3. Facteurs favorisant l'expression et le
développement des aptitudes créatives
Amabile définit les aptitudes créatives comme la
capacité à changer de point de vue, la volonté d'explorer
de nouveaux schémas de pensée et un style de travail
persévérant conduisant à la poursuite énergique des
objectifs fixés. Les qualités personnelles qui favorisent ces
compétences sont la curiosité, un certain degré de
naïveté, une acceptation du risque, l'aisance sociale (Amabile,
1988), l'ouverture aux expériences (Taggar, 2002). La littérature
a mis en avant deux manières d'influer sur les aptitudes
créatives.
La première approche est de former les personnes aux
attitudes et aux techniques créatives. Rickards (1993) a montré
des groupes composés de personnes ayant reçu une formation de
plusieurs jours obtenaient de meilleures performances que des groupes
composés de personnes non formées. Ce résultat pourra
conforter les nombreux cabinets spécialisés dans la formation
à la créativité... De fait, depuis les années 80,
les offres de formation à la créativité se sont
multipliées: formation aux exercices de stimulation, à
l'animation des brainstormings, à la mise en place d'organisations plus
créatives etc.
La deuxième approche est de ne pas entraver les
aptitudes créatives dans le processus de recherche d'idées. C'est
ce volet qui a été le plus étudié car il part d'une
des observations les plus marquantes de la recherche sur le
brainstorming : la supériorité du groupe nominal
(participants séparés) sur le groupe interactif (en face à
face) sur les critères du nombre et de la qualité des
idées générées. Dans cette partie, nous allons
exposer la manière dont les interférences limitent la
créativité des groupes et présenter deux solutions
proposées et étudiées par les chercheurs.
Supériorité du groupe nominal sur le
groupe interactif en face à face
Osborn suggéra que l'application de ses règles
(aucune critique n'est acceptée, les idées « farfelues
» sont bienvenues, la quantité est encouragée, les
idées sont en permanence combinées et améliorées)
pouvait permettre d'être deux fois plus productifs que le même
nombre de personnes travaillant seules. De nombreuses expériences ont
été réalisées et ont dans l'ensemble validé
l'inverse de la proposition d'Osborn. Bien qu'il ait été
démontré que les règles proposées par Osborn
améliorent le nombre d'idées qu'un groupe en face à face
puisse générer (Parnes et Meadow, 1959), les personnes en groupes
interactifs génèrent a peu près deux fois moins
d'idées que le même nombre de personnes en groupes nominaux (Diehl
et Stroebe, 1987; Paulus et Dzindolet, 1993). Afin de justifier la pratique du
brainstorming en face à face par les entreprises, Sutton et Hargadon
(1996) ont insisté sur le fait que la brainstorming en face en face
présente l'avantage de pouvoir partager des informations et de
fédérer une équipe sur les objectifs et les outputs du
brainstorming. Cette argument en faveur du brainstorming ne vient cependant pas
contredire les nombreuses démonstrations de la productivité
inférieure (en nombre d'idées) des groupes en face à face
par rapport aux groupes nominaux (toutes choses égales par ailleurs).
La principale hypothèse pour expliquer la
supériorité du groupe nominal sur le groupe interactif est la
présence d'interférences (Nijstad et Stroebe, 2006). Les
interférences sont les effets négatifs que peuvent avoir les
idées des autres sur le cours de la réflexion des participants.
Cette interruption de la réflexion individuelle peut
s'observer dans de nombreux cas de figure. Cela peut être du à
l'exposition à une idée qui a peu de lien avec les connaissances
de la personnes. Dans un brainstorming sur l'amélioration d'une
université, un étudiant en sciences humaines peut être
gêné par les suggestions d'un étudiant en biologie sur les
moyens d'améliorer les séances en laboratoire car il aura peu
d'expérience et de connaissance sur ce sujet. Des interférences
peuvent aussi être liées aux conventions sociales.
