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Radiographie de l'interactivité radiophonique

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par Blandine Schmidt
Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3 - Master 2 recherche Sciences de l'information et de la Communication 2008
  

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2ème PARTIE:

LES ÉMISSIONS SERVICE,

UNE TENDANCE

À LA SPECTACULARISATION?

I. La radio, intermédiaire ou centre du processus de médiation?

A. Analyse des trois émissions

1. « Service public » sur France Inter

«Service public » sur France Inter est une émission service proposant de soutenir le consommateur / citoyen dans ces problématiques quotidiennes. Traitant de faits de société, elle souhaite informer les auditeurs, par l'interview d'invités / experts selon la thématique journalière. Cette émission est considérée comme interactive dans la mesure où les auditeurs ont la possibilité d'appeler le standard pour laisser leurs questions ou points de vue, d'intervenir à l'antenne pour offrir un témoignage, ou de participer à la réflexion via l'envoi de messages par internet. Notre terrain d'étude comprend trois émissions de chaque programme. Nous avons décidé de prendre comme journée de référence le lundi 11 février 2008. Le schéma ci-dessous nous permet d'avoir une vision générale et simplifiée de la composition de l'émission.

Figure 1 : « Service public » du 11 février 2008

Malgré l'identité interactive de cette émission, nous pouvons constater que seul 16 % du temps d'antenne est réservé aux interventions en direct des auditeurs. Précisons toutefois la spécificité de l'émission : la majorité des interventions des auditeurs s'effectue indirectement par le biais de l'animatrice; les auditeurs laissent leurs remarques et questions au standard ou via internet; après sélection, l'animatrice les relayera sur l'antenne. Le schéma ci-dessus ne fait pas apparaître cette donnée, ce qui justifie en partie le pourcentage important du reste de l'émission (67 % du temps d'antenne). Toutefois, une majorité de l'émission est consacrée à l'interview du ou des invités présents dans les studios.

Le temps réservé à la publicité durant l'émission demeure faible, avec moins de 2 % du temps d'antenne. Cette moindre présence de la publicité correspond aux cahiers des charges de Radio France, très rigoureux. En 2007, la durée moyenne quotidienne de la publicité sur France Inter s'élevait à 12'05 minutes. Il convient de préciser qu'en règle

générale les espaces publicitaires de cette station se placent en fin d'émission, ne venant pas interrompre son déroulement.

Notre étude de terrain s'est consacrée à la relation interactive dans le cadre des émissions service, nous permettant de mettre à jour des mécanismes et de mieux comprendre la nature de la relation établie par et avec le média. Signalons qu'il s'agit ici des prémices d'une recherche que nous souhaitons poursuivre. Les résultats obtenus sont une première base de travail ; certaines questions restent ainsi posées.

+ Le statut de l'animatrice

Après avoir co-animé l'émission avec Yves Decaens, Isabelle Giordano est aujourd'hui seule aux commandes, le contenu éditorial étant resté le même. L'animatrice se veut au service des auditeurs, prenant à coeur la mission de service public de la station généraliste de Radio France. « On est le poste d'observation de tous

les problèmes liés à la consommation au sens large du thème : consommation culturelle, citoyenne, syndicale... Ne dépendant pas de la publicité, on a sur France Inter la garantie d'une vraie liberté d'expression. Dire du mal des marques, c'est possible ici. (É) On n'hésite pas, par exemple,

»121

à contester les chiffres de l'INSEE en ma tière d'inégalités du pouvoir d'achat déclare -t-

elle en 2006. «Service public» se revendique émancipé de toute contrainte économique , ceci garantissant une liberté de parole, à la fois pour l'animatrice mais aussi pour les auditeurs. Mais est-ce vraiment le cas? Avant de pouvoir répondre à cette question, nous souhaitons nous interroger sur le statut de l'animatrice dans le cadre de l'émission interactive.

Grâce au traitement des données issues de notre étude de contenu nous avons pu déterminer plusieurs axes dans le dispositif interactif adopté par l'animatrice dans l'émission «Service public»: l'animatrice comme intermédiaire, l'animatrice comme porte-parole des auditeurs, l'animatrice comme faire-valoir des propos des auditeurs.

121 er

Télérama n 2964, 1novembre 2006


· L'animatrice comme intermédiaire

Un des rôles les plus courants de l'animatrice est d'être un intermédiaire entre la parole des auditeurs et les invités, ceux-ci n'ayant quasiment pas de relation directe entre eux. L'animatrice fait le lien entre eux, donnant la parole aux uns et aux autres, ajoutant des commentaires transitifs. Ce rôle d'intermédiaire est tenu lors de l'échange direct avec un auditeur, mais aussi lorsque l'animatrice fait intervenir de manière indirecte un auditeur.

Durant l'émission, l'animatrice agrémente ainsi le contenu de l'émission par de nombreuses citations d'auditeurs. Notons que les interventions indirectes sont deux fois plus nombreuses que les directes, une dizaine d'auditeurs en moyenne intervenant de cette manière. Tout laisse à penser que l'animatrice reste fidèle aux propos des auditeurs ayant laissé leurs commentaires au standard ou par le biais d'internet. L'animatrice annonce en effet les interventions de la sorte: « Je voudrais vous citer quelques messages qui sont arrivés au standard», « Je voudrais vous faire part des questions des auditeurs », « C'est ce que nous dit également une auditrice ». L'animatrice s'adresse ici aux invités de l'émission. Toutefois, avant de leur donner la parole pour qu'ils puissent répondre aux auditeurs, elle émet un commentaire, sans émettre d'opinion: « Je me tourne vers vous, Nadia Million pour Système U », « Qu'est -ce que vous en pensez Sylvain Lambert ? » Distante, l'animatrice ne fait que transmettre les interventions des auditeurs.

Ce statut est aussi adopté par l'animatrice lors des interventions des auditeurs en direct. Après avoir accueilli l'anonyme en le saluant, elle lui passe la parole de manière neutre: « je vous écoute », « on vous écoute » ou en intervenant de façon plus directive précisant le thème de l'intervention: « Vous aviez une question ou une observation peut être à faire », « vous vouliez réagir en comparant É ». L'animatrice, légèrement plus interventionniste dans ce dernier cas, délimite le contenu de l'intervention, réduisant ainsi sa marge à évoquer un sujet différent que celui qu'il avait annoncé au standard. De plus, ceci garantit à l'animatrice que l'auditeur entrera rapidement dans le vif du sujet. Durant son récit, l'animatrice émet régulièrement des signaux d'écoute: « Hum hum », étant son principal interlocuteur. L'animatrice laisse généralement l'auditeur exprimer, voire dialogue avec lui, le

questionnant sur son opinion ou le faisant développer ses propos. Toutefois, l'animatrice peut aussi lui couper la parole, une fois son idée générale exprimée, ne le permettant pas de développer. A la fin de son intervention, l'animatrice s'exprime systématiquement avant de donner la parole aux invités: « un avis tout de suite en studio ». Souvent elle reformule les propos de l'appelant, voire apporte une idée complémentaire: « vous posez en fait Hélène la question de l'émission, est-ce que les MDD vont tuer les marques? Yves Puget, on a essayé déjà d'y répondre. Pour vous, la réponse est non. Mais quand vous écoutez Hélène, vous vous dites effectivement qu'il y a des consommateurs qui trouvent qu'y a peut être trop de place, trop d'importance donnée aux MDD. La raison c'est pas que la qualité. (É) Si les gens achètent des MDD, c'est aussi parce qu'ils ont des points parfois sur les cartes (É) qu'ils obtiennent. » Elle peut aussi compléter les propos de l'auditeur en direct en citant d'autres anonymes: « Merci beaucoup Frederik. Je poursuis avec ce que vous nous dites Frederik (É) avec les réflexions de quelques auditeurs qui se demandent si finalement vous n'arrivez pas à vendre moins cher. Je me tourne vers vous Nadia Million pour Système U». Dans son rôle d'intermédiaire, l'animatrice assure la transition entre l'auditeur et les invités, sans prendre parti dans la réponse donnée. Enfin, elle le congédie de différentes manières. Elle le remercie systématiquement: « merci Vincent pour cette réaction ». Toutefois, elle décide de lui redonner la parole ou pas, même si la plupart du temps, l'auditeur ne bénéficie pas d'un droit de suite.

