C. Les émissions service
Nos recherches préliminaires sur les émissions
interactives radiophoniques ont fait émerger un axe de réflexion,
une particularité dans ce type de programme. En effet, de plus en plus
de radios offrent une assistance, dans des domaines divers, à leurs
auditeurs. Nous avons fait le choix de qualifier ces émissions de
service. A la différence de Deleu, qui a mis en place une typologie des
types de parole des anonymes à la radio, notre démarche souhaite
mettre à jour un objectif commun à beaucoup d'émissions
interactives. Nous souhaitons nous concentrer sur la manière dont le
média se positionne par rapport à son public, ne correspondant
pas for cément à un type ou à une thématique
d'émission en particulier.
Afin de
légitimer notre terminologie, nous allons justifier le
choix et l'exactitude de cette appellation.
Ainsi, pour offrir une définition complète du
terme « service », nous allons nous arrêter sur les origines de
ce mot, par l'adoption d'une approche étymologique et historique. Issue
du latin servitium (servitude) et servus (esclave), il
définit étymologiquement l'état, la fonction ou la
condition d'un esclave ou d'un domestique: «le service de la chambre
». Dès l'ancien français, dans le vocabulaire
religieux, le « service de Dieu» qualifie le soin de se
consacrer aux oeuvres de piété ; alors que dans le vocabulaire
médiéval, le « service féodal » est
employé pour désigner les devoirs auxquels un vassal était
obligé envers son seigneur:
e
« service de l 'ost », puis à la fin
du XVIIIsiècle : « service militaire ». L'ancien
français l'utilisait aussi au sens de « l'activité
particulière que l'on doit accomplir auprès d'un maître
», en particulier dans le vocabulaire amoureux: « service
auprès d'une femme ». Au XVIe siècle, il
désigne l'ensemble des opérations par lesquelles on fait
fonctionner quelque chose: « mettre en / hors service ». A
partir du XVII e siècle, il est utilisé dans le
domaine sportif pour qualifier la mise enjeu de la balle, d'abord au jeu de
paume puis par extension au tennis. Ce n'est qu'à partir du
XVIIIe siècle, qu'il va exprime la manière ou l'action
de servir à table. Au XIXe siècle, il apparaît
dans le vocabulaire administratif, comme une fonction d'utilité commune,
publique: « service public, services des postes
»66.
66BAUMGARTNER Emmanuèle et MENARD Philippe,
Dictionnaire étymologique et historique de la langue
française, Paris, Librairie Générale
Française, Le Livre de Poche, 1996, p 732 - 733
Aujourd'hui, les acceptions de ce terme sont multiples. Nous
avons décidé de l'utiliser comme qualificatif d'un genre
particulier de programme radiophonique: les émissions service.
L'utilisation du terme «service» nous paraît
particulièrement adapté à l'objet de notre recherche.
Avant tout, le terme « service » peut être
utilisé comme formule de politesse pour dire à quelqu'un que l'on
est son humble serviteur: «je suis à votre service ».
Dans le langage familier, il se dit à une personne qui paraît
vouloir nous demander quelque chose : « Qu Õy a-t- il pour
votre service? » Par prolongement, ce terme qualifie aussi
l'assistance que l'on donne, l'aide que l'on prête à quelqu'un:
« rendre service à quelqu'un ». Dans ce sens, les
émissions service sont des programmes qui se mettent à la
disposition des auditeurs pour les aider à résoudre leur
problème. Le média se positionne comme un soutien, un conseiller
se mettant au service de son public. La notion d'assistance est ici très
importante. De plus, pour qu'une émission soit considérée
comme service, il est nécessaire qu'elle annonce ouvertement cet
objectif. Il est aussi nécessaire que le programme soit à
l'écoute physiquement des auditeurs; l'émission service est par
essence interactive : les auditeurs peuvent intervenir à l'antenne. La
radio, dans la mission qu'elle s'est donnée, peut adopter une position
distante avec l'auditeur: l'écouter, l'orienter, le conseiller ou
prendre une attitude plus active, en devenant acteur dans la vie de l'auditeur.
