Section2 : Un bilan peu satisfaisant
Les contraintes de la microfinance en milieu rural sont
nombreuses et diverses. La pesanteur de ces contraintes gène la bonne
fonctionnalité et l'opérationnalité des institutions de
microfinance, ce qui ne manque pas de se répercuter sur la
rentabilité des services financiers. Ainsi, bien que des acquis soient
notés sur la microfinance rurale, nombreux sont ceux qui
s'inquiètent par contre de ce qu'un souci excessif de la recherche du
profit pousse les IMF à changer leur segment cible de client et
à servir une clientèle plus aisée capable d'absorber des
montants de prêt plus importants.
2-1) Une microfinance détournée de ses
objectifs premiers.
La microfinance est désormais confrontée à
de nouveaux enjeux dont dépendent sa pérennité mais aussi
l'ampleur de ses effets économiques et socioéconomiques.
L'apparente contradiction de ces dernières années
qui instituait comme priorité la construction viable et professionnelle
d'IMF alors même qu'il leur était demandé de se mettre au
service de la lutte contre la pauvreté dans ses dimensions les plus
diverses, doit être levée.
Pour des raisons de rentabilité, la microfinance est peu
impliquée dans le financement du monde rural.
Une descente dans certains villages a permis de constater que
l'absence de services financiers y est encore manifeste et constitue un frein
pour leur développement.
Le marché financier rural reste encore largement
dominé par le secteur informel, les préteurs traditionnels, les
avances sur les récoltes consenties par des commerçants
(appelés « Djoulo ») qui s'assurent ainsi de leur
approvisionnement.
Makhtar Dieng, un jeune paysan d'environ trente deux ans, le
témoigne en ces termes : « Il n'y a pas de mutuelle
d'épargne et de crédit ici à Ndiarème. Ce sont, les
« Djoulo » qui nous prêtent souvent de l'argent pour
l'approvisionnement en eau, en intrants. Mais les conditions sont difficiles
puisque ce sont eux qui, au moment des récoltes, doivent acheter nos
produits, avec des prix très bas. Certains arrivent parfois à
s'échapper pour vendre une partie de leurs récoltes
(principalement le gombo) à Dagana ou à Richard Toll à des
prix intéressants. Mais c'est difficile car on nous surveille et nous
devons respecter les engagements pris avec le « Djoulo ».
Cependant, il y'a deux mutuelles à Gaé (village
voisin) : celles de la communauté rurale et celle qui vient de
Saint Louis. Certaines personnes parviennent à trouver leur financement
auprès de ces mutuelles et il y'a même d'autres qui vont dans les
institutions financières qui sont à Dagana ou à Richard
Toll ».
La plupart des IMF sont situées dans les villes
éloignées des villages marginalisés et ont du mal à
prendre en compte toutes leurs difficultés : les conditions
d'emprunts restent compliquées et exigeantes en terme de pré
requis, le remboursement n'est pas modulé en fonction des conditions de
revenus des populations rurales et les sanctions sont fortes et constituent
souvent un facteur discriminant pour les plus craintifs.
Il faut noter que la recherche de la viabilité
financière tout en restant fidèle à la
« mission » sociale demeure un casse-tête pour la
plupart des IMF.
Ces institutions travaillent à un double objectif :
la pérennité et l'impact social. Mais la pérennité
passe par la rentabilité et la sécurisation des crédits,
ce qui conduit à pratiquer des taux d'intérêts
élevés et à préférer une clientèle
moins vulnérable que celle qui domine dans les zones rurales.
De plus, les liens sociaux qui sont très importants en
milieu rural (ils conduisent certains ruraux à emprunter pour un
évènement social, religieux ou communautaire) ne sont pas pris en
compte par les IMF qui ne considèrent que le facteur financier au lieu
d'appréhender la pauvreté rurale dans sa globalité.
2-2) Des succès de la microfinance sur le
économique
Les IMF ont apparu comme un vrai moyen d'impulser les
activités génératrices de revenus et de créer des
richesses.