L'animatrice relayant et assurant le truchement des propos des anonymes se place au service des auditeurs. Le ton de l'émission est assez décontracté, le statut d'intermédiaire permettant d'éviter les dérapages et polémiques. Toutefois, si un appelant parvient à passer par les mailles du filet et tromper le standard par l'annonce d'un faux thème, l'animatrice le met face à ces responsabilités, l'accusant de ne pas respecter le principe de la transparence et du direct.


· L'animatrice comme porte-parole

Isabelle Giordano, dans la relation établie avec les auditeurs de l'émission, adopte aussi une attitude de porte-parole. Tout d'abord, elle va généraliser le statut des auditeurs intervenants, les regroupant au sein d'une même entité. Par exemple, l'animatrice annonce: «je vous propose d'écouter l'avis des auditeurs » ou « les auditeurs réagissent », alors qu'un seul d'entre eux va intervenir. Ce type de propos tend à favoriser l'existence et l'affirmation d'une communauté d'auditeurs, créant de la cohésion ainsi qu'une proximité dans la relation interactive. De plus, ceci a pour conséquence d'aplanir les différences sociales, tous les auditeurs logeant à la même enseigne. Cette pratique peut aider certains auditeurs, n'ayant pas l'opportunité de prendre la parole dans leur quotidien, de par leur statut social, d'intervenir à l'antenne. Dans la mesure où l'animatrice demeure le seul interlocuteur de l'auditeur, celle-ci intervient auprès des invités, au nom des auditeurs. Par le relais des propos tenus à l'antenne, l'animatrice adopte la fonction de porte-parole.

De plus, l'animatrice tend à faire transparaître dans ses propos les opinions et remarques récurrentes des auditeurs. « Chantal n'est pas la seule à poser cette question », « c'est une question qui revient au standard», « deux questions qui reviennent au standard, il y en a plusieurs qui vont dans ce sens », « d'autres auditeurs posent la même question ». Ainsi, l'animatrice se fait le porte-parole des auditeurs, relayant les opini ons majoritaires des appelants. Intervenant pour souligner qu'il s'agit d'une thématique fréquemment évoquée par plusieurs auditeurs, elle aborde par ce biais les auditeurs qui n'accèderont pas à l'antenne : « quelques messages qui nous sont arrivés au standard de Service public ». Ceci permet à l'animatrice, indirectement, d'insister sur la vitalité du standard, mettant en avant la relation interactive elle-même. Très régulièrement l'animatrice souligne que de nombreux auditeurs souhaitent participer à l'émission: « et la discussion continue avec nos auditeurs qui veulent absolument réagir à tout ce qui s'est dit », «je voudrais vous faire part des questions des auditeurs, qui nous arrivent déjà nombreuses ». Ce type de remarque permet aussi à l'animatrice de légitimer l'existence et le dispositif de l'émission.

Enfin, notre étude de contenu nous a permis de mettre au jour un procédé rhétorique permettant à l'animatrice d'adopter le statut de porte-parole. En effet, lorsqu'elle prend la parole, il est courant qu'elle s'inclut du côté des auditeurs: « la question qu'on peut se poser », « on se demande », « ça nous change ». Elle peut parler en leur nom, tout en exprimant sa propre opinion. Ce rapprochement avec les auditeurs permet de créer une certaine proximité entre Isabelle Giordano et son public, favorisant la relation interactive et le succès de l'émission.


· L'animatrice comme faire-valoir des propos des auditeurs

Pour finir, l'animatrice de «Service public» adopte une attitude de valorisation des auditeurs. Elle approuve les interventions de manière positive: « c'est une bonne question, il fallait la poser », « très bonne question Stéphanie », « ah, ça nous intéresse », « votre explication est très convaincante », « c'est avec beaucoup de bon sens qu'une auditrice nous dit É ». Ce comportement bienveillant a deux conséquences directes. Dans un premier temps, il permet de créer un climat de confiance pour les auditeurs. Confortés dans leurs propos, ils sont de ce fait encouragés à intervenir, l'animatrice considérant que les interventions de ces derniers sont importantes, voire fondamentales, pour le débat engagé. De plus, il arrive que l'animatrice soutienne et défende les auditeurs face aux invités: « en même temps, on comprend la colère des auditeurs ». Dans un second temps, l'attitude valorisante de l'animatrice permet de justifier la relation interactive elle-même. Mettant en avant la justesse, et l'importance des thèmes évoqués par les auditeurs, Isabelle Giordano légitime le don de la parole aux auditeurs en les soutenant dans leurs interventions. La valorisation des propos des auditeurs par l'animatrice est-elle ainsi au service des auditeurs ou permet-elle seulement de justifier le dispositif?

+ Le statut de l'auditeur

Le statut des auditeurs intervenant dans les émissions interactives constitue un terrain d'analyse riche et complet. Souhaitant comprendre la place du média dans la relation établie,

notre étude de contenu s'est intéressée plus partiellement aux auditeurs. Toutefois, nous souhaitons exposer les éléments récurrents, propres au statut de l'auditeur, aidant à mieux cerner les limites de l'interactivité radiophonique.

· Un auditeur présent mais souvent sans voix

La parole des auditeurs ne constitue pas la majorité du temps d'antenne sur « Service public » contrairement à d'autres émissions interactives. En effet, cette dernière les fait intervenir, mais la démarche de l'émission est plus informative. Une petite quinzaine d'auditeurs contribue à la création du contenu, dont quatre directement à l'antenne. En effet, tout au long de l'émission, Isabelle Giordano intervient en dévoilant elle-même les questions et opinions des auditeurs: « est-ce que cela veut dire que vous êtes d'accord avec l'opinion d'un auditeur, je vous la cite très rapidement », « c'est ce que nous dit également une auditrice » « autre avis, je vous le donne rapidement ». Peu d'informations sur ces auditeurs sont données (prénom et lieu de résidence) ne leur permettant pas de sortir de leur statut d'anonyme. Ce procédé d'interactivité indirecte garantit à l'animatrice un contrôle de l'émission, minimisant les débordements ; tout en assurant dynamisme et authenticité. En fait, les propos des auditeurs cités par l'animatrice viennent agrémenter le contenu de l'émission, en gage d'illustration de la «réalité ». Les interventions viennent apporter un soutien à l'émission elle-même, l'animatrice utilisant les propos des auditeurs, assidûment sélectionnés, pour interroger ses invités.

· Un auditeur anonyme et pressé

Malgré le statut d'émission interactive, « Service public » ne donne la possibilité qu'à quelques auditeurs d'intervenir en direct. Notons que la parole des anonymes est absente de la première partie de l'émission. Les appelants sont la plupart du temps des fidèles. Ils manifestent ainsi leur attachement en remerciant souvent en début d'intervention l'existence de l'émission pour sa qualité: « Merci pour vos émissions toujours de très bonne qualité », « J'écoute votre émission avec toujours beaucoup d'intérêt ». Les opposants ou rétracteurs à

l'émission n'accède pas à l'antenne, garantissant ainsi un climat calme et peu hostile. Le schéma ci-dessous apporte des informations quant aux temps de parole et au sexe des auditeurs appelant.

Figure 2 : Service public du 11 février 2008

Durée de l'émission : 54 min

Temps total des interventions des auditeurs : 8 min 44

Premièrement, nous pouvons constater qu'autant d'hommes ou de femmes interviennent à l'antenne, le temps imparti par auditeur n'étant toutefois pas le même. En effet, les premiers auditeurs qui arrivent sur l'antenne ont la possibilité de s'exprimer plus longtemps que les suivants. En moyenne, le temps de parole accordé à un auditeur est d'environ deux minutes, lui imposant une intervention concise et rapide. Ceci ne lui laisse pas

la possibilité de développer ses propos et de rentrer dans les détails. Cette pratique n'est ainsi pas favorable à l'instauration d'un dialogue entre les différents participants.

