B. Des dispositifs interactifs aux différentes
vertus
La diversité de notre corpus d'émissions service
: «Service public» sur France Inter, « Ça peut vous
arriver» sur RTL, et « Lahaie, l'amour et vous» sur RMC-Info,
nous offre un panel d'observation hétérogène. Afin de
mettre au jour de grandes tendances, nous allons tenter de fournir une analyse
comparative des trois émissions.
Ces émissions aux thématiques
différentes, mais motivées par le même désir de
porter assistance à son auditoire, n'emploient pas les mêmes
moyens pour arriver à leurs fins. Certains éléments du
dispositif sont toutefois similaires. Par exemple, quelle que soit
l'émission, l'animateur est maître du dispositif. C'est lui qui
donne et reprend la parole, qui oriente, par des questions précises les
propos de l'auditeur, et qui s'investit au service de celui-ci.
Malgré cela le dispositif radiophonique, tout comme le
contrat de communication, sont propres à chacune de ces
émissions, induisant plus ou moins la spectacularisation de la parole
des anonymes. L'interactivité est certes présente dans toutes les
émissions mais à des degrés différents. En effet,
les radios ont deux principales possibilités pour faire intervenir les
auditeurs à l'antenne; de manière directe : l'auditeur s'exprime
en direct sur les ondes, et de manière indirecte: l'animatrice
répercute à l'antenne le témoignage ou la question d'un
auditeur, préalablement laissé par ce dernier au standard ou sur
le site internet de l'émission. Le schéma ci-dessous nous donne
une vision générale de la répartition des types
d'intervention des trois émissions étudiées.
Figure 7 : Proportion des types d'interventions des
auditeurs de trois émissions service le 11 février
2008
Ce schéma a été élaboré
à partir des résultats bruts issus de notre étude de
contenu. Pour chaque émission, nous sommes parties du nombre total
d'intervenants avant de distinguer la voix empruntée pour accéder
à l'antenne. Nous pouvons aisément distinguer les
différences de traitement de la parole des auditeurs à l'antenne.
Sur «Service public », les prises de parole directes des auditeurs ne
représentent qu'un tiers du total des interventions. A l'inverse de
« Ça peut vous arriver », l'animatrice privilégie les
lectures d'e-mails et la diffusion de messages laissés au
standard, lui permettant de maîtriser la parole des auditeurs. Ceci
s'explique par la nature informative de l'émission, privilégiant
une prise de conscience collective au traitement au cas par cas. Les
interventions viennent soutenir ce qui se dit à l'antenne, en guise
d'illustration. Le fait que ces dernières soient principalement
indirectes permet à l'animatrice de gonfler le nombre
d'interventions.
«Ça peut vous arriver» se situe en parfaite
opposition. Cette émission assure à l'auditeur une prise en
charge active et personnalisée. L'essentiel des interventions, à
87,5 %, sont directes. L'auditeur passe à l'antenne pour exposer son
cas, et l'animateur, dans la mesure du possible, tente de résoudre son
problème en direct, en contactant par téléphone les
personnes incriminées. Les collaborateurs de Julien Courbet
étudient en amont le «dossier » de l'auditeur, ayant ainsi
toutes les clés en main pour s'assurer d'un dénouement positif.
Le dispositif explique aussi cet écart de traitement. Durant deux
heures, les auditeurs se succèdent à l'antenne, induisant une
certaine instrumentalisation de leur parole. En effet, malgré son statut
d'émission service, «Ça peut vous arriver » peut
s'assimiler à un show mettant en scène la
réalité.
Enfin, «Lahaie, l'amour et vous » fait intervenir
autant d'auditeurs de manière directe (54,2 %) que de manière
indirecte (45,8 %). Cette équité s'explique par la multiplication
des outils mis à la disposition de l'auditeur pour participer à
la création du contenu. En effet, l'émission de Brigitte Lahaie
propose aux auditeurs un espace interactif, le chat, sur lequel les
internautes dialoguent sur le thème de l'émission. Une
modératrice intervient à plusieurs reprises à l'antenne
afin de citer les propos tenus sur la toile. Le dispositif interactif est ici
bien maîtrisé, les auditeurs ayant, en théorie, des chances
égales d'intervenir à l'antenne selon la méthode qu'ils
décident d'employer.
Les trois émissions service ne mettent ainsi pas les
mêmes moyens en oeuvre pour établir une relation interactive avec
leur auditeur. La proportion des interventions directes et indirectes
dépend en grande partie de la méthode usitée pour aider
l'auditeur. Si davantage d'auditeurs ont droit de citer à l'antenne de
«Ça peut vous arriver », c'est par ce que cette
émission décide d'agir concrètement pour la
résolution de leurs problèmes. «Service public »
préférant informer ces auditeurs, a plus recours aux
interventions indirectes, illustrant les propos des invités experts.
Le deuxième élément que nous souhaitons
mettre en avant pour cette analyse comparative réside dans le dispositif
d'incitation à l'appel. Il constitue pour nous, un des
éléments pouvant révéler la tendance à la
spectacularisation de certaines émissions.