Le travail en groupe peut occasionner des discussions qui ne sont pas
liées au sujet (ex : Que faites vous ce soir ?), ce qui a un
effet négatif sur la productivité du groupe (Dusgosh et al.,
2000), non seulement en gaspillant du temps mais aussi peut être aussi en
occupant la mémoire active qui pourrait être utilisée pour
la génération d'idées (Nijstad et Stroebe, 2006 ;
Paulus et Brown, 2003). D'une manière générale,
l'écoute des idées des autres (liées ou non avec la
réflexion en cours) implique de suspendre la réflexion, et
parfois de perdre le fil de sa pensée. Face à ce constat, les
chercheurs ont montré que des techniques pouvaient permettre de limiter
les interférences tout en maintenant l'effet stimulant du groupe.
Effet positif de l'alternance de phases collectives et
individuelles
Après un brainstorming, il a été
démontré qu'une phase de travail individuel est
bénéfique (Dugosh et al., 2000; Paulus et Yang, 2000). Cette
période d'incubation permet d'associer les idées
générées en groupe avec sa propre connaissance et de
favoriser ainsi l'émergence de nouvelles combinaisons. Plusieurs
études ont variées l'ordre des séquences de travail
individuel et collectif. Une étude suggère que commencer par une
session de groupe est plus favorable à la créativité
(Dunnette, Campbell, et Jaastad, 1963), alors qu'une autre étude ne
trouve pas d'effet d'ordre (Paulus, Larey et Ortega, 1995).
De même, une interruption brève dans le processus
de génération d'idées a été
démontrée comme étant bénéfique (Paulus,
Nakui, Putman et Brown, 2006), les pauses laissant probablement aux personnes
un temps individuel pour réfléchir aux premières
idées générées.
Efficacité du brainstorming
électronique
Afin de répondre au problème des
interférences, des chercheurs ont fait l'hypothèse qu'il devrait
y avoir un avantage à échanger les idées par le moyen d'un
ordinateur, ce qui est appelé « brainstorming
électronique » (EBS = Electronic Brainstorming).
Cette hypothèse a été
vérifiée par plusieurs études pour un nombre de
participants supérieur à deux (Galuppe et al, 1992 ; Derosa
et al, 2005). Ces études ont aussi montré que plus la taille du
groupe est importante, plus l'avantage de l'EBS est large. Ainsi, dans
l'étude de Galuppe, un EBS de 6 personnes permet un gain de 47 %
d'idées alors qu'un EBS de 12 personnes permet un gain de 206% vs le
groupe en face à face. Leggett, Dugosh et al. ont montré que ces
gains de productivité de l'EBS pouvaient être obtenus avec des
groupes relativement réduits (n=4) quand il était demandé
de retenir les idées des autres en les informant qu'ils seront
contrôlés à la fin du brainstorming.
Par ailleurs, il a été montré plusieurs
fois que des groupes d'EBS larges (plus de 9 participants)
génèrent plus d'idées que le même nombre de
brainstormers individuels (Dennis et Williams, 2003; Derosa, Smith et Hantula,
2007). Cela confirme l'existence d'un réel effet positif lié
à l'échange des idées. La technique de l'EBS permet donc
de stimuler les participants par les idées des autres sans devoir payer
le « prix » des interférences. Dans un EBS sur
ordinateurs, les idées sont visibles sur l'écran et peuvent
être relues autant que l'on souhaite (ce qui favorise la stimulation).
Les participants peuvent choisir de ne pas regarder les idées sur
l'écran quand ils élaborent leurs propres idées (ce qui
limite les interférences).
Effet positif de la structuration du
brainstorming
Une autre stratégie pour stimuler les aptitudes
créatives du groupe, est de demander de générer des
idées sur un domaine à la fois (Coskun et al., 2000). Cela permet
de réduire les interférences en garantissant que chacun est
à la même « page ». Dennis, Valacich, Connolly, et
Wynne (1996) ont mis en avant les mêmes conclusions sur les EBS. En
comparant des EBS où il était demandé de
générer des idées catégorie par catégorie
avec des EBS dont le déroulement n'était pas structuré,
ils ont trouvé que les processus structurés amenaient à
plus d'idées. (Nijstad , 2002)
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