2ème PARTIE:
LES ÉMISSIONS SERVICE,
UNE TENDANCE
À LA SPECTACULARISATION?
I. La radio, intermédiaire ou centre du
processus de médiation?
A. Analyse des trois émissions
1. « Service public » sur France
Inter
«Service public » sur France Inter est une
émission service proposant de soutenir le consommateur / citoyen dans
ces problématiques quotidiennes. Traitant de faits de
société, elle souhaite informer les auditeurs, par l'interview
d'invités / experts selon la thématique journalière. Cette
émission est considérée comme interactive dans la mesure
où les auditeurs ont la possibilité d'appeler le standard pour
laisser leurs questions ou points de vue, d'intervenir à l'antenne pour
offrir un témoignage, ou de participer à la réflexion via
l'envoi de messages par internet. Notre terrain d'étude comprend trois
émissions de chaque programme. Nous avons décidé de
prendre comme journée de référence le lundi 11
février 2008. Le schéma ci-dessous nous permet d'avoir une vision
générale et simplifiée de la composition de
l'émission.
Figure 1 : « Service public » du 11
février 2008
Malgré l'identité interactive de cette
émission, nous pouvons constater que seul 16 % du temps d'antenne est
réservé aux interventions en direct des auditeurs.
Précisons toutefois la spécificité de l'émission :
la majorité des interventions des auditeurs s'effectue indirectement par
le biais de l'animatrice; les auditeurs laissent leurs remarques et questions
au standard ou via internet; après sélection, l'animatrice les
relayera sur l'antenne. Le schéma ci-dessus ne fait pas apparaître
cette donnée, ce qui justifie en partie le pourcentage important du
reste de l'émission (67 % du temps d'antenne). Toutefois, une
majorité de l'émission est consacrée à l'interview
du ou des invités présents dans les studios.
Le temps réservé à la publicité
durant l'émission demeure faible, avec moins de 2 % du temps d'antenne.
Cette moindre présence de la publicité correspond aux cahiers des
charges de Radio France, très rigoureux. En 2007, la durée
moyenne quotidienne de la publicité sur France Inter s'élevait
à 12'05 minutes. Il convient de préciser qu'en règle
générale les espaces publicitaires de cette
station se placent en fin d'émission, ne venant pas interrompre son
déroulement.
Notre étude de terrain s'est consacrée à
la relation interactive dans le cadre des émissions service, nous
permettant de mettre à jour des mécanismes et de mieux comprendre
la nature de la relation établie par et avec le média. Signalons
qu'il s'agit ici des prémices d'une recherche que nous souhaitons
poursuivre. Les résultats obtenus sont une première base de
travail ; certaines questions restent ainsi posées.
+ Le statut de l'animatrice
Après avoir co-animé l'émission avec Yves
Decaens, Isabelle Giordano est aujourd'hui seule aux commandes, le contenu
éditorial étant resté le même. L'animatrice se veut
au service des auditeurs, prenant à coeur la mission de service public
de la station généraliste de Radio France. « On est le
poste d'observation de tous
les problèmes liés à la consommation
au sens large du thème : consommation culturelle, citoyenne,
syndicale... Ne dépendant pas de la publicité, on a sur France
Inter la garantie d'une vraie liberté d'expression. Dire du mal des
marques, c'est possible ici. (É) On n'hésite pas, par
exemple,
»121
à contester les chiffres de l'INSEE en ma tière
d'inégalités du pouvoir d'achat déclare -t-
elle en 2006. «Service public» se
revendique émancipé de toute contrainte économique , ceci
garantissant une liberté de parole, à la fois pour l'animatrice
mais aussi pour les auditeurs. Mais est-ce vraiment le cas? Avant de pouvoir
répondre à cette question, nous souhaitons nous interroger sur le
statut de l'animatrice dans le cadre de l'émission interactive.
Grâce au traitement des données issues de notre
étude de contenu nous avons pu déterminer plusieurs axes dans le
dispositif interactif adopté par l'animatrice dans l'émission
«Service public»: l'animatrice comme intermédiaire,
l'animatrice comme porte-parole des auditeurs, l'animatrice comme faire-valoir
des propos des auditeurs.
121 er
Télérama n 2964, 1novembre 2006
· L'animatrice comme
intermédiaire
Un des rôles les plus courants de l'animatrice est
d'être un intermédiaire entre la parole des auditeurs et les
invités, ceux-ci n'ayant quasiment pas de relation directe entre eux.
L'animatrice fait le lien entre eux, donnant la parole aux uns et aux autres,
ajoutant des commentaires transitifs. Ce rôle d'intermédiaire est
tenu lors de l'échange direct avec un auditeur, mais aussi lorsque
l'animatrice fait intervenir de manière indirecte un auditeur.
Durant l'émission, l'animatrice agrémente ainsi
le contenu de l'émission par de nombreuses citations d'auditeurs. Notons
que les interventions indirectes sont deux fois plus nombreuses que les
directes, une dizaine d'auditeurs en moyenne intervenant de cette
manière. Tout laisse à penser que l'animatrice reste
fidèle aux propos des auditeurs ayant laissé leurs commentaires
au standard ou par le biais d'internet. L'animatrice annonce en effet les
interventions de la sorte: « Je voudrais vous citer quelques messages
qui sont arrivés au standard», « Je voudrais vous faire part
des questions des auditeurs », « C'est ce que nous dit
également une auditrice ». L'animatrice s'adresse ici aux
invités de l'émission. Toutefois, avant de leur donner la parole
pour qu'ils puissent répondre aux auditeurs, elle émet un
commentaire, sans émettre d'opinion: « Je me tourne vers vous,
Nadia Million pour Système U », « Qu'est -ce que vous en
pensez Sylvain Lambert ? » Distante, l'animatrice ne fait que
transmettre les interventions des auditeurs.
Ce statut est aussi adopté par l'animatrice lors des
interventions des auditeurs en direct. Après avoir accueilli l'anonyme
en le saluant, elle lui passe la parole de manière neutre: « je
vous écoute », « on vous écoute » ou en
intervenant de façon plus directive précisant le thème de
l'intervention: « Vous aviez une question ou une observation peut
être à faire », « vous vouliez réagir en
comparant É ». L'animatrice, légèrement plus
interventionniste dans ce dernier cas, délimite le contenu de
l'intervention, réduisant ainsi sa marge à évoquer un
sujet différent que celui qu'il avait annoncé au standard. De
plus, ceci garantit à l'animatrice que l'auditeur entrera rapidement
dans le vif du sujet. Durant son récit, l'animatrice émet
régulièrement des signaux d'écoute: « Hum hum
», étant son principal interlocuteur. L'animatrice laisse
généralement l'auditeur exprimer, voire dialogue avec lui, le
questionnant sur son opinion ou le faisant développer
ses propos. Toutefois, l'animatrice peut aussi lui couper la parole, une fois
son idée générale exprimée, ne le permettant pas de
développer. A la fin de son intervention, l'animatrice s'exprime
systématiquement avant de donner la parole aux invités:
« un avis tout de suite en studio ». Souvent elle reformule
les propos de l'appelant, voire apporte une idée complémentaire:
« vous posez en fait Hélène la question de
l'émission, est-ce que les MDD vont tuer les marques? Yves Puget, on a
essayé déjà d'y répondre. Pour vous, la
réponse est non. Mais quand vous écoutez Hélène,
vous vous dites effectivement qu'il y a des consommateurs qui trouvent qu'y a
peut être trop de place, trop d'importance donnée aux MDD. La
raison c'est pas que la qualité. (É) Si les gens achètent
des MDD, c'est aussi parce qu'ils ont des points parfois sur les cartes
(É) qu'ils obtiennent. » Elle peut aussi compléter les
propos de l'auditeur en direct en citant d'autres anonymes: « Merci
beaucoup Frederik. Je poursuis avec ce que vous nous dites Frederik (É)
avec les réflexions de quelques auditeurs qui se demandent si finalement
vous n'arrivez pas à vendre moins cher. Je me tourne vers vous Nadia
Million pour Système U». Dans son rôle
d'intermédiaire, l'animatrice assure la transition entre l'auditeur et
les invités, sans prendre parti dans la réponse donnée.