Comme pour les interventions indirectes, l'auditeur parlant à l'antenne conserve un statut d'anonyme, l'animatrice annonçant seulement son prénom et son lieu de résidence. Toutefois, l'appelant a ici la possibilité de s'identifier de manière différente; il peut faire le choix compléter cette présentation sommaire. Un anonyme peut mettre en avant son statut de professionnel, légitimant ainsi son discours: « moi je suis fabricant pour la grande distribution ». Mais cette pratique demeure rare, les auditeurs acceptant implicitement le contrat de communication imposé par la station.


· L'auditeur appelant, illustration de la réalité

« Service public » entretient une relation particulière avec ses auditeurs. Alors que d'autres émissions service vont privilégier un rapport d'assistanat avec leurs auditeurs en proposant un soutien personnalisé, « Service public » souhaite aider les auditeurs en les informant. En effet, l'auditeur est ici responsabilisé; l'émission est au service de tous les auditeurs, et non pas de quelques-uns en particuliers. Cette considération a des conséquences directes sur le type d'intervention des auditeurs. Ils participent en direct à l'émission pour fournir un témoignage, une opinion, en ouvrant parfois leurs propos vers une question d'ordre général : « je voulais juste rapporter mon expérience personnelle », «je voulais, moi, apporter mon témoignage », «je voulais demander ». Nous constatons que les auditeurs adoptent une attitude constructive, favorisant la réflexion et la connaissance : « on se pose la question de savoir pourquoi y 'a autant de différence de prix; moi, il me semble, c'est très simple ». Le contenu des interventions des auditeurs se base sur des évènements personnels, des faits vécus; le « je» étant prédominant: « moi, il me semble », « ce que je constate », « ce dont j 'ai peur». L'auditeur est considéré comme le témoin de la réalité. Il se distingue ainsi de l'expert, l'un basant ces connaissances sur ses expériences personnelles, l'autre par l'étude «objective» d'un phénomène global. En effet, certains auditeurs justifient et légitiment leurs opinion par ce qu'ils ont vécu : « je le sais, puisque je le constate avec mes propres produits ». C'est l'idée d'authenticité qui démarque les deux types de discours.

L'émission se sert ici des récits des auditeurs pour illustrer les dires des invités présents en studio. L'auditeur n'est ainsi pas sollicité pour ses connaissances mais pour son expérience.

2. « Ça peut vous arriver » sur RTL

«Ça peut vous arriver» est une émission se mettant au service des auditeurs afin de les aider à régler leurs problèmes en direct, apportant un soutien juridique si nécessaire. Les auditeurs sont invités à confier leurs «dossiers » à la station, qui va devenir actrice de la résolution de l'affaire. Ici les problèmes sont réglés au cas par cas, la plupart du temps par téléphone. L'auditeur est invité à envoyer son dossier, accompagné des pièces justificatives, afin que l'émission accède à sa requête. L'équipe qui soutient Julien Courbet dans sa tâche est constituée d'avocats et d'huissiers. Le graphique ci-dessous montre la composition de l'émission.

Figure 3 : « Ça peut vous arriver » du 11 février 2008

Ce graphique nous permet de constater que les interventions des auditeurs occupent une place prédominante dans l'émission ; 60,5 % du temps d'antenne leur sont consacrés. Contrairement à l'émission précédente, la majorité des auditeurs interviennent en direct. En effet, seul un auditeur par émission intervient indirectement via un message laissé sur le répondeur de l'émission. L'interactivité est donc importante au sein de cette émission. En tant que radio généraliste, une part importante de l'émission est dédiée aux pauses musicales, totalisant 23,5 % du temps d'antenne. Enfin, il faut signaler que les pauses publicitaires sont omniprésentes dans «Ça peut vous arriver ». Le pourcentage total de la publicité durant l'émission s'élève à 14,2 % du temps d'antenne. Toutefois, ce chiffre ne permet pas de montrer la récurrence des coupures publicitaires. En effet, ces dernières sont diffusées à un intervalle allant de dix à quinze minutes. Notons qu'il ne s'agit pas d'une spécificité de l'émission; en tant que radio privée, RTL diffuse les spots publicitaires de ces nombreux annonceurs, pour assurer son financement. Tout au long de la journée, les publicités reviennent à intervalles réguliers; chaque demi-heure, trois coupures d'une durée d'une à trois minutes sont diffusées. La publicité constitue donc une part importante de la programmation de RTL.

Le contenu à étudier pour cette émission était très riche en informations dans la mesure où les procédés interactifs sont multiples. Il nous a donc fallu classer nos données afin de fournir une présentation des résultats claire et complète. Nous avons distingué les informations relatives au statut de l'animateur, et celles faisant référence au statut de l'auditeur.

+ Le statut de l'animateur

Julien Courbet est une star incontestée dans les médias, le succès de son émission télévisée sur TF1 en deuxième partie de soirée, «Sans aucun doute », en apporte la preuve. Ce dernier a bâti sa carrière dans les médias en aidant des anonymes dans leurs tracas quotidiens. Son domaine de prédilection: les arnaques en tout genre. Même si les procédés employés à la télévision sont quasi similaires à ceux de son émission radiophonique, la

relation interactive mis en place avec les anonymes n'est pas la même. Notre étude de contenu nous a permis de distinguer plusieurs axes de réflexion.


· Un animateur maître du show radiophonique

La mise en scène de l'émission peut s'apparenter à celle d'un spectacle où le rôle principal serait tenu par un animateur vedette, et les seconds rôles par les auditeurs. Le contenu de l'émission alterne entre décontraction et sérieux, passant de la plaisanterie à la connaissance par l'énoncé de lois et réglementations en vigueur. «Ça peut vous arriver» flirte ainsi avec le concept de divertissement. Au sein de ce show, l'animateur est la figure centrale du dispositif pour plusieurs raisons.

Tout d'abord c'est lui qui distribue et reprend la parole aux différents intervenants. La manière dont il traite les auditeurs est toujours la même. Dans un premier temps, il salue: « nous commençons tout de suite avec Martine. Bonjour Martine », « sur RTL, nous accueillons Joselyne, bonjour », « nous avons maintenant en ligne Patrice. Bonjour Patrice » et lui demande d'où il appelle. Puis, il présente le dossier de ce dernier : « Alors Marc de Nîmes, vous avez commandé un lave -linge (É) et on vous livre un frigo », « Céline, vous vous demandez si un recours est possible », « Alors Denise, je raconte votre histoire ». Ce procédé ne laisse à l'auditeur que la possibilité de confirmer sa présentation : « tout à fait », « voilà », « exactement ». Ensuite, l'animateur pose quelques questions à l'auditeur afin qu'il développe lui-même son récit: « est-ce que vous avez des problèmes de santé suite à cela ? », « un impayé de combien ? », « qu'est-ce que vous avez découvert ? ». Il s'agit ici d'un procédé rhétorique faisant feindre l'interactivité, dans la mesure où l'animateur connaît déjà les réponses. En effet, les dossiers des auditeurs sélectionnés ont été dûment décortiqués et étudiés avant le passage à l'antenne, la marge d'inconnu étant très faible. Il va entrer un maximum dans le détail. Les questions de l'animateur sont orientées afin que l'auditeur évoque précisément ce qu'il souhaite être mentionné. Malgré la relation interactive, l'animateur reste maître des propos tenus à l'anten ne ; la parole des auditeurs ne pouvant pas être considérée comme libre.

