II. Entre service et spectacle
A. L 'interactivité radiophonique: un dispositif aux
nombreux bénéfices
L'omniprésence actuelle des émissions
interactive dans les médias s'explique, entre autres, par les nombreux
avantages qu'elles offrent. Loin d'être récents, le dispositif et
les techniques permettant à l'auditeur d'intervenir en direct ont su
év oluer et s'améliorer, tout en réduisant les contraintes
inhérentes à ce type de programmes.
Tout d'abord, les émissions interactives offrent
à une radio un dynamisme sonore. La variété des voix lutte
contre une certaine monotonie de l'antenne. Les auditeurs appelant de France et
de Navarre font voyager les écoutants par les accents et expressions de
leur région. Puis le dialogue entre les auditeurs et l'animateur est
souvent vivant et animé. Une radio doit en effet arriver à
captiver son auditoire, si elle veut bénéficier de bonnes
audiences. La concentration fournie en situation d'écoute est
très courte, il est donc nécessaire d'attirer l'attention de
l'auditeur régulièrement. Ce dernier ne doit pas s'ennuyer,
l'offre radiophonique étant importante, il a vite fait de changer de
station. Les programmes interactifs assurent la vitalité des
échanges, tout en variant les sujets abordés au sein d'une
même émission.
Puis les émissions interactives garantissent à
la radio de bonnes audiences. Quelques soient leurs genres, ou leurs publics,
les auditeurs sont fidèles au poste. Pour illustrer nos propos, nous
évoquerons les libres antennes du soir sur les radios jeune. Dès
leur apparition, le succès a été tel que ces
émissions ont recueilli les meilleures audiences sur cette tranche
horaire toutes radios confondues126. Ceci a incité d'autres
radios à intégrer ce dispositif à leur programmation, en
l'adaptant à leur auditoire. Une étude auprès des
auditeurs serait nécessaire pour comprendre les raisons d'une telle
attirance du public pour les émissions interactives.
126BECQUERET Nicolas, op.cit.
Ensuite, il faut signaler que les émissions
interactives impliquent de faibles coûts de production. Outre
l'animateur, le personnel nécessaire à la réalisation de
ces émissions peut être partagé entre plusieurs
émissions: réalisateurs, standardistes, techniciens, etc. Ceci
permet au média de minimiser les coûts salariaux. De plus, le
contenu de l'émission dépendant en partie des appels des
auditeurs, la préparation du direct est minimisée: pas besoin
d'envoyer des journalistes sur le terrain ou de réaliser des reportages.
Par ailleurs, de nombreuses émissions interactives font appel à
des invités. Ces derniers sont le soutien de l'animateur pour
répondre aux interrogations des auditeurs. Cette pratique permet
à la radio de faire des économies, dans la mesure où il
n'est plus nécessaire d'embaucher des spécialistes. Les
invités, se déplaçant à leurs frais, assurent
l'émission sans rémunération. Toutefois ces derniers ont
souvent une actualité (articles, livres, documentaires, etc.) dont ils
doivent faire la promotion. Cet élément nous fait nous
questionner sur le danger d'une telle pratique. Est -ce que les
thématiques des émissions interactives sont choisies en fonction
des attentes des auditeurs, ou ne son t-elles que le résultat d'une
démarche commerciale?
Au-delà des faibles coûts de production, les
émissions interactives peuvent rapporter de l'argent aux radios.
Premièrement, l'audience importante de ces programmes permet à la
radio de vendre plus cher ses espaces publicitaires. Deuxièmement,
certaines radios ne sont accessibles que via des numéros
surtaxés. Les auditeurs appelants payent donc un tarif
élevé dans le but d'accéder à l'antenne. L'envoi de
SMS peut aussi être surtaxé. Compte tenu du grand nombre d'appels
et d'envois de SMS, les radios ont trouvé ici un mode de financement
complémentaire pour rentabiliser leur activité.
Nous pouvons à ce stade nous questionner sur les
devoirs et les responsabilités d'un média, quant à la
qualité du contenu diffusée à l'antenne. Filons la
métaphore, les émissions interactives ne sont-elles pas à
la radio ce que les compagnies low cost (bas coût) sont aux
opérateurs aériens ? Peut-on parler de radios low cost?