Enfin, elle le congédie de différentes manières. Elle le
remercie systématiquement: « merci Vincent pour cette
réaction ». Toutefois, elle décide de lui redonner la
parole ou pas, même si la plupart du temps, l'auditeur ne
bénéficie pas d'un droit de suite.
L'animatrice relayant et assurant le truchement des propos des
anonymes se place au service des auditeurs. Le ton de l'émission est
assez décontracté, le statut d'intermédiaire permettant
d'éviter les dérapages et polémiques. Toutefois, si un
appelant parvient à passer par les mailles du filet et tromper le
standard par l'annonce d'un faux thème, l'animatrice le met face
à ces responsabilités, l'accusant de ne pas respecter le principe
de la transparence et du direct.
· L'animatrice comme porte-parole
Isabelle Giordano, dans la relation établie avec les
auditeurs de l'émission, adopte aussi une attitude de porte-parole. Tout
d'abord, elle va généraliser le statut des auditeurs
intervenants, les regroupant au sein d'une même entité. Par
exemple, l'animatrice annonce: «je vous propose d'écouter
l'avis des auditeurs » ou « les auditeurs réagissent
», alors qu'un seul d'entre eux va intervenir. Ce type de propos tend
à favoriser l'existence et l'affirmation d'une communauté
d'auditeurs, créant de la cohésion ainsi qu'une proximité
dans la relation interactive. De plus, ceci a pour conséquence d'aplanir
les différences sociales, tous les auditeurs logeant à la
même enseigne. Cette pratique peut aider certains auditeurs, n'ayant pas
l'opportunité de prendre la parole dans leur quotidien, de par leur
statut social, d'intervenir à l'antenne. Dans la mesure où
l'animatrice demeure le seul interlocuteur de l'auditeur, celle-ci intervient
auprès des invités, au nom des auditeurs. Par le relais des
propos tenus à l'antenne, l'animatrice adopte la fonction de
porte-parole.
De plus, l'animatrice tend à faire transparaître
dans ses propos les opinions et remarques récurrentes des auditeurs.
« Chantal n'est pas la seule à poser cette question »,
« c'est une question qui revient au standard», « deux questions
qui reviennent au standard, il y en a plusieurs qui vont dans ce sens »,
« d'autres auditeurs posent la même question ». Ainsi,
l'animatrice se fait le porte-parole des auditeurs, relayant les opini ons
majoritaires des appelants. Intervenant pour souligner qu'il s'agit d'une
thématique fréquemment évoquée par plusieurs
auditeurs, elle aborde par ce biais les auditeurs qui n'accèderont pas
à l'antenne : « quelques messages qui nous sont arrivés
au standard de Service public ». Ceci permet à l'animatrice,
indirectement, d'insister sur la vitalité du standard, mettant en avant
la relation interactive elle-même. Très
régulièrement l'animatrice souligne que de nombreux auditeurs
souhaitent participer à l'émission: « et la discussion
continue avec nos auditeurs qui veulent absolument réagir à tout
ce qui s'est dit », «je voudrais vous faire part des questions des
auditeurs, qui nous arrivent déjà nombreuses ». Ce type
de remarque permet aussi à l'animatrice de légitimer l'existence
et le dispositif de l'émission.
Enfin, notre étude de contenu nous a permis de mettre
au jour un procédé rhétorique permettant à
l'animatrice d'adopter le statut de porte-parole. En effet, lorsqu'elle prend
la parole, il est courant qu'elle s'inclut du côté des auditeurs:
« la question qu'on peut se poser », « on se demande »,
« ça nous change ». Elle peut parler en leur nom, tout en
exprimant sa propre opinion. Ce rapprochement avec les auditeurs permet de
créer une certaine proximité entre Isabelle Giordano et son
public, favorisant la relation interactive et le succès de
l'émission.
· L'animatrice comme faire-valoir des propos des
auditeurs
Pour finir, l'animatrice de «Service public» adopte
une attitude de valorisation des auditeurs. Elle approuve les interventions de
manière positive: « c'est une bonne question, il fallait la
poser », « très bonne question Stéphanie », «
ah, ça nous intéresse », « votre explication est
très convaincante », « c'est avec beaucoup de bon sens qu'une
auditrice nous dit É ». Ce comportement bienveillant a deux
conséquences directes. Dans un premier temps, il permet de créer
un climat de confiance pour les auditeurs. Confortés dans leurs propos,
ils sont de ce fait encouragés à intervenir, l'animatrice
considérant que les interventions de ces derniers sont importantes,
voire fondamentales, pour le débat engagé. De plus, il arrive que
l'animatrice soutienne et défende les auditeurs face aux invités:
« en même temps, on comprend la colère des auditeurs
». Dans un second temps, l'attitude valorisante de l'animatrice
permet de justifier la relation interactive elle-même. Mettant en avant
la justesse, et l'importance des thèmes évoqués par les
auditeurs, Isabelle Giordano légitime le don de la parole aux auditeurs
en les soutenant dans leurs interventions. La valorisation des propos des
auditeurs par l'animatrice est-elle ainsi au service des auditeurs ou
permet-elle seulement de justifier le dispositif?
+ Le statut de l'auditeur
Le statut des auditeurs intervenant dans les émissions
interactives constitue un terrain d'analyse riche et complet. Souhaitant
comprendre la place du média dans la relation établie,
notre étude de contenu s'est intéressée
plus partiellement aux auditeurs. Toutefois, nous souhaitons exposer les
éléments récurrents, propres au statut de l'auditeur,
aidant à mieux cerner les limites de l'interactivité
radiophonique.
· Un auditeur présent mais souvent sans
voix
La parole des auditeurs ne constitue pas la majorité
du temps d'antenne sur « Service public »
contrairement à d'autres émissions interactives. En effet,
cette dernière les fait intervenir, mais la démarche de
l'émission est plus informative. Une petite quinzaine d'auditeurs
contribue à la création du contenu, dont quatre directement
à l'antenne. En effet, tout au long de l'émission, Isabelle
Giordano intervient en dévoilant elle-même les questions et
opinions des auditeurs: « est-ce que cela veut dire que vous
êtes d'accord avec l'opinion d'un auditeur, je vous la cite très
rapidement », « c'est ce que nous dit également une auditrice
» « autre avis, je vous le donne rapidement ». Peu
d'informations sur ces auditeurs sont données (prénom et lieu de
résidence) ne leur permettant pas de sortir de leur statut d'anonyme. Ce
procédé d'interactivité indirecte garantit à
l'animatrice un contrôle de l'émission, minimisant les
débordements ; tout en assurant dynamisme et authenticité. En
fait, les propos des auditeurs cités par l'animatrice viennent
agrémenter le contenu de l'émission, en gage d'illustration de la
«réalité ». Les interventions viennent apporter un
soutien à l'émission elle-même, l'animatrice utilisant les
propos des auditeurs, assidûment sélectionnés, pour
interroger ses invités.
· Un auditeur anonyme et pressé
Malgré le statut d'émission interactive,
« Service public » ne donne la possibilité
qu'à quelques auditeurs d'intervenir en direct. Notons que la parole des
anonymes est absente de la première partie de l'émission. Les
appelants sont la plupart du temps des fidèles. Ils manifestent ainsi
leur attachement en remerciant souvent en début d'intervention
l'existence de l'émission pour sa qualité: « Merci pour
vos émissions toujours de très bonne qualité »,
« J'écoute votre émission avec toujours beaucoup
d'intérêt ». Les opposants ou rétracteurs
à
l'émission n'accède pas à l'antenne,
garantissant ainsi un climat calme et peu hostile. Le schéma ci-dessous
apporte des informations quant aux temps de parole et au sexe des auditeurs
appelant.
Figure 2 : Service public du 11 février
2008
Durée de l'émission : 54 min
Temps total des interventions des auditeurs : 8 min
44
Premièrement, nous pouvons constater qu'autant
d'hommes ou de femmes interviennent à l'antenne, le temps imparti par
auditeur n'étant toutefois pas le même. En effet, les premiers
auditeurs qui arrivent sur l'antenne ont la possibilité de s'exprimer
plus longtemps que les suivants. En moyenne, le temps de parole accordé
à un auditeur est d'environ deux minutes, lui imposant une intervention
concise et rapide. Ceci ne lui laisse pas
la possibilité de développer ses propos et de
rentrer dans les détails. Cette pratique n'est ainsi pas favorable
à l'instauration d'un dialogue entre les différents
participants.