Notons que Julien Courbet n'est pas la seule personne présente en studio pour régler les problèmes des auditeurs. Une équipe de professionnels du droit se relaye à l'antenne et elle assiste l'animateur dans sa tâche. C'est ce qui fait la spécificité de l'émission, offrant des consultations juridiques en direct; avocats et huissiers donnent de la crédibilité à l'émission. En effet, leurs statuts assurent que leur parole sera rarement remise en cause.

Après avoir explicité le cas de l'auditeur, l'animateur fait systématiquement intervenir un des collaborateurs, avocat ou huissier, afin qu'il émette un point de vue juridique : « Maître Olivier, on sait qu'il y a des choses à faire. Quels sont les recours pour les locataires dans ce genre de cas ? », « Je vais passer la parole à Maître Gick pour qu'il nous explique ». Parfois, les conseils des avocats peuvent suffire à résoudre l'affaire, exposant à l'auditeur la marche à suivre. Toutefois, la majorité des affaires se traite par des négociations en direct. Pour cela, l'émission joint en direct la personne et l'entreprise incriminée par l'auditeur appelant.

L'appel peut avoir lieu tout de suite après la présentation du dossier à l'antenne, ou être reporté quelques minutes plus tard, après une coupure publicitaire et / ou musicale : « nous allons appeler dans quelques instants », ou plus rarement à un autre jour: « A tout de suite Patrice. D'ici demain, on va essayer de joindre quelqu 'un absolument ». Cette pratique est très courante dans l'émission; prolongeant ainsi le temps consacré à un même auditeur. Nous reviendrons toutefois plus loin sur cet élément qui contribue à spectaculariser l'émission.

Le dispositif mis en place lors du coup de téléphone est révélateur de l'attitude générale adoptée par Julien Courbet au sein de son émission. Comme nous allons le montrer l'auditeur n'intervient quasiment pas lors de la négociation, plaçant l'animateur comme principal interlocuteur. Julien Courbet, accompagné de son équipe de juristes, plaide la cause de l'auditeur en direct. Nous assistons au show d'une réalité touchant, à ce stade, au domaine privé, des poursuites judiciaires n'ayant pas été systématiquement engagées.

« Nous l'appelons maintenant », Julien Courbet annonce le moment où il passe à l'action. Valorisant son procédé: « le coup de fil est très important », l'animateur se positionne comme un intermédiaire, souhaitant avoir connaissance des différentes versions de l'histoire : « on va l'appeler pour lui demander confirmation », « on va l'appeler pour lui demander sa version des faits », « nous appelons maintenant cette dame pour qu'elle puisse avoir sa vérité et une discussion », « nous allons écouter la version de la partie adverse ». L'animateur souhaite adopter le statut de médiateur. Mais intervenant au service d'un auditeur, il ne peut être considéré comme un intervenant extérieur, objectif et dénué de tout intérêt. Toutefois, même s'il n'est pas impartial, il se protège de toute fausse accusation. En effet, l'animateur a le devoir d'être vigilant quant aux accusations portées à l'antenne, sous peine d'être accusé de diffamation.

Au moment où le téléphone décroche, l'animateur se présente tout en informant la personne au bout du fil qu'elle est en direct sur RTL. Dans certains cas, un jingle de la station est diffusé, contribuant à la mise en scène. La personne peut avoir été avertie par avance au standard qu'il allait intervenir à l'antenne. Toutefois, le plus régulièrement, l'effet de surprise est de règle, pouvant déstabiliser la personne incriminée. Julien Courbet annonce très rapidement le motif de son appel, faisant comprendre qu'il intervient au nom de l'auditeur en question. L'animateur peut faire confirmer oralement la présence de ce dernier : « vous êtes là Joselyne ? », « Marc, vous m'entendez ? ». Puis un jeux de questions / réponses s'instaure entre l'animateur et l'interlocuteur au bout du fil. Il l'interroge dans les détails afin de confirmer ou d'infirmer les faits dont il a connaissance: « attention, ce n'est pas une question, c'est une affirmation ». La confrontation peut durer quelques minutes. L'animateur reste néanmoins prudent: «je ne suis pas là pour dire qui a tort ou raison », « moi je voulais juste vous informer ». Selon les cas, l'auditeur peut intervenir sur invitation de l'animateur: « qu'est-ce que vous avez à lui demander ? » Dans ce type de situation, le dialogue a tendance à être plus vif, les deux parties élevant leur voix afin de défendre leur point de vue. Il arrive aussi que la personne incriminée reconnaisse ses torts, et qu'elle soit disposée à trouver un arrangement. En cas de désaccord persistant, un des collaborateurs prend la parole afin de témoigner en faveur de l'auditeur usant de ses connaissances juridiques et législatives. Son intervention, sur un ton sérieux, peut demander des précisions à l'interlocuteur, expliquer la situation, et les procédures légales dans ce type de situation. L'animateur par la suite met la personne incriminée devant ses responsabilités, espérant un dénouement positif.

Selon les situations, le dossier peut être résolu rapidement; pour d'autres, des démarches complémentaires sont nécessaires. Dans la majorité des cas, un accord à l'amiable est conclu, permettant d'éviter les procédures judiciaires. L'animateur redonne systématiquement la parole à l'auditeur: « content Marc ? », « Ça vous va Didier comme solution ? »; ceux -ci ne pouvant qu'exprimer leur joie à l'antenne. Selon nous, le charisme et la réputation de l'animateur contribuent à favoriser la résolution des « dossiers ». En effet, étant connu du grand public, Julien Courbet s'est affirmé dans l'espace médiatique comme le justicier des victimes d'aberrations en tous genres. De plus, la négociation ayant lieu en direct, les protagonistes ont tout intérêt à trouver un accord. Si l'incriminé est un anonyme, il peut souhaiter ne pas être décrédibilisé sur l'antenne d'une radio nationale. S'il s'agit d'une société privée, les répercussions en termes d'image peuvent être négatives. Étant exposée sur la scène publique, l'entreprise peut faire preuve de bonne foi en trouvant un arrangement. Le taux de résolution des cas varie selon les émissions. Précisons toutefois que l'émission résout la plupart des dossiers présentés à l'antenne. Par exemple, le 12 février 2008, sur cinq dossiers traités, quatre ont trouvé un dénouement positif. Mais ce succès n'est-il pas la conséquence directe d'une sélection drastique ? En effet, l'émission reçoit chaque jour de très nombreuses demandes. Afin d'assurer la crédibilité et la réussite de l'émission, les dossiers ne sont-ils pas choisis sur des critères de faisabilité ? La radio ne s'assure-t-elle pas une fin positive avant de médiatiser une affaire? Il serait nécessaire de poursuivre les recherches dans ce sens lors de futurs travaux au sein des radios elles-mêmes.

Lorsqu'un dossier ne trouve pas d'issue positive, l'animateur propose à l'auditeur de revenir ultérieurement dessus : « c'était intéressant. Nous allons y revenir d'ici 11 h 30 j'espère ». En effet, les conditions ne sont pas forcément remplies. L'interlocuteur peut ne pas être le bon ou être injoignable, de nouvelles démarches peuvent être nécessaires, etc. Dans ce genre de situation, l'animateur s'engage auprès de son auditeur. La suite se déroulera hors antenne: « On vous passe Maître Felloneau pour qu'elle puisse vous expliquer la suite ». Le dossier de l'auditeur sera mis à l'ordre du jour d'une nouvelle émission. En effet, une même émission comprend des dossiers anciens et d'autres nouveaux. Une fois que le dossier est conclu, l'animateur fait intervenir l'auditeur, afin qu'il annonce par lui-même l'aboutissement de l'affaire. Ceci est l'occasion pour l'émission de valoriser sa contribution dans ce dessein. L'animateur rappelle en direct les faits : « et pour nos auditeurs, nous allons revoir ce qui s'est passé, pour que les auditeurs puissent comprendre. » Son résumé est accompagné de

flash back sonores extraits d'émissions antérieures. Étape par étape, le dossier est re-dévoilé, illustrant «les grands moments de cette affaire ». Julien Courbet interroge ensuite l'auditeur, feignant de ne pas connaître la situation: « Quelle nouvelles avez-vous à nous annoncer ? » L'auditeur raconte alors comment son problème a pu être réglé grâce à l'émission. Ce procédé n'a que pour but de légitimer le dispositif tout en gratifiant l'émission elle-même.


