CHAPITRE III : Etat des lieux de la microfinance
en milieu rural
Malgré la forte progression de l'urbanisation, la
majeure partie de la population sénégalaise est encore
aujourd'hui rurale.
Le développement des activités économiques
de ces populations a toujours été un enjeu majeur pour
l'amélioration des conditions de vie et de lutte contre la
pauvreté.
La microfinance devrait ainsi permettre de résoudre le
problème mais l'environnement rural impose des contraintes
spécifiques qui pèsent lourdement sur ses résultats. Il
importe alors de passer en revu ces contraintes avant de se prononcer sur le
bilan de la microfinance dans les zones rurales.
Section1: Les contraintes de la microfinance
Le milieu rural sénégalais est
caractérisé par : une faiblesse des densités de
populations, une absence des infrastructures, une faiblesse des revenus
monétaires mais aussi les risques élevés de la finance
agricole et un faible taux de remboursement des emprunts qui n'encouragent pas
le développement des IMF.
1-1) Faiblesse des densités de
population
En zone rurale, les villages sont peu peuplés (50 à
3000 hbts environ) et les distances qui les séparent sont souvent
importantes (plusieurs km), avec de mauvaises pistes, pénible à
parcourir.
Le tableau ci-dessous présente la répartition de la
population de la communauté rurale de Gaé (villages du
département de Dagana) selon la taille des villages à l'an
2000.
Nombre d'hbts
|
Nombre de villages
|
Population totale
|
Pourcentage
|
1 à 49
|
|
|
|
50 à 99
|
3
|
62
|
0,34
|
100 à 499
|
12
|
3520
|
019,39
|
500 à 999
|
4
|
3105
|
17,11
|
1000 à 1999
|
3
|
2381
|
13,12
|
Plus de 2000
|
2
|
9079
|
50,03
|
Total
|
24
|
18147
|
100
|
Source : CERP
La visite dans cette zone nous a permis de constater la
dispersion et le sous peuplement des villages mais aussi leur
éloignement (sauf quelques rares exceptions sont séparer par de
faibles distances ; c'est le cas du village de Ndiarème Walo qui
est limité à l'Est par le village de Gaé (environ 1.5 km),
à l'Ouest par le village de Bokhol (environ à 3 km) et au Sud par
la ville de Dagana (à 12 km), avec une population qui voisine les
2000 .
Dans de telles situations, réussir une masse de clients
pour les IMF, demande de toucher de nombreux villages, de dévorer
plusieurs km, de multiplier ainsi les contacts, les actions d'animation et de
formation, puis par la suite, de suivi et de contrôle, ce qui coûte
cher en terme de temps, pour les agents des IMF (temps dans les villages et
temps d'accès), auquel il faut ajouter les coûts de transports
(carburant, entretien, réparation, amortissement matériel
roulant, .......).
A ces difficultés viennent s'ajouter celles liées
au manque d'infrastructures.
1-2) Les infrastructures absentes, insuffisantes ou
défectueuses
En milieu rural, pour la plupart des villages, les
infrastructures de base telles que l'électricité, les routes et
le téléphone, sont absents ou défectueux. Il n'existe pas
de bâtiments fonctionnels à louer pour y loger soit les bureaux,
soit les agences/caisses de l'institution de microfinance.
En l'absence d'électricité et de
téléphone, il sera difficile pour les IMF de s'implanter dans ces
milieux. L'usage des nouvelles technologies de l'information et de la
communication (l'Internet, l'électronique,....) devient impossible.
En outre, la problématique du transport rural est aussi un
handicape majeur au Sénégal. Certaines zones peuvent même
se retrouver coupées du reste du pays pendant un bon moment, parce
qu'enclavées.
La contrainte majeure du transport rural au Sénégal
réside dans la mauvaise qualité des infrastructures
routières, surtout sur les derniers maillons du réseau,
constitués par les routes de désenclavement des
communautés rurales et par celles des villages et des zones de
production.
Le Programme National d'Infrastructures Rurales (PNIR),
négocié en fin 1999 avait pour objectif de renforcer la
capacité de gestion décentralisée des infrastructures
rurales mais les résultats escomptés sont loin d'être
atteints.
Ainsi, le coût des déplacements en zones rurales est
très élevé (entretient, réparation, carburant,
pertes de temps), contraignant les IMF à accéder à ces
villages.
Outre ces charges, on note le risque très
élevé de la finance rurale et la faiblesse de l'épargne
locale.
1-3) Faiblesse des revenues monétaires et leur
précarité
Pour pouvoir donner des crédits aux populations exclues du
système bancaire, la microfinance a besoin de ressources
financières.
Dans un premier temps de son développement, ces ressources
ont le plus souvent été octroyées par des bailleurs de
fonds, ou différentes sources d'aide extérieure.
Dans cette optique, bon nombre des institutions de microfinance
vont s'appuyer sur la mobilisation de l'épargne locale qui sera
retransformée en crédit. Mais l'agriculture n'assure pas aux
agriculteurs et ruraux les revenus nécessaires.
L'arachide est la production agricole qui traditionnellement
assure les revenus les plus importants aux agriculteurs et aux ruraux. Avec la
crise arachidière, les revenus des producteurs poursuivent leur tendance
baissière. Les exportations d'arachide ont rapporté 61 milliards
en 2001 et 17 milliards en 2005. Pourtant, les paysans ont fait des efforts
importants d'adaptation à la sècheresse, à la
libéralisation des marchés et à la raréfaction des
terres. Pour la grande majorité d'entre eux, les activités non
agricoles rurales, urbaines et à l'émigration sont devenues
structurellement indispensables à leur à leur survie. La banque
mondiale estime les transferts officiels et non officiels des
émigrés à environ un milliard de dollars US par an.
Dans le secteur de la pêche, la surexploitation des
ressources se traduit par une baisse importante des prises et des
exportations.
Le sous secteur de l'élevage doit faire face aux
importations de volaille d'Europe, de moutons de tabaski des pays voisins et
récemment de viande de boeuf d'Inde et du Brésil ce qui
réduit fortement les revenus monétaires des populations
concernées.
A cela, il s'ajoute le fait que les ménages ruraux qui ont
une capacité à épargner des surplus financiers
préfèrent investir dans des activités économiques,
ou utiliser des formes traditionnelles d'épargne (bétail, stock
de céréales, bijoux,....) qu'ils maîtrisent mieux, qui sont
plus faciles à mobiliser en cas de difficulté. Les IMF
rencontrent ainsi, d'énormes difficultés pour collecter
l'épargne, en milieu rural.
1-4) Les risques liés à la finance
agricole
L'agriculture est un secteur à haut risque :
instabilité climatique et pluviométrique ; envahissement des
champs par des criquets et des oiseaux destructeurs mais aussi la
dégradation des terres traduite par un appauvrissement des soles
entraînant une faible productivité.
Ces risques n'encouragent pas les IMF à s'implanter dans
les campagnes.
Les activités agricoles se singularisent ainsi des autres
secteurs économiques sur plusieurs aspects : la localisation de ces
activités dans des zones enclavées caractérisées
par une faible densité de population et le manque d'infrastructures (cf.
section 1), la dépendance aux conditions climatiques et la
temporalité des cycles de production, la saisonnalité des revenus
et de façon plus générale la part limitée des
revenus monétaires, la volatilité des prix des produits
agricoles, des garanties peu fiables tant sur le plan juridique
qu'économique.
Ces spécificités des activités agricoles
impliquent une préméditation, un financement adapté tenant
compte de la diversité des besoins en services financiers
exprimés par les ménages agricoles ruraux aux profils
variés.
Les efforts à fournir pour appréhender au mieux les
besoins financiers des agriculteurs couplés aux risques que
présentent ces activités constituent des obstacles
supplémentaires à la mise en place d'une offre de services
financiers destinée à l'agriculture.
Par ailleurs, la dynamique actuelle d'insertion de la
microfinance dans les marchés financiers impose au secteur d'appliquer
des taux d'intérêt permettant de couvrir les coûts
engendrés par les services offerts (les IMF sont obligées de
s'ouvrir au marché financier du fait de la faiblesse de l'épargne
(cf. 1-3)). Cette exigence s'avère bien souvent en contradiction avec
l'extension de la couverture rurale et surtout le financement de l'agriculture
en raison du niveau de rentabilité relativement faible des
activités agricoles financées.
Tous ces facteurs, expliquent le faible intérêt
envers l'agriculture, porté par les IMF qui se sont prioritairement
tournées vers les zones urbaines et périurbaines.
1-5) Le crédit non
remboursé
Le crédit non remboursé reste un casse-tête
pour la plupart des IMF dans les zones rurales. En effet, tel qu'il est
pratiqué aujourd'hui, le microcrédit, comme tout crédit
d'ailleurs, doit être remboursé. Il nécessite donc au
niveau de l'emprunteur une bonne capacité de remboursement, aptitude qui
bien entendu s'amoindrit si la personne est très pauvre, sans revenus
fiables pour lui permettre de rembourser un prêt. Octroyer un prêt
à de tels individus risque plutôt d'aggraver leur situation
d'endettement et de pauvreté.
Souvent le gouvernement et les agents de coopération
souhaitent utiliser la microfinance comme un outil de résolution de
divers problèmes sociaux. Victimes d'inondations ou d'autres
catastrophes naturelles, réfugies, chômeurs, autant de types
d'individus se trouvant dans une situation de précarité que les
gouvernements sont tentés de vouloir aider par le microcrédit
depuis que celui-ci a été indexé comme un excellent outil
de réduction de la pauvreté. Les programmes de microcrédit
conçus pour ce type de situation fonctionnent cependant rarement. Ils
enregistrent le plus souvent des taux d'impayés ou de non remboursement
très élevés. Et ceci- ci renforce parfois la
thèse de Malthus pour la non assistance aux pauvres.
Les crédits à moyen terme doivent en effet
s'appuyer sur un système de garantie qui tient compte de la nature
spécifique du patrimoine des ménages. Les IMF
doivent par ailleurs acquérir des compétences d'analyse des
capacités de remboursement des ménages ruraux à moyen
terme et de la rentabilité des activités agricoles (analyse des
risques et prix de marché, or l'information n'est pas toujours
facilement accessible).
Cependant, il existe bel et bien des ruraux qui ont
identifié des opportunités économiques et qui sont en
situation de faire fructifier ces opportunités s'ils ont la
possibilité de se procurer une petite somme d'argent au moment voulu.
Ainsi, les personnes pauvres qui travaillent dans des
économies stables ou en croissance, qui ont démontré leur
capacité à conduire les activités proposées dans un
esprit d'entreprise et leur engagement à rembourser leurs dettes, sont
nombreuses dans ces zones. Un résumé de la situation de la
microfinance en milieu rural permet de voir plus claire.
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