Comme pour les interventions indirectes, l'auditeur parlant
à l'antenne conserve un statut d'anonyme, l'animatrice annonçant
seulement son prénom et son lieu de résidence. Toutefois,
l'appelant a ici la possibilité de s'identifier de manière
différente; il peut faire le choix compléter cette
présentation sommaire. Un anonyme peut mettre en avant son statut de
professionnel, légitimant ainsi son discours: « moi je suis
fabricant pour la grande distribution ». Mais cette pratique demeure
rare, les auditeurs acceptant implicitement le contrat de communication
imposé par la station.
· L'auditeur appelant, illustration de la
réalité
« Service public » entretient une
relation particulière avec ses auditeurs. Alors que d'autres
émissions service vont privilégier un rapport d'assistanat avec
leurs auditeurs en proposant un soutien personnalisé, « Service
public » souhaite aider les auditeurs en les informant. En effet,
l'auditeur est ici responsabilisé; l'émission est au service de
tous les auditeurs, et non pas de quelques-uns en particuliers. Cette
considération a des conséquences directes sur le type
d'intervention des auditeurs. Ils participent en direct à
l'émission pour fournir un témoignage, une opinion, en ouvrant
parfois leurs propos vers une question d'ordre général :
« je voulais juste rapporter mon expérience personnelle »,
«je voulais, moi, apporter mon témoignage », «je voulais
demander ». Nous constatons que les auditeurs adoptent une attitude
constructive, favorisant la réflexion et la connaissance : « on
se pose la question de savoir pourquoi y 'a autant de différence de
prix; moi, il me semble, c'est très simple ». Le contenu des
interventions des auditeurs se base sur des évènements
personnels, des faits vécus; le « je» étant
prédominant: « moi, il me semble », « ce que je
constate », « ce dont j 'ai peur». L'auditeur est
considéré comme le témoin de la réalité. Il
se distingue ainsi de l'expert, l'un basant ces connaissances sur ses
expériences personnelles, l'autre par l'étude
«objective» d'un phénomène global. En effet, certains
auditeurs justifient et légitiment leurs opinion par ce qu'ils ont
vécu : « je le sais, puisque je le constate avec mes propres
produits ». C'est l'idée d'authenticité qui
démarque les deux types de discours.
L'émission se sert ici des récits des auditeurs
pour illustrer les dires des invités présents en studio.
L'auditeur n'est ainsi pas sollicité pour ses connaissances mais pour
son expérience.
2. « Ça peut vous arriver » sur
RTL
«Ça peut vous arriver» est une
émission se mettant au service des auditeurs afin de les aider à
régler leurs problèmes en direct, apportant un soutien juridique
si nécessaire. Les auditeurs sont invités à confier leurs
«dossiers » à la station, qui va devenir actrice de la
résolution de l'affaire. Ici les problèmes sont
réglés au cas par cas, la plupart du temps par
téléphone. L'auditeur est invité à envoyer son
dossier, accompagné des pièces justificatives, afin que
l'émission accède à sa requête. L'équipe qui
soutient Julien Courbet dans sa tâche est constituée d'avocats et
d'huissiers. Le graphique ci-dessous montre la composition de
l'émission.
Figure 3 : « Ça peut vous arriver » du
11 février 2008
Ce graphique nous permet de constater que les interventions
des auditeurs occupent une place prédominante dans l'émission ;
60,5 % du temps d'antenne leur sont consacrés. Contrairement à
l'émission précédente, la majorité des auditeurs
interviennent en direct. En effet, seul un auditeur par émission
intervient indirectement via un message laissé sur le répondeur
de l'émission. L'interactivité est donc importante au sein de
cette émission. En tant que radio généraliste, une part
importante de l'émission est dédiée aux pauses musicales,
totalisant 23,5 % du temps d'antenne. Enfin, il faut signaler que les pauses
publicitaires sont omniprésentes dans «Ça peut vous arriver
». Le pourcentage total de la publicité durant l'émission
s'élève à 14,2 % du temps d'antenne. Toutefois, ce chiffre
ne permet pas de montrer la récurrence des coupures publicitaires. En
effet, ces dernières sont diffusées à un intervalle allant
de dix à quinze minutes. Notons qu'il ne s'agit pas d'une
spécificité de l'émission; en tant que radio
privée, RTL diffuse les spots publicitaires de ces nombreux annonceurs,
pour assurer son financement. Tout au long de la journée, les
publicités reviennent à intervalles réguliers; chaque
demi-heure, trois coupures d'une durée d'une à trois minutes sont
diffusées. La publicité constitue donc une part importante de la
programmation de RTL.
Le contenu à étudier pour cette émission
était très riche en informations dans la mesure où les
procédés interactifs sont multiples. Il nous a donc fallu classer
nos données afin de fournir une présentation des résultats
claire et complète. Nous avons distingué les informations
relatives au statut de l'animateur, et celles faisant référence
au statut de l'auditeur.
+ Le statut de l'animateur
Julien Courbet est une star incontestée dans les
médias, le succès de son émission
télévisée sur TF1 en deuxième partie de
soirée, «Sans aucun doute », en apporte la preuve. Ce dernier
a bâti sa carrière dans les médias en aidant des anonymes
dans leurs tracas quotidiens. Son domaine de prédilection: les arnaques
en tout genre. Même si les procédés employés
à la télévision sont quasi similaires à ceux de son
émission radiophonique, la
relation interactive mis en place avec les anonymes n'est pas la
même. Notre étude de contenu nous a permis de distinguer plusieurs
axes de réflexion.
· Un animateur maître du show
radiophonique
La mise en scène de l'émission peut
s'apparenter à celle d'un spectacle où le rôle principal
serait tenu par un animateur vedette, et les seconds rôles par les
auditeurs. Le contenu de l'émission alterne entre décontraction
et sérieux, passant de la plaisanterie à la connaissance par
l'énoncé de lois et réglementations en vigueur.
«Ça peut vous arriver» flirte ainsi avec le concept de
divertissement. Au sein de ce show, l'animateur est la figure centrale du
dispositif pour plusieurs raisons.
Tout d'abord c'est lui qui distribue et reprend la parole aux
différents intervenants. La manière dont il traite les auditeurs
est toujours la même. Dans un premier temps, il salue: « nous
commençons tout de suite avec Martine. Bonjour Martine », «
sur RTL, nous accueillons Joselyne, bonjour », « nous avons
maintenant en ligne Patrice. Bonjour Patrice » et lui demande
d'où il appelle. Puis, il présente le dossier de ce dernier :
« Alors Marc de Nîmes, vous avez commandé un lave -linge
(É) et on vous livre un frigo », « Céline, vous vous
demandez si un recours est possible », « Alors Denise, je raconte
votre histoire ». Ce procédé ne laisse à
l'auditeur que la possibilité de confirmer sa présentation :
« tout à fait », « voilà », «
exactement ». Ensuite, l'animateur pose quelques questions à
l'auditeur afin qu'il développe lui-même son récit:
« est-ce que vous avez des problèmes de santé suite
à cela ? », « un impayé de combien ? », «
qu'est-ce que vous avez découvert ? ». Il s'agit ici d'un
procédé rhétorique faisant feindre l'interactivité,
dans la mesure où l'animateur connaît déjà les
réponses. En effet, les dossiers des auditeurs
sélectionnés ont été dûment
décortiqués et étudiés avant le passage à
l'antenne, la marge d'inconnu étant très faible. Il va entrer un
maximum dans le détail. Les questions de l'animateur sont
orientées afin que l'auditeur évoque précisément ce
qu'il souhaite être mentionné. Malgré la relation
interactive, l'animateur reste maître des propos tenus à l'anten
ne ; la parole des auditeurs ne pouvant pas être considérée
comme libre.
Notons que Julien Courbet n'est pas la seule personne
présente en studio pour régler les problèmes des
auditeurs. Une équipe de professionnels du droit se relaye à
l'antenne et elle assiste l'animateur dans sa tâche. C'est ce qui fait la
spécificité de l'émission, offrant des consultations
juridiques en direct; avocats et huissiers donnent de la
crédibilité à l'émission. En effet, leurs statuts
assurent que leur parole sera rarement remise en cause.