· Une relation de proximité avec les auditeurs

Une des principales caractéristiques permettant de distinguer « Sans aucun doute» sur TF1 et « Ça peut vous arriver» sur RTL tient dans la relation établie entre l'animateur et son public. Le dispositif interactif radiophonique favorise la proximité. Le ton de l'émission radio est plus décontracté, l'animateur se permet quelques fois de plaisanter avec ses acolytes comme avec les auditeurs. De plus, l'animateur dialogue avec l'auditeur de manière amicale: « alors qu'est ce qu'on fait dans ce genre de cas là? On doit avoir un petit rire » voire chaleureuse: « je vous fais un gros bisou. Mes amitiés à votre mari ». Le voussoiement demeure cependant de règle.

Puis l'animateur se rapproche de ses auditeurs en les «victimisant ». À de multiples reprises, Julien Courbet n'hésite pas à s'apitoyer sur la situation de la personne: « cette histoire malheureuse », « Carole, on raconte l'histoire et on essaie de vous aider. Ça devient un vrai calvaire pour vous ». L'animateur, très docile avec l'auditeur, le rassure: « on va vous aider, ne vous inquiétez pas », « est-ce que ce que vous venez d'entendre vous rassure ? », créant un climat de sécurité et de confiance. Ce procédé rhétorique joue avec la corde sensible de l'auditorat en stimulant son empathie.

Enfin, l'animateur met en avant sa détermination à aider les auditeurs, à être à leur service, en s'engageant à trouver une issue positive pour chaque cas exposé à l'antenne: « bon écoutez Paulette, on va pas traiter ça en quelques secondes à la radio. Quelqu'un vous rappelle dans l 'après-midi. (É) Je m 'y engage personnellement ». Nous soupçonnons qu'un tel engouement n'est pas innocent. Ce comportement altruiste permet à l'animateur de valoriser son statut, tout en restant proche de ses auditeurs devenus fidèles et assurant la pérennité de l'émission.

+ Le statut de l'auditeur

Comme pour l'émission précédente, nous allons détailler quelques attitudes récurrentes chez les auditeurs passant à l'antenne de «Ça peut vous arriver », afin d'apporter un éclairage supplémentaire sur la relation interactive radiophonique. Avant cela, arrêtons- nous un instant sur les auditeurs intervenus à l'antenne le 11 février 2008 de manière plus générale.

Figure 4: "Ça peut vous arriver du 11 février 2008 Durée de l'émission: 1 h 54

Temps total des interventions des auditeurs: 1 h 09

«Ça peut vous arriver» fait intervenir entre six et sept auditeurs par émission. Concernant notre journée de référence, nous constatons qu'il existe une certaine parité des

auditeurs passant à l'antenne. Toutefois ce schéma nous montre que le temps consacré à chaque auditeur est très variable. Une lecture superficielle nous inciterait à croire que l'animateur accorde le temps nécessaire à chaque auditeur. Toutefois, la réalité est plus complexe. Dans un premier temps, une des pratiques courantes de l'émission est de traiter un même cas par intermittence. L'animateur ne reste jamais plus de quinze minutes successives avec un auditeur. Le dossier est traité, au sein d'une même émission, en plusieurs étapes. Les temps d'interventions des auditeurs correspondent à la somme de ces différentes étapes.

L'auditeur 2 coïncide à une opération spéciale, «l'opération duplex », menée sur le terrain et diffusée en direct. Un des collaborateur de l'émission : Damien Stevens prend le cas d'un auditeur personnellement en charge. Il est sur le «terrain », en présence de l'auditeur pour rencontrer la personne incriminée. Ce dispositif, par sa particularité, explique le temps conséquent consacré à cet auditeur. En effet, ce dernier implique un certain investissement de la part de la radio, qu'il convient de rentabiliser par une diffusion prolongée à l'antenne.

En ce qui concerne les auditeurs 1 et 3, le dispositif adopté explique là encore la durée de l'intervention. Le traitement de leur dossier a donné lieu à des coups de téléphone en direct aux personnes incriminées. La durée varie en fonction de l'interlocuteur et de sa disposition à la négociation. Toutefois le temps consacré à l'auditeur dans ce cas-là est en moyenne de dix minutes. Nous pouvons en déduire que le temps imparti à chaque auditeur dans ce type de situation est défini par avance.

Enfin les dernières interventions sont d'une durée inférieure à 5 minutes. Ici, aucun dispositif en particulier n'est mis en place. Soit le cas de l'auditeur est réglé à l'aide des collaborateurs juristes de l'émission, soit le dossier est reporté à une date antérieure.

Nous allons maintenant tâcher de décrire les différentes positions adoptées par les auditeurs appelant dans la relation interactive établie avec le média.


· Un individu ordinaire mis en exergue

«Ça peut vous arriver » est une émission dynamique, faisant se succéder à l'antenne les dispositifs interactifs. L'un d'entre eux: «les rois du système D », (D pour débrouille), offre à l'auditeur la possibilité d'intervenir en direct, en flattant sa personne pour son sens pratique. En effet, cette rubrique incite les auditeurs à appeler afin qu'ils partagent publiquement leur astuce pour faire des économies au quotidien. Sur RTL, chaque jour, un auditeur accède au statut de «roi du système D ». Notons que Julien Courbet anime sur TF1 une émission exclusivement consacrée à cela.

De prime abord, nous pouvons observer que ce dispositif s'inscrit pleinement dans les problématiques sociétales contemporaines. Le pourvoir d'achat est aujourd'hui considéré comme une des principales préoccupations des Français. L'émission s'adapte à l'agitation ambiante en proposant aux auditeurs de relayer leurs différents stratagèmes pour dépenser moins. Ceci concourt à l'affirmation d'une communauté d'auditeurs, solidaires, s'échangeant de «bons tuyaux » de consommateurs. La radio assure un rôle d'intermédiaire en mettant les auditeurs en relation. De plus, les astuces des auditeurs ont l'avantage d'être réalisables par un grand nombre d'entre eux, ces derniers se ressemblant dans leur anonymat. Toutefois, ce type de dispositif a des conséquences très positives pour le média, stimulant les appels au standard. Compte tenu du nombre très élevé de sollicitations, l'auditeur qui accède à l'antenne devient l'heureux privilégié. Ceci le valorise dans son statut d'anonyme, devenant un expert de la vie ordinaire.

En continuité avec la couleur sonore de l'émission, Julien Courbet façonne une mise en scène ayant tendance à « spectaculariser » l'interactivité. L'animateur se place à l'écoute de l'auditeur, voulant apprendre de l'auditeur: « quelle est votre astuce ? ». L'auditeur s'exécute : « alors moi, je vais dans des ventes aux enchères », « c'est une petite astuce. Je la pratique depuis longtemps. En fait, je ne fais jamais le plein de ma voiture pour limiter la surcharge ». Il l'interroge afin qu'il présente en détail son « système D »: « l'économie est de combien ? », « donc expliquez-moi en quoi ça permet de faire des économies ? » Il met parfois au jour les côtés négatifs: « chaque système D a ses inconvénients ». Néanmoins,

l'animateur exalte le témoignage de l'auditeur: « c'est une bonne idée », « alors merci. Excellent système D. Vos idées valent de l'or ». L'auditeur se sent valorisé, considéré, et reconnu au sein de la sphère publique.

· Un auditeur assisté

L'attitude générale de l'animateur pousse l'auditeur dans ses retranchements. Comme nous l'avons montré, Julien Courbet est maître du dispositif, parlant au nom de l'auditeur lors des négociations. L'auditeur intervient succinctement pour confirmer ou infirmer ce qui se dit à l'antenne.

