Radiographie de l'interactivité radiophonique( Télécharger le fichier original )par Blandine Schmidt Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3 - Master 2 recherche Sciences de l'information et de la Communication 2008 |
II. L'interactivité en questionA. La notion d'interactivité à la radio et ses outilsPar ses multiples acceptions, l'interactivité est une notion complexe et variée utilisée dans de nombreuses disciplines Il faut donc nous arrêter, un instant, sur le sens de ce terme, afin de le définir et de délimiter son usage dans le cadre de notre travail. Le terme d'interactivité fut à l'origine utilisé dans le domaine informatique et dans le cadre de la relation entre l'homme et la machine. Il entre dans le langage courant avec l'apparition du discours sur les télécommunications. En fait, Jean-Louis Donnadieu corrèle l'apparition de la notion d'interactivité avec le développement de l'informatique, la télématique, les réseaux câblés, etc. Les médias plus anciens (radio, télévision, presse, cinéma) ne seraient pas considérés comme interactifs à cette époque. 67 Aujourd'hui son acception s'est accrue ; l'interactivité est devenue une notion plurielle, utilisée dans de nombreux domaines tels que les sciences de l'information et de la communication (SIC). Schématiquement la communication se résume par la transmission d'un message entre un émetteur et un récepteur. Des recherches plus poussées ont permis de préciser et de compléter ce schéma de base. Notons ici l'apport de Norbert Wiener avec l'apparition de la notion de rétroaction (feedback), dans son article «Behavior, purpose and Teleology »68 écrit en collaboration avec Arturo Rosenblueth, et Julian Bigelow en 1943. Ils souhaitent démontrer qu'une analyse comportementale est applicable à la fois aux machines et aux organismes vivants. Wiener considère ainsi la cybernétique comme « la science du contrôle et de la communication dans l'animal et la machine ». C'est avec l'apparition d'une 67DONNADIEU Jean-Louis, La relation auditeur / animateur radio par téléphone: un modèle d'interactivité?, Thèse, sous la direction de LAULAN Anne-Marie, Bordeaux, Université Bordeaux III, 1986, p 12 68ROSENBLUETH Arturo, WIENER Norbert and BIGELOW Julian, Behavior, purpose and Teleology, http://www.scribd.com/doc/946095/Behavior-Purpose-and-Teleology-Rosenblueth-Wiener-Bigelow consulté en mai 2008 nouvelle forme de machine (la machine informationnelle) qu'a pu se formuler un cadre théorique englobant tous les phénomènes mettant en jeu des mécanismes de traitement de l'information69. Le mathématicien Claude E. Shannon vient compléter les travaux de Norbert Wiener in Cyberbetics, ou control and Communication in the animal and the machine (1948) dans son ouvrage The mathematical theory of communication (1949). Ancien élève de Wiener, Claude E. Shannon propose un cadre conceptuel pour définir et caractériser les notions d'information et de communication. Ces théories sont aujourd'hui appliquées et élargies au domaine social. Dans ce sens, la sociologie utilise le principe de rétroaction dans le domaine de la communication interpersonnelle. Elle s'intéresse à l'échange de messages entre deux sources d'information, partant du postulat selon lequel tout message envoyé entraîne en retour un autre message. Même si la rétroaction semble absente, elle doit être supposée. La cybernétique ouvre ainsi des horizons permettant de relativiser les qualités d'émetteur et de récepteur. Pour finir, nous devons souligner que des études s'opposent à l'idée d'une communication réduite au principe d'échange de messages verbaux et volontaires70. Considérant dans ce sens que l'acteur social ne se trouve jamais en situation de ne pas communiquer: « Activité ou inactivité, parole ou silence, tout a valeur de message. De tels comportements influencent les autres, et les autres en retour, ne peuvent pas ne pas réagir à ces communications, et de ce fait eux-mêmes communiquer. Il faut bien comprendre que le seul fait de ne pas parler ou de ne pas prêter attention à autrui ne constitue pas une exception à ce que nous venons de dire »71 . Ainsi l'étude du contexte et du milieu social des individus devient aussi importante que le contenu des messages échangés. Notre problématique se concentre sur la relation établie dans le cadre d'une émission médiatique. Les théories précédemment développées accompagnent notre réflexion à propos de la relation entre un émetteur (la radio) et un récepteur (auditeur). En faisant participer l'auditeur aux programmes, les radios ont