Après avoir explicité le cas de l'auditeur,
l'animateur fait systématiquement intervenir un des collaborateurs,
avocat ou huissier, afin qu'il émette un point de vue juridique :
« Maître Olivier, on sait qu'il y a des choses à faire.
Quels sont les recours pour les locataires dans ce genre de cas ? »,
« Je vais passer la parole à Maître Gick pour qu'il nous
explique ». Parfois, les conseils des avocats peuvent suffire
à résoudre l'affaire, exposant à l'auditeur la marche
à suivre. Toutefois, la majorité des affaires se traite par des
négociations en direct. Pour cela, l'émission joint en direct la
personne et l'entreprise incriminée par l'auditeur appelant.
L'appel peut avoir lieu tout de suite après la
présentation du dossier à l'antenne, ou être reporté
quelques minutes plus tard, après une coupure publicitaire et / ou
musicale : « nous allons appeler dans quelques instants »,
ou plus rarement à un autre jour: « A tout de suite
Patrice. D'ici demain, on va essayer de joindre quelqu 'un absolument ».
Cette pratique est très courante dans l'émission;
prolongeant ainsi le temps consacré à un même auditeur.
Nous reviendrons toutefois plus loin sur cet élément qui
contribue à spectaculariser l'émission.
Le dispositif mis en place lors du coup de
téléphone est révélateur de l'attitude
générale adoptée par Julien Courbet au sein de son
émission. Comme nous allons le montrer l'auditeur n'intervient quasiment
pas lors de la négociation, plaçant l'animateur comme principal
interlocuteur. Julien Courbet, accompagné de son équipe de
juristes, plaide la cause de l'auditeur en direct. Nous assistons au show
d'une réalité touchant, à ce stade, au domaine
privé, des poursuites judiciaires n'ayant pas été
systématiquement engagées.
« Nous l'appelons maintenant », Julien
Courbet annonce le moment où il passe à l'action. Valorisant son
procédé: « le coup de fil est très important
», l'animateur se positionne comme un intermédiaire,
souhaitant avoir connaissance des différentes versions de l'histoire :
« on va l'appeler pour lui demander confirmation », « on va
l'appeler pour lui demander sa version des faits », « nous appelons
maintenant cette dame pour qu'elle puisse avoir sa vérité et une
discussion », « nous allons écouter la version de la partie
adverse ». L'animateur souhaite adopter le statut de
médiateur. Mais intervenant au service d'un auditeur, il ne peut
être considéré comme un intervenant extérieur,
objectif et dénué de tout intérêt. Toutefois,
même s'il n'est pas impartial, il se protège de toute fausse
accusation. En effet, l'animateur a le devoir d'être vigilant quant aux
accusations portées à l'antenne, sous peine d'être
accusé de diffamation.
Au moment où le téléphone
décroche, l'animateur se présente tout en informant la personne
au bout du fil qu'elle est en direct sur RTL. Dans certains cas, un jingle de
la station est diffusé, contribuant à la mise en scène. La
personne peut avoir été avertie par avance au standard qu'il
allait intervenir à l'antenne. Toutefois, le plus
régulièrement, l'effet de surprise est de règle, pouvant
déstabiliser la personne incriminée. Julien Courbet annonce
très rapidement le motif de son appel, faisant comprendre qu'il
intervient au nom de l'auditeur en question. L'animateur peut faire confirmer
oralement la présence de ce dernier : « vous êtes
là Joselyne ? », « Marc, vous m'entendez ? ». Puis
un jeux de questions / réponses s'instaure entre l'animateur et
l'interlocuteur au bout du fil. Il l'interroge dans les détails afin de
confirmer ou d'infirmer les faits dont il a connaissance: « attention,
ce n'est pas une question, c'est une affirmation ». La confrontation
peut durer quelques minutes. L'animateur reste néanmoins prudent:
«je ne suis pas là pour dire qui a tort ou raison »,
« moi je voulais juste vous informer ». Selon les cas,
l'auditeur peut intervenir sur invitation de l'animateur: « qu'est-ce
que vous avez à lui demander ? » Dans ce type de situation, le
dialogue a tendance à être plus vif, les deux parties
élevant leur voix afin de défendre leur point de vue. Il arrive
aussi que la personne incriminée reconnaisse ses torts, et qu'elle soit
disposée à trouver un arrangement. En cas de désaccord
persistant, un des collaborateurs prend la parole afin de témoigner en
faveur de l'auditeur usant de ses connaissances juridiques et
législatives. Son intervention, sur un ton sérieux, peut demander
des précisions à l'interlocuteur, expliquer la situation, et les
procédures légales dans ce type de situation. L'animateur par la
suite met la personne incriminée devant ses responsabilités,
espérant un dénouement positif.
Selon les situations, le dossier peut être
résolu rapidement; pour d'autres, des démarches
complémentaires sont nécessaires. Dans la majorité des
cas, un accord à l'amiable est conclu, permettant d'éviter les
procédures judiciaires. L'animateur redonne systématiquement la
parole à l'auditeur: « content Marc ? », « Ça
vous va Didier comme solution ? »; ceux -ci ne pouvant qu'exprimer
leur joie à l'antenne. Selon nous, le charisme et la réputation
de l'animateur contribuent à favoriser la résolution des «
dossiers ». En effet, étant connu du grand public, Julien Courbet
s'est affirmé dans l'espace médiatique comme le justicier des
victimes d'aberrations en tous genres. De plus, la négociation ayant
lieu en direct, les protagonistes ont tout intérêt à
trouver un accord. Si l'incriminé est un anonyme, il peut souhaiter ne
pas être décrédibilisé sur l'antenne d'une radio
nationale. S'il s'agit d'une société privée, les
répercussions en termes d'image peuvent être négatives.
Étant exposée sur la scène publique, l'entreprise peut
faire preuve de bonne foi en trouvant un arrangement. Le taux de
résolution des cas varie selon les émissions. Précisons
toutefois que l'émission résout la plupart des dossiers
présentés à l'antenne. Par exemple, le 12 février
2008, sur cinq dossiers traités, quatre ont trouvé un
dénouement positif. Mais ce succès n'est-il pas la
conséquence directe d'une sélection drastique ? En effet,
l'émission reçoit chaque jour de très nombreuses demandes.
Afin d'assurer la crédibilité et la réussite de
l'émission, les dossiers ne sont-ils pas choisis sur des critères
de faisabilité ? La radio ne s'assure-t-elle pas une fin positive avant
de médiatiser une affaire? Il serait nécessaire de poursuivre les
recherches dans ce sens lors de futurs travaux au sein des radios
elles-mêmes.
Lorsqu'un dossier ne trouve pas d'issue positive, l'animateur
propose à l'auditeur de revenir ultérieurement dessus :
« c'était intéressant. Nous allons y revenir d'ici 11 h
30 j'espère ». En effet, les conditions ne sont pas
forcément remplies. L'interlocuteur peut ne pas être le bon ou
être injoignable, de nouvelles démarches peuvent être
nécessaires, etc. Dans ce genre de situation, l'animateur s'engage
auprès de son auditeur. La suite se déroulera hors antenne:
« On vous passe Maître Felloneau pour qu'elle puisse vous
expliquer la suite ». Le dossier de l'auditeur sera mis à
l'ordre du jour d'une nouvelle émission. En effet, une même
émission comprend des dossiers anciens et d'autres nouveaux. Une fois
que le dossier est conclu, l'animateur fait intervenir l'auditeur, afin qu'il
annonce par lui-même l'aboutissement de l'affaire. Ceci est l'occasion
pour l'émission de valoriser sa contribution dans ce dessein.
L'animateur rappelle en direct les faits : « et pour nos auditeurs,
nous allons revoir ce qui s'est passé, pour que les auditeurs puissent
comprendre. » Son résumé est accompagné de
flash back sonores extraits d'émissions
antérieures. Étape par étape, le dossier est
re-dévoilé, illustrant «les grands moments de cette affaire
». Julien Courbet interroge ensuite l'auditeur, feignant de ne pas
connaître la situation: « Quelle nouvelles avez-vous à
nous annoncer ? » L'auditeur raconte alors comment son
problème a pu être réglé grâce à
l'émission. Ce procédé n'a que pour but de
légitimer le dispositif tout en gratifiant l'émission
elle-même.
