de haute qualité
identifiées par les sélectionneurs) ainsi que commentaires des
participants laissent penser que la création d'une émulation,
l'alternance de phases de réflexion individuelles et collectives, la
réalisation d'un exercice d'exploration et la présentation de
stimuli ont été des facteurs de succès. Voici quelques
verbatim exprimés lors d'une réunion de partage qui s'est tenue
après le processus :
« [L'animateur] nous a fait sentir qu'il y avait une
compétition, et c'était stimulant »
« Les temps de réflexion personnels nous
permettaient d'être plus concentré »
« Le fait qu'il y ait une présentation avant
chaque parti a permis de creuser des domaines que nous n'aurions pas
exploré spontanément »
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