Un autre dispositif de l'émission place l'auditeur dans une situation d'assistanat: «l'opération duplex ». Le dispositif est exalté à outrance: « opération duplex sur RTL avec Didier qui est en ligne pour une histoire hallucinante », « nous allons intervenir dans quelques instants ». Le collaborateur et l'animateur vont à la rencontre de la personne incriminée, tout en restant en ligne. La scène se déroule donc en direct, côtoyant l'idée de spectacle.

· Un auditeur heureux

Pour finir, il est important de signaler que l'auditeur est la plupart du temps satisfait de la médiation de « Ça peut vous arriver» ayant permis de trouver un dénouement positif à son «dossier ». L'anonyme n'hésite pas à exprimer sa satisfaction à l'antenne. Notons, que l'animateur sollicite les auditeurs, une fois l'affaire résolue dans ce but. Les réactions peuvent être modérées: « merci à vous pour tout ce que vous faites pour tout le monde », « merci à vous à votre équipe et merci à tout le monde », « parfaitement oui, si c'est réglé vendredi et qu'on arrive à avancer avec RTL pour ce dossier. Je vous remercie infiniment », ou être plus passionnées: « Je voudrais vous remercier, vous et toute l'équipe. (É) J'ai toujours été informée de la situation. Vous me sauvez la vie. Tout le monde m 'a laissé tomber. Sij 'ai fait

appel à vous c'est parce que c'était mon dernier recours. Je suis très émue. Quandje vois les cas que vous arrivez à résoudre; vous devriez avoir depuis longtemps la légion d'honneur. Je suis sérieuse ». Un tel engouement est aussi la conséquence d'une sélection des cas traités. En effet, l'animateur insiste sur le fait que les auditeurs doivent s'adresser à lui en dernier recours. Ainsi la plupart du temps, cela fait déjà plusieurs mois que l'auditeur subit des difficultés. La médiatisation et la résolution de son problème procure chez lui un enthousiasme certain. De plus, en décidant d'aider les plus faibles, l'émission se garantit une grande popularité. La mise en scène spectaculaire de l'émission contribue à mettre en avant les succès de l'émission, donnant comme impression à l'écoute que l'animateur, au service des auditeurs, multiplie les succès par le traitement de cas apparemment complexes.

3. « Lahaie, l'amour et vous » sur RMC-Info

« Lahaie, l'amour et vous» est une émission qui se met au service de ses auditeurs pour les aider dans les domaines de l'amour, de la sexualité et de l'intimité en général. Sans tabou, cette émission rompt avec une certaine tradition radiophonique, étant diffusé entre 14 heures et 16 heures. Communément, les émissions interactives ayant un caractère intime sont programmées en soirée, moment considéré comme plus propice à la confession. Brigitte Lahaie invite les auditeurs à intervenir à l'antenne pour parler des difficultés dans leur vie intime, ou pour apporter un témoignage. L'animatrice, selon les jours, peut être soutenue dans sa mission d'assistance par un invité. Ce dernier est la plupart du temps un professionnel appartenant à la communauté médicale : psychologue, psychiatre, sexologue, etc. Il intervient à l'antenne à tout moment, complétant les réponses de l'animatrice à l'auditeur. L'invité prend aussi la parole pour répondre à l'animatrice, qui lui consacre plusieurs minutes d'interview tout au long de l'émission. Le schéma proposé ci-dessous nous offre un aperçu global de la composition de cette émission.

Figure 5 : « Lahaie, l'amour et vous » du 11 février 2008

Ce graphique nous confirme que cette émission accorde une place conséquente à l'interactivité. En effet, plus de la moitié du temps d'antenne (58,7 %) est consacrée aux interventions des auditeurs en direct. La publicité est présente à l'antenne de RMC-Info, élément sine qua non d'une radio privée. La place occupée par les messages publicitaires est ici prépondérante, occupant 17,3 % du temps d'antenne. Le graphique ne nous permet pas d'observer à quelle fréquence interviennent les coupures publicitaires. Même si à l'écoute de « Lahaie, l'amour et vous », la publicité nous semble moins omniprésente que dans l'émission «Ça peut vous arriver» sur RTL, la réalité est toute autre. Notons que les coupures publicitaires interviennent sur RMC-Info toutes les 15 à 20 minutes. Brigitte Lahaie est ainsi moins interrompue par la publicité dans son émission que Julien Courbet. Mais la durée des spots publicitaires est plus longue sur RMC-Info que sur RTL. Nous sommes face à deux conceptions marketing de gestion des espaces publicitaires, l'une préférant interrompre régulièrement l'émission mais pour une courte durée, l'autre laissant plus de temps d'antenne entre chaque coupure publicitaire, mais pour une interruption plus longue. Signalons pour

finir, que quelle que soit la stratégie adoptée, la publicité envahit les programmes des radios privées, rendant la tâche difficile pour un auditeur souhaitant l'éviter. Le reste de l'émission (24 % du temps d'antenne) est consacré aux différentes annonces de l'animatrice, à l'interview de l'invité, mais aussi à la « châtelaine », intervenant à plusieurs reprises afin de donner un aperçu des propos des internautes sur le chat de RMC -Info. Pour finir, signalons que la musique est absente de l'antenne, quelques extraits inférieurs à 30 secondes sont quelquefois diffusés, en guise de transition.

Après cette présentation générale, concentrons-nous sur la relation interactive établie dans le cadre de cette émission. Comme pour les émissions précédentes, nous avons distingué le statut de l'animateur de celui de l'auditeur. Les résultats de notre étude de contenu font apparaître différents types de prise de position pour chacun des protagonistes au sein du dispositif interactif radiophonique.

+ Le statut de l'animatrice

Sur l'antenne de RMC-Info, Brigitte Lahaie est à la radio des années 2000 ce que Menie Grégoire incarnait trente ans plus tôt. L'heure est la même, le dispositif également. Les deux émissions pénètrent dans l'intimité des auditeurs appelants afin de leur venir en aide. Le contenu des émissions est bien évidemment différent, compte tenu de l'évolution des moeurs. Toutefois Menie Grégoire, tout comme Brigitte Lahaie, a brisé certains tabous en osant aborder à travers le média radiophonique des thématiques totalement absentes des autres stations. En effet, aucune autre radio ne s'aventure dans le domaine de la sexualité chez l'adulte et du plaisir qui en découle (ou de son absence). Loin de vouloir faire polémique, l'animatrice accorde une grande importance à la sexualité dans la vie quotidienne. « La sexualité traduit nos forces et nos faiblesses. Ce n'est pas seulement une porte vers la connaissance d'autrui, c'est un objet en soi» confie -t-elle à Libération lors d'une interview en 2007.122

122 Libération nO 8219, 10 octobre 2007

L'étude de contenu réalisée sur trois émissions de Brigitte Lahaie a fait émerger trois types d'attitudes adoptées par l'animatrice avec les auditeurs dans le dispositif radiophonique.


· Une oreille confidente

Brigitte Lahaie accueille des auditeurs souhaitant s'exprimer sur leur vie intime. Thématique propice à la confession, elle impose à l'individu une introspection. Sur un ton doux et chaleureux, Brigitte Lahaie incite les auditeurs à se confier à l'antenne, s'immisçant dans leur vie privée.

Durant les deux heures qui lui sont octroyées, l'animatrice fait se succéder à l'antenne les auditeurs les uns après les autres. Adaptant ses propos à chaque interlocuteur, l'animatrice procède toutefois de la même manière avec chacun d'entre eux. Elle interpelle l'auditeur en début d'intervention, afin qu'il confirme oralement qu'il se trouve bien à l'antenne; un «bonjour» est échangé entre les deux.