· Une relation de proximité avec les
auditeurs
Une des principales caractéristiques permettant de
distinguer « Sans aucun doute» sur TF1 et « Ça peut vous
arriver» sur RTL tient dans la relation établie entre l'animateur
et son public. Le dispositif interactif radiophonique favorise la
proximité. Le ton de l'émission radio est plus
décontracté, l'animateur se permet quelques fois de plaisanter
avec ses acolytes comme avec les auditeurs. De plus, l'animateur dialogue avec
l'auditeur de manière amicale: « alors qu'est ce qu'on fait
dans ce genre de cas là? On doit avoir un petit rire » voire
chaleureuse: « je vous fais un gros bisou. Mes amitiés à
votre mari ». Le voussoiement demeure cependant de règle.
Puis l'animateur se rapproche de ses auditeurs en les
«victimisant ». À de multiples reprises, Julien Courbet
n'hésite pas à s'apitoyer sur la situation de la personne:
« cette histoire malheureuse », « Carole, on raconte
l'histoire et on essaie de vous aider. Ça devient un vrai calvaire pour
vous ». L'animateur, très docile avec l'auditeur, le rassure:
« on va vous aider, ne vous inquiétez pas », « est-ce
que ce que vous venez d'entendre vous rassure ? », créant un
climat de sécurité et de confiance. Ce procédé
rhétorique joue avec la corde sensible de l'auditorat en stimulant son
empathie.
Enfin, l'animateur met en avant sa détermination
à aider les auditeurs, à être à leur service, en
s'engageant à trouver une issue positive pour chaque cas exposé
à l'antenne: « bon écoutez Paulette, on va pas traiter
ça en quelques secondes à la radio. Quelqu'un vous rappelle dans
l 'après-midi. (É) Je m 'y engage personnellement ».
Nous soupçonnons qu'un tel engouement n'est pas innocent. Ce
comportement altruiste permet à l'animateur de valoriser son statut,
tout en restant proche de ses auditeurs devenus fidèles et assurant la
pérennité de l'émission.
+ Le statut de l'auditeur
Comme pour l'émission précédente, nous
allons détailler quelques attitudes récurrentes chez les
auditeurs passant à l'antenne de «Ça peut vous arriver
», afin d'apporter un éclairage supplémentaire sur la
relation interactive radiophonique. Avant cela, arrêtons- nous un instant
sur les auditeurs intervenus à l'antenne le 11 février 2008 de
manière plus générale.
Figure 4: "Ça peut vous arriver du 11
février 2008 Durée de l'émission: 1 h 54
Temps total des interventions des auditeurs: 1 h
09
«Ça peut vous arriver» fait intervenir entre
six et sept auditeurs par émission. Concernant notre journée de
référence, nous constatons qu'il existe une certaine
parité des
auditeurs passant à l'antenne. Toutefois ce
schéma nous montre que le temps consacré à chaque auditeur
est très variable. Une lecture superficielle nous inciterait à
croire que l'animateur accorde le temps nécessaire à chaque
auditeur. Toutefois, la réalité est plus complexe. Dans un
premier temps, une des pratiques courantes de l'émission est de traiter
un même cas par intermittence. L'animateur ne reste jamais plus de quinze
minutes successives avec un auditeur. Le dossier est traité, au sein
d'une même émission, en plusieurs étapes. Les temps
d'interventions des auditeurs correspondent à la somme de ces
différentes étapes.
L'auditeur 2 coïncide à une opération
spéciale, «l'opération duplex », menée sur le
terrain et diffusée en direct. Un des collaborateur de l'émission
: Damien Stevens prend le cas d'un auditeur personnellement en charge. Il est
sur le «terrain », en présence de l'auditeur pour rencontrer
la personne incriminée. Ce dispositif, par sa particularité,
explique le temps conséquent consacré à cet auditeur. En
effet, ce dernier implique un certain investissement de la part de la radio,
qu'il convient de rentabiliser par une diffusion prolongée à
l'antenne.
En ce qui concerne les auditeurs 1 et 3, le dispositif
adopté explique là encore la durée de l'intervention. Le
traitement de leur dossier a donné lieu à des coups de
téléphone en direct aux personnes incriminées. La
durée varie en fonction de l'interlocuteur et de sa disposition à
la négociation. Toutefois le temps consacré à l'auditeur
dans ce cas-là est en moyenne de dix minutes. Nous pouvons en
déduire que le temps imparti à chaque auditeur dans ce type de
situation est défini par avance.
Enfin les dernières interventions sont d'une
durée inférieure à 5 minutes. Ici, aucun dispositif en
particulier n'est mis en place. Soit le cas de l'auditeur est
réglé à l'aide des collaborateurs juristes de
l'émission, soit le dossier est reporté à une date
antérieure.
Nous allons maintenant tâcher de décrire les
différentes positions adoptées par les auditeurs appelant dans la
relation interactive établie avec le média.
· Un individu ordinaire mis en
exergue
«Ça peut vous arriver » est une
émission dynamique, faisant se succéder à l'antenne les
dispositifs interactifs. L'un d'entre eux: «les rois du système D
», (D pour débrouille), offre à l'auditeur la
possibilité d'intervenir en direct, en flattant sa personne pour son
sens pratique. En effet, cette rubrique incite les auditeurs à appeler
afin qu'ils partagent publiquement leur astuce pour faire des économies
au quotidien. Sur RTL, chaque jour, un auditeur accède au statut de
«roi du système D ». Notons que Julien Courbet anime sur TF1
une émission exclusivement consacrée à cela.
De prime abord, nous pouvons observer que ce dispositif
s'inscrit pleinement dans les problématiques sociétales
contemporaines. Le pourvoir d'achat est aujourd'hui considéré
comme une des principales préoccupations des Français.
L'émission s'adapte à l'agitation ambiante en proposant aux
auditeurs de relayer leurs différents stratagèmes pour
dépenser moins. Ceci concourt à l'affirmation d'une
communauté d'auditeurs, solidaires, s'échangeant de «bons
tuyaux » de consommateurs. La radio assure un rôle
d'intermédiaire en mettant les auditeurs en relation. De plus, les
astuces des auditeurs ont l'avantage d'être réalisables par un
grand nombre d'entre eux, ces derniers se ressemblant dans leur anonymat.
Toutefois, ce type de dispositif a des conséquences très
positives pour le média, stimulant les appels au standard. Compte tenu
du nombre très élevé de sollicitations, l'auditeur qui
accède à l'antenne devient l'heureux privilégié.
Ceci le valorise dans son statut d'anonyme, devenant un expert de la vie
ordinaire.
En continuité avec la couleur sonore de
l'émission, Julien Courbet façonne une mise en scène ayant
tendance à « spectaculariser » l'interactivité.
L'animateur se place à l'écoute de l'auditeur, voulant apprendre
de l'auditeur: « quelle est votre astuce ? ». L'auditeur
s'exécute : « alors moi, je vais dans des ventes aux
enchères », « c'est une petite astuce. Je la pratique depuis
longtemps. En fait, je ne fais jamais le plein de ma voiture pour limiter la
surcharge ». Il l'interroge afin qu'il présente en
détail son « système D »: « l'économie
est de combien ? », « donc expliquez-moi en quoi ça permet de
faire des économies ? » Il met parfois au jour les
côtés négatifs: « chaque système D a ses
inconvénients ». Néanmoins,
l'animateur exalte le témoignage de l'auditeur:
« c'est une bonne idée », « alors merci. Excellent
système D. Vos idées valent de l'or ». L'auditeur se
sent valorisé, considéré, et reconnu au sein de la
sphère publique.
· Un auditeur assisté
L'attitude générale de l'animateur pousse
l'auditeur dans ses retranchements. Comme nous l'avons montré, Julien
Courbet est maître du dispositif, parlant au nom de l'auditeur lors des
négociations. L'auditeur intervient succinctement pour confirmer ou
infirmer ce qui se dit à l'antenne.