bousculé les fondements de la relation classique entre un média et son public. En effet, le média a pour fonction première d'émettre une 69 MEUNIER Jean-Pierre, Approches systémiques de la communication: systémisme, mimétisme, cognition, Paris, De Boeck, 2003, p 12 / 13 70 DE COSTER Michel, BAWIN-LEGROS Bernadette, PONCELET Marc, Introduction à la sociologie, Paris, De Boeck, 2001, p 127 71 WATZLAWICK Paul, JACKSON Don De Avila, BEAVIN Janet, Une logique de la communication, Paris, Seuil, 1979 information pour un public. A la radio, l'auditeur écoute passivement le programme, il consomme une émission. Si celle-ci n'est pas à sa convenance, il a la possibilité de changer de station, sans avoir à justifier son choix. Avec l'apparition et la multiplication des émissions interactives, c'est la pratique du média qui va être modifiée permettant à l'auditeur de devenir à son tour émetteur. Peut-on toutefois qualifier cette relation d'interactive? Pour qu'il y ait interactivité, les deux entités sociales doivent être présentes et offrir 72 une participation active.L'interactivité induit la notion de réciprocité dans la relation. La communication établie va dépendre de la relation entre les deux acteurs, chacun interagissant l'un par rapport à l'autre. Notre recherche souhaite comprendre quels sont les éléments de cette interactivité. Comment les deux entités sociales se comportent-elles l'une envers l'autre? Il est nécessaire de prendre des précautions en ce qui concerne les notions d'interactivité et d'interaction. L'interactivité peut être considérée comme un simple système de sélection et de manipulation des données permettant des commandes prises en compte par le système mettant en relation des informations, ou comme moyen de communication (ce qui tendrait plus vers l'interaction). L'interaction se définit plus comme une action réciproque entre émetteur et récepteur, alors que l'interactivité se rapproche plus d'une activité de dialogue entre un être humain et un programme informatique.73 Pour Françoise Séguy, il est nécessaire de considérer l'interactivité aujourd'hui comme un outil d'accès et de manipulation de l'information. Pour elle, les écritures interactives n'apparaissent plus comme un processus de création des contenus (ceux-ci étant 72 VIDAL Geneviève, Contribution à l'étude de l'interactivité, les usages du multimédia de musée, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2006, p 10 73VIDAL Geneviève, Ibid. p 11 très rarement inventés) mais comme «une mise en forme de ses contenus adaptée au sujet traité, à l'utilisateur et au support utilisé. »74 Les outils de l'interactivité à la radio sont nombreux et induisent des usages et des types d'interventions variés. Nous pouvons toutefois constater que ces derniers se sont multipliés ces dernières années. L'apparition de nouvelles technologies de communication a été prise en compte et appropriée par le média radio. Ainsi l'apparition d'internet et du téléphone mobile induit de nouvelles pratiques interactives. La multiplication des moyens de communication pour entrer en contact avec la radio augmente-t-elle les interventions des auditeurs en direct? L'ouverture de l'antenne aux auditeurs est -elle plus importante grâce à ces nouveaux outils ? Avant de répondre à ces questionnements, nous souhaitons nous arrêter un moment sur les différentes possibilités pour un auditeur de faire entendre sa voix. + Le téléphone: Il est l'outil historique de la parole des auditeurs à la radio. Il permet la transmission directe de la voix. A l'antenne, hormis la qualité de transmission, l'auditeur appelant se trouve au même niveau que l'animateur; tous les deux s'expriment exclusivement oralement. Le téléphone fait partie des équipements multimédias les plus répandus dans les foyers français, même si ces derniers ne se sont équipés que tardivement. Son usage courant peut ainsi être considéré comme relativement récent en France. Selon l'INSEE (Institut National des Statistiques et des Etudes Economiques), 86,5 % des ménages étaient équipés de téléphone fixe, et 69,6 % de téléphone portable en 2004. 