Le média peut ainsi prendre le rôle de médiateur, mais
aussi proposer directement les solutions et les outils à la
résolution des problèmes des auditeurs. Ainsi le type
d'assistance proposée dans le cadre d'une émission service va
dépendre de la station, voire de l'émission elle-même.
De plus, l'appellation « émission service »
fait implicitement référence à deux notions contemporaines
: celle de numéro service et celle de service public. En effet, les
numéros service tels que « SOS Amitiés» invitent les
individus en détresse à joindre l'association, qui a mis en place
une permanence téléphonique, afin de les aider et de les soutenir
par la parole. Les émissions service peuvent se rapprocher de cette
démarche, invitant les auditeurs à joindre le standard ;
toutefois le dialogue s'instaure pour l'un dans un cadre intime et pour l'autre
médiatisé. Nous assistons à une rupture entre la
sphère privée et la sphère publique.
Puis, nous souhaitons emprunter l'idée de service
public, que de nombreuses émissions service, appartenant ou non au
service public s'approprient, pour justifier notre choix. En effet, par
extension, le service public se définit comme une activité
considérée comme devant être disponible pour tous,
s'appuyant sur la notion d'intérêt général. Ainsi
les émissions service entrent dans cette démarche, proposant
à chaque auditeur de lui venir en aide.
Les émissions service programmées par les radios
nationales sont nombreuses, et leurs thématiques variées. Les
radios viennent en aide à leurs auditeurs pour tous les petits tracas de
la vie quotidienne. Par exemple, sur RMC-Info, une série
d'émission: «Tout surÉ » se consacre soit aux
problématiques liées au domaine de la voiture, soit à
celles liées au domaine de la maison, mais encore à celles
liées au jardinage ou enfin à celles liées aux animaux
domestiques. Les émissions service peuvent aussi proposer un soutien
psychologique : sur Europe 1 par exemple, Caroline Dublanche,
diplômée en psychologie clinique et pathologique, propose la nuit
une «consultation» en direct aux auditeurs en adoptant une attitude
d'écoute et de conseil. Les émissions service couvrent aussi les
domaines juridiques avec «Ça peut vous arriver» sur RTL, ou
ceux de la consommation avec «Service public» sur France Inter. Une
ribambelle d'émissions service s'affirme ainsi peu à peu sur la
bande FM, s'insérant dans ce mouvement croissant de programmes
interactifs.
Ces programmes se démarquent de l'offre radiophonique
par leur omniprésence mais illustrent aussi la (nouvelle?) place tenue
par la radio dans la société. En effet, les auditeurs sont pris
en charge par l'émission, qu'ils ont contactée afin de
régler leurs conflits, permettant ainsi au média d'entrer, par le
traitement du cas par cas, dans l'intimité des auditeurs. Peut-on dans
ce sens considérer que les émissions service permettent au
média radiophonique de devenir un acteur social de premier plan,
empiétant sur le terrain des instances traditionnelles?
L'émission service se considère d'utilité
sociale. En effet, elle accompagne un inconnu dans la résolution d'un de
ses problèmes durant le temps de l'émission. Cette assistance est
donc médiatisée et exposée à un large public. Les
émissions service offrent donc à leurs auditeurs des actions
concrètes. Les auditeurs écoutants peuvent s'appuyer ou
prendre
exemple sur des propos tenus à l'antenne pour
résoudre par eux-mêmes des difficultés similaires.
Jusqu'alors les médias étaient présents
sur la scène publique, informant le citoyen afin qu'il puisse exercer en
toute conscience ses devoirs civiques. L'arrivée et la multiplication
des émissions service permettent aux radios de prendre part de
manière plus active et de s'insérer dans le quotidien des
individus. De plus, ce type d'émission, par son interactivité,
stimule la création et l'affirmation d'une relation de proximité
avec les auditeurs. Le média prend ici une position noble, soutenant et
aidant les individus dans le besoin. Mais les intentions du média
sont-elles dépourvues d'intérêt? Les émissions
service apportent -elles une aide concrète ou fictive aux auditeurs ?
Ainsi nous souhaitons nous interroger sur la nature de ces émissions.
Il est primordial à ce stade de se questionner sur le
dispositif mis en place dans le cadre d'une relation interactive
radiophonique.
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