Un autre dispositif de l'émission place l'auditeur dans
une situation d'assistanat: «l'opération duplex ». Le
dispositif est exalté à outrance: « opération
duplex sur RTL avec Didier qui est en ligne pour une histoire hallucinante
», « nous allons intervenir dans quelques instants ». Le
collaborateur et l'animateur vont à la rencontre de la personne
incriminée, tout en restant en ligne. La scène se déroule
donc en direct, côtoyant l'idée de spectacle.
· Un auditeur heureux
Pour finir, il est important de signaler que l'auditeur est la
plupart du temps satisfait de la médiation de « Ça peut vous
arriver» ayant permis de trouver un dénouement positif à son
«dossier ». L'anonyme n'hésite pas à exprimer sa
satisfaction à l'antenne. Notons, que l'animateur sollicite les
auditeurs, une fois l'affaire résolue dans ce but. Les réactions
peuvent être modérées: « merci à vous pour
tout ce que vous faites pour tout le monde », « merci à vous
à votre équipe et merci à tout le monde », «
parfaitement oui, si c'est réglé vendredi et qu'on arrive
à avancer avec RTL pour ce dossier. Je vous remercie infiniment »,
ou être plus passionnées: « Je voudrais vous
remercier, vous et toute l'équipe. (É) J'ai toujours
été informée de la situation. Vous me sauvez la vie. Tout
le monde m 'a laissé tomber. Sij 'ai fait
appel à vous c'est parce que c'était mon
dernier recours. Je suis très émue. Quandje vois les cas que vous
arrivez à résoudre; vous devriez avoir depuis longtemps la
légion d'honneur. Je suis sérieuse ». Un tel engouement
est aussi la conséquence d'une sélection des cas traités.
En effet, l'animateur insiste sur le fait que les auditeurs doivent s'adresser
à lui en dernier recours. Ainsi la plupart du temps, cela fait
déjà plusieurs mois que l'auditeur subit des difficultés.
La médiatisation et la résolution de son problème procure
chez lui un enthousiasme certain. De plus, en décidant d'aider les plus
faibles, l'émission se garantit une grande popularité. La mise en
scène spectaculaire de l'émission contribue à mettre en
avant les succès de l'émission, donnant comme impression à
l'écoute que l'animateur, au service des auditeurs, multiplie les
succès par le traitement de cas apparemment complexes.
3. « Lahaie, l'amour et vous » sur
RMC-Info
« Lahaie, l'amour et vous» est une émission
qui se met au service de ses auditeurs pour les aider dans les domaines de
l'amour, de la sexualité et de l'intimité en
général. Sans tabou, cette émission rompt avec une
certaine tradition radiophonique, étant diffusé entre 14 heures
et 16 heures. Communément, les émissions interactives ayant un
caractère intime sont programmées en soirée, moment
considéré comme plus propice à la confession. Brigitte
Lahaie invite les auditeurs à intervenir à l'antenne pour parler
des difficultés dans leur vie intime, ou pour apporter un
témoignage. L'animatrice, selon les jours, peut être soutenue dans
sa mission d'assistance par un invité. Ce dernier est la plupart du
temps un professionnel appartenant à la communauté
médicale : psychologue, psychiatre, sexologue, etc. Il intervient
à l'antenne à tout moment, complétant les réponses
de l'animatrice à l'auditeur. L'invité prend aussi la parole pour
répondre à l'animatrice, qui lui consacre plusieurs minutes
d'interview tout au long de l'émission. Le schéma proposé
ci-dessous nous offre un aperçu global de la composition de cette
émission.
Figure 5 : « Lahaie, l'amour et vous » du 11
février 2008
Ce graphique nous confirme que cette émission accorde
une place conséquente à l'interactivité. En effet, plus de
la moitié du temps d'antenne (58,7 %) est consacrée aux
interventions des auditeurs en direct. La publicité est présente
à l'antenne de RMC-Info, élément sine qua non
d'une radio privée. La place occupée par les messages
publicitaires est ici prépondérante, occupant 17,3 % du temps
d'antenne. Le graphique ne nous permet pas d'observer à quelle
fréquence interviennent les coupures publicitaires. Même si
à l'écoute de « Lahaie, l'amour et vous », la
publicité nous semble moins omniprésente que dans
l'émission «Ça peut vous arriver» sur RTL, la
réalité est toute autre. Notons que les coupures publicitaires
interviennent sur RMC-Info toutes les 15 à 20 minutes. Brigitte Lahaie
est ainsi moins interrompue par la publicité dans son émission
que Julien Courbet. Mais la durée des spots publicitaires est plus
longue sur RMC-Info que sur RTL. Nous sommes face à deux conceptions
marketing de gestion des espaces publicitaires, l'une préférant
interrompre régulièrement l'émission mais pour une courte
durée, l'autre laissant plus de temps d'antenne entre chaque coupure
publicitaire, mais pour une interruption plus longue. Signalons pour
finir, que quelle que soit la stratégie adoptée,
la publicité envahit les programmes des radios privées, rendant
la tâche difficile pour un auditeur souhaitant l'éviter. Le reste
de l'émission (24 % du temps d'antenne) est consacré aux
différentes annonces de l'animatrice, à l'interview de
l'invité, mais aussi à la « châtelaine »,
intervenant à plusieurs reprises afin de donner un aperçu des
propos des internautes sur le chat de RMC -Info. Pour finir, signalons
que la musique est absente de l'antenne, quelques extraits inférieurs
à 30 secondes sont quelquefois diffusés, en guise de
transition.
Après cette présentation générale,
concentrons-nous sur la relation interactive établie dans le cadre de
cette émission. Comme pour les émissions
précédentes, nous avons distingué le statut de l'animateur
de celui de l'auditeur. Les résultats de notre étude de contenu
font apparaître différents types de prise de position pour chacun
des protagonistes au sein du dispositif interactif radiophonique.
+ Le statut de l'animatrice
Sur l'antenne de RMC-Info, Brigitte Lahaie est à la
radio des années 2000 ce que Menie Grégoire incarnait trente ans
plus tôt. L'heure est la même, le dispositif également. Les
deux émissions pénètrent dans l'intimité des
auditeurs appelants afin de leur venir en aide. Le contenu des émissions
est bien évidemment différent, compte tenu de l'évolution
des moeurs. Toutefois Menie Grégoire, tout comme Brigitte Lahaie, a
brisé certains tabous en osant aborder à travers le média
radiophonique des thématiques totalement absentes des autres stations.
En effet, aucune autre radio ne s'aventure dans le domaine de la
sexualité chez l'adulte et du plaisir qui en découle (ou de son
absence). Loin de vouloir faire polémique, l'animatrice accorde une
grande importance à la sexualité dans la vie quotidienne.
« La sexualité traduit nos forces et nos faiblesses. Ce n'est
pas seulement une porte vers la connaissance d'autrui, c'est un objet en
soi» confie -t-elle à Libération lors d'une
interview en 2007.122
122 Libération nO 8219, 10 octobre 2007
L'étude de contenu réalisée sur trois
émissions de Brigitte Lahaie a fait émerger trois types
d'attitudes adoptées par l'animatrice avec les auditeurs dans le
dispositif radiophonique.
· Une oreille confidente
Brigitte Lahaie accueille des auditeurs souhaitant s'exprimer
sur leur vie intime. Thématique propice à la confession, elle
impose à l'individu une introspection. Sur un ton doux et chaleureux,
Brigitte Lahaie incite les auditeurs à se confier à l'antenne,
s'immisçant dans leur vie privée.
Durant les deux heures qui lui sont octroyées,
l'animatrice fait se succéder à l'antenne les auditeurs les uns
après les autres. Adaptant ses propos à chaque interlocuteur,
l'animatrice procède toutefois de la même manière avec
chacun d'entre eux. Elle interpelle l'auditeur en début d'intervention,
afin qu'il confirme oralement qu'il se trouve bien à l'antenne; un
«bonjour» est échangé entre les deux.