Figure 8 : comparatif des occurrences faisant
référence à l'interactivité de trois
émissions service le 11 février 2008
Lors de notre étude de contenu, nous avons jugé
nécessaire de relever le nombre de fois où l'animateur fait
référence à l'interactivité. En effet, cette
pratique courante au sein des émissions services permet de stimuler les
appels. Nous avons relevé trois grands types de procédés :
les jingles, les incitations à l'appel formulées par l'animateur
et les annonces des auditeurs déjà sélectionnés au
standard, mais n'étant pas encore intervenus à l'antenne. Ce
graphique a dû tenir compte des différentes durées des
émissions afin d'équilibrer les données entre elles. Pour
cela, nous avons effectué une moyenne des occurrences en nous adaptant
à la durée de chacune d'entre elles. Les chiffres présents
sur le graphique correspondent à la proportion de ces moyennes sur le
nombre d'occurrences total de chaque émission.
L'émission qui ressort de la manière la plus
flagrante de ce graphique est «Ça peut vous arriver ». Cette
dernière cumule le plus grand nombre d'occurrences faisant
référence à
l'interactivité, toutes catégories confondues:
73,3 % des jingles, 50 % des occurrences incitant à l'appel et 58,8 %
des occurrences annonçant les futurs auditeurs. Ceci est le
révélateur d'une pratique générale et
omniprésente dans la réalisation de l'émission. En effet,
l'animateur, Julien Courbet, profite de la moindre occasion à l'antenne
pour évoquer le dispositif. Sans cesse, et à une fréquence
dépassant le raisonnable, l'animateur va annoncer et re-annoncer les
«dossiers» des auditeurs à venir. L'animateur tient l'auditeur
écoutant en haleine, tout en créant un certain suspens. L'effet
d'annonce constitue un élément majeur dans la mise en
scène spectaculaire de cette émission. Les interventions des
auditeurs sont utilisées pour justifier le dispositif lui-même.
L'auditeur est dépossédé de son témoignage,
n'étant toujours pas intervenu à l'antenne. Il est incontestable
ici que l'auditeur est utilisé, voire abusé par le média
pour la mise en place du show radiophonique.
«Lahaie, l'amour et vous» est plus raisonnable dans
ce domaine. L'interactivité est certes évoquée durant le
déroulement de l'émission, mais dans des proportions moindres que
«Ça peut vous arriver ». La particularité de
l'émission réside dans le fait qu'aucun jingle faisant
référence à l'interactivité n'est diffusé.
Ceci correspond à la couleur sonore générale de
«Lahaie, l'amour et vous ». A l'opposé de «Ça peut
vous arriver », l'émission de Brigitte Lahaie est
épurée, privilégiant ainsi le contenu (les propos des
auditeurs) au contenant. Toutefois, l'animatrice incite les auditeurs à
joindre le standard afin d'intervenir à l'antenne. Les incitations
à l'appel pour cette émission englobent 40,9 % des occurrences de
cette catégorie. Emission d'une radio se revendiquant talk, ce
pourcentage se justifie par la nature même du dispositif
général de la station. Notons néanmoins que l'animatrice
intègre discrètement à son discours ces
éléments, lui permettant d'être moins insistante que Julien
Courbet au sein de «Ça peut vous arriver ».
Enfin, «Service public », fidèle à
elle-même, est l'émission faisant le moins référence
à l'interactivité. Dans ce sens, cette dernière se
distingue des deux autres par la nature de son dispositif, moins enclin
à la «spectacularisation» de la parole des anonymes. Faisant
intervenir peu d'auditeurs à l'antenne, «Service public» reste
modeste en ne stimulant pas à l'excès ces derniers afin d'entrer
en contact avec la station.
Pour conclure, nous souhaitons mettre en avant que l'aide
apportée aux auditeurs dépend du dispositif adopté par
chaque émission. «Service public» vient en aide aux auditeurs
en les informant. Ces derniers ne sont pas directement pris en charge par
l'émission comme c'est le cas pour les deux autres émissions.
Leurs interventions, questions ou témoignages, aident à la
constitution des contenus. La participation au jeu de l'interactivité
permet à l'animatrice d'orienter ses propos en fonction des
thèmes les plus fréquemment abordés par les auditeurs. Le
contenu de l'émission est ainsi plus ou moins flexible aux attentes des
auditeurs. Ce dispositif contribue à responsabiliser l'auditeur,
à le faire intervenir sans pour autant favoriser une parole
spectaculaire. Mais l'auditeur demeure toutefois seul face à
lui-même pour résoudre ses problèmes. « Lahaie,
l'amour et vous» et « Ça peut vous arriver» ont, quant
à eux, plus tendance à mettre en scène l'auditeur,
contribuant à faire émerger une parole spectaculaire. La
première émission conseille les auditeurs et leur apporte un
soutien psychologique. La thématique générale, ainsi que
les sujets abordés à l'antenne contribuent à
l'évolution des moeurs. Même s'il ne s'agit pas de la
première émission du genre, Brigitte Lahaie se fait
l'intermédiaire de toutes les pratiques intimes, sur un ton
débridé sans être vulgaire. La seconde émission met
l'action concrète au centre de son dispositif. Le média prend ici
en charge l'auditeur, et lui assure un suivi jusqu'à la
résolution de son « dossier ». Les individus sont ici
montrés dans des situations de détresse, alors que le
média et Julien Courbet en particulier prennent l'apparence de sauveurs.
Ultime recours des individus, l'émission utilise la misère
sociale et les difficultés rencontrées par tout un chacun. Ceci
contribue à mettre en avant la place du média dans la
société, le rendant par conséquent indispensable à
l'amélioration du quotidien des gens ordinaires.
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