Rapidement, l'animatrice précise la raison de l'appel de l'auditeur. Ceci lui permet de contrôler le contenu de l'émission, ne laissant d'autres choix à l'auditeur que de débuter son récit sans perdre de temps. Elle entre ainsi dans le vif du sujet: «vous nous appelez car vous avez résolu vos problèmes de plaisir rapide », «vous avez connu une rupture difficile », «vous avez 48 ans et vous vivez une relation fusionnelle », «vous avez 60 ans et votre femme vous a quitté pour votre meilleur ami ». L'animatrice adopte une attitude conviviale et décontractée : «alors qu'est ce que vous allez nous raconter de coquin?»

A partir de là, une conversation s'engage entre Brigitte Lahaie et l'auditeur. Le dialogue est libre, pouvant parfois s'apparenter à un échange entre deux amis: «remarquez, ça fait du bien aussi ». L'animatrice va inciter l'auditeur à détailler ses propos en le questionnant: «elle a envie de garder cet enfant? », «alors sexuellement, ça se passe comment ? », «racontez-moi comment ça s'est traduit. Vous souhaitiez être dans les bras l'un

de l'autre ». Les questions très ciblées lui permettent d'obtenir un maximum d'informations pour lui apporter un conseil. L'animatrice montre aussi de l'intérêt au cas de l'auditeur, « attendez, j'essaie de comprendre la chronologie de votre histoire ».

Néanmoins, « Lahaie, l'amour et vous» se rapproche du dispositif des émissions divan, comme les appellent Deleu. Le dispositif de celles-ci repose sur les vertus d'une parole libre. C'est en extériorisant ces problèmes que ces derniers pourront être résolus. L'animatrice assure donc une consultation radiophonique aux auditeurs par l'usage d'une méthode cathartique: «j'espère que d'en parler, cela vous a aidé ». Afin que l'auditeur se dévoile un maximum, l'animatrice reformule régulièrement ces propos: «c'est-à-dire, vous vous organisez pour vous masturber; et c'est comme ça que vous avez résolu votre problème », « tout pour l'autre, c'est proche d'une relation fusionnelle », « donc vous vous êtes fait du bien ». Cette pratique permet de relancer l'auditeur, tout en ciblant la suite de son intervention. L'animatrice laisse l'auditeur s'exprimer le temps qu'il le souhaite, ne lui coupant que très rarement la parole. Durant le récit, l'animatrice émet des signaux d'écoute: « Hum hum », « oui », « d'accord», confirmant oralement son attention.

Dans sa mission d'assistance, l'animatrice rassure l'auditeur et le conforte dans son récit. Elle va d'abord aller dans son sens: « oui, vous avez raison », « votre analyse Laurent est tout à fait juste », « oui, je comprends bien, c'est ce que je dis souvent », « c'est important ce que vous dîtes ». Mais elle peut aussi reformuler les propos de l'auditeur, lui explicitant son histoire avec l'intention de lui ouvrir les yeux : « Christophe, on s'imagine bien qu'il y a de l'affection. Mais en même temps, on voit que sexuellement c'est terminé depuis longtemps », « vous êtes perdu, je pense qu'il est important que vous fassiez la part des choses », « en même temps, votre relation est conjuguée au passé ». Enfin, l'animatrice peut donner de l'espoir à l'auditeur: « mais ça va marcher un jour, c'est tout ce que je vous souhaite », «je pense que vous avez droit d'être heureux », « Michel, en continuant à vivre, vous continuez à faire vivre cet amour », « moi j 'ai quand même l'impression que c'est pas très grave ce qui vous arrive» ; voire éprouver de la compassion pour lui: « bien sûr je vous comprends », « moij'aime ce témoignage car il montre bien ce que l'on vit dans ce genre de situation », « attendez, c'est terrible ce que vous me racontez ». L'animatrice, par ces différentes attitudes, établit une relation de proximité avec l'auditeur afin que ce dernier se

sente en sécurité. Le rôle principal de Brigitte Lahaie est d'être à l'écoute des auditeurs en créant un espace favorable à la confidence.

? L'implication personnelle de l'animatrice

«Lahaie, l'amour et vous» ne se résume pas au seul dispositif de l'émission. Brigitte Lahaie elle-même est un élément fondamental à la réussite de l'émission. Son expérience passée dans les films X lui confère une certaine crédibilité auprès de son auditoire; sa personnalité attachante contribue à facilité la relation établie dans le cadre médiatique. La particularité de cette émission réside dans l'implication personnelle de l'animatrice. En effet, les auditeurs ne viennent pas sur l'antenne pour avoir un simple conseil, ils veulent un conseil délivré par Brigitte Lahaie.

L'animatrice entretient avec les auditeurs une relation privilégiée, n'hésitant pas à se dévoiler elle-même: «Des fois, on rencontre des hommes qui nous emporte nt au delà du raisonnable », «moi je dis souvent que j 'ai besoin d'oxygène, quand j 'ai des personnes autour de moi ». Cette pratique l'humanise, son statut de personne publique s'estompe pour dévoiler sa position d'être sensible, ayant elle-même déjà été confrontée à des situations similaires.

De manière plus distante, l'animatrice n'hésite pas à donner ses impressions personnelles. Ces dernières peuvent être positives : «moi je pense que vous avez acquis un grand contrôle de vous même », «je crois que vous vivez une belle relation d'amour », ou plus critique: «cette relation vous fait du mal », « moi je crois Olivier que vous avez tous les deux certaines inhibitions ». Elle n'hésite pas à être franche avec les audite urs, restant toutefois modeste sur la valeur de son jugement: «je ne pense pas que c'est mort. Je pense que la réalité est là. (É) Après je ne connais pas ses sentiments », «Marc, on ne peut jamais dire qu'elle ne reviendra jamais. Je ne suis pas devin ». Les remarques faites aux auditeurs dans ce cadre ne s'appuient que sur sa propre expérience. L'animatrice ne fait pas appel à des

connaissances scientifiques ou des procédés psychologique. L'animatrice s'implique pleinement dans la relation interactive.


· Du conseil à la pédagogie

En tant qu'émission service, l'animatrice assure à l'auditeur une écoute, lui permettant de se libérer de ses problèmes. Toutefois, à chaque témoignage, elle lui délivre un conseil. Ici, l'invité de l'émission peut venir compléter les propos de Brigitte Lahaie. Ce dernier est soit sollicité par l'animatrice: «Déjà Irène Monty, c'est pas facile de tomber amoureux de quelqu'un qui est déjà en couple », soit il décide de prendre la parole après la réponse de Brigitte Lahaie.

Après avoir écouté et interrogé l'auditeur, Brigitte Lahaie apporte une réponse personnalisée à ce dernier. Le conseil peut prendre différentes formes. Il peut s'agir d'un conseil d'ordre général: «il ne faut pas vous sentir coupable» ou d'une suggestion de marche à suivre pour améliorer la situation: « prenez de la distance », «moi je crois qu'il faut que vous soyez plus ferme », «on ne peut que vous conseiller de le quitter ». Mais l'animatrice peut aussi adopter une attitude plus directive: «Brigitte, vous devez être dans votre position de femme, de maîtresse du foyer, et ne pas envenimer les choses », «je crois qu'il faut vraiment que vous la mettiez face à ses responsabilités ». Les conseils délivrés peuvent aussi être de l'ordre du pratique : « il faudrait repartir en faisant l'amour, mais en lui donnant du plaisir à elle. Vous allez lui demander ce qu'elle aime », «la prochaine fois, vous attendez que l'érection vienne, mais vous ne la pénétrez pas ».

L'animatrice fait aussi preuve de pédagogie dans le soutien qu'elle apporte aux auditeurs : «Sylvie, ce qu'il faut que vous compreniez, c'est que vous n'avez pas à céder », «ce qu'il faut faire c'est ne plus du tout voir cette personne », «ce qu'il faut c'est que vous arriviez à vous séparer de temps en temps », «vous avez deux possibilités pour vous soigner ». Ce rôle pédagogique est accentué par une rubrique de l'émission dite «Love conseil ». Ce dernier peut être délivré par une personne du corps médical. Dans ce cas,

l'animatrice diffuse l'interview réalisée plus tôt avec un professionnel sur une thématique précise comme par exemple la prostate. Sinon, c'est l'animatrice elle-même qui apporte des conseils sur un thème précis comme par exemple « comment faire une bonne fellation?» Le «Love conseil » permet à l'animatrice d'aborder certains sujets d'ordres généraux qui ne sont pas évoqués à l'antenne. Enfin, pour les auditeurs qui ont besoin d'informations précises, l'animatrice conseille des ouvrages pouvant les aider et les informant plus précisément. Ceci dispense l'animatrice de fournir une réponse à l'auditeur.