Rapidement, l'animatrice précise la raison de l'appel
de l'auditeur. Ceci lui permet de contrôler le contenu de
l'émission, ne laissant d'autres choix à l'auditeur que de
débuter son récit sans perdre de temps. Elle entre ainsi dans le
vif du sujet: «vous nous appelez car vous avez résolu vos
problèmes de plaisir rapide », «vous avez connu une
rupture difficile », «vous avez 48 ans et vous vivez une
relation fusionnelle », «vous avez 60 ans et votre femme
vous a quitté pour votre meilleur ami ». L'animatrice adopte
une attitude conviviale et décontractée : «alors qu'est
ce que vous allez nous raconter de coquin?»
A partir de là, une conversation s'engage entre
Brigitte Lahaie et l'auditeur. Le dialogue est libre, pouvant parfois
s'apparenter à un échange entre deux amis: «remarquez,
ça fait du bien aussi ». L'animatrice va inciter l'auditeur
à détailler ses propos en le questionnant: «elle a envie
de garder cet enfant? », «alors sexuellement, ça se
passe comment ? », «racontez-moi comment ça s'est
traduit. Vous souhaitiez être dans les bras l'un
de l'autre ». Les questions très
ciblées lui permettent d'obtenir un maximum d'informations pour lui
apporter un conseil. L'animatrice montre aussi de l'intérêt au cas
de l'auditeur, « attendez, j'essaie de comprendre la chronologie de
votre histoire ».
Néanmoins, « Lahaie, l'amour et vous» se
rapproche du dispositif des émissions divan, comme les appellent Deleu.
Le dispositif de celles-ci repose sur les vertus d'une parole libre. C'est en
extériorisant ces problèmes que ces derniers pourront être
résolus. L'animatrice assure donc une consultation radiophonique aux
auditeurs par l'usage d'une méthode cathartique:
«j'espère que d'en parler, cela vous a aidé ».
Afin que l'auditeur se dévoile un maximum, l'animatrice reformule
régulièrement ces propos: «c'est-à-dire, vous
vous organisez pour vous masturber; et c'est comme ça que vous avez
résolu votre problème », « tout pour l'autre,
c'est proche d'une relation fusionnelle », « donc vous vous
êtes fait du bien ». Cette pratique permet de relancer
l'auditeur, tout en ciblant la suite de son intervention. L'animatrice laisse
l'auditeur s'exprimer le temps qu'il le souhaite, ne lui coupant que
très rarement la parole. Durant le récit, l'animatrice
émet des signaux d'écoute: « Hum hum », «
oui », « d'accord», confirmant oralement son
attention.
Dans sa mission d'assistance, l'animatrice rassure l'auditeur
et le conforte dans son récit. Elle va d'abord aller dans son sens:
« oui, vous avez raison », « votre analyse Laurent
est tout à fait juste », « oui, je comprends bien,
c'est ce que je dis souvent », « c'est important ce que vous
dîtes ». Mais elle peut aussi reformuler les propos de
l'auditeur, lui explicitant son histoire avec l'intention de lui ouvrir les
yeux : « Christophe, on s'imagine bien qu'il y a de l'affection. Mais
en même temps, on voit que sexuellement c'est terminé depuis
longtemps », « vous êtes perdu, je pense qu'il est
important que vous fassiez la part des choses », « en
même temps, votre relation est conjuguée au passé
». Enfin, l'animatrice peut donner de l'espoir à l'auditeur:
« mais ça va marcher un jour, c'est tout ce que je vous
souhaite », «je pense que vous avez droit d'être
heureux », « Michel, en continuant à vivre, vous
continuez à faire vivre cet amour », « moi j 'ai
quand même l'impression que c'est pas très grave ce qui vous
arrive» ; voire éprouver de la compassion pour lui: «
bien sûr je vous comprends », « moij'aime ce
témoignage car il montre bien ce que l'on vit dans ce genre de situation
», « attendez, c'est terrible ce que vous me racontez
». L'animatrice, par ces différentes attitudes, établit
une relation de proximité avec l'auditeur afin que ce dernier se
sente en sécurité. Le rôle principal de
Brigitte Lahaie est d'être à l'écoute des auditeurs en
créant un espace favorable à la confidence.
? L'implication personnelle de l'animatrice
«Lahaie, l'amour et vous» ne se résume pas au
seul dispositif de l'émission. Brigitte Lahaie elle-même est un
élément fondamental à la réussite de
l'émission. Son expérience passée dans les films X lui
confère une certaine crédibilité auprès de son
auditoire; sa personnalité attachante contribue à facilité
la relation établie dans le cadre médiatique. La
particularité de cette émission réside dans l'implication
personnelle de l'animatrice. En effet, les auditeurs ne viennent pas sur
l'antenne pour avoir un simple conseil, ils veulent un conseil
délivré par Brigitte Lahaie.
L'animatrice entretient avec les auditeurs une relation
privilégiée, n'hésitant pas à se dévoiler
elle-même: «Des fois, on rencontre des hommes qui nous emporte
nt au delà du raisonnable », «moi je dis souvent que
j 'ai besoin d'oxygène, quand j 'ai des personnes autour de moi
». Cette pratique l'humanise, son statut de personne publique
s'estompe pour dévoiler sa position d'être sensible, ayant
elle-même déjà été confrontée à
des situations similaires.
De manière plus distante, l'animatrice n'hésite
pas à donner ses impressions personnelles. Ces dernières peuvent
être positives : «moi je pense que vous avez acquis un grand
contrôle de vous même », «je crois que vous
vivez une belle relation d'amour », ou plus critique:
«cette relation vous fait du mal », « moi je crois
Olivier que vous avez tous les deux certaines inhibitions ». Elle
n'hésite pas à être franche avec les audite urs, restant
toutefois modeste sur la valeur de son jugement: «je ne pense pas que
c'est mort. Je pense que la réalité est là. (É)
Après je ne connais pas ses sentiments », «Marc, on
ne peut jamais dire qu'elle ne reviendra jamais. Je ne suis pas devin
». Les remarques faites aux auditeurs dans ce cadre ne s'appuient que
sur sa propre expérience. L'animatrice ne fait pas appel à des
connaissances scientifiques ou des procédés
psychologique. L'animatrice s'implique pleinement dans la relation
interactive.
· Du conseil à la
pédagogie
En tant qu'émission service, l'animatrice assure
à l'auditeur une écoute, lui permettant de se libérer de
ses problèmes. Toutefois, à chaque témoignage, elle lui
délivre un conseil. Ici, l'invité de l'émission peut venir
compléter les propos de Brigitte Lahaie. Ce dernier est soit
sollicité par l'animatrice: «Déjà Irène
Monty, c'est pas facile de tomber amoureux de quelqu'un qui est
déjà en couple », soit il décide de prendre la
parole après la réponse de Brigitte Lahaie.
Après avoir écouté et interrogé
l'auditeur, Brigitte Lahaie apporte une réponse personnalisée
à ce dernier. Le conseil peut prendre différentes formes. Il peut
s'agir d'un conseil d'ordre général: «il ne faut pas
vous sentir coupable» ou d'une suggestion de marche à suivre
pour améliorer la situation: « prenez de la distance
», «moi je crois qu'il faut que vous soyez plus ferme
», «on ne peut que vous conseiller de le quitter
». Mais l'animatrice peut aussi adopter une attitude plus directive:
«Brigitte, vous devez être dans votre position de femme, de
maîtresse du foyer, et ne pas envenimer les choses »,
«je crois qu'il faut vraiment que vous la mettiez face à ses
responsabilités ». Les conseils délivrés peuvent
aussi être de l'ordre du pratique : « il faudrait repartir en
faisant l'amour, mais en lui donnant du plaisir à elle. Vous allez lui
demander ce qu'elle aime », «la prochaine fois, vous
attendez que l'érection vienne, mais vous ne la pénétrez
pas ».
L'animatrice fait aussi preuve de pédagogie dans le
soutien qu'elle apporte aux auditeurs : «Sylvie, ce qu'il faut que
vous compreniez, c'est que vous n'avez pas à céder »,
«ce qu'il faut faire c'est ne plus du tout voir cette personne
», «ce qu'il faut c'est que vous arriviez à vous
séparer de temps en temps », «vous avez deux
possibilités pour vous soigner ». Ce rôle
pédagogique est accentué par une rubrique de l'émission
dite «Love conseil ». Ce dernier peut être
délivré par une personne du corps médical. Dans ce cas,
l'animatrice diffuse l'interview réalisée plus
tôt avec un professionnel sur une thématique précise comme
par exemple la prostate. Sinon, c'est l'animatrice elle-même qui apporte
des conseils sur un thème précis comme par exemple «
comment faire une bonne fellation?» Le «Love
conseil » permet à l'animatrice d'aborder certains sujets
d'ordres généraux qui ne sont pas évoqués à
l'antenne. Enfin, pour les auditeurs qui ont besoin d'informations
précises, l'animatrice conseille des ouvrages pouvant les aider et les
informant plus précisément. Ceci dispense l'animatrice de fournir
une réponse à l'auditeur.