75 Son utilisation est très étendue dans la 74 SEGUY Françoise, Les questionnements des écritures interactives, http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/2000/Seguy/index.php consulté en novembre 07 75 INSEE, Equipement des ménages en multimédia par catégorie socioprofessionnelle, http://www.insee.fr/fr/ffc/chifcle fiche.asp?ref id=NATSOS05 11 8&tab id=43 1 consulté en mars 08 société, permettant d'entretenir un lien interpersonnel avec des individus plus ou moins éloignés géographiquement. Cette invention de Bell en 1876 constitue l'illustration de l'interaction permanente entre technique et société, c'est-à-dire qu'il est à la fois le résultat d'un processus d'innovation et d'un processus de socialisation où la technique devient un phénomène social de par son appropriation et son usage par des individus.76 En tant qu'outil, le téléphone peut être employé à différents usages. Jean-Louis Donnadieu expose trois usages sociaux du téléphone. Dans un premier temps, il va permettre la réduction des distances entre les personnes, par la mise en relation des individus physiquement absents. Puis, il permet de rompre la solitude, à tout moment, il est possible de décrocher son téléphone et de rentrer en communication avec quelqu'un. Durant la conversation, l'individu a l'impression d'être en contact étroit avec son correspondant. Toutefois, une fois le téléphone raccroché l'individu retourne dans sa solitude. C'est ce que l'auteur nomme la «solitude paradoxale : une relation avec l'absent». Enfin, le téléphone va permettre la mise en place de «cercles », de réseaux. En effet, Jean-Louis Donnadieu évoque ici les numéros dits «de service» tel « SOS Amitié ». Le téléphone crée ici des liens qui lui sont propres entre personnes qui ne se connaissent pas. Dans ce sens, posséder un téléphone signifie être connecté à ce réseau, ne pas être exilé.77 Nous pouvons ici établir un parallèle avec internet. Les travaux de Jean-Louis Donnadieu étant assez anciens (1986), nous prolongeons cette analyse en l'ouvrant à des technologies plus récentes. Internet est dans ce domaine un terrain de prédilection pour la constitution de réseaux. De nombreux outils existent sur la toile afin d'entrer en contact tant avec des personnes de notre entourage qu'avec des inconnus. Au sein de cette offre abondante, les radios souhaitent constituer, elles aussi, des communautés. Les internautes n'ayant comme point commun que d'écouter la même radio voire la même émission. En effet, 76DONNADIEU Jean-Louis, op.cit. p27 77Ibid. p 29 /30 la plupart des services offerts sur internet (forum, chat, e-mail) sont conçus pour les auditeurs de la radio. Ils viennent la plupart du temps en appui d'une émission interactive. Certains contenus sont même dévoilés à l'antenne. Nous reviendrons plus loin sur ces éléments. Il est important de signaler que se sont ajoutés aux numéros dits «de service » évoqués par Jean-Louis Donnadieu, des numéros (parfois payants) revendiquant des objectifs similaires sans être spécialisés dans l'aide à la personne. Nous pensons ici aux médias qui ont multiplié ces dernières années des espaces d'interactivité où le public vient se confier et / ou demander un soutien à l'antenne. Notre étude se concentrant sur les émissions service radiophoniques, il est impératif de questionner l'usage du téléphone dans ce cadre. En effet, la relation interpersonnelle établie lors de la conversation téléphonique n'est plus la même. A la radio, même si l'auditeur n'a pour interlocuteur que l'animateur de l'émission, son témoignage est entendu par un très grand nombre de personnes. Le téléphone, outil de communication, véhicule de par ses usages sociaux un certain imaginaire. Celui-ci est tourné vers l'idée d'intimité. D'abord, il est le révélateur de certaines attitudes propres à chacun (griffonnant un bout de papier, jouant avec le fil du téléphone, assis, en mouvement, etc.). Le téléphone permet d'entrer dans une bulle, de s'isoler de son environnement matériel. De plus, le téléphone, faisant exclusivement appel à la voix, stimule l'imagination, les individus sont hors d'atteinte dans le noir. Ceci engendre une sensation de liberté, l'utilisateur peut se sentir plus clairvoyant, plus audacieux, hors d'atteinte, voire 78 couvert par l'an onymat. Le téléphone peut alors avoir une fonction exutoire.Les auditeurs appelant ont ainsi plus tendance à entrer dans la confidence. Nous pouvons toutefois nous questionner sur ce paradoxe: la relation téléphonique lors d'une émission interactive favorise un climat d'intimité tout en étant entendu par un nombre important de personnes. Conscientes de l'importance de la téléphonie, les radios proposent différents moyens à l'auditeur pour témoigner à l'antenne. Il peut intervenir en direct sur les ondes par le biais d'un insert téléphonique, après une sélection faite au standard. En effet, les auditeurs qui 78 DONNADIEU Jean-Louis, op. cit. p 30/ 31 appellent une radio doivent passer à travers un filtre. Les