Le gouvernement du Sénégal a fait des
investissements de tailles dans ce domaine. En 2002, le ministère de la
microfinance et de la PME/PMI a vu le jour avec comme mission principale de
promouvoir le secteur de la microfinance. Dans la même lancé, le
Fonds National de Promotion de la Jeunesse (FNPJ) a été
créée en avril 2005 mais aussi le Fonds de l'Entreprenariat
féminin en Décembre 2003 et bien d'autres structures.
Il s'en est suivi une prolifération des IMF sur la majeure
partie du territoire national. Bien que la demande de services financiers en
milieu rural n'est pas totalement couverte, la microfinance a réussi
à financer des activités rurales telles que le commerce, la
transformation agroalimentaire qui génèrent des revenus
réguliers et des taux de rentabilité élevés.
Le FNPJ a injecté 150 millions de francs sous forme de
petits crédits dans 14 départements du pays, a
déclaré Vendredi 06 Avril 2007 à Tambacounda, Cheikh
Cissé, le président du conseil d'administration du réseau
des mutuelles d'épargne et de crédit de l'UNACOIS (Remecu) de
Tambacounda. « Ces tous petits crédits concernent 331
promoteurs au niveau national répartis dans 14
départements », a déclaré Cheikh Cissé.
« Cette politique vise à prendre en charge la jeunesse, en lui
permettant de mener des activités génératrices de revenus
et surtout de toucher les secteurs qui n'ont jamais eu de soutien souple,
efficace et promoteur », a -t-il expliqué. Dans cette
mouvance, la région de Tambacounda n'est pas en reste, car ce sont 91
promoteurs des différents corps de métiers de l'artisanat, du
commerce, de la coiffure, menuiseries... entre autres qui
bénéficient des crédits. Cheikh Cissé a toutefois
rappelé qu'un « bon remboursement est synonyme de
continuité, car ces crédits sont revolving ».
Les opportunités ne manquent pas dans les zones rurales. A
Ndiarème par exemple, des personnes ont développé leurs
activités grâce aux prêts octroyés par les mutuelles
du village voisin et des institutions financières de Dagana et Richard
Toll. Ce qui traduit une plus grande utilisation des ressources et dans une
certaine mesure meilleure utilisation des fonds ainsi disponibles. Si le
processus se poursuit, les investissements seront certainement de plus en plus
efficaces par l'amélioration de leur taux de rendement et alors
créeront les conditions et les bases d'un réel
développement soutenu.
Sur le plan agricole, la microfinance a permis à des
ruraux d'augmenter les surfaces cultivables mais aussi de se doter des moyens
de production plus efficaces. Ce sont des ménages qui s'appliquent
à gérer, à planifier leurs activités, leurs
dépenses et leurs investissements. Ils comparent les rentabilités
des différentes catégories d'activités, ils font des choix
raisonnés d'investissement dans des activités nouvelles en
fonction de l'état du marché.
Leur degré d'information est plus important que la
moyenne : par une bonne insertion dans l'environnement économique
et institutionnel, ils disposent d'informations sur les marchés, les
projets, les opportunités... .
Leur sensibilité à l'innovation est grande :
les innovations adoptées peuvent être des techniques culturales
agricoles (intensification rizicole, adoption de nouvelles techniques comme le
semis sous couvert végétal...) ou d'élevage mais aussi le
développement de nouveaux créneaux de marché.
De plus en plus, naissent dans les villages, des groupements de
femmes et de jeunes qui identifient ensemble leur projet et se font financer
par les IMF. L'augmentation des revenus qui découle de ces microprojets
fait que des ruraux disposent d'un pouvoir d'achat plus élevé
leur facilitant l'acquisition des biens de consommation et d'investissement. Ce
qui se traduit par une augmentation de la consommation privée des
ménages. Cela implique que l'absorption de la production
nationale sera importante, élevant ainsi le revenu national. Ce
dernier étant lié positivement à l'épargne, il en
résulte une augmentation de l'épargne nationale.
2-3) Des succès sur le plan
socioculturel
Comme sur le plan économique, la microfinance a
montré ses mérites sur le plan socioculturel.