L'animatrice, même si elle demeure maîtresse du
dispositif interactif, assure sa mission de soutien et d'assistance aux
auditeurs de la station. Toutefois, ces derniers sont-ils satisfaits de cette
médiation?
+ Le statut de l'auditeur
Comme pour les émissions précédentes,
nous n'allons offrir qu'un aperçu du statut de l'auditeur dans la
relation interactive. Avant de se concentrer sur le contenu énonciatif,
nous souhaitons fournir une analyse globale des interventions des auditeurs
dans l'émission «Lahaie, l'amour et vous ».
Figure 6: "Lahaie, l'amour et vous" du 11 février
2008 Durée de l'émission: 1 h 44
Temps total des interventions des auditeurs: 1 h
01
En un seul coup d'oeil, ce schéma permet de distinguer
l'utilisation à outrance du dispositif interactif. Pas moins d'une
douzaine d'auditeurs interviennent chaque jour sur l'antenne de «Lahaie,
l'amour et vous ». Ceci est la conséquence directe de la politique
éditoriale de RMC -Info. En effet, se revendiquant radio talk,
l'antenne est submergée par la parole des anonymes. La majorité
des émissions de la station sont tenues de diffuser les opinions,
suggestions et questions des auditeurs . Toutefois, malgré le nombre
important d'interventions, au sein de l'émission de Brigitte Lahaie, les
auditeurs semblent pouvoir s'exprimer librement et sans être
pressés. Sans pour autant dire que les auditeurs peuvent rester à
l'antenne le temps qu'ils souhaitent, nous avons constaté, lors de
l'écoute des émissions de notre corpus, que les auditeurs ont le
temps de s'exprimer et d'interagir avec l'animatrice. La plupart du temps, un
droit de suite est possible. En fait, l'animatrice adapte la
durée d'int ervention de l'auditeur en fonction de sa
nature. En ce sens, un témoignage durera moins longtemps qu'un auditeur
venu chercher des réponses à un problème. Ceci nous permet
d'expliquer les écarts importants dans les durées d'interventions
des auditeurs, allant de 39 secondes à 7 minutes 43. Nous souhaitons
toutefois remarquer que les interventions ont tendance à durer moins
longtemps en fin d'émission. Face à ces paradoxes, nous pouvons
nous questionner: le dispositif nous donne-t-il l'illusion d'une parole
libérée de toute contrainte temporelle? Une recherche plus
approfondie dans les locaux de la station nous permettrait de compléter
nos premières observations.
Ce graphique nous montre qu'autant d'hommes que de femmes
prennent la parole, dans l'émission de Brigitte Lahaie. Nous pouvons
toutefois constater qu'en terme de durée, les hommes sont plus
présents. Ont -ils un besoin plus important de s'exprimer ?
Précisons que l'émission est écoutée à 70 %
par des hommes.123 Il est donc compréhensible que ces
derniers occupent une place plus importante à l'antenne.
Notre étude de contenu a fait émerger deux grands
axes de réflexions quant à la nature des propos tenus à
l'antenne par les auditeurs.
? Une parole de témoignage
Une partie des interventions des auditeurs se compose de
témoignages. Souhaitant partager leur expérience, les auditeurs
passent à l'antenne pour se confesser: «avec mon mari, nous
vivons une relation fusionnelle depuis 10 ans; on ne fait qu'un »,
«alors moij 'ai une histoire d'amour à raconter. Ça
c'est passé en Inde dans un monastère. (É) Et il s'est mis
à me peloter, il voulait tout vérifier le côté
anatomique de la femme ». La nature exhibitionniste de certains
propos n'est pas à négliger. Ne s'agissant pas de la
majorité des interventions, nous ne pouvons pas
généraliser ce phénomène à toute
l'émission.
123 Libération n 8219, 10 octobre 2007
En plus des interventions classiques, Brigitte Lahaie a mis en
place une série de rendez-vous quotidiens, incitant les auditeurs
à prendre la parole. «La coquine du jour» passe à
l'antenne pour raconter une expérience intime peu commune, un fantasme,
ou une pratique sexuelle particulière. «La testeuse du jour» a
été quelques jours auparavant sélectionnée au
standard pour essayer un jouet sexuel. Cette dernière décrit
l'objet, ses fonctions, et les sensations qu'il procure. A la fin de sa
présentation, l'auditrice évalue le jouet par une note. «Le
quitte ou double» est un dispositif particulier. L'auditeur fait le choix
de laisser l'animatrice décider de la marche à suivre dans sa vie
intime. L'auditeur apporte son témoignage, l'animatrice décide
ensuite si l'auditeur doit poursuivre sa relation amoureuse ou s'il doit la
stopper. Ces rendez-vous contribuent à « spectaculariser» la
parole des individus. En effet, les auditeurs entr ent dans un dispositif ayant
pour but de les valoriser dans leur statut d'anonyme. Conscient du contrat de
communication qu'il lui est imposé l'auditeur devient, durant quelques
minutes, le héros de l'émission. Toutefois, ces rendez-vous sont
un moyen pour le média de stimuler les appels des auditeurs.
· Un auditeur dans le besoin
La majorité des auditeurs intervenant dans
l'émission de Brigitte Lahaie sont à la recherche d'une
assistance psychologique ou d'un conseil. Toutes sortes de problèmes
sont exposés à l'animatrice. Par exemple, il y a les
problèmes physiques : « çafait deux ans que je suis
atteinte de vaginisme et j'aimerais savoir comment je pourrais résoudre
ce problème », les déceptions amoureuses:
«tout à fait, je vis actuellement une rupture très
difficile. (É) C'est une personne troublée, j'ai tout fait pour
elle », etc. Dans tous les cas, nous rentrons dans le domaine de
l'intimité: « Donc en fait, moi j'appelle pour avoir quelques
précisions sur moi-même ». Certains auditeurs
considèrent que seule l'animatrice peut leur assurer un
dénouement positif: «ma situation est cauchemardesque.
(É) Je me demande comment je dois agir », s'en remettant
à son seul avis. Les auditeurs, souvent fidèles de
l'émission, ont confiance dans le jugement de l'animatrice.
Pour parer à ce grand besoin d'assistance
psychologique, l'émission a mis en place un service d'assistance
téléphonique, directement accessible depuis le standard, mettant
l'auditeur en relation avec un psychothérapeute.
Pour conclure sur cette émission, nous souhaiterions
citer Meyer, qui malgré sa vision très critique des
émissions interactives, accorde une certaine crédibilité
à « Lahaie, l'amour et vous»: «Radio marchandise.
Oui, on y est bien, et plus que jamais. Mais peut-on nier qu'il s'agisse d'une
réelle écoute humaine, voire celle d'une authentique assistance
à des êtres qui, sans être au dernier stade de la
détresse, n 'en sont pas moins en manque d'humanité? (É)
Certains après-midi, dans un style inimitable, mais un zeste plus crue
que ses consoeurs, elle offre une qualité d'écoute et de
présence surprenante »124 . L'émission de
Brigitte Lahaie a su trouver un équilibre dans sa formule afin
d'apporter un réel soutien aux auditeurs lors de leur passage à
l'antenne. Il ne faut toutefois pas négliger les motivations
économiques de la station. Mais Brigitte Lahaie, loin de l'agitation
ambiante de la radio, semble se démarquer du reste de la station en
établissant une proximité familière avec les auditeurs :
« j'aime ce que je fais et je me sens libre. Je fais du bien, les
auditeurs me le disent ou me l'écrivent. Cela me réchauffe le
coeur. (É) En fait, j'accouche les âmes.
»125
124MEYER Michel, op.cit. p203 125
Télérama nO 2979
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