Primus inter pares. Le leadership politique et pluralité dans la Condition de l'homme moderne de Hannah Arendt( Télécharger le fichier original )par Raphaël RDAS MBOMBO MWENDELA bupela bwa Nzambi Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachélier en philosophie 2006 |
III. 2. 4. Point de souverain, point d'`homme fort' en politiqueLe guide politique n'est pas le maître de l'histoire devant tirer les ficelles et ménager l'exécution de ses ordres par les marionnettes. Il faut revenir à cette thèse marquante de Hannah Arendt : l'action et la parole ne prennent leur sens que quand il y a présence d'autrui ; elles sont entourées par le réseau des actes et des langages d'autrui et demeurent constamment en contact avec ce réseau. Voilà pourquoi il faut rejeter la croyance populaire en l'`homme fort' qui, seul contre tous, doit sa force à sa solitude. Cette croyance est fondée sur l'illusion que l'on peut `faire' dans le domaine politique des lois comme on fait des tables et des chaises. Il convient de décourager toute action politique unie à l'espoir utopique qu'il est possible de traiter les hommes comme des matériaux. Il n'y a point d'homme fort en politique.123(*) S'il n'y a point d'homme fort dans la république arendtienne, il n'y a pas non plus de souverain, comme le soutient Hobbes, qui doit être seul, isolé contre les autres par sa force. Le souverain est un `guide acosmique', car il revendique toujours ce qui est en fait la victoire du grand nombre. Il se caractérise par une usurpation du mérite commun qui devient sa propre gloire: « par cette revendication, le souverain monopolise, pour ainsi dire, la force de ceux qui l'ont aidé et sans lesquels il n'aurait rien obtenu. Ainsi naît l'illusion d'une force extraordinaire en même temps que la fable de l'homme fort, puissant, parce qu'il est seul.»124(*) Hannah Arendt refuse aussi un leadership se servant de l'argument du salus populi pour justifier la domination. Elle veut et promeut une liberté donnée dans la condition de non-souveraineté. Si souveraineté il y a, elle ne sera possible que dans la pluralité d'hommes libres et tenus non par une volonté totalitaire qui les inspirerait toujours, mais par un dessein concerté, unique raison d'être et seul lien des promesses : « si la souveraineté est dans l'action et les affaires humaines ce que la maîtrise est dans le domaine du faire et dans le monde des choses, la grande différence qui les sépare est que la première ne s'obtient que par union d'un grand nombre d'hommes, tandis que la seconde ne se conçoit que dans l'isolement.»125(*) Somme toute, ce que ce chapitre nous montre, c'est que pour Hannah Arendt, Il n'y a donc pas de leader politique omnipotent, car la puissance et le pouvoir, avions-nous dit, ne sont engendrées que lorsque les hommes se rassemblent et agissent de concert, et elles disparaissent dès qu'ils se séparent. Il n'y a pas non plus de leader politique bannissant les citoyens de la gestion de la res publica et qui doit prendre seul soin des affaires publiques. Le leadership à l'aune de la pluralité veut que le guide politique apparaisse à ses pairs comme ceux-ci lui apparaissent, non pas comme des simples objets vivants ou inanimés, mais comme des hommes à part entière dans leur apparition : une polis appartenant à une seule personne, n'est pas une polis. Et contraindre et commander, au lieu de convaincre et de persuader par des initiatives valables, sont des méthodes prépolitiques de traiter les hommes. C'est ce qui caractérisait chez les Grecs la vie hors de la polis, celle du foyer et de la famille dont le paterfamilias, le dominus, exerçait un pouvoir absolu.126(*) Le guide politique est fondamentalement un zôon polikon et un zôon logon ekhon, c'est-à-dire un être politique et un être de langage qui ne doit pas priver la parole à ses pairs : il ne doit pas exclure ses pairs, comme sait bien le faire le souverain, d'un mode de vivre dans lequel la parole et la parole seule a réellement un sens ; d'une existence dans laquelle les citoyens ont tous pour premier souci la conversation, l'intercommunication, comme partage d'initiatives et volonté d'achèvement.127(*) * 123 Idem, p. 212. * 124 Idem, p. 214. * 125 Idem, p. 276. * 126 Idem, pp. 36 et 223. * 127 Idem, p. 36. |
|