La microfinance s'est fait, un outil d'émancipation pour
les femmes. La mise en place progressive et souvent accentuée
de mutuelles « genre » ou de structures
financières spécialisées pour les femmes, la
multiplication des microprojets qui, débouchent sur l'entreprenariat
féminin, ont fait que l'impact socioculturel s'est fait sentir surtout
chez les femmes.
Les effets positifs sont nombreux et peuvent être
résumés comme suit :
· Le renforcement de la capacité des parents
à faire face aux dépenses liées à la scolarisation
des femmes ;
·La stabilité des familles, car les femmes,
grâce aux activités génératrices de revenus, sont de
plus en plus considérées par leurs conjoints qui les associent
activement aux décisions concernant le foyer.
·Le brassage entre ethnie, induit par les groupements et
les échanges de services.
·Le renforcement de l'accès aux soins de
santé pour les membres de la famille (les mutuelles de santé
deviennent de plus en plus nombreuses dans les zones rurales).
·L'appropriation par les clients, des bonnes
méthodes de gestion notamment la tenue de comptabilité, le
respect de leurs engagements vis-à-vis des tiers et une bonne pratique
du marketing. En effet, avec le bas niveau de scolarisation et le faible taux
d'alphabétisation qui caractérisaient la plus part des
bénéficiaires de services de microfinance, les agents du secteur
ont pris l'initiative d'offrir à ces derniers un encadrement dans les
meilleurs conditions, dans le but de limiter au mieux les risques liés
à l'ignorance qui implique la mauvaise gestion puis
l'insolvabilité qui freine ou rend même aléatoire la
capacité de remboursement des prêts consentis par les
bénéficiaires.
L'encadrement se fait généralement en deux
volets.
Un volet alphabétisation qui consiste à
instruire les populations ciblées (notamment les femmes), en langue
nationale principalement.
Un volet information et formation qui offre aux femmes, ainsi
qu'aux autres ruraux concernés, un accès à la formation
technique et technologique leur permettant de produire en quantité et en
qualité acceptable et leur garantissant une place sur le marché
local, régional et international. Ces femmes reçoivent
parallèlement une formation en gestion qui leur permet de bien
gérer et de rentabiliser leurs activités.
La mise en place de microprojets, tels que la transformation des
céréales locales, des fruits et légumes grâce au
microfinancement, est une illustration de l'intervention des SFD dans
l'amélioration des revenus des femmes.
Cette intervention au niveau de la sécurité
alimentaire a permis aux femmes des zones rurales de ne plus se contenter
uniquement des taches de « femme aux foyer » mais
d'être plus productives. Un grand apport financier leur est offert dans
la stratégie de sécurisation alimentaire sachant qu'elles
assument non seulement la plus grande partie de la production vivrière
mais elles sont aussi responsables de toute la chaîne alimentaire depuis
la production jusqu'à la consommation en passant par la distribution.
Le soutien apporté aux femmes par des IMF dans cette
sécurisation apparaît aussi dans la création de banques de
semences de cultures traditionnelles, le traitement des produits agricoles
comme halieutiques, l'octroi d'équipements d'allègement des
travaux tels que moulin, batteuses, décortiqueuses, etc... (cf.
« Répertoire des Groupements de Promotion Féminine au
Sénégal », publié en 1993 par l'ex Ministre de
la femme, de l'enfant et de la famille.
Les services des IMF ont aussi permis aux femmes et plus
globalement aux populations rurales de se départir d'une certaine
habitude de thésaurisation et d'épargne. En effet, ils avaient
l'habitude de constituer une épargne en nature (bétail, stock de
semences et de céréales) avec tous les risques qui s'y rapportent
(vol de bétail, mortalité du bétail, destruction des
stocks principalement par les rongeurs et les pluies).
Toutefois, il faut noter que les succès de la
microfinance sont loin d'être négligeables. Il est difficile, voir
impossible de les quantifier ; la présente étude n'a fait
qu'énumérer les points qui semblent être les plus
importants.
Conclusion
Au total, nous notons que la microfinance n'a pas encore
suffisamment répondu à la demande des populations rurales.
La diversité des contraintes, spécifiques aux zones
rurales, combinée à l'objectif de rentabilité des IMF
contribue largement à la marginalisation du monde rural.
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