standardistes accueillent les personnes, et ils notent leurs intentions de participation à l'antenne. D'autres éléments complémentaires sont notés comme leurs noms, âges, professions. Il serait instructif d'étudier un corpus de fiches standard afin de s'interroger sur la sélection des auditeurs. Puis, une intervention différée est possibl e en laissant un message sur le répondeur de la radio ou de l'émission concernée. Même si la parole de l'auditeur n'est pas en direct, l'interactivité est ici importante. En effet, le répondeur permet d'introduire une rétroaction dans la communication radiophonique initialement unidirectionnelle. De plus, ces fonctions sont diverses. L'auditeur peut appeler pour se plaindre, pour demander un renseignement, pour apporter un complément d'information, pour donner son avis sur l'émission, pour entrer en contact avec d'autres auditeurs, ou pour tout simplement diffuser une information. Les utilisations des messages des auditeurs sont multiples. Dans un premier temps, l'émission ou la radio peuvent décider de ne pas utiliser cette ressource à l'antenne. Il reste un outil interne à la rédaction, qui a un retour positif ou négatif sur le contenu de l'émission. Dans un second temps, l'émission peut aussi choisir d'agrémenter son contenu, en faisant part aux écoutants des remarques des auditeurs qui ont appelé. De manière indirecte, en retranscrivant à l'antenne les propos laissés sur le répondeur. Mais aussi de manière directe, en diffusant les messages des auditeurs. On peut citer en illustration l'émission de Daniel Mermet, «Là bas, si j'y suis », sur France Inter. Les messages diffusés en début d'émission sont pour Deleu le résultat d'une recherche de proximité avec l'auditeur. Daniel Mermet 79 répond même à ces messages en direct de manière humoristique . Les messages permettent aussi de créer un espace commun pour les auditeurs. En effet, ceux-ci peuvent s'interpeller, se répondre, se donner rendez-vous, etc. Tous ces éléments favorisent la création d'une communauté d'auditeurs. La relation interactive génère une certaine proximité entre les auditeurs ; mais elle a pour autre conséquence de légitimer l'émission elle-même. 79DELEU Christophe, op.cit. p200 L'auditeur peut aussi entrer en contact avec la radio de manière indirecte à travers l'envoi de SMS (Short Message System). La participation de l'auditeur se fait à la demande de l'animateur ou du journaliste. Il peut soit être amené à participer à un jeu, la sélection s'effectuant par ce biais, soit pour interagir au contenu d'une l'émission. Dans ce cas de figure, l'animateur lit à la volée les messages des auditeurs. Ce type de communication est extrêmement développé dans les radios destinées aux jeunes. Via les SMS, les auditeurs participent à l'émission, car ils réagissent sur le vif aux propos diffusés à l'antenne. Glevarec cas envoyés Skyrock 80 s'est arrêté le sur des messages à . Reprenant les idées d'Abercrombie et de Longhurst, il montre comment un nouveau type de relation est aujourd'hui instauré entre le public et le média. L'interaction devient décisive pour comprendre la constitution même des publics. Glevarec montre ainsi que les messages envoyés à une station manifestent « la relation irréductible d'une part des auditeurs à la seule écoute des programmes »81 . De plus, les messages envoyés à l'antenne montrent une certaine familiarité que l'auditeur entretient avec la radio. Il doit avoir une connaissance relative du direct, le message doit être compris dans un contexte en particulier. Enfin, le message envoyé s'adresse directement aux animateurs de l'émission, mais l'auditeur espère qu'il sera lu à l'antenne, qu'il aura une portée publique. «Le message a bien un truchement, l'équipe, mais il peut viser les auditeurs. Il ne répond pas à un autre message, il est envoyé à l'antenne: il répond à l'antenne. »82 Le succès des SMS envoyés sur les radios jeunes n'est pas négligeable, constituant une nouveauté dans les usages du téléphone devenu mobile. Dans ce sens, il serait instructif de poursuivre notre réflexion sur les conséquences de la démocratisation du téléphone portable dans le cadre de la relation interactive radiophonique. De plus, une étude plus approfondie sur la nature et les fonctions des SMS des auditeurs dans le cadre d'une émission radio interactive est à envisager. 80 GLEVAREC Hervé, Libre antenne, la réception de la radio par les adolescents, Paris, Armand Colin, 2005, p 155 81Ibid. 82Ibid.p 156 Le deuxième outil majeur utilisé par les stations radio pour construire une relation interactive avec les auditeurs est l'internet. + Internet: Ces dernières années ont été marquées par l'arrivée et l'expansion d'internet dans les foyers français. Alors que moins de 10 % des ménages possédaient internet en 1999, ils étaient 30,3 % en 2004.83 Les médias ont su réagir et s'adapter progressivement à cette nouvelle technologie par la création de sites internet sur lesquels les auditeurs disposent d'informations et de fonctionnalités complémentaires. En terme d'interactivité, certaines radios multiplient les outils en créant des espaces électroniques permettant la mise en relation de la radio avec les auditeurs mais aussi entre auditeurs ; nous pensons ici au forum, chat mais aussi aux courriers électroniques dits e-mails en anglais. Toutefois, la relation établie grâce à ces outils peut être considérée comme indirecte. En effet, celle-ci n'est qu'épistolaire. Les chats sont des lieux d'échange en ligne ouverts à tous, mais la participation est conditionnée par une inscription gratuite en ligne. Le dispositif ne permet pas la mémorisation des contenus produits collectivement. Ceux-ci s'inscrivent dans une dynamique d'immédiateté, proche de l'oralité. Les internautes sont réunis dans un même lieu virtuel appelé «salon », qu'ils sont libres de quitter à tout moment. Ainsi les participants entrent et sortent de l'espace de communication, faisant de la discussion un moment discontinu. 84 83 FRYDEL Yves, INSEE première, n1011, Mars 2005, www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/IP1011.pdf consulté le 24.04.08 84BECQUERET Nicolas et GAGO Laurent, «La parole des jeunes sur Internet. Approche des dispositifs interactifs et des discours », Les cahiers du CREDAM, Paris, 2005 Les forums sont des espaces de communication thématique en ligne. Toutefois, à la différence du chat, les contenus n'appartienn ent pas au domaine de l'immédiateté. Les messages sont rédigés et postés sur le site par les internautes au fur et à mesure; permettant l'archivage des productions. Les chats et les forums sont des espaces interactifs proposés par la radio afin de rassembler les auditeurs. Ils sont dépendants des émissions, certains contenus peuvent être utilisés en direct par l'animateur. Un grand nombre de radios nationales au-delà de proposer une interface spécifique à chaque émission, offrent en plus aux auditeurs un blog rédigé par l'animateur de l'émission. Les auditeurs de l'émission peuvent réagir aux messages publiés par l'animateur via des commentaires. Les éléments composant le blog sont divers et variés selon les radios, même si une grande partie est dédiée à l'émission. En effet, nous pouvons trouver au sein des blogs des animateurs de nombreuses références à l'émission elle-même: retour sur la thématique, compléments d'informations, extraits sonores, etc. Que cela soit lors des chats, des forums ou des commentaires laissés sur les blogs, tous sont régulés par un modérateur. Mais à quel degré les propos des auditeurs sont-ils contrôlés ? Quels types de contenu sont retirés ? En effet, même si la modération est discrète, elle reste omniprésente. Il est fondamental de se concentrer sur ces contenus interactifs et leurs conséquences. Comme nous l'expliquent Becqueret et Gago la diversité des contenus «tient aux différents indicateurs discursifs (modification de la langue), aux spécificités techniques (le supp ort d'énonciation) et à la reconnaissance de ces dispositifs par les utilisateurs. Bien que leurs structures soient distinctes, ils ont en commun une codification socio-langagière très spécifique. »85 Ceci engendre plusieurs conséquences dont deux directes pour les auteurs: L'expression du moi Le succès de ces espaces interactifs est l'illustration d'une soif d'expression individuelle au sein de l'espace public. Pour Cauquelin, ces sites internet sont une recherche 85BECQUERET Nicolas et GAGO Laurent, op. cit. 86 identitaire, une quête où l'exposition d e « soi » prime.Toutefois, d'autres auteurs comme Jauréguiberry y voient un espace où des identités réelles et des identités virtuelles se superposeraient. Les premières permettraient une reconnaissance sociale pour les personnes qui n'en auraient pas dans le monde réel. Pour les secondes, les personnes auraient la possibilité de vivre des différemment réel. 87 expériences inédites, du vécues monde Ainsi chaque utilisateur trouve un terrain propice à l'expression de sa différence par l'affirmation de son identité. La parole est ainsi orientée vers le témoignage personnel. Un jeu discursif particulier Pour Becqueret et Gago, «nous assistons à l'émergence de nouveaux contrats de communication, spécifiquement liés aux situations discursives électroniques. L'apparition de ces modes discursifs n'est pas étonnante: à chaque situation doivent correspondre des cadres de références. Ils sont nécessaires car ils permettent aux membres d'une communauté sociale d'entrer en interaction. (É) Or, dans la situation analysée, ce cadre est extrêmement complexe, puisqu'il nécessite à la fois la maîtrise d'un outil technique constitué d'interfaces particulières, impliquant une réorganisation générale des discours écrits hors normes. »88 Enfin, le dernier type d'utilisation d'internet favorisant la relation interactive est l'envoi d'e-mails. La plupart du temps, les auditeurs sont invités par l'animateur à les envoyer sur le site de l'émission. Ceux-ci pourront aider à la création du contenu de l'émission; l'animateur ayant la possibilité de lire une partie ou la totalité de la lettre électronique à l'antenne. Ces témoignages et / ou questions sont des supports attrayants pour la radio. En effet, l'émission va pouvoir se prétendre interactive car elle donne à entendre des propos d'auditeurs; tout en contrôlant le contenu. Grâce aux e-mails , l'animateur peut à la fois sélectionner les messages, mais aussi s'émanciper de toute dérive, possible lors d'une intervention téléphonique en direct. L'animateur est ici maître du contenu. 86CAUQUELIN Anne, L'exposition de soi, du journal intime aux webcams, Paris, Eshel, 2003 87JAUREGUIBERRY Francis, PROULX Serge (sous la direction de), Internet, nouvel espace citoyen, Paris, L'Harmattan, 2002 88BECQUERET Nicolas et GAGO Laurent, op. cit. L'e-mail constitue aussi une passerelle vers l'antenne. En effet, après lecture de celui- ci l'animateur peut décider d'appeler la personne afin qu'il raconte son expérience de manière orale. Ceci à l'avantage d'être plus vivant, et surtout plus authentique. Le dernier type d'outil dont dispose l'auditeur pour communiquer avec une radio est le courrier manuscrit. De tout temps, les auditeurs se sont emparés de leur plume pour apporter un témoignage, poser une question, donner leur avis, participer à un jeu, etc. Aujourd'hui encore, certains auditeurs préfèrent entrer en contact de manière manuscrite avec une radio. Les lettres peuvent même être lues à l'antenne. Glevarec (2005) revient sur l'acte d'écriture qui réside dans l'envoi de messages à la radio de manière manuscrite ou par extension virtuellement sur internet (via les e-mails, chat et forum), mettant à jour trois dimensions. La première est une dimension d'acte de langage. Il s'agit de savoir pourquoi la personne écrit, le but de son message écrit. La deuxième dimension relève de la réception pragmatique. Il faut ici comprendre comment le message s'articule à l'émission: celui-ci peut-être très «situé », il est alors en lien avec ce qui est dit à l'antenne, ou le message est « désindexicalisé », l'intervention étant plus d'ordre général. La dépendance pragmatique du message s'articule autour de deux phénomènes interdépendants: l'auditeur réagit aux propos tenus à l'antenne, mais il manifeste aussi une certaine familiarité (conscience et connaissance de l'antenne). Enfin la troisième dimension relève de l'acte d'écriture; il faut savoir à qui s'adresse le message. Mais aussi comprendre la place que le sujet a dans le discours. Pour l'auteur, ce qui rapproche les trois axes est « une modalité de réception participative. »89 En conclusion, nous souhaitons nous interroger afin de savoir si la multiplication des outils interactifs mis à disposition de l'auditeur rend le média plus accessible. En effet, les innovations de ces dernières années favorisent une expression indirecte (e-mail, SMS, chat, etc.). Ces derniers viennent-ils remplacer la voix de l'auditeur à l'antenne, ou sont-ils une offre supplémentaire? Favorisent-ils l'expression de certains auditeurs ne souhaitant pas 89GLEVAREC Hervé, op. cit. p 160 parler à l'antenne ? Pour Lamizet et Silem, c'est dans l'interactivité que «réside le caractère révolutionnaire des nouveaux médias ; l'interactivité leur allouant de plus en plus d'autonomie, et les émancipant de leur simple fonction-outil, jusqu'à les amener à un rôle de partenaire de l'utilisateur humain, avec qui un véritable dialogue est instauré. »90 90LAMIZET Bernard, SILEM Ahmed, Dictionnaire encyclopédique des sciences de l'information et de la communication, Paris, Ellipses, 1997, p. 312-313 |
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