L'animatrice, même si elle demeure maîtresse du dispositif interactif, assure sa mission de soutien et d'assistance aux auditeurs de la station. Toutefois, ces derniers sont-ils satisfaits de cette médiation?

+ Le statut de l'auditeur

Comme pour les émissions précédentes, nous n'allons offrir qu'un aperçu du statut de l'auditeur dans la relation interactive. Avant de se concentrer sur le contenu énonciatif, nous souhaitons fournir une analyse globale des interventions des auditeurs dans l'émission «Lahaie, l'amour et vous ».

Figure 6: "Lahaie, l'amour et vous" du 11 février 2008 Durée de l'émission: 1 h 44

Temps total des interventions des auditeurs: 1 h 01

En un seul coup d'oeil, ce schéma permet de distinguer l'utilisation à outrance du dispositif interactif. Pas moins d'une douzaine d'auditeurs interviennent chaque jour sur l'antenne de «Lahaie, l'amour et vous ». Ceci est la conséquence directe de la politique éditoriale de RMC -Info. En effet, se revendiquant radio talk, l'antenne est submergée par la parole des anonymes. La majorité des émissions de la station sont tenues de diffuser les opinions, suggestions et questions des auditeurs . Toutefois, malgré le nombre important d'interventions, au sein de l'émission de Brigitte Lahaie, les auditeurs semblent pouvoir s'exprimer librement et sans être pressés. Sans pour autant dire que les auditeurs peuvent rester à l'antenne le temps qu'ils souhaitent, nous avons constaté, lors de l'écoute des émissions de notre corpus, que les auditeurs ont le temps de s'exprimer et d'interagir avec l'animatrice. La plupart du temps, un droit de suite est possible. En fait, l'animatrice adapte la

durée d'int ervention de l'auditeur en fonction de sa nature. En ce sens, un témoignage durera moins longtemps qu'un auditeur venu chercher des réponses à un problème. Ceci nous permet d'expliquer les écarts importants dans les durées d'interventions des auditeurs, allant de 39 secondes à 7 minutes 43. Nous souhaitons toutefois remarquer que les interventions ont tendance à durer moins longtemps en fin d'émission. Face à ces paradoxes, nous pouvons nous questionner: le dispositif nous donne-t-il l'illusion d'une parole libérée de toute contrainte temporelle? Une recherche plus approfondie dans les locaux de la station nous permettrait de compléter nos premières observations.

Ce graphique nous montre qu'autant d'hommes que de femmes prennent la parole, dans l'émission de Brigitte Lahaie. Nous pouvons toutefois constater qu'en terme de durée, les hommes sont plus présents. Ont -ils un besoin plus important de s'exprimer ? Précisons que l'émission est écoutée à 70 % par des hommes.123 Il est donc compréhensible que ces derniers occupent une place plus importante à l'antenne.

Notre étude de contenu a fait émerger deux grands axes de réflexions quant à la nature des propos tenus à l'antenne par les auditeurs.

? Une parole de témoignage

Une partie des interventions des auditeurs se compose de témoignages. Souhaitant partager leur expérience, les auditeurs passent à l'antenne pour se confesser: «avec mon mari, nous vivons une relation fusionnelle depuis 10 ans; on ne fait qu'un », «alors moij 'ai une histoire d'amour à raconter. Ça c'est passé en Inde dans un monastère. (É) Et il s'est mis à me peloter, il voulait tout vérifier le côté anatomique de la femme ». La nature exhibitionniste de certains propos n'est pas à négliger. Ne s'agissant pas de la majorité des interventions, nous ne pouvons pas généraliser ce phénomène à toute l'émission.

123 Libération n 8219, 10 octobre 2007

En plus des interventions classiques, Brigitte Lahaie a mis en place une série de rendez-vous quotidiens, incitant les auditeurs à prendre la parole. «La coquine du jour» passe à l'antenne pour raconter une expérience intime peu commune, un fantasme, ou une pratique sexuelle particulière. «La testeuse du jour» a été quelques jours auparavant sélectionnée au standard pour essayer un jouet sexuel. Cette dernière décrit l'objet, ses fonctions, et les sensations qu'il procure. A la fin de sa présentation, l'auditrice évalue le jouet par une note. «Le quitte ou double» est un dispositif particulier. L'auditeur fait le choix de laisser l'animatrice décider de la marche à suivre dans sa vie intime. L'auditeur apporte son témoignage, l'animatrice décide ensuite si l'auditeur doit poursuivre sa relation amoureuse ou s'il doit la stopper. Ces rendez-vous contribuent à « spectaculariser» la parole des individus. En effet, les auditeurs entr ent dans un dispositif ayant pour but de les valoriser dans leur statut d'anonyme. Conscient du contrat de communication qu'il lui est imposé l'auditeur devient, durant quelques minutes, le héros de l'émission. Toutefois, ces rendez-vous sont un moyen pour le média de stimuler les appels des auditeurs.


· Un auditeur dans le besoin

La majorité des auditeurs intervenant dans l'émission de Brigitte Lahaie sont à la recherche d'une assistance psychologique ou d'un conseil. Toutes sortes de problèmes sont exposés à l'animatrice. Par exemple, il y a les problèmes physiques : « çafait deux ans que je suis atteinte de vaginisme et j'aimerais savoir comment je pourrais résoudre ce problème », les déceptions amoureuses: «tout à fait, je vis actuellement une rupture très difficile. (É) C'est une personne troublée, j'ai tout fait pour elle », etc. Dans tous les cas, nous rentrons dans le domaine de l'intimité: « Donc en fait, moi j'appelle pour avoir quelques précisions sur moi-même ». Certains auditeurs considèrent que seule l'animatrice peut leur assurer un dénouement positif: «ma situation est cauchemardesque. (É) Je me demande comment je dois agir », s'en remettant à son seul avis. Les auditeurs, souvent fidèles de l'émission, ont confiance dans le jugement de l'animatrice.

Pour parer à ce grand besoin d'assistance psychologique, l'émission a mis en place un service d'assistance téléphonique, directement accessible depuis le standard, mettant l'auditeur en relation avec un psychothérapeute.

Pour conclure sur cette émission, nous souhaiterions citer Meyer, qui malgré sa vision très critique des émissions interactives, accorde une certaine crédibilité à « Lahaie, l'amour et vous»: «Radio marchandise. Oui, on y est bien, et plus que jamais. Mais peut-on nier qu'il s'agisse d'une réelle écoute humaine, voire celle d'une authentique assistance à des êtres qui, sans être au dernier stade de la détresse, n 'en sont pas moins en manque d'humanité? (É) Certains après-midi, dans un style inimitable, mais un zeste plus crue que ses consoeurs, elle offre une qualité d'écoute et de présence surprenante »124 . L'émission de Brigitte Lahaie a su trouver un équilibre dans sa formule afin d'apporter un réel soutien aux auditeurs lors de leur passage à l'antenne. Il ne faut toutefois pas négliger les motivations économiques de la station. Mais Brigitte Lahaie, loin de l'agitation ambiante de la radio, semble se démarquer du reste de la station en établissant une proximité familière avec les auditeurs : « j'aime ce que je fais et je me sens libre. Je fais du bien, les auditeurs me le disent ou me l'écrivent. Cela me réchauffe le coeur. (É) En fait, j'accouche les âmes. »125

124MEYER Michel, op.cit. p203 125 Télérama nO 2979

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand