1 CADRE THÉORIQUE
Comment articuler les différents cadres de
référence auxquels nous avons eu recours afin d'essayer de
répondre aux questions qui se présentaient au fur et à
mesure que nous découvrions le terrain de recherche ? Nous allons
mentionner tout d'abord des recherches qui ont été
réalisées par des linguistes, et par des chercheurs en
disciplines non-linguistiques, concernant la communication humaine
interpersonnelle tant de façon globale et théorique que
méthodologique. Nous exposerons ensuite des voies de recherche
actuelles, ouvertes à la description d'éléments
significatifs de différente nature (technique, sémiotique et
pragmatique) qui configurent la communication médiatisée par
ordinateur. Pour clore cette partie de notre étude, nous
évoquerons des étapes de la recherche sur l'usage et
l'intégration des technologies informatiques et
télématiques dans l'enseignement-apprentissage des langues et la
formation ouverte et à distance, que nous mettrons en relation avec les
approches pédagogiques sous-jacentes, configurant la communication
pédagogique médiatisée par ordinateur.
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1.1 De la langue,
système de signes, aux interactions multimodales
L'étude des pratiques communicatives et du langage en
situation commence à intéresser des chercheurs issus de
différentes disciplines vers le milieu du siècle dernier. La
linguistique, d'orientation structuraliste s'occupait essentiellement
à la même époque des aspects syntaxiques et
sémantiques de la langue écrite - considérée comme
un ensemble de règles d'un code normatif ; les conditions
concrètes de l'utilisation du langage dans une situation précise
de communication orale - l'importance du ton, des gestes etc. étaient
considérées comme extralinguistiques.
1.1.1 De la langue-système à la langue
instrument de communication
Nous devons à Saussure une vision structurée de
la langue : la langue comme système de signes
articulé. Nous ne voudrions pas oublier de signaler cependant que
Saussure, dans ses cours publiés par ses élèves,
considérait la langue comme « un produit social de la
faculté du langage et un ensemble de conventions nécessaires
adoptées par le corps social» ([1915] 1993 : 124). Une autre
leçon que nous retirons de ses cours est l'importance qu'il accorde au
sens (« le problème linguistique est avant tout
sémiologique ») et le fait de considérer aussi
« les rites, les coutumes, etc. comme des signes (...) qu'il
faut grouper dans la sémiologie et (...) les expliquer par les lois de
cette science » (ibidem : 128).
Pour Benveniste (1966 : 126) « la relation de
la FORME et du SENS [est] le problème qui hante toute la
linguistique moderne ». Ce qu'il énonce de la façon
suivante :
« Le rapport forme : sens que maints linguistes
voudraient réduire à la seule notion de la forme mais sans
parvenir à se délivrer de son corrélat, le sens. Que
n'a-t-on tenté d'éviter, ignorer ou expulser le
sens ? ».
Benveniste (ibidem : 130) distingue explicitement
« la langue comme système de signes » de
« la langue comme instrument de communication, dont l'expression est
le discours », la phrase étant pour lui
« l'unité du discours ». Il nous intéresse
tout particulièrement de signaler qu'il estime que les propositions
assertives, interrogatives et impératives, « les trois
modalités de l'unité de la phrase », ne font que
« refléter les trois comportements fondamentaux de
l'homme ». L'étude du comportement des étudiants de
notre corpus confirmera cette triple dimension : « parlant et
agissant par le discours sur son interlocuteur : il veut lui transmettre
un élément de connaissance, ou obtenir de lui une information, ou
lui intimer un ordre ». Toujours selon cet auteur, « [c]e
sont les trois fonctions interhumaines du discours ». Nous
aurons recours au terme discours qui englobe, pour lui, toutes les
formes de manifestation verbale car il considère que le
« discours est écrit autant que parlé »
(ibidem : 242).
Benveniste est à la base, aussi, de
l'énonciation : le langage «se tourne en instances
de discours, caractérisées par ce système de
références internes dont la clef est je (...), je
et tu (...) n'existent qu'en tant qu'ils sont actualisés
dans l'instance de discours ». Avec cette conception du `langage en
exercice', Benveniste est donc à l'origine des conceptions actionnelles
actuelles prises en considération par le Cadre européen
commun de référence pour les langues : « la
`forme verbale' est solidaire de l'instance individuelle de discours en ce
qu'elle est toujours et nécessairement actualisée par l'acte de
discours et en dépendance de cet acte » (ibidem :
255).
Dans sa conception du langage, « il ne faut pas
manquer d'observer d'une part que ce rôle [de transmission que remplit le
langage] peut être dévolu à des moyens non-linguistiques,
gestes, mimiques, et d'autre part (...) les systèmes de signaux,
rudimentaires ou complexes » (ibidem : 258-259) - signes
non-verbaux auxquels nous allons revenir à plusieurs reprises dans
la suite de cette partie théorique de notre étude (voir
1.1.4 / 1.2.1 / 1.2.3).
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