Dans la mesure où les émissions interactives sont de plus en plus
présentes sur la bande FM, les radios ne cherchent-elles pas à
baisser un maximum leurs coûts de production? Au sein des
émissions interactives, les auditeurs interviennent, donnent leur
opinion, voire leur analyse de la situation. Même si certains d'entre eux
peuvent être de fins connaisseurs, la plupart du temps, il s'agit
d'anonymes s'étant forgé un avis en fonction de leurs
expériences personnelles. Leurs
raisonnements ne sont nullement le résultat d'une
analyse objective issue de recherches confrontant différentes sources.
Aucune méthodologie particulière n'est utilisée pour
justifier les observations avancées. Les opposants aux émissions
interactives dénoncent l'ampleur de la place donnée à la
parole des anonymes. Pour eux, la radio deviendrait une sorte de porte- parole
d'une opinion publique fictive. En effet, les émissions interactives
n'établissent pas un panel des auditeurs intervenant à l'antenne,
ne leur permettant pas d'être représentatives. Une des craintes
inhérentes à la multiplication des émissions interactives
réside dans la peur de la disparition du journaliste. En effet, les
auditeurs sont considérés comme des acteurs de la vie ordinaire,
conférant à leur parole une certaine authenticité. Mais
est-ce pour cette raison qu'ils peuvent devenir meilleurs éditorialistes
que les professionnels, allant jusqu'à les faire disparaître? Nous
répondrons par la négative à cette interrogation.
Toutefois, la parole des anonymes, occupant de plus en plus de place dans le
champ médiatique, restreint le temps de parole des professionnels. Ces
derniers doivent s'adapter, redéfinissant leur place dans le
média. Afin de conserver une certaine qualité du contenu
diffusé, les radios doivent être vigilantes quant à un
certain excès du don de la parole. La politique du bas coût a
tendance à favoriser le populisme au détriment d'une information
fiable et de qualité.
Les émissions service apportent des avantages
complémentaires aux stations, tout d'abord de par leur nature. Le
principe de venir en aide ou en soutien à quelqu'un est très
noble et populaire. Qui aujourd'hui n'a pas besoin d'un coup de pouce pour
résoudre un problème? La proposition est très attrayante
au sein d'une société de plus en plus tournée vers
l'individualisme. Le soutien apporté est «gratuit» pour les
personnes. En effet, à l'exception de la prise de contact qui peut
être facturée indirectement (surtaxes
téléphoniques), le média radiophonique offre ses services
aux auditeurs. Il faut toutefois prendre garde à ne pas exagérer
la nature altruiste des médias.
Les médias occupent une place incontestable dans notre
société contemporaine. Avec les émissions services, les
radios élargissent leur champ d'action, se mettant à la
disposition du public. Jusqu'alors la radio et les médias occidentaux en
général avaient comme rôle principal et traditionnel
d'informer les individus. D'autres fonctions annexes comme le divertissement,
l'éducation, la création du lien social ne doivent pas être
oubliées. Aujourd'hui, avec l'affirmation des émissions service,
le média radiophonique pénètre dans le
quotidien des auditeurs, les guidant, ou les prenant
directement en charge. Par ce biais, la radio ne cherche -t-elle pas à
se rendre indispensable au sein de la société,
préférant le statut d'actrice à celui d'outil?
Les émissions service assurent aussi une
proximité avec le public, étant à son écoute et
à son service. Le ton des émissions est la plupart du temps
convivial, amical voire chaleureux. Le rapport positif avec les (quelques)
auditeurs intervenant à l'antenne permet au média d'entrer en
relation avec son public. En séduisant son public par
l'établissement d'une relation privilégiée, la radio
veille à fidéliser l'écoute.
Enfin, sa mission d'assistance confère à la
radio une certaine notoriété, qui lui garantit par
conséquent à un certain engouement du public. Ce dernier est pris
à témoin pour attester de l'efficacité apparente de ce
type de dispositif, révélant de manière directe
l'utilité du média dans la société.
Derrière l'engagement pris auprès des auditeurs,
les médias bénéficient des nombreuses retombées
positives propres à ces programmes, tant en terme économique que
d'image. La nature noble de leur engagement permet de dissimuler certaines
réalités. Le public en a-t-il conscie nce ? En ce sens, les
auditeurs ne sont -ils pas instrumentalisés par le